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Date : 20071031

Dossier : IMM-1130-07

Référence : 2007 CF 1129

Ottawa (Ontario), le 31 octobre 2007

EN PRÉSENCE DU JUGE BARNES

 

 

ENTRE :

QUAN WEI ZHOU, YU PING ZHOU et

VICTOR ZHOU

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire, présentée par Quan Wei Zhou, Yu Ping Zhou et Victor Zhou, vise un rapport d’examen des risques avant renvoi (ERAR) défavorable pour les demandeurs, dont les motifs ont été remis le 18 septembre 2006.

 

Contexte

[2]               Les demandeurs adultes, Quan Wei Zhou et Yu Ping Zhou, sont des ressortissants chinois. Ils sont arrivés au Canada le 28 mars 1996 avec un enfant à charge, Victor Zhou. Victor est né en Argentine le 25 juillet 1995 et est citoyen argentin. Leur deuxième enfant, Louise Zhou, est née le 18 février 1997 et est citoyenne canadienne. Elle n’est donc pas une partie dans la présente demande.

 

[3]               Peu après leur arrivée au Canada, les demandeurs ont déposé une demande d’asile. La demande a été rejetée le 7 septembre 1999, mais la famille est restée au Canada et a présenté une demande d’ERAR le 25 mai 2004. Le 10 mars 2007, après presque trois (3) ans d’attente, les demandeurs ont été informés du rejet de leur demande. Leur renvoi du pays a été fixé au 28 mars 2007. La mesure de renvoi a été annulée ultérieurement en raison des difficultés que la famille a eues pour obtenir des documents de voyage pour les enfants.

 

[4]               La demande d’asile de 1996 se fondait sur les allégations formulées par Quan Wei Zhou selon lesquelles il avait été persécuté en Chine en raison de ses convictions politiques pro‑démocratiques. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) n’a pas cru M. Zhou et a rejeté la demande d’asile de la famille sur ce fondement.

 

[5]               Lorsqu’ils ont présenté la demande d’ERAR, les demandeurs ont à nouveau fait valoir le problème de persécution politique ainsi qu’un risque en raison de la politique chinoise en matière de planification familiale. Voici l’exposé factuel de la demande :

[traduction] J’ai avant tout quitté la Chine en raison de ma participation au mouvement pro‑démocratique qui m’a valu d’être détenu et interrogé et de subir des pressions pour signer des aveux. Comme j’ai refusé de signer ces aveux, on m’a torturé et envoyé dans un camp de travail pour purger une peine d’un an. Je suis certain que je m’expose à une très longue peine d’emprisonnement en raison premièrement de ma participation à ce mouvement pro‑démocratique et deuxièmement de mon évasion du camp de travail.

 

De plus, la punition qui me serait imposée pour avoir enfreint la loi chinoise sur la population et la planification familiale, entrée en vigueur le 1er septembre 2002, serait disproportionnée. L’application de ce programme est assurée par l’imposition de peines très sévères pour tous ceux qui ne respectent pas la politique d’« un enfant unique par couple marié », notamment des amendes exorbitantes, la destruction de biens, l’emprisonnement et même la torture.

 

M. Zhou Bingli, « vice‑ministre du Comité d’État sur la famille, l’a avertie qu’à partir de l’entrée en vigueur du projet de loi », ceux qui ont plus d’enfants que le nombre autorisé par la politique doivent subir les conséquences de leurs actes. » Il est possible que, en vertu de la nouvelle loi, mon épouse soit obligée de subir une ligature des trompes de Fallope et, en raison de la préférence que l’on donne aux enfants de sexe masculin, que l’on refuse à ma fille née au Canada la résidence en Chine, les rations alimentaires, s’il y a lieu, et la scolarité. Cela pourrait également être vrai pour mon fils qui n’est pas né en Chine, mais en Argentine.

 

La décision relative à l’ERAR

[6]               L’agent d’ERAR n’a pas accepté la prétention selon laquelle la famille court un risque de persécution politique en Chine. Pour parvenir à cette conclusion, l’agent s’est principalement fondé sur la décision de la CISR à ce sujet. Cette décision tenait compte des limites légales prévues à l’article 113 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), concernant l’étendue de l’examen de la demande d’ERAR.

 

[7]               L’agent d’ERAR a tiré un certain nombre de conclusions sur les allégations des demandeurs selon lesquelles ils s’exposent au risque d’être persécutés parce qu’ils sont une famille ayant deux enfants. Pour parvenir à la conclusion que les demandeurs ne s’exposent pas à des risques à cet égard, l’agent s’est fondé sur ce qui suit :

 

a)         La loi chinoise restreint le droit des familles de choisir le nombre d’enfants qu’elles peuvent avoir et l’espacement des naissances;

b)         les peines imposées pour la violation de la politique de planification familiale peuvent être sévères et consister en des amendes ou des interruptions de grossesse;

c)         la mise en oeuvre de la politique au niveau régional a donné lieu à des exactions en matière de droits de la personne, notamment des avortements et des stérilisations forcés, même si de telles pratiques constituent des violations de la loi;

d)         les autorités chinoises ont dans certains cas réagi à des abus dans des collectivités locales en procédant à l’arrestation ou au congédiement des responsables;

e)         la preuve documentaire qui porte sur la mise en oeuvre de la politique de planification familiale fait état d’une situation non uniforme;

f)          la politique n’est pas appliquée de manière universelle et, dans les régions rurales, la règle de l’enfant unique n’est pas rigoureusement respectée;

 

[8]               L’agent d’ERAR a terminé l’examen de la preuve documentaire concernant la situation dans les régions rurales en citant en l’approuvant le rapport du Home Office du Royaume‑Uni qui indique que les citoyens chinois ayant dépassé le « quota » d’enfants lorsqu’ils se trouvaient à l’étranger qui sont retournés en Chine sont généralement traités avec plus d’indulgence que ceux qui ont violé les quotas en étant au pays.

 

[9]               L’agent a donc conclu que les demandeurs ne l’ont pas convaincu qu’il existait davantage qu’une simple possibilité de persécution s’ils retournaient en Chine.

 

[10]           L’agent d’ERAR a ensuite examiné la question du traitement que la Chine réserve aux enfants nés à l’étranger et, plus particulièrement, la possibilité que l’un ou les deux enfants Zhou fassent l’objet de discrimination sur le plan de l’éducation ou des services sociaux. L’agent a conclu que les droits des citoyens chinois et des membres de leurs familles sont protégés par la loi et que même les enfants nés en contravention des règles de planification familiale peuvent généralement être ajoutés au registre des ménages familiaux si les parents paient un pot‑de‑vin. Il a conclu qu’il n’était pas justifié de leur accorder l’asile même si les parents étaient tenus de payer les services éducatifs ou médicaux de l’un de leurs enfants.

 

Questions en litige

[11]           a)         La conclusion de l’agent d’ERAR selon laquelle les demandeurs ne s’exposaient pas à plus qu’une simple possibilité de persécution (stérilisation forcée) repose‑t‑elle sur une erreur susceptible de révision?

 

b)         Malgré la conclusion dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Varga, 2006 CAF 394, 277 D.L.R. (4th) 762, l’agent d’ERAR était‑il tenu d’effectuer un examen approfondi des intérêts supérieurs des enfants s’il a entrepris cette tâche?

 

Analyse

[12]           En général, pour décrire la norme de contrôle applicable aux décisions d’ERAR, j’adopterais le point de vue de ma collègue la juge Carolyn Layden‑Stevenson exposé dans Nejad c. Canada (MCI), 2006 CF 1444, [2006] A.C.F. no 1810, au paragraphe 14. Cependant, dans la présente espèce, je suis d’avis que l’agent d’ERAR n’a commis aucune erreur et qu’il est inutile d’effectuer une analyse pragmatique et fonctionnelle.

 

[13]           Les demandeurs ont fait valoir que l’agent d’ERAR disposait de [traduction] « de nombreux éléments de preuve crédibles et fiables démontrant que des personnes dans [leur] situation » s’exposeraient à des risques sérieux de persécution en Chine. Cette affirmation est défendable, mais l’agent ne l’a pas acceptée. Il a plutôt estimé que la preuve ne permettait pas aux demandeurs de s’acquitter du fardeau qui leur incombait. De plus, la preuve ne démontrait pas clairement que les demandeurs ont effectivement enfreint les règles de planification familiale en ayant deux enfants à l’étranger, et encore moins les conséquences qu’ils pourraient subir s’ils l’avaient fait.

 

[14]           Il n’était pas déraisonnable de la part de l’agent de conclure que les demandeurs, en tant que ressortissants chinois rentrant au pays, n’auraient pas à subir une stérilisation ni d’autres pratiques illégales de persécution. Je conviens avec l’avocat du défendeur qu’il s’agit d’une pure conclusion de fait qui mérite le plus haut degré de retenue judiciaire. Dans un contrôle judiciaire, la fonction de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve et cet argument est par conséquent rejeté.

 

[15]           Je ne suis pas non plus d’accord avec la prétention selon laquelle l’agent a sélectionné de manière injuste les éléments de preuve relatifs à l’application des règles de planification familiale en Chine. Il y a suffisamment de preuves pour étayer la conclusion de l’agent que la mise en oeuvre de ces règles n’est pas uniforme et que les autorités prennent des mesures contre les fonctionnaires locaux qui obligent illégalement les citoyens à se faire stériliser. Les preuves produites par les demandeurs n’établissent pas qu’ils [traduction] « seraient inévitablement obligés de se faire stériliser », mais indiquent qu’il est plus vraisemblable dans leur situation qu’ils aient à payer une amende ou une pénalité.

 

[16]           Les demandeurs ont fait valoir que les règles de planification familiale sont plus sévèrement appliquées dans les régions urbaines comme celle où ils devraient retourner. Même si c’était le cas, la preuve démontre également que la pratique illégale de stérilisation obligatoire est surtout exercée dans les zones rurales en raison de l’excès de zèle de fonctionnaires locaux.

 

[17]           Les demandeurs ont prétendu que l’agent a commis une erreur en leur imposant un fardeau de la preuve trop lourd et qui excède le critère applicable de la « possibilité raisonnable ». Cet argument n’est pas présenté avec beaucoup d’enthousiasme, comme on peut le constater dans l’extrait suivant de leur exposé des faits et du droit :

[traduction] S’il en avait été de toute autre façon, les demandeurs n’auraient probablement pas présenté l’argument suivant au sujet du critère applicable. Cependant, compte tenu de la quantité d’éléments de preuve qui contredisent directement les conclusions de l’agent, les demandeurs ont fortement l’impression que l’agent a imposé un seuil beaucoup plus élevé que celui qui est prescrit par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Adjei.

Adjei c. MEI, [1989] 2 C.F. 680, page 683 (C.A.F.).

 

[18]           Il ressort clairement de la décision que la conclusion de l’agent établit correctement le fardeau de la preuve imposé. Les expressions employées plus tôt dans la décision « seraient visés » et  « seraient assujettis à » renvoient à mon avis à des éléments de preuve précis et ne visent pas à redéfinir le fardeau de la preuve.

 

[19]           L’arrêt Varga, précité, indique clairement que l’ERAR n’est pas la procédure adéquate pour examiner les intérêts d’enfants touchés par l’expulsion de leurs parents. Le fait que l’agent d’ERAR semble s’être engagé dans cet exercice ne donne pas ouverture à l’argument que la décision est attaquable parce que l’exercice est vicié. S’il en était autrement, l’affaire devrait être renvoyée pour qu’on effectue un nouvel examen sur une question qui ne devrait pas être examinée dans le cadre d’un ERAR, ce qui entraînerait une conséquence inutile : on procéderait à un nouvel examen de l’affaire sans tenir compte des intérêts des enfants. Quoi qu’il en soit, il semble que la discussion de l’agent sur les enfants était principalement et à bon droit axée sur les conséquences et les préjudices associés aux risques auxquels seraient exposés les demandeurs s’ils retournaient dans leur pays avec deux jeunes enfants nés à l’étranger.

 

[20]           En conclusion, je ne relève aucune erreur susceptible de révision dans la décision de l’agent d’ERAR. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification et le dossier ne soulève aucune question grave de portée générale.

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

Dossier :                                        IMM-1130-07

 

INTITULÉ :                                       QUAN WEI ZHOU ET AL

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 12 septembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                      le 31 octobre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Donna Habsha

 

POUR LES DEMANDEURS

Kristina Dragaitis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Niren & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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