Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20071106

Dossier : IMM-5623-06

Référence : 2007 CF 1149

Ottawa (Ontario), le 6 novembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’REILLY

 

 

ENTRE :

HONG RUI ZHANG

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               En 2000, Mme Hong Rui Zhang a quitté la Chine pour venir au Canada en tant que travailleuse qualifiée. Par la suite, il est apparu qu’elle avait déposé de faux documents pour obtenir sa résidence permanente au pays. À la suite de cette révélation, elle a présenté une demande d’asile. Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande de Mme Hong Rui Zhang pour cause d’absence de preuve crédible.

 

[2]               Mme Zhang allègue que la Commission a commis une erreur en analysant la preuve et me demande d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué. Je suis d’accord avec Mme Zhang et, par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

I.     Question

 

[3]               La conclusion de la Commission selon laquelle le témoignage de Mme Zhang n’était pas suffisamment crédible a-t-elle été tirée eu égard à la preuve dont elle disposait?

 

II.   Analyse

 

[4]               Je ne peux écarter les conclusions de fait tirées par la Commission que si elles sont incompatibles avec la preuve dont elle disposait.

 

a)      Les faits

 

[5]               Après avoir obtenu sa résidence permanente, Mme Zhang est retournée en Chine pour épouser M. Han Dehui et a ensuite parrainé sa venue au Canada. M. Han est arrivé au Canada en janvier 2003. La relation a vite tourné au vinaigre. À un certain moment, Mme Zhang a mis à la porte M. Han qui lui a ensuite téléphoné et qui a menacé de lui faire mal. M. Han l’a également menacée de communiquer avec les agents d’immigration canadiens pour leur raconter qu’elle avait produit de faux documents à l’appui de sa demande de résidence permanente. Et c’est exactement ce qu’il a fait un peu plus tard.

[6]               Mme Zhang a lu quelques courriels envoyés et reçus par son époux, lesquels montraient qu’il avait échangé des messages intimes avec une femme qu’il appelait [traduction] « ma chère épouse » et qui l’appelait [traduction] « mon très cher époux ». Évidemment, Mme Zhang a soupçonné son époux d’entretenir une liaison extraconjugale, et elle s’est alors interrogée sur les raisons pour lesquelles il l’avait épousée.

 

[7]               Mme Zhang a conservé une cassette sur laquelle est enregistré un des messages au cours duquel M. Han a proféré des menaces téléphoniques à son endroit. Voici la transcription du message :

[traduction]

 

Homme : Zhong Hongrui, écoute‑moi : je suis revenu chercher mes affaires, mais tu avais déjà changé la serrure. Maintenant, je ne peux pas ouvrir la porte. S’il te plaît, appelle‑moi aussitôt que possible. Autrement, tu devras en subir les conséquences. Et s’il te plaît, rappelle‑toi : si je veux te trouver, je te trouverai quel que soit l’endroit où tu te caches.

 

Femme : Qui est‑ce? Qui es- tu?

 

Homme : Je suis Han Dehui!

 

[8]               La voix de la femme que l’on pouvait entendre en arrière-plan sur la cassette est celle de la sœur de M. Han.

 

[9]               M. Han est retourné en Chine moins d’un mois après son arrivée au Canada. Le couple a par la suite divorcé. Dans son témoignage, Mme Zhang a déclaré qu’elle n’était pas présente lors de la procédure en divorce qui s’est déroulée en Chine en 2005.

 

[10]           Mme Zhang prétend que son ex-époux lui causera des préjudices physiques si elle retourne en Chine. En outre, elle craint qu’il la dénonce comme étant une pratiquante du Falun Gong. Elle affirme que M. Han a auparavant fait des menaces en ce sens après avoir constaté qu’elle conservait des documents relatifs au Falun Gong (même si elle n’était pas une adepte de cette religion).

 

b)    La décision de la Commission

 

[11]           La Commission n’a pas cru certaines parties importantes du témoignage de Mme Zhang. Je vais examiner les principales réserves exprimées par la Commission.

[12]           La Commission n’a pas accepté le témoignage de Mme Zhang au sujet de la liaison extraconjugale que son époux aurait entretenue parce que, dans le cadre de la procédure en divorce qui s’est déroulée en Chine, le tribunal a indiqué que Mme Zhang n’avait pas fourni des preuves adéquates pour établir la [traduction] « liaison alléguée » de son époux. Cependant, on ne connaît pas exactement les éléments de preuve que Mme Zhang avait présentés devant le tribunal chinois. La Commission ne l’a pas interrogée à ce sujet ni n’a donné les raisons pour lesquelles elle avait mis en doute l’importance des courriels.

 

[13]           La Commission doutait également que la voix d’homme dans le message vocal enregistré par Mme Zhang puisse être celle de M. Han. Elle a indiqué que le message était trop poli et formel étant donné qu’on avait eu recours aux noms au complet de la demanderesse et de son époux, ainsi qu’aux termes [traduction] « s’il te plaît ». La Commission s’est aussi demandée pourquoi Mme Zhang n’avait pas reconnu la voix de son époux et qu’elle avait dû poser la question [traduction] « qui est-ce? ». La Commission a écrit :

Il a été demandé à la demandeure d’asile d’expliquer pourquoi elle avait posé la question [traduction] « qui est‑ce? », ce à quoi elle a répondu qu’elle avait entendu la voix de la sœur de son ex‑époux en arrière‑plan. […] Il est raisonnable de s’attendre, à la lumière de son explication selon laquelle elle aurait entendu la voix de sa belle‑sœur en arrière‑plan, qu’elle avait compris qu’il s’agissait bien de son époux.

 

 

[14]           Il semble que ce témoignage ait été mal compris par la Commission. La personne qui a dit [traduction] « qui est-ce » était la sœur de M. Han, dont on pouvait entendre la voix en arrière‑plan, et non Mme Zhang. L’interprète a expliqué que ces termes pouvaient également signifier [traduction] « mentionne ton nom ». Autrement dit, la sœur de M. Han insistait pour que son frère se nomme dans le message vocal adressé à Mme Zhang. De plus, si la Commission avait indiqué pendant l’audience qu’il demeurait un doute quant à savoir si c’était M. Han qui avait laissé le message, Mme Zhang aurait pu faire comparaître un témoin pour le confirmer, mais la Commission l’a assurée qu’il ne serait pas nécessaire de faire entendre un témoin sur cette question.

 

[15]           La Commission a mis en doute le témoignage de Mme Zhang selon lequel elle n’était pas présente lors de la procédure en divorce en Chine. Ce point est important car la Commission a conclu que M. Han aurait pu faire du mal à Mme Zhang lors de son dernier séjour en Chine. Comme M. Han ne lui a rien fait, il apparaissait que Mme Zhang n’était pas menacée par son époux. Les doutes de la Commission découlaient du fait que le tribunal chinois avait indiqué dans son jugement que Mme Zhang avait comparu en personne. Cependant, Mme Zhang n’a pas été interrogée à ce sujet lors de l’audience. Là encore, si cela avait semblé nécessaire, Mme Zhang aurait pu présenter une preuve démontrant que le tribunal chinois avait commis une erreur.

 

[16]           La Commission était également préoccupée par l’omission de Mme Zhang de faire part de la crainte qu’elle ressentait à l’égard de son époux à l’agent d’immigration qui a mené l’entrevue concernant les problèmes liés à sa demande de résidence permanente. La Commission a cité un passage tiré du rapport de l’agent indiquant que Mme Zhang ne voulait pas rentrer en Chine parce qu’elle aurait de la difficulté à se trouver un emploi. Cependant, la Commission a omis de souligner que les notes manuscrites de l’agent mentionnaient que Mme Zhang avait bel et bien dit qu’elle avait fait l’objet de menaces par son époux.

 

[17]           La Commission a de plus tiré une inférence défavorable du fait que Mme Zhang n’ait pas demandé l’asile au Canada avant qu’on ordonne son expulsion. En fait, Mme Zhang a présenté une demande d’asile au moment où elle a constaté que son statut de résidente permanente était en péril. Elle n’était pas sous le coup d’une mesure d’expulsion à ce moment.

 

[18]           En se fondant sur toutes ces constatations, la Commission a conclu que les arguments de Mme Zhang ne constituaient que de simples conjectures sur la façon dont son époux pourrait se comporter si elle retournait en Chine.

 

c)      Conclusion

[19]      À mon avis, les conclusions défavorables en matière de crédibilité tirées par la Commission ne sont pas étayées par la preuve dont elle disposait. Par conséquent, je vais accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner la tenue d’une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué. Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale aux fins de certification, et aucune ne sera énoncée.

 


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué de la Commission aux fins d’une nouvelle audience;

2.                  Aucune question de portée générale n'est énoncée.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-5623-06

 

INTITULÉ :                                                               HONG RUI ZHANG

                                                                                    c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 17 OCTOBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 6 NOVEMBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Kingwell

 

                    POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Margherita Braccia

                   POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Mamann & associates

Toronto (Ontario)

 

         POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, C.R.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.