Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20071026

Dossier : T-1969-06

Référence : 2007 CF 1111

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

LA SUCCESSION DE GARY MCLEOD

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La succession de feu Gary McLeod sollicite le contrôle judiciaire d’une décision en matière d’« équité » par laquelle le ministre du Revenu national a rejeté la demande de M. McLeod de renonciation aux intérêts et pénalités calculés pour ses années d’imposition 2000 à 2004.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci‑après, j’estime que la décision du ministre était déraisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

 

 

 

Les faits

[3]               De l’avis général, Gary McLeod était un homme d’affaire très accompli jusqu’en 1999, année où sa famille a connu une série d’événements tragiques. En 1999, Lisa, l’une des filles de M. McLeod, a été atteinte d’une grave maladie. Après trois ans d’une santé défaillante, Lisa a perdu la vie en 2002. 

 

[4]               En 2000, l’autre fille de M. McLeod, Jennifer, est également tombée gravement malade. Elle a dû subir de nombreux traitements intensifs. Un des traitements n’était offert qu’aux États‑Unis, ce qui a donné lieu à un conflit entre M. McLeod et le régime d’assurance‑maladie de l’Ontario, qui a refusé de couvrir les coûts du traitement.

 

[5]               Pour aggraver la situation, le stress provoqué par les circonstances a amené la rupture du mariage de M. McLeod. 

 

[6]               Par la suite, en avril 2005, moment même où ses médecins ont affirmé qu’il commençait à se remettre, M. McLeod a eu un accident d’automobile catastrophique dans lequel il fut grièvement blessé; il n’était plus en mesure de travailler.

 

[7]               En raison des événements stressants dans sa vie, M. McLeod commença a avoir des troubles mentaux et émotifs graves et il a également fait une dépression. En juin 2006, après une tentative de suicide ratée, il a été admis dans un établissement psychiatrique. 

 

[8]               En juillet 2006, alors qu’il attendait une décision sur sa demande en matière d’équité, M. McLeod a tenté une deuxième fois de se suicider. Malheureusement, cette fois‑ci, sa tentative a réussi.

 

[9]               En octobre 2006, la demande de renonciation pour motif d’équité présentée par M. McLeod a été rejetée.

 

La demande fondée sur l’équité

[10]           La première demande fondée sur l’équité présentée par M. McLeod avait été accueillie et il avait obtenu une renonciation aux pénalités qui lui avaient été imposées pour avoir produit ses déclarations de revenus en retard pour les années d’imposition 2000 et 2001.           

 

[11]           C’est la deuxième demande fondée sur l’équité présentée par M. McLeod qui sous‑tend la décision contestée par la présente demande de contrôle judiciaire. Cette deuxième demande a été déposée le 5 mai 2006 et elle était entièrement fondée sur les alinéas 5c) et 5d) de la Circulaire d’information 92-2, qui prévoit ce qui suit :

Il sera convenable d'annuler la totalité ou une partie des intérêts ou des pénalités, ou de renoncer à ceux-ci, si ces intérêts ou ces pénalités découlent de situations indépendantes de la volonté du contribuable [...]. Voici des exemples de situations extraordinaires qui pourraient empêcher un contribuable, un agent d'un contribuable, l'exécuteur d'une succession ou un employeur de faire un paiement dans les délais exigés ou de se conformer à d'autres exigences de la Loi de l'impôt sur le revenu :

[...]

(c) une maladie grave ou un accident grave;

(d) des troubles émotifs sérieux ou une souffrance morale grave comme un décès dans la famille immédiate.

 

La décision visée par le contrôle judiciaire

[12]           Par une lettre en date du 5 octobre 2006, un délégué du ministre a refusé d’accorder à M. McLeod la renonciation demandée pour motif d’équité. Il est dit dans la lettre que [traduction] « d’après les renseignements fournis, nous ne sommes pas convaincus que le retard accusé par M. McLeod dans l’observation de ses obligations fiscales était entièrement dû aux circonstances présentées ».

 

[13]           Le comité de l’équité fait remarquer dans son rapport, qui est à la base de la décision du délégué du ministre, que M. McLeod avait déjà obtenu, pour motif d’équité, une renonciation aux pénalités qui lui avaient été imposées pour avoir produit en retard ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2000 et 2001. Il est également précisé que M. McLeod n’avait pas éprouvé de difficultés financières et qu’il avait été en mesure de faire les paiements nécessaires à la date prévue.

 

[14]           Dans son rapport, le comité recommande de refuser toute autre renonciation pour les années d’imposition 2000 et 2001 [traduction] « vu que Lisa était mariée et n’habitait plus avec son père lorsque le diagnostic de sa maladie a été établi et qu’elle avait continué de travailler jusqu’au jour de son décès. Quant à Jennifer, elle a subi son intervention chirurgicale en octobre 2001 et elle est en rémission. »

 

[15]           Ni pénalités ni intérêts n’ont été imputés à M.  McLeod pour l’année d’imposition 2002 et, par conséquent, le comité fait savoir dans son rapport qu’il n’était pas nécessaire d’examiner la possibilité d’accorder une renonciation pour motif d’équité.

 

[16]           Il est aussi précisé dans le rapport que M. McLeod devait produire sa déclaration de revenus de 2003 au plus tard en avril 2004 et qu’il n’existait pas de circonstances atténuantes à ce moment‑là. C’est pourquoi le comité recommandait de ne pas accorder de renonciation pour l’année d’imposition 2003.

 

[17]           En ce qui a trait à l’année d’imposition de 2004, le comité affirme dans son rapport que M. McLeod devait produire sa déclaration de revenus au plus tard le 15 juin 2005, mais qu’il ne l’avait pas produite avant décembre 2005. Il est également souligné qu’en mai 2005, M. McLeod avait été élu président de l’Association des conseillers en finance du Canada.

 

[18]           Enfin, le comité fait remarquer dans son rapport que les rapports des médecins rédigés à l’été 2005 révélaient que M. McLeod se portait bien et qu’il pouvait marcher à l’aide de béquilles. C’est pourquoi le comité recommandait de refuser la renonciation demandée pour motif d’équité pour l’année d’imposition 2004, au motif que M. McLeod aurait pu retenir les services d’un comptable qui se serait occupé de ses obligations fiscales.

 

 

 

Les questions en litige

[19]           Bien que la succession soulève de nombreuses questions dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, notamment des questions d’équité procédurale et de partialité, j’estime n’avoir à me pencher que sur le bien‑fondé de la décision.

 

La norme de contrôle

[20]           La présente affaire concerne une décision discrétionnaire prise au nom du défendeur par l’Agence du revenu du Canada en application des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu relatives aux mesures d’équité. Il n’appartient pas à la Cour, dans une procédure de contrôle judiciaire, de substituer sa propre manière de voir à la décision du défendeur. La tâche de la Cour consiste plutôt à savoir si la décision du défendeur était raisonnable : voir l’arrêt Lanno c. Canada (Agence des douanes et du revenu du Canada), [2005] A.C.F. no 714, 2005 CAF 153.

 

[21]           Plus exactement, il s’agit de savoir si la décision peut résister à un examen assez poussé : Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20.

 

Analyse

[22]           Je suis d’avis que la décision visée par le contrôle judiciaire était déraisonnable pour plusieurs motifs.

 

[23]           Tout d’abord, en ce qui concerne le refus d’accorder une renonciation supplémentaire à M. McLeod pour les années d’imposition 2000 et 2001, je ne suis pas certaine de comprendre dans quelle mesure le fait que Lisa n’habitait pas chez son père, le fait qu’elle était mariée et le fait qu’elle avait continué à travailler jusqu’au jour de son décès avaient quoi que ce soit à voir avec les troubles émotifs ou mentaux dont a souffert M. McLeod en raison de la maladie et du décès de sa fille, ou encore avec la capacité de M. McLeod d’assumer ses obligations financières.

 

[24]           À vrai dire, les preuves médicale et psychiatrique présentées à l’Agence du revenu du Canada semblaient indiquer qu’au cour de la période de 2002 à 2006, les grandes épreuves auxquelles M. McLeod avait été exposé émotionnellement [traduction] « avaient affecté énormément sa santé mentale, entraînant dépression, angoisse, troubles du sommeil et troubles psychosomatiques ».

 

[25]           Une renonciation a également été refusée pour l’année d’imposition 2003 au motif que la déclaration de revenus de M. McLeod devait être produite au plus tard en avril 2004 et qu’il n’existait pas de circonstances atténuantes à ce moment‑là.

 

[26]           Cependant, la preuve médicale fournie à l’Agence semblait indiquer que l’état de santé de M. McLeod n’avait commencé à s’améliorer qu’à la fin de l’année 2004.

 

[27]           Quant à l’année d’imposition 2004, une renonciation pour motif d’équité a été refusée vu que les rapports des médecins rédigés à l’été 2005 révélaient que M. McLeod se portait bien et pouvait marcher à l’aide de béquilles.

 

[28]           Cependant, selon la preuve médicale présentée à l’Agence, l’accident d’automobile avait eu lieu le 11 avril 2005 et M. McLeod avait été hospitalisé pendant environ neuf semaines par la suite. Il n’a donc quitté l’hôpital que peu de temps après la date limite à laquelle sa déclaration de revenus devait être produite.

 

[29]           De plus, la preuve médicale démontrait que l’état de santé de M. McLeod était très grave pendant son séjour à l’hôpital. Selon les dossiers, il avait subi par traumatismes des lésions polysystémiques, il avait une fracture ouverte du fémur, une luxation postérieure de son genou gauche et une fracture pelvienne. Il a dû être soumis à une intervention chirurgicale devant remédier à une lacération du foie. Enfin, il a dû subir une résection intestinale ainsi qu’une intervention chirurgicale supplémentaire au fémur.

 

[30]           Dans ces circonstances, la conclusion selon laquelle M. McLeod était en mesure de s’occuper de ses obligations financières pendant la période pertinente est déraisonnable.

 

[31]           L’« élection » de M. McLeod à titre de président de l’Association des conseillers en finance du Canada en mai 2005 a également été invoquée. Bien que le comité ne le précise pas explicitement dans son rapport, il semble avoir tiré la conclusion que la santé de M. McLeod devait être assez bonne pour qu’il puisse assumer cette responsabilité.

 

[32]           Tout d’abord, l’Agence ne disposait d’aucune preuve démontrant que M. McLeod s’était présenté à la présidence de l’Association; il s’agissait évidemment d’une fonction bénévole au sein d’une association industrielle. Il avait peut-être simplement gravi les « échelons » comme c’est souvent le cas dans de telles organisations.

 

[33]           Ce qui est cependant bien plus important, c’est que quelle que soit la fonction bénévole qu’il ait assumée, le fait est que l’Agence savait qu’au cours du printemps et de l’été 2005, M. McLeod était totalement invalide et incapable de travailler. Nous sommes au courant de cela parce qu’à compter de ce moment‑là, l’Agence conservait en saisie‑arrêt les paiements d’invalidité à long terme de M. McLeod. 

 

[34]           Voilà pourquoi il était déraisonnable de tirer comme conclusion que M. McLeod était en assez bonne santé et qu’il était en mesure de retenir les services d’un comptable qui s’occuperait de ses obligations, au motif qu’il assumait le rôle de président de l’Association des conseillers en finance du Canada.

 

Conclusion

[35]           Pour ces motifs, je conclus que la décision visée par le contrôle judiciaire ne peut pas résister à un examen assez poussé. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Aucuns dépens n’ont été demandés et aucuns ne seront adjugés.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un autre délégué du ministre pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Annie Beaulieu


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1969-06

 

INTITULÉ :                                      LA SUCCESSION DE GARY MCLEOD c.

                                                            LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 23 octobre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            La juge Mactavish

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 26 octobre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Brigitte Dioguardi

 

POUR LA DEMANDERESSE

Ifeanyi Nwachukwu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

DIOGUARDI TAX LAW OFFICE

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

JOHN SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.