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Date : 20071105

 

Dossier : IMM-4834-06

 

Référence : 2007 CF 1143

 

Ottawa (Ontario), le 5 novembre 2007

 

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

LEAKE G. TESFAYE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               Le demandeur, M. Leake G. Tesfaye, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 21 août 2006 par un tribunal de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Section d’appel).

 

[2]               Le demandeur est un citoyen canadien né en Éthiopie. Il est arrivé au Canada en 1991 à titre de réfugié au sens de la Convention en compagnie de son épouse et d’un enfant. Mme Terhas Leake Gebreslase (Mme Gebreslase) est une citoyenne de l’Éthiopie. En 2004, Mme Gebreslase a présenté une demande de résidence permanente dans laquelle elle atteste être la fille biologique du demandeur née d’une mère avec qui son père vivait en union de fait en Éthiopie. Au cours du traitement de la demande, un agent des visas a conclu que les documents fournis visant à établir un lien biologique étaient insatisfaisants. Au lieu de rejeter la demande, l’agent des visas a offert aux parties la possibilité de se soumettre à une analyse de l’ADN. D’après le test génétique, la probabilité que le demandeur soit le père biologique de Mme Gebreslase est de 0,00 %. Dans sa lettre de décision en date du 27 juin 2005, l’agent des visas a rejeté la demande de Mme Gebreslase au motif qu’elle n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial et que, par conséquent, elle était interdite de territoire en vertu du paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

 

[3]               Par avis d’appel en date du 26 juillet 2005, le demandeur a interjeté appel devant la Section d’appel. Celle‑ci a pris sa décision de rejeter l’appel sur dossier et elle n’a pas tenu d’audience. La conclusion de la Commission était la suivante :

D’après les éléments de preuve dont dispose le tribunal, la demandeure n’est pas l’enfant biologique de l’appelant. Il n’existe aucun élément de preuve selon lequel la demandeure est l’enfant adoptif de l’appelant. Par conséquent, le tribunal conclut que la demandeure ne répond tout simplement ni à la définition d’enfant à charge ni à celle de membre de la catégorie du regroupement familial au sens du paragraphe 117(1) du Règlement et, de ce fait, le présent appel est rejeté.

 

Il s’agit de la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

 

1.         Les questions en litige

[4]               Le demandeur soulève les questions suivantes :

 

1.                  La Section d’appel a-t-elle enfreint les règles d’équité procédurale en tenant a) une audience en présence de l’avocat du défendeur, mais en l’absence de l’avocat du demandeur, ou b) en refusant de tenir une audience?

 

2.                  La Section d’appel a-t-elle commis une erreur en rejetant l’appel au motif que le demandeur et Mme Gebreslase avaient été obligés de se soumettre à une analyse de l’ADN?

 

2.         Les dispositions légales applicables

[5]               En général, les dispositions de la Loi autorisent tout résident permanent et tout citoyen canadien à « parrainer l’étranger de la catégorie “regroupement familial” » (paragraphe 13(1) de la Loi). Comme l’article 14 de la Loi l’autorise expressément, le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), prévoit les dispositions nécessaires relatives à l’application du paragraphe 13(1).

 

[6]               En l’espèce, l’alinéa 117(1)b) du Règlement revêt une importance particulière : « Appartiennent à la catégorie du regroupement familial du fait de la relation qu’ils ont avec le répondant les étrangers suivants : [...] ses enfants à charge [...] ».

 

[7]               Le terme « enfant à charge » est défini comme suit à l’article 2 du Règlement :

 

2. « enfant à charge » L’enfant qui :

 

 

(a) d’une part, par rapport à l’un ou l’autre de ses parents :

 

(i) soit en est l’enfant biologique et n’a pas été adopté par une personne autre que son époux ou conjoint de fait,

 

 

(ii) soit en est l’enfant adoptif;

 

 

(b) d’autre part, remplit l’une des conditions suivantes :

 

(i) il est âgé de moins de vingt-deux ans et n’est pas un époux ou conjoint de fait,

 

(ii) il est un étudiant âgé qui n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l’âge de vingt-deux ans ou est devenu, avant cet âge, un époux ou conjoint de fait et qui, à la fois :

 

 

 

 

(A) n’a pas cessé d’être inscrit à un établissement d’enseignement postsecondaire accrédité par les autorités gouvernementales compétentes et de fréquenter celui-ci,

 

(B) y suit activement à temps plein des cours de formation générale, théorique ou professionnelle,

 

(iii) il est âgé de vingt-deux ans ou plus, n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l’âge de vingt-deux ans et ne peut subvenir à ses besoins du fait de son état physique ou mental.

 

 

2. “dependent child”, in respect of a parent, means a child who

 

(a) has one of the following relationships with the parent, namely,

 

(i) is the biological child of the parent, if the child has not been adopted by a person other than the spouse or common-law partner of the parent, or

 

(ii) is the adopted child of the parent; and

 

(b) is in one of the following situations of dependency, namely,

 

(i) is less than 22 years of age and not a spouse or common-law partner,

 

(ii) has depended substantially on the financial support of the parent since before the age of 22 — or if the child became a spouse or common-law partner before the age of 22, since becoming a spouse or common-law partner — and, since before the age of 22 or since becoming a spouse or common-law partner, as the case may be, has been a student

 

(A) continuously enrolled in and attending a post-secondary institution that is accredited by the relevant government authority, and

 

 

(B) actively pursuing a course of academic, professional or vocational training on a full-time basis, or

 

(iii) is 22 years of age or older and has depended substantially on the financial support of the parent since before the age of 22 and is unable to be financially self-supporting due to a physical or mental condition.

 

 

 

 

3.         Analyse

[8]               La question déterminante dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la Section d’appel a commis une erreur en rendant sa décision sans avoir tenu une audience. Lorsque des questions d’équité procédurale sont soulevées, la Cour doit déterminer si les exigences en matière d’équité procédurale sont respectées en appliquant la décision correcte comme norme de contrôle. La Cour n’est pas obligée de faire une analyse pragmatique et fonctionnelle (Syndicat canadien de la fonction publique c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, au paragraphe 100). Si la Cour conclut que le tribunal a enfreint un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale, il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue et la Cour infirmera la décision du tribunal.

 

[9]               Le demandeur affirme que la Section d’appel a commis une erreur en décidant de ne pas tenir d’audience. Pour les motifs exposés ci‑après, je conclus que la Section d’appel a en fait commis une erreur. Par conséquent, j’accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[10]           Le demandeur et son avocat ont soumis de nombreuses observations écrites et l’avocat de l’intimé ministre a présenté une observation. Le principal motif d’appel concerne l’interprétation du terme « enfant à charge » défini dans la Loi. Dans son dossier, le demandeur met en doute les résultats de l’analyse de l’ADN et il propose qu’une autre analyse de l’ADN soit effectuée. La seule observation présentée par le défendeur était sous la forme d’une demande en date du 15 juin 2006. Dans cette demande, le défendeur soutenait que puisque Mme Gebreslase ne satisfaisait pas aux conditions légales qui lui auraient permis d’appartenir à la catégorie du regroupement familial en vertu du Règlement, l’appel devait être rejeté [traduction] « au motif que la Section d’appel n’avait pas compétence pour se prononcer sur cette question vu qu’aucun appel relatif à un membre de la catégorie du regroupement familial n’avait été déposé ». Le 8 juillet 2006, l’avocat du demandeur a répondu à l’observation du ministre.

 

[11]           En considérant la demande, la Section d’appel a déclaré ce qui suit dans sa décision :

 

Ayant pris en considération les éléments de preuve dont il dispose et les arguments du ministre et du conseil de l’appelant, le tribunal rejette l’appel de l’appelant. Le Règlement définit clairement en quoi consiste un enfant à charge, et cette définition exclut la demandeure. Il n’y a pas lieu de tenir une audition de vive voix en l’espèce, et le tribunal est disposé à rendre une décision fondée sur les documents écrits dont il dispose. Le tribunal peut rendre ce genre de décision en vertu du paragraphe 25(1) des Règles de la SAI. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[12]           Le défendeur soutient qu’aucune erreur n’a été commise et que le paragraphe 25(1) des Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS/2002-230, (les Règles) autorise la Section d’appel à procéder par écrit. Ce paragraphe prévoit ce qui suit :

 

25. (1) La Section peut, au lieu de tenir une audience, exiger que les parties procèdent par écrit, à condition que cette façon de faire ne cause pas d'injustice et qu'il ne soit pas nécessaire d'entendre des témoins.

 

25. (1) Instead of holding a hearing, the Division may require the parties to proceed in writing if this would not be unfair to any party and there is no need for the oral testimony of a witness.

 

 

[13]           Je conviens que ce paragraphe des Règles permet à la Section d’appel de procéder par écrit. De plus, en tant que maître de sa propre procédure, la Section d’appel devrait bénéficier d’une grande retenue en ce qui concerne la décision de tenir ou non une audience.

 

[14]           Cependant, la question est de savoir si, eu égard aux faits de l’affaire, la Section d’appel a été juste envers le demandeur en décidant de procéder par écrit. L’obligation d’équité, à son degré le plus élémentaire, prévoit le droit de l’intéressé de participer au processus décisionnel (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 22). En l’espèce, la procédure adoptée par la Section d’appel a-t-elle accordé au demandeur un droit de participation approprié? Je pense que non.

 

[15]           Le paragraphe 25(1) des Règles prévoit que la Section d’appel « exiger[a] que les parties procèdent par écrit ». Il m’apparaît qu’en utilisant cette formulation, les parties doivent être, avant la fermeture du dossier, mises au courant de la décision que la Section d’appel procédera ou pourra procéder par écrit.

 

[16]           Aujourd’hui, dans un cas semblable, les appelants sauraient que la Section d’appel peut recourir au processus d’instruction sur dossier pour trancher les questions d’appartenance à la catégorie du regroupement familial. En consultant le site Web pertinent, les parties seraient au courant de la procédure d’appel habituelle de la Section d’appel, soit l’instruction sur dossier si la question de la « preuve relative au lien de parenté » est en cause (Canada, Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, Procédures relatives à la catégorisation des cas de la SAI – Critères de catégorisation et analyse; voir en ligne à l’adresse http://www.irb-cisr.gc.ca/fr/references/procedures/sai/procedures_stream-cat_iad-sai_f.htm). Malheureusement, ces lignes directrices sont de décembre 2006 et la séance concernant le demandeur a eu lieu en août 2006. Le guide d’information antérieur et plus général sur les appels interjetés devant la Section d’appel qui existait au moment où l’appel du demandeur était à l’étude ne fait aucune mention du processus d’instruction sur dossier (Canada, Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, Guide d’information – Marche à suivre pour tous les appels interjetés devant la Section d’appel de l’immigration; voir en ligne à l’adresse http://www.irb-cisr.gc.ca/fr/references/procedures/processus/sai/guidesinfo/index_f.htm).

 

[17]           En l’absence d’une directive procédurale générale, comme celle qui est maintenant en place, qu’a-t-on dit au demandeur au sujet de sa procédure d’appel?

 

 

[18]           Trois lettres ont été envoyées au demandeur à l’égard de ses droits d’appel :

 

1.                  Dans la lettre de décision en date du 27 juin 2005, la question de savoir si l’appartenance de Mme Gebreslase à la catégorie du regroupement familial serait une question préliminaire tranchée sur dossier n’était aucunement mentionnée.

2.                  Le 11 août 2005, la Section d’appel a écrit une lettre au demandeur accusant réception de son avis d’appel, dans laquelle on peut lire ce qui suit : [traduction] « Dès que nous aurons reçu le dossier d’appel de l’avocat du ministre, nous communiquerons avec vous ou votre avocat pour fixer la date de votre audition d’appel. »

3.                  La dernière lettre portant sur la procédure à suivre était datée du 15 décembre 2005 et elle était de la part de l’avocat du ministre. Dans cette lettre, à laquelle était jointe le dossier d’appel, il y avait au moins trois mentions distinctes et précises d’une audience.

 

 

Le dossier ne contient aucune autre lettre que la Section d’appel aurait envoyée avant de rendre sa décision.

 

[19]           En considérant l’ensemble des faits, je n’ai guère de doute que le demandeur agissait en se disant qu’une audience serait tenue dans le cadre de laquelle il pourrait présenter des éléments de preuve et avancer d’autres arguments sur la question de l’appartenance à la catégorie du regroupement familial. Le demandeur voulait particulièrement fournir d’autres éléments de preuve sur la question concernant la demande de l’agent des visas de procéder à une analyse de l’ADN.

 

[20]           Le demandeur mentionne l’affaire M.A.O. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 1799 (1re inst.) (QL), dans laquelle la juge Heneghan a accueilli une demande à l’égard de faits similaires. Dans cette affaire, le demandeur avait lui aussi été « invité » à se soumettre à une analyse de l’ADN. La juge Heneghan a accueilli la demande et a ordonné à la Section d’appel de l’immigration de réexaminer la demande d’appel sans tenir compte des éléments de preuve provenant de l’analyse de l’ADN. Le défendeur soutient que cette affaire n’est pas pertinente parce qu’elle a été tranchée sur la foi de la décision de la Section d’appel rendue en vertu des dispositions de l’ancienne Loi sur l’immigration. C’est fort possible. Cependant, à mon avis, cette question fut soulevée – du moins indirectement – par le demandeur dans ses observations écrites, qui s’attendait à pouvoir débattre de ce point lors d’une audience. Vu qu’aucune audience n’a été tenue, il n’a pas été en mesure de présenter ses arguments.

 

[21]           En raison des circonstances particulières de l’espèce, je suis persuadée que le processus suivi par la Section d’appel a été injuste à l’endroit du demandeur. Il s’ensuit que la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et que l’affaire sera renvoyée à la Section d’appel pour qu’elle procède à un nouvel examen.

 

[22]           Que ceci soit bien clair : je n’ordonne pas à la Section d’appel de tenir une audience. Selon la procédure actuelle affichée sur le site Web, une affaire comme la présente peut être tranchée en recourant à un processus d’instruction sur dossier. Le demandeur doit soit présenter toutes ses observations par écrit, soit convaincre la Commission qu’il serait injuste à son égard de ne pas tenir d’audience ou encore qu’il est nécessaire d’avoir un témoignage oral.

 

[23]           Je ne dis pas non plus que la Section d’appel doit se pencher sur les motifs d’ordre humanitaire invoqués par le demandeur, sauf si elle décide d’abord que Mme Gebreslase appartient à la catégorie du regroupement familial; l’article 65 de la Loi est très clair à cet égard (voir Phan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 184; de Guzman c. Canada, 2004 CF 1276, au paragraphe 6, conf. par 2005 CAF 436, autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada refusée, [2006] C.S.C.R. no 70; Asuncion c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1002, au paragraphe 10).

 

[24]           Ni l’une ni l’autre partie n’ont proposé de questions à certifier.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

2.                  La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire est infirmée et l’affaire est renvoyée à une formation différente de la Section d’appel pour qu’elle procède à un nouvel examen.

 

3.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Annie Beaulieu


COUR FÉDÉDALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4834-06

 

INTITULÉ :                                                   LEAKE G. TESFAYE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 31 octobre 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              La juge Snider

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 5 novembre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Aliamisse O. Mundulai

 

POUR LE DEMANDEUR

Bridget A. O’Leary

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Aliamisse O. Mundulai

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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