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Date : 20071024

Dossier : T- 838-06

Référence : 2007 CF 1091

Toronto (Ontario), le 24 octobre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MAX M. TEITELBAUM

 

 

ENTRE :

 

TORONTO SUN WAH TRADING INC.

demanderesse

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La demanderesse exerce le recours en révision que prévoit l’article 44 de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. 1985, ch. A-1 (la Loi). Elle conteste la décision de l’Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA) de communiquer certains documents en réponse à une demande d’accès à l’information qui avait été présentée à l’ACIA en vertu de la Loi. La demanderesse prie la Cour d’ordonner à l’ACIA de ne pas divulguer les documents en cause.

 

CONTEXTE

[2]               En novembre 2005, une poussée de salmonellose est apparue parmi une population qui avait consommé des germes de haricot dans plusieurs régions du sud de l’Ontario. L’ACIA a lancé un avertissement de danger pour la santé en informant le public canadien que les germes de haricot mungo commercialisés par la demanderesse pouvaient contenir la bactérie Salmonella. La demanderesse a volontairement retiré du marché ses germes de haricot.

 

[3]               En décembre 2005, l’ACIA a reçu une demande d’accès à l’information qu’elle détenait et qui se rapportait au dossier d’enquête sur le rappel des germes de haricot, au Bureau de la salubrité des aliments et du rappel de produits alimentaires. La demande était faite par un cabinet d’avocats, qui disait songer à présenter une demande d’indemnité pour les personnes qui avaient été touchées par la poussée de salmonellose. La demande d’indemnité, m’a-t-on dit, a été déposée.

 

[4]               Après examen de ses documents relatifs au rappel des germes de haricot, l’ACIA a trouvé que certains des renseignements demandés contenaient des références à la demanderesse. En conséquence, et conformément aux exigences de notification contenues dans la Loi et portant sur la divulgation de documents qui contiennent des renseignements de tiers, l’ACIA a envoyé à la demanderesse une lettre en date du 14 avril 2006 l’informant de la demande d’accès, lettre à laquelle elle joignait les documents qu’elle se proposait de divulguer.

 

[5]               La demanderesse s’est opposée à la divulgation des documents en invoquant plusieurs moyens, notamment le fait qu’ils contenaient des renseignements personnels de même que des renseignements exclusifs et des renseignements confidentiels, selon le paragraphe 19(1) et les alinéas 20(1)a) à d) de la Loi. Suite aux arguments présentés à l’ACIA par la demanderesse, l’ACIA a accepté de soustraire à la divulgation certaines parties des renseignements. Elle a soustrait à la divulgation l’intégralité de certains documents et certaines parties des documents restants, mais elle a rejeté plusieurs des arguments de la demanderesse. Le 27 avril 2006, l’ACIA envoyait à la demanderesse un nouvel ensemble de documents qu’elle entendait divulguer, ajoutant que la demanderesse était fondée à déposer un recours en révision conformément à l’article 44 de la Loi si elle s’opposait encore à la divulgation des documents.

 

[6]               Le présent recours en révision est introduit en vertu de l’article 44. Il porte sur la lettre du 27 avril 2006 et les documents que l’ACIA envisageait de divulguer. Les renseignements encore en litige se trouvent dans dix documents. La demanderesse prie la Cour d’ordonner la non-divulgation des documents au motif qu’ils sont soustraits à la divulgation en vertu du paragraphe 19(1) et des alinéas 20(1)a) à d) de la Loi. Le procureur général du Canada (le défendeur) est d’avis que les documents restants ne sont pas soustraits par la Loi à la divulgation, en totalité ou en partie, et que l’ACIA est tenue, de par la Loi, de les communiquer au public.

 

DISPOSITIONS APPLICABLES

[7]               Plusieurs articles de la Loi intéressent le présent recours. L’objet de la Loi est énoncé en son paragraphe 2(1) :

 

2. (1) La présente loi a pour objet d’élargir l’accès aux documents de l’administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

2. (1) The purpose of this Act is to extend the present laws of Canada to provide a right of access to information in records under the control of a government institution in accordance with the principles that government information should be available to the public, that necessary exceptions to the right of access should be limited and specific and that decisions on the disclosure of government information should be reviewed independently of government.

 

 

[8]               Je suis d’avis que ce paragraphe constitue le cadre à l’intérieur duquel doit être considérée une demande de non-divulgation de renseignements. C’est une codification du principe selon lequel le public a droit à la communication des documents de l’administration, et donc, en l’absence de toute autre considération, il faut présumer que les renseignements doivent être divulgués. Comme l’a signalé le défendeur, la Cour a jugé dans la décision Maislin Industries Ltd. c. Canada (Ministre de l’Industrie et du Commerce) [1984] 1 C.F. 939 (C.F. 1re inst.) (la décision Maislin) que deux constats découlent du paragraphe 2(1) : (1) le droit du public à l’information ne doit pas être mis en échec par les tribunaux si ce n’est pour les raisons les plus évidentes; par conséquent, le doute doit bénéficier à la divulgation, (2) la charge de la preuve incombe à la partie qui s’oppose à la divulgation. Je souscris pleinement à ce principe.

 

[9]               Le point de départ est donc que l’administration, en l’occurrence l’ACIA, a l’obligation de communiquer les renseignements. Cependant, cette obligation n’est pas absolue et comporte diverses exceptions prévues dans la Loi. La charge de prouver que les renseignements sont visés par l’une de ces exceptions repose sur la partie qui s’oppose à la divulgation. Elle doit montrer que l’une des exceptions s’applique aux renseignements, selon la prépondérance des probabilités (Northern Cruiser Co. c. Canada [1995] A.C.F. n° 1168, paragraphe 4). Les moyens qu’invoque la demanderesse dans ses arguments et qui intéressent la présente affaire sont les dispositions relatives aux renseignements personnels, à savoir le paragraphe 19(1), et celles qui traitent des renseignements de tiers, les alinéas 20(1)a) à d). Elles sont ainsi rédigées :

 

19. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant les renseignements personnels visés à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

 

19. (1) Subject to subsection (2), the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains personal information as defined in section 3 of the Privacy Act.

 

20. (1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

 

a) des secrets industriels de tiers;

 

b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

 

 

c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;

 

 

d) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d’entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d’autres fins.

20. (1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains

 

 

(a) trade secrets of a third party;

 

(b) financial, commercial, scientific or technical information that is confidential information supplied to a government institution by a third party and is treated consistently in a confidential manner by the third party;

 

 

 

(c) information the disclosure of which could reasonably be expected to result in material financial loss or gain to, or could reasonably be expected to prejudice the competitive position of, a third party; or

 

(d) information the disclosure of which could reasonably be expected to interfere with contractual or other negotiations of a third party.

 

[10]           Bien qu’elle fasse état du paragraphe 19(1) dans la section « points litigieux » de son mémoire, la demanderesse n’a pas invoqué d’arguments portant sur cette disposition, et il est difficile de voir en quoi l’un des documents en cause pourrait entrer dans la définition de « renseignements personnels », évoquée au paragraphe 19(1), car, après un survol des documents en cause, on constate que les portions qui contenaient des renseignements personnels ont été soustraites à la divulgation par l’ACIA après la première série d’objections de la demanderesse. Par conséquent, seuls les arguments se rapportant aux alinéas 20(1)a) à d) de la Loi seront examinés dans les présents motifs.

 

NORME DE CONTRÔLE ET RÔLE DE LA COUR

[11]           Avant de passer aux documents en cause et de les évaluer au regard de la Loi, il est d’abord nécessaire de définir le rôle que doit jouer la Cour dans ce recours en révision. Il est bien établi que, dans un recours en révision selon l’article 44 de la Loi, la juridiction de contrôle n’est pas soumise aux contraintes traditionnelles. Dans un recours en révision de cette nature, la Cour reprend plutôt depuis le début l’examen des dossiers en cause (Air Atonabee Ltd c. Canada (Ministre des Transports), [1989] A.C.F. n° 453, page 9 (QL) (décision Air Atonabee)). La Cour juge l’affaire selon la norme de la décision correcte, et la question est une question mixte de droit et de fait (Wyeth-Ayerst Canada Inc. c. Canada (Procureur général) (2003), 305 N.R. 317 (C.A.F.), paragraphes 11 à 15).

 

ANALYSE

[12]           Pour empêcher la divulgation de documents, la demanderesse doit montrer, selon la prépondérance des probabilités, que les documents sont visés par l’une des exceptions énoncées au paragraphe 20(1). Eu égard à la preuve que la demanderesse a présentée à la Cour, je ne suis pas persuadé que tel est le cas.

 

[13]           Les documents en cause se résument à des rapports de synthèse totalisant quatre pages, rédigés par l’ACIA à la suite de ses visites dans les locaux de la demanderesse. Ils contiennent des renseignements généraux sur les activités de la demanderesse, ainsi que des détails à propos d’échantillons qui ont été prélevés sur divers lots de germes de haricot. Ces documents portent les numéros 000197, 00198 et 000218. Les documents 000212 et 000213 sont pour ainsi dire identiques aux documents 000197 et 00198, et ils ne seront donc pas considérés séparément. Certaines portions des renseignements ont été enlevées à la suite des arguments présentés par la demanderesse à l’ACIA. L’ensemble suivant de documents consiste en une page couverture de courrier électronique, et quatre pages d’avis de détention se rapportant à Toronto Sun Wah (documents 000369-000373). Ces documents donnent les noms de quelques-uns des fournisseurs de la demanderesse, ainsi que les quantités de produits qui étaient détenues. Le dernier document consiste en plusieurs pages portant sur un audit des installations qui a eu lieu en 2003 (documents 000381-000402). Tous ces documents ont été considérablement expurgés. Plus précisément, pour l’audit des installations qui a eu lieu en 2003, il ne reste pour ainsi dire aucune information si ce n’est le formulaire en blanc. La seule chose que le lecteur puisse constater à la lecture du document est qu’un audit a eu lieu à cette date.

 

[14]           La manière dont les alinéas 20(1)a) à d) doivent être appliqués à un ensemble donné de faits a été définie dans la jurisprudence. Plusieurs points précis se rapportant aux documents seront étudiés plus en détail plus loin dans la présente analyse, mais un survol du champ de ces exceptions est utile d’entrée de jeu car il montrera clairement en quoi ces alinéas ne s’appliquent pas aux documents en cause ici. Les explications portant sur ces dispositions correspondent pour la plupart aux arguments avancés par le défendeur, car elles rendent compte des interprétations actuelles et des précédents qui intéressent les dispositions en cause. La demanderesse partage l’avis du défendeur sur la manière d’appliquer ces dispositions, ou bien s’abstient de proposer une autre interprétation, ou encore n’offre guère d’arguments, voire aucun, sur la raison pour laquelle la Cour devrait faire sienne l’interprétation qu’elle propose.

 

Alinéa 20(1)a) : secrets industriels

[15]           Le précédent qui fait autorité quant à la définition de ce qui constitue un secret industriel selon la Loi est le jugement Société Gamma Inc. c. Canada (Secrétariat d’État) [1994] A.C.F. n° 589 (le jugement Société Gamma). Dans le jugement Société Gamma, le juge Strayer avait estimé que la définition de ce qu’est un secret industriel doit nécessairement être une définition étroite, car il faut présumer que cet alinéa n’était pas censé faire double emploi avec les autres exceptions prévues par le paragraphe 20(1). Par conséquent, ce ne sont pas tous les renseignements confidentiels communiqués à l’administration qui pourront être considérés comme un secret industriel. Le juge Strayer poursuivait ainsi :

un secret industriel doit être un renseignement, probablement de caractère technique, que l’on garde très jalousement et qui est pour celui qui le possède tellement précieux que sa seule divulgation ferait naître en faveur de ce possesseur une présomption de préjudice (paragraphe 7 (QL))

 

 

Cette définition a été expliquée davantage dans la jurisprudence, le résultat étant que, pour constituer un secret industriel, le renseignement en cause doit être de nature très spécifique et traiter en général de choses qui concernent les arts mécaniques et les sciences appliquées (Conseil canadien des fabricants des produits du tabac c. Ministre du Revenu national, 2003 CF 1037 (C.F.), paragraphe 105).

 

[16]           Eu égard à cette définition très étroite d’un secret industriel, il est clair qu’aucun des documents en cause n’est visé par cette exception. La demanderesse dit qu’une bonne part des renseignements se rapporte à ses secrets industriels, mais, comme il est indiqué ci-après, aucun d’eux n’est de nature technique, et il n’est pas établi qu’ils présentent une valeur particulière et qu’ils sont jalousement gardés par la demanderesse.

 

Alinéa 20(1)b) : renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques

[17]           L’alinéa 20(1)b) de la Loi énonce plusieurs conditions qui doivent être remplies pour qu’un document soit soustrait à la divulgation en vertu de cette disposition. Il s’agit des conditions suivantes :

 

(1) renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques;

(2) renseignements confidentiels;

(3) fournis à une institution fédérale par un tiers; et

(4) traités de façon constante comme renseignements de nature confidentielle par ce tiers.

 

 

 

[18]           D’abord, le document doit contenir des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques. Dans la décision Air Atonabee, la Cour a jugé que ces mots doivent être interprétés selon leur sens ordinaire. En l’espèce, la demanderesse dit que les documents contiennent des renseignements commerciaux et techniques, et le défendeur ne conteste pas cette affirmation. J’admets que, compte tenu du sens courant de ces expressions, les documents renferment des renseignements commerciaux et, dans une moindre mesure, des renseignements de nature technique.

 

[19]           Après qu’il est confirmé que les documents contiennent ce genre de renseignements, il faut étudier les documents pour voir s’ils sont « de nature confidentielle » quand on les considère d’une manière à la fois subjective et objective (jugement Maislin Industries, précité; H.J. Heinz Co of Canada Ltd. c. Canada (Procureur général) [2006] A.C.F. n° 1724). Par conséquent, les attentes subjectives de confidentialité seront prises en compte, mais il est nécessaire aussi pour la demanderesse de montrer que les renseignements sont objectivement confidentiels. Autrement dit, elle doit montrer que les renseignements sont « intrinsèquement confidentiels » (jugement Société Gamma, précité, paragraphe 8).

 

[20]           C’est dans la décision Air Atonabee qu’est exposée la manière d’évaluer l’élément « confidentialité » de l’alinéa 20(1)b). Dans ce jugement, la Cour énonçait ainsi les indices objectifs du caractère confidentiel :

a.       le contenu du document est tel que les renseignements qu'il contient ne peuvent être obtenus de sources auxquelles le public a autrement accès, ou ne peuvent être obtenus par observation ou par étude indépendante par un simple citoyen agissant de son propre chef;

b.      les renseignements doivent avoir été transmis confidentiellement avec l'assurance raisonnable qu'ils ne seront pas divulgués;

c.       les renseignements doivent être communiqués, que ce soit parce que la loi l'exige ou parce qu'ils sont fournis gratuitement, dans le cadre d'une relation de confiance entre l'administration et la personne qui les fournit ou dans le cadre d'une relation qui n'est pas contraire à l'intérêt public, et la communication des renseignements confidentiels doit favoriser cette relation dans l'intérêt du public (paragraphe 41 (QL)).

 

 

 

[21]           En l’espèce, ce qui est particulièrement important de savoir, c’est si les renseignements en cause sont déjà accessibles au public ou s’ils pourraient être obtenus par un membre du public agissant de sa propre initiative. Le défendeur affiche sur l’Internet des communiqués de presse qui contiennent certains des renseignements figurant dans les documents. Il est établi, dans le jugement Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Procureur général), [2002] A.C.F. n° 1283 (le jugement Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada), que, même si les renseignements ne sont pas aisément accessibles, la Cour les considérera néanmoins comme renseignements pouvant être obtenus par le public dans la mesure où il est possible pour le public d’y accéder, quand bien même une telle démarche serait-elle peu réaliste ou prendrait-elle du temps. En outre, si les renseignements sont déjà de notoriété publique, un tiers ne saurait les prendre, les « emballer » différemment et créer ainsi un voile de confidentialité (jugement AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Santé Canada) [2005] A.C.F. n° 789, paragraphe 29). Par conséquent, même si les renseignements ne sont pas présentés de la même façon dans les documents et dans les communiqués de presse, dans la mesure où les mêmes renseignements peuvent être recueillis, alors les documents ne sauraient être qualifiés de confidentiels.

 

[22]           La manière dont les renseignements ont été communiqués à l’administration constitue la deuxième partie de l’analyse portant sur la confidentialité. La demanderesse affirme ici que les renseignements ont été communiqués à l’administration à titre confidentiel, et avec la conviction que les renseignements resteraient confidentiels. Rien ne permet de contredire cette affirmation, mais elle doit aussi être évaluée objectivement, d’une manière qui tienne compte de la nature des renseignements.

 

[23]           S’agissant de la relation entre les parties dans la présente espèce, il importe de noter les aspects qui, dans la relation entre la demanderesse et l’ACIA, militent en faveur de la divulgation des renseignements ou en faveur de la confidentialité des renseignements. En l’espèce, il s’agit de santé et de sécurité. Pour préserver la salubrité des aliments et l’intégrité du processus d’inspection des aliments, il importe que les sociétés telles que la demanderesse renseignent pleinement l’ACIA sur leurs opérations. Cependant, il importe aussi que le public soit rapidement et pleinement informé sur les questions se rapportant à la salubrité des aliments, et qu’il soit sensibilisé sur le sujet. Comme on peut le lire dans le jugement Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l’Agriculture) (1988), 26 C.P.R. (3d) 407, 53 D.L.R. (le jugement Canada Packers), le public a donc un intérêt évident à obtenir communication des renseignements. Ici, ce point n’est pas déterminant car les renseignements en cause n’entrent pas, pour d’autres raisons, dans l’alinéa 20(1)b), mais, en l’espèce, ce facteur ne renvoie pas d’une manière décisive à une conclusion plutôt qu’à une autre.

 

[24]           Après examen de la question de la confidentialité, il est nécessaire de passer au troisième critère de l’alinéa 20(1)b) : les renseignements ont-ils été fournis à l’institution fédérale par un tiers? Il ressort clairement du jugement Canada Packers que les renseignements qui résultent d’observations faites par les inspecteurs du gouvernement ne constituent pas des renseignements qui ont été donnés par un tiers. Par conséquent, seuls sont considérés les renseignements qui sont fournis par un tiers. Si les renseignements résultent simplement d’observations faites par des fonctionnaires alors qu’ils se trouvaient dans les locaux de la demanderesse, il ne s’agit pas alors de renseignements fournis par la demanderesse. En l’espèce, la demanderesse s’oppose à la divulgation de renseignements qui figurent dans les documents et qui consistent en observations générales faites par l’équipe d’inspection lors de sa visite des locaux de la demanderesse. Telles observations ne sont donc pas visées par le champ de l’alinéa 20(1)b).

 

[25]           Pour savoir si les renseignements ont été traités comme renseignements confidentiels par le tiers, il faut à la fois considérer les déclarations du tiers en question et faire une évaluation objective de la situation. Lorsqu’une partie dit que les renseignements ont toujours été considérés comme renseignements confidentiels, il importe de noter qu’elle doit en apporter la preuve. Dans le jugement Cistel Technology Inc. c. Canada (Service correctionnel) 2002 CFPI 253, la Cour a jugé que la partie qui veut soustraire les renseignements à la divulgation doit, autrement que par de simples affirmations, montrer que les renseignements sont traités de façon constante comme des renseignements confidentiels. Comme l’écrivait la Cour dans ce précédent, en même temps qu’elle rejetait l’affirmation de confidentialité faite par la demanderesse :

 

la demanderesse ne m'a pas convaincu que l'information était traitée de manière confidentielle, et ce, de façon constante. Un affidavit du chef de la direction de la demanderesse affirme que l'information était traitée de manière confidentielle, mais il ne fait aucunement état des moyens pris à cet égard. Aucune facture ne porte la mention « confidentiel » et l'affidavit n'expose aucun fait qui indique comment la demanderesse aurait traité cette information de manière confidentielle de façon constante. Une simple affirmation dans un affidavit, sans qu'aucune preuve substantielle directe ne soit produite sur la manière dont la demanderesse aurait traité cette information comme confidentielle, n'est pas suffisante pour justifier l'application d'une exception (paragraphe 12).

 

 

 

[26]           Une bonne part des renseignements dont la demanderesse dit qu’ils sont visés par l’exception de l’alinéa 20(1)b) sont des renseignements de notoriété publique ou des renseignements qui ne sont pas fournis par un tiers, mais certains d’entre eux parviennent au stade final du critère. Cependant, vu le critère ci-dessus énoncé, la demanderesse ne s’est pas acquittée de son obligation d’établir qu’elle traite les renseignements de façon constante comme renseignements de nature confidentielle. Certains détails seront examinés plus loin, mais, puisque les renseignements ne sont pas par nature intrinsèquement confidentiels et puisque rien, si ce n’est l’affirmation de la demanderesse, ne permet d’affirmer qu’ils étaient considérés comme renseignements confidentiels, les renseignements restants ne satisfont pas à cette partie du critère et n’appellent pas d’exception.

 

Alinéa 20(1)c) : renseignements dont la divulgation risquerait de causer un préjudice financier

[27]           Pour pouvoir bénéficier de cette exception, la demanderesse doit montrer, selon la prépondérance des probabilités, que la divulgation des renseignements lui causerait un préjudice financier appréciable ou nuirait à sa compétitivité (décision Air Atonabee, précitée). Il ne suffit pas à la demanderesse d’affirmer simplement qu’elle serait exposée à un préjudice ou de prétendre que la divulgation des renseignements nuirait à sa position; elle doit plutôt montrer que cela entraînerait pour elle un risque vraisemblable de préjudice probable (Société canadienne des postes c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), [2004] A.C.F. n° 415; Canada Packers Inc., précité). Il a été jugé qu’il ne suffit pas à un demandeur d’affirmer simplement par affidavit qu’un préjudice découlerait de la divulgation des renseignements. Il doit apporter une preuve de nature à convaincre la Cour que le préjudice appréhendé est probable (Société Radio-Canada c. Commission de la capitale nationale [1998], 147 F.T.R., paragraphes 25 et 28 (jugement Société Radio-Canada)).

 

[28]           Comme je l’explique plus loin, la demanderesse invoque cette disposition plusieurs fois, mais, comme les renseignements à la divulgation desquels elle s’oppose sont de nature très générale, il est difficile de voir en quoi leur divulgation ferait perdre à la demanderesse son avantage concurrentiel ou lui ferait subir un préjudice financier appréciable. La demanderesse n’explique pas d’une manière satisfaisante comment ou pourquoi ce préjudice découlerait de la divulgation des renseignements, et ses arguments fondés sur l’alinéa 20(1)c) ne sont donc pas recevables.

 

Alinéa 20(1)d) : renseignements dont la divulgation risquerait d’entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d’autres fins

[29]           Comme pour l’alinéa 20(1)c) examiné plus haut, il importe de noter que, pour invoquer avec succès l’alinéa 20(1)d), la demanderesse doit établir un préjudice se rapportant à des négociations menées en vue de contrats ou à d’autres fins. Il ne suffit pas à la demanderesse de dire que des négociations futures, non précisées, risquent d’être compromises. En l’absence d’une preuve plus concrète, les documents ne seront pas, au titre de cet alinéa, soustraits à la divulgation (jugement Radio-Canada, précité, paragraphe 29).

 

[30]           La demanderesse n’invoque cet alinéa que de façon générale et à propos de « négociations menées avec des fournisseurs », pour ce qui concerne la divulgation du document expurgé intitulé « Audit des installations ». Elle n’a pas apporté la preuve d’un préjudice précis, et ses arguments fondés sur l’alinéa 20(1)d) ne sont donc pas, eux non plus, recevables.

 

Le détail des documents

[31]           Les arguments de la demanderesse concernent le plus souvent les rapports de synthèse (documents 000197/212,100098/213 et 000218), et la demanderesse tout comme le défendeur dissèquent ces documents, paragraphe par paragraphe. Après examen des arguments de la demanderesse portant sur les critères juridiques susmentionnés, il devient évident que, s’agissant des rapports de synthèse, la seule disposition qui soit pertinente est l’alinéa 20(1)b). En plusieurs endroits de son argumentation, la demanderesse dit que les renseignements pouvaient être visés par les alinéas a) et c) également, mais nulle part elle ne fait autre chose qu’affirmer que lesdits alinéas sont applicables, sans en apporter aucune preuve tant soit peu déterminante.

 

[32]           Outre qu’une preuve concrète n’a pas été apportée par la demanderesse, l’examen des documents conduit la Cour à conclure que les alinéas a) et c) ne sont manifestement pas applicables. Des renseignements tels que les noms de clients, les formats des emballages offerts par l’entreprise, les simples codes de lots et les endroits où l’entreprise livre ses haricots mungo n’entrent pas dans la définition de ce qu’est un secret industriel selon le critère susmentionné. La demanderesse invoque aussi l’alinéa 20(1)c) pour dire qu’elle subira un préjudice financier si ses concurrents sont en mesure de voir quelle est sa clientèle, de savoir où elle livre ses produits et de connaître les zones géographiques qu’elle dessert. Il est peu probable que la divulgation des renseignements figurant dans ce document produise cet effet étant donné que les renseignements sont de nature générale et que la plupart sont déjà connus du public à la faveur de rapports présentés par les médias. Même si ce n’était pas le cas, la demanderesse n’a produit aucune preuve de nature à étayer son affirmation. Selon le jugement Société Radio-Canada, la Cour est tenue, en l’absence d’une telle preuve, d’ordonner la communication des renseignements plutôt que de les soustraire à la divulgation au titre de cet alinéa.

 

[33]           La principale analyse portant sur ce document concerne l’alinéa 20(1)b). Comme il est indiqué ci-dessus, la Cour doit appliquer plusieurs critères avant de dire que les renseignements en cause sont visés par cet alinéa. L’une des principales difficultés que pose l’argument de la demanderesse est qu’une bonne part des renseignements à la divulgation desquels elle s’oppose sont déjà de notoriété publique ou sont faciles à obtenir.

 

[34]           Nombre des renseignements à la divulgation desquels s’oppose la demanderesse peuvent être recueillis facilement, ou déduits facilement, à la faveur de rapports des médias diffusés jusqu’en Chine, que l’on peut consulter sur l’Internet, comme le montrent les pièces produites par le défendeur. Ces renseignements portent sur les objections formulées par la demanderesse concernant l’association des noms Toronto Sun Wah et Hollend Enterprises, sur la zone géographique où la demanderesse livrait ses produits (en référence aux localités touchées par la salmonellose), sur le fait que la demanderesse vendait ses produits dans des emballages de poids divers, et enfin sur la désignation de trois des clients de la demanderesse. Le simple fait que les renseignements ne figuraient pas dans la forme exacte apparaissant dans les rapports des médias ne veut pas dire qu’ils peuvent être considérés comme des renseignements confidentiels alors que quiconque ayant accès à l’Internet était à même d’en prendre connaissance.

 

[35]           Il y a dans les rapports de synthèse 000197 et 000198 quelques renseignements touchant les activités de la demanderesse, mais, bien que ces rapports contiennent effectivement des renseignements commerciaux, il s’agit de renseignements de nature très générale, dont rien n’indique qu’ils sont intrinsèquement confidentiels. En outre, certains d’entre eux pourraient simplement résulter d’une observation des activités de la demanderesse, de telle sorte qu’il ne s’agissait pas de renseignements fournis par la demanderesse. Il n’y a rien non plus, si ce n’est les affirmations de la demanderesse, qui permette de penser que la demanderesse considère lesdits renseignements comme des renseignements confidentiels. Il paraît difficile de croire, comme l’a laissé entendre la demanderesse, que tous les renseignements touchant ses activités sont toujours traités comme des renseignements confidentiels, par exemple le fait qu’elle reçoit des livraisons entre zéro et quatre fois par mois, ou le fait que certains de ses clients commandent les germes de haricot dans des conteneurs à couvercle en plastique, et d’autres non.

 

[36]           Vu l’absence de renseignements qui soient de nature manifestement confidentielle, et eu égard à la présomption de divulgation, c’est à la demanderesse qu’il appartient de montrer, preuve à l’appui, et allant au-delà de simples affirmations, que les renseignements en cause sont toujours traités par elle comme des renseignements confidentiels. La demanderesse n’y est pas parvenue, et elle ne peut donc obtenir gain de cause.

 

[37]           On peut en dire autant du rapport de synthèse numéro 000218. Ce document contient des renseignements sur des réunions tenues avec l’équipe de direction de l’entreprise. Dans sa forme originale, ce document suscitait des inquiétudes en raison de la présence de renseignements personnels; cependant, tous les détails personnels se rapportant à l’équipe de direction ont été supprimés. La seule exception est le nom du président de la société, que l’on peut trouver sur Internet.

 

[38]           La demanderesse s’oppose en particulier au dernier paragraphe de ce document, qui révèle qu’un manteau blanc portant les mots « Visiteur de Planway Poultry Inc. » était porté durant le prélèvement des échantillons. La demanderesse dit que cette inscription pourrait conduire le public à des conclusions inexactes sur la nature de la relation entre les entreprises et pourrait être utilisée contre elle par ses concurrentes. Quoi qu’il en soit, à défaut d’une preuve selon laquelle ce renseignement causera un préjudice, le fait qu’il a été observé par les inspecteurs est un fait exact; il n’y a dans la loi aucune exception visant à offrir une protection contre les déductions inexactes de tiers.

 

[39]           Il s’agit de la même situation que celle décrite dans les paragraphes où l’on apprend que Toronto Sun Wah a procédé à un rappel volontaire de ses produits. C’est effectivement le cas, et les déductions qui pourraient en être tirées dépassent le champ des exceptions, à moins que la demanderesse ne puisse prouver que la divulgation de ce genre de renseignements risquerait de lui causer un préjudice financier appréciable (Burns Meat Ltd. c. Canada (Ministre de l’Agriculture), (1987), 14 F.T.R. 137 (C.F. 1re inst.), jugement confirmé : (1988), 87 N.R. 97 (C.A.F.)). La demanderesse n’a pas apporté cette preuve en l’espèce.

 

[40]           Les objections formulées par la demanderesse à la divulgation des avis de détention et du rapport d’inspection des installations, un rapport considérablement expurgé, peuvent être considérées à peu près de la même manière que les rapports de synthèse examinés plus haut. La demanderesse dit que les avis de détention ne devraient pas être divulgués parce qu’ils indiquent les noms de ses fournisseurs, qui sont des secrets industriels selon l’alinéa 20(1)a), que la divulgation de la quantité détenue nuirait à sa compétitivité selon l’alinéa 20(1)c) et que telle divulgation risquerait d’entraver, selon l’alinéa 20(1)d), les négociations que la demanderesse mène actuellement avec ses fournisseurs. La difficulté que soulève l’ensemble de ces arguments est qu’ils ne sont pas appuyés par autre chose que de vagues affirmations générales. Par conséquent, ils ne sont pas recevables selon les critères juridiques des alinéas en question, car il faut préciser le préjudice appréhendé, selon les alinéas c) et d), et les renseignements en cause n’entrent pas dans la définition de ce qu’est un secret industriel.

 

[41]           Finalement, s’agissant de l’audit des installations, la demanderesse dit que cet audit n’est pas pertinent. Sans doute cela est-il vrai, mais la pertinence n’est pas l’un des moyens sur lesquels une tierce partie puisse fonder une opposition selon la Loi. L’autre objection de la demanderesse à la divulgation de ce document, c’est-à-dire le fait que telle divulgation pourrait nuire à sa compétitivité, est elle aussi irrecevable. Outre que cette objection de la demanderesse ne dépasse pas le stade d’une affirmation générale, le document est dénué de contenu au point qu’il ne révèle absolument rien si ce n’est que l’audit a eu lieu.

 

DISPOSITIF

[42]           Il est possible que certains des renseignements qui seront divulgués soient des renseignements confidentiels selon l’alinéa 20(1)b) de la Loi. Cependant, aucun renseignement figurant dans les documents n’est visé d’une manière évidente par cette exception, et il ressort clairement de la jurisprudence que la charge de la preuve repose sur la partie qui s’oppose à la divulgation. En l’espèce, la demanderesse n’a apporté aucune preuve dépassant la simple affirmation selon laquelle les documents devraient rester confidentiels et sont visés par le paragraphe 20(1) de la Loi. Pour cette raison, et à cause de la présomption selon laquelle les renseignements doivent être divulgués, la Cour ne saurait conclure autrement qu’en disant que la décision de l’ACIA de divulguer les renseignements était fondée en droit.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que le recours en révision est rejeté, avec dépens en faveur du défendeur.

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge suppléant

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-838-06

 

INTITULÉ :                                       TORONTO SUN WAH TRADING INC. c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 17 OCTOBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE SUPPLÉANT TEITELBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 24 OCTOBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Newton Wong

 

POUR LA DEMANDERESSE

Glynis Evans

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Newton Wong et Associés

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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