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Date : 20071023

Dossier : IMM-3270-06

Référence : 2007 CF 2003

Toronto (Ontario), le 23 octobre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES

 

 

ENTRE :

SINNARASA SINNATHURAI

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur est un Tamoul âgé et citoyen du Sri Lanka qui demande l’asile au Canada en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, version modifiée (LIPR). L’épouse et les six enfants du demandeur se sont vu reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention au Canada. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Commission) a tenu une audience portant sur la demande d’asile du demandeur. Puis, le 20 avril 2006, un commissaire de la Commission statuait par écrit que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger; il a donc rejeté la demande d’asile du demandeur. Celui-ci sollicite maintenant le contrôle judiciaire relativement à sa demande d’asile.

 

[2]               Le demandeur a soulevé les questions suivantes :

1.         La Commission a-t-elle tiré une conclusion manifestement déraisonnable en jugeant que l’absence de documents corroborant les affirmations du demandeur relatives aux passages à tabac et à l’obligation de se présenter menait à une conclusion de manque de crédibilité? (Caractère manifestement déraisonnable)

 

2.         La Commission a-t-elle manqué à son obligation d’équité en concluant que les affirmations du demandeur à propos de l’obligation de se présenter chaque semaine au camp de l’armée n’avaient pas été corroborées, et ce, sans demander à l’épouse du demandeur de corroborer lesdites affirmations?  (Obligation d’équité)

 

3.         La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de la crainte subjective du demandeur de vivre à Colombo parce qu’elle estimait que cette ville représentait une possibilité de refuge intérieur raisonnable? (PRI)

 

1)         Caractère manifestement déraisonnable

[3]               La première question en l’espèce est de savoir s’il était manifestement déraisonnable pour la Commission de juger que l’absence de documents corroborant les affirmations du demandeur quant aux passages à tabac et à l’obligation de se présenter menait à une conclusion de manque de crédibilité?

 

[4]               Le commissaire de la Commission expose ses conclusions à cet égard au paragraphe 2 de son analyse :

2.         Le demandeur d’asile prétend que l’armée l’a accusé d’avoir donné sa maison aux TLET. Il aurait été détenu au camp militaire de Nelliady où des soldats l’auraient frappé au dos à l’aide de bâtons et se serait vu ordonner de se présenter chaque semaine au camp. Tenu de préciser si les coups lui avaient causé des blessures, il a répondu par la négative. Il a dit : [traduction] « Pourquoi mentirais-je? ». Au moment où aurait eu lieu le présumé incident, il avait 67 ans. Le tribunal a indiqué ne pas être au courant de documents corroborant le fait que les militaires battent les personnes âgées, en particulier celles de l’âge du demandeur d’asile, ou le fait que l’armée demande à des personnes de cet âge de se présenter chaque semaine. Il est reconnu que les jeunes Tamouls irritent l’armée (pièces A-1, 2.6 à 2.3). Après examen de tous les éléments de preuve, le tribunal ne croit pas, selon la prépondérance des probabilités, que l’armée a détenu le demandeur d’asile, que celui-ci a été battu ou qu’on l’a obligé à se présenter chaque semaine. Il s’agit d’une allégation mal fondée et embellie.

 

 

[5]               La Commission a déclaré avoir analysé toute la preuve, soulignant en particulier l’absence de documents susceptibles de corroborer l’affirmation du demandeur selon laquelle une personne âgée de 67 ans serait battue par l’armée. Les avocats ont examiné les documents les plus pertinents en compagnie du présent juge. Certains documents indiquent que les jeunes Tamouls et les personnalités politiques tamoules peuvent être la cible de mauvais traitements, mais rien n’appuie une allégation de sévices à l’endroit de Tamouls âgés. La Commission peut demander une preuve corroborante lorsque le témoignage d’un demandeur d’asile est mis en doute et qu’il n’est appuyé par aucun autre élément de preuve. Dans la décision Khan c. Canada (MCI), 2002 CF 400, paragraphes 17 et 18, le juge Blanchard, de la Cour, a examiné et résumé comme suit la jurisprudence pertinente :

17     Bien qu’il n’existe pas d’exigence légale de produire des éléments de preuve, dans les circonstances particulières de la présente espèce, pour la SSR d’examiner parmi les nombreux facteurs dans le cadre de l’évaluation du bien-fondé de la crainte du demandeur, l’absence totale de toute preuve suggérant que les Talibans visaient des membres de la tribu Gadoon. Je crois que la déclaration de Monsieur le juge Hugessen dans l’arrêt Adu c. Canada (M.E.I.), [1995] A.C.F. no 114 (C.A.), en ligne : QL (A.C.F.) est applicable aux circonstances de l’espèce :

 

La présomption selon laquelle le témoignage sous serment d’un requérant est véridique peut toujours être réfutée et, dans les circonstances appropriées, peut l’être par l’absence de preuves documentaires mentionnant un fait qu’on pourrait normalement s’attendre à y retrouver. [Non souligné dans l’original.]

 

18    La jurisprudence de cette Cour a clairement établi qu’il était de la compétence spécialisée de la SSR de décider quel poids accorder à la preuve. Il est également bien établi que la SSR a le droit de se fonder sur une preuve documentaire de préférence à un témoignage rendu par un revendicateur. En outre, le tribunal a également le droit d’accorder plus de poids à la preuve documentaire, même s’il considère que le demandeur est digne de foi et crédible. [Zhou c. Canada (M.E.I.), [1994] A.C.F. no 1087 (C.A.F.) en ligne : QL].

 

[6]               Il était raisonnablement loisible à la Commission de soupeser le témoignage du demandeur en regard des documents pertinents en l’espèce et d’examiner la preuve dans son ensemble. La décision de la Commission n’étant pas manifestement déraisonnable, la Cour ne l’annulera pas pour cette raison.

 

 

2)         Obligation d’équité

[7]               La deuxième question en l’espèce est de savoir si la Commission a manqué à son obligation d’équité en concluant que les affirmations du demandeur quant à l’obligation de se présenter chaque semaine au camp de l’armée n’avaient pas été corroborées, et ce, sans demander à l’épouse du demandeur de corroborer lesdites affirmations.

 

[8]               Le demandeur était représenté par un avocat à l’audience. Il pouvait présenter les éléments de preuve et appeler à comparaître les témoins qu’il voulait. Son avocat avait le droit d’interroger et de contre-interroger les témoins. Il incombe au demandeur d’établir le bien-fondé de sa demande; il ne peut présumer que la Commission présentera sa demande en son nom ou l’obliger à le faire. Cette règle a été exposée par le juge Létourneau, de la Cour d’appel fédérale, dans Ranganathan c. Canada (MCI), [2000] 2 CF 164, au paragraphe 10 :

10     Selon moi, on ne peut critiquer la Commission de ne pas s’être penchée dans ses motifs sur le fait que les Tamouls ne sont pas autorisés à rester à Colombo pendant plus de trois jours. Au vu de la transcription de l’audience de la Commission, il appert que l’intimée était représentée par avocat et que ce dernier n’a jamais soulevé cette question. C’était à l’intimée de démontrer que la politique des trois jours faisait que l’installation à Colombo ne représentait pas une possibilité de refuge intérieur. On se serait attendu à ce qu’elle soulève cette question si elle était importante. Elle ne l’a pas fait et la Commission pouvait tout à fait considérer que cette question ne se posait pas, étant donné que l’intimée avait vécu à Colombo pendant quatre ans avant de partir pour le Canada en 1997.

 

[9]               Il ressort du dossier du tribunal, et particulièrement de la transcription de l’audience, qu’il n’y a eu aucun manquement à une quelconque obligation d’équité envers le demandeur.

 

3)         PRI

[10]           La troisième question en l’espèce est la suivante : La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de la crainte subjective du demandeur de vivre à Colombo parce qu’elle estimait que cette ville représentait une possibilité de refuge intérieur raisonnable?

 

[11]           Les avocats des parties s’accordaient à l’audience pour dire que, bien que la Commission est tenue de soulever la question de savoir s’il existe une possibilité de refuge intérieur convenable dans le pays du demandeur, une fois cette question évoquée, il revient au demandeur de démontrer le caractère déraisonnable de la PRI.

 

[12]           L’avocat du demandeur soutient que Colombo ne constitue pas un refuge raisonnable au Sri Lanka, étant donné que le demandeur est un Tamoul âgé et qu’il ne peut y compter sur aucun parent pour subvenir à ses besoins. La Cour éprouve de la sympathie envers le demandeur, dont la situation devrait faire l’objet d’un examen approfondi au cas où il présenterait une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire; cependant, une telle situation ne fait pas de Colombo une possibilité de refuge déraisonnable. Comme le juge Létourneau l’a dit au paragraphe 15 de l’arrêt Ranganathan, précité :

15     Selon nous, la décision du juge Linden, pour la Cour d’appel, indique qu’il faille placer la barre très haute lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est déraisonnable. Il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions. L’absence de parents à l’endroit sûr, prise en soi ou conjointement avec d’autres facteurs, ne peut correspondre à une telle condition que si cette absence a pour conséquence que la vie ou la sécurité du revendicateur est mise en cause. Cela est bien différent des épreuves indues que sont la perte d’un emploi ou d’une situation, la diminution de la qualité de vie, le renoncement à des aspirations, la perte d’une personne chère et la frustration des attentes et des espoirs d’une personne.

 

 

Conclusion

[13]           Par conséquent, la demande est rejetée. Aucun avocat n’a demandé la certification d’une question, et aucune question ne sera certifiée. Aucun motif particulier ne justifie l’octroi de dépens.  .

 

 

JUGEMENT

Pour les motifs exposés,

LA COUR ORDONNE :

            1.         La demande est rejetée;

            2.         Il n’y a aucune question à certifier;

            3.         Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3270-06

 

INTITULÉ :                                       SINNARASA SINNATHURAI

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                 FACULTÉ DE DROIT OSGOODE HALL

                                                            TORONTO (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 22 OCTOBRE 2007         

 

MOTIFS DE JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS ET

DU JUGEMENT :                             LE 23 OCTOBRE 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Crane

POUR LE DEMANDEUR

 

Amy Lambiris

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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