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Date : 20071016

Dossier : T-1818-06

Référence : 2007 CF 1061

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

demandeur

et

 

 

TERRY BUFFETT et

LE TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

LE JUGE HARRINGTON

[1]               Le présent contrôle judiciaire d'une décision du Tribunal canadien des droits de la personne porte sur l'essence même de la vie : la capacité de procréer. L'adjudant Buffett est infertile, mais pas stérile. La seule chance réaliste qu'il avait d'avoir un enfant tenait dans la fécondation in vitro au moyen d'une injection intracytoplasmique de spermatozoïdes. Les Forces canadiennes ont refusé d'assumer le coût de cette procédure. Il soutient qu'il a été ainsi privé d'un avantage lié à son emploi et que ce refus constitue une différence de traitement préjudiciable fondée sur sa déficience, son sexe et sa situation de famille contrairement à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il s'est comparé aux membres de sexe féminin des Forces canadiennes qui éprouvent certaines difficultés en matière d'infertilité et qui ont droit au financement de la fertilisation in vitro aux frais de l’État.

 

[2]               Le demandeur a suivi le processus de règlement des griefs des Forces canadiennes. Le dossier s’est ensuite retrouvé devant la Commission canadienne des droits de la personne et enfin devant le Tribunal canadien des droits de la personne.

 

[3]               Le Tribunal a statué que la plainte du demandeur était bien fondée.

 

CONTEXTE

[4]               Terry et son épouse, Rhonda, se sont rencontrés en 1984 et se sont mariés l'année suivante. Ils souhaitaient avoir des enfants, peut‑être trois. Mais le destin en a voulu autrement. Après quatre fausses couches au cours des six premières années, leur rêve a continué de leur échapper. Rhonda a subi une batterie de tests ainsi que des interventions chirurgicales qui ont tous démontré qu'elle était fertile. Ce fut donc ensuite au tour de Terry de se soumettre à des tests. On a découvert qu’il avait une faible numération des spermatozoïdes, que ceux‑ci avaient une motilité (mobilité) inférieure à la normale et que le pourcentage de spermatozoïdes dont la morphologie (forme) était normale était également inférieur à la normale.

 

[5]               L’urologue de M. Buffett, le Dr Mark Nigro, estimait qu'une intervention médicale appelée embolisation de varicocèle pourrait peut‑être l’aider. Le demandeur a accepté de la subir, mais une analyse de suivi n’a malheureusement démontré qu’une amélioration légère et insuffisante.

 

[6]               En 1996, le Dr Nigro, expert en infertilité masculine, a recommandé la fécondation in vitro (FIV) et une injection intracytoplasmique de spermatozoïdes (IICS) comme prochaine étape. Il a écarté une autre possibilité, à savoir la prescription d'un médicament pour la fertilité masculine, le Clomid, au motif que celui‑ci ne convenait pas à la situation de M. Buffett. Sa double recommandation n'a pas été contestée.

 

[7]               Les FIV et IICS sont coûteux. Les Buffett en sont arrivés à la conclusion qu’ils n’avaient pas les moyens de payer ces traitements.

 

[8]               La FIV est une technique qui consiste à féconder dans une éprouvette des ovules prélevées sur une femme avec du sperme normal puis de les placer dans l’utérus de la femme. Au début du processus, une série d'injections sont administrées à la femme pendant un certain nombre de jours afin de stimuler le fonctionnement de ses ovaires et la maturation de ses ovocytes (follicules). Lorsqu'au moins trois follicules ont atteint une taille donnée, un autre médicament est injecté pour permettre aux ovocytes de terminer leur maturation. Une aiguille est ensuite introduite dans un ovaire, et les ovocytes sont extraits des follicules. Ils sont mis en présence du sperme, qui contient environ 6 500 spermatozoïdes, et la fécondation a lieu naturellement. Si les ovocytes sont fécondés, on utilise un cathéter pour les introduire dans l'utérus de la femme.

 

[9]               Toutefois, le taux de réussite de la FIV à elle seule est faible et le traitement n’est pas recommandé lorsque le sperme utilisé présente trop d’anomalies. L'IICS est un procédé qui consiste à isoler des spermatozoïdes normaux à partir de l'échantillon fourni. Un de ces spermatozoïdes est injecté directement dans l'ovocyte à l'aide d'un microscope et d'une aiguille fine qui permet des micromanipulations. Lorsque les experts ont témoigné devant le Tribunal à la fin de 2005 et au début de 2006, le coût d'un cycle de traitements de FIV se situait entre 5 500 $ et 6 000 $. S'ajoutait à cette somme un montant additionnel de 1 500 $ pour l'IICS. De façon générale, le corps médical estime qu’il devrait être mis fin aux traitements si une femme ne tombe pas enceinte au terme de trois cycles.

 

[10]           Le taux de grossesse obtenu lorsqu'on utilise des spermatozoïdes de piètre qualité est maintenant comparable au taux de grossesse associé à la FIV pratiquée avec du sperme de qualité normale : 30 p. 100 ou plus par cycle.

 

LES FORCES CANADIENNES, LES SOINS DE SANTÉ ET LA CONSTITUTION

[11]           De manière générale, le système d'assurance-maladie relève de la compétence des provinces. Le gouvernement du Canada contribue cependant au coût de la prestation des services de santé dans chaque province conformément à la Loi canadienne sur la santé. Pour obtenir ce financement, chaque province ainsi que les trois territoires doivent offrir ou « assurer » un minimum de soins médicaux. Toutefois, les provinces peuvent offrir des services supplémentaires, de sorte que la protection n'est pas tout à fait uniforme dans tout le pays.

 

[12]           La Défense nationale relève de la compétence fédérale. La Loi canadienne sur la santé prévoit expressément que les membres des Forces canadiennes ne sont pas autorisés à recevoir des soins médicaux dans le cadre des régimes d’assurance de soins de santé provinciaux. Cependant, le droit qui leur a été ainsi retiré leur a immédiatement été remis. Selon le chapitre 34 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), publiés en application de la Loi sur la défense nationale, les Forces canadiennes doivent fournir à leurs membres des soins médicaux aux frais de l’État. Les Forces canadiennes assurent un niveau de soins de santé comparable et même probablement supérieur à celui auquel les militaires auraient droit en vertu des régimes provinciaux s'ils étaient des civils. Le service offert comporte également un aspect « médecin d'entreprise » qui fait en sorte que les membres des Forces canadiennes sont en aussi bonne forme que possible pour pouvoir s'acquitter de tâches souvent dangereuses.

 

[13]           Sauf quelques rares exceptions, qui sont sans pertinence dans la présente affaire, les Forces canadiennes ne fournissent généralement pas de soins médicaux aux familles de leurs membres, soit Mme Buffett en l’espèce. Cette dernière était assurée par le régime de soins de santé de sa province de résidence, en l’occurrence la Colombie‑Britannique puis le Nouveau‑Bunswick. Les membres des familles des militaires sont cependant admissibles à la protection supplémentaire offerte par le Régime de soins de santé de la fonction publique, financé au moyen des cotisations de l'employeur et des militaires. Ce régime fournit une protection complémentaire pour les services qui ne sont pas couverts par les régimes de santé provinciaux. M. Buffett a pris cette protection pour sa femme.

 

[14]           Les Forces canadiennes appliquent le principe suivant : si une province assure une procédure donnée, elles le feront aussi. Cette politique n'est cependant pas coulée dans le béton. Ainsi, au milieu des années 1990, le Québec était l'unique province couvrant les inversions de vasectomies et des ligatures des trompes, et les Forces canadiennes ont emboité le pas. Elles ont ensuite retiré cette protection de la liste des services assurés au motif que la condition médicale en question découlait d'un geste délibéré relevant de la volonté du militaire. Elles ont apparemment récemment modifié leur point de vue, prenant en considération le désir d'un couple de renverser des procédures volontairement entreprises les empêchant de concevoir après le décès d'un enfant.

 

[15]           Au cours des années qui ont précédé le grief de M. Buffett, l'unique province qui finançait la FIV était l'Ontario, mais dans les seuls cas où l'infertilité était le résultat d'une obstruction bilatérale des trompes de Fallope. En outre, le financement était limité à un maximum de trois cycles. L'Ontario avait déjà financé la FIV dans d'autres cas également, mais la province avait restreint la protection à la suite de la conclusion de la Commission royale en 1993 suivant laquelle la FIV n'était utile que si l'infertilité était attribuable à une obstruction des trompes de Fallope. Cette conclusion pourrait très bien être dépassée aujourd'hui.

 

[16]           Ni l'Ontario ni les autres provinces ou territoires n'ont à quelque moment que ce soit financé le traitement par IICS.

 

[17]           Jusqu'en 1997, le Régime des soins de santé des Forces canadiennes ne défrayait pas le coût des traitements de FIV ou de FIV combinée avec une IICS. Cette politique a été modifiée après que le grief d'une femme membre des Forces qui résidait en Ontario et dont l'infertilité résultait d'une obstruction des trompes de Fallope eut été accueilli. La décision a alors été prise de suivre la voie tracée par l'Ontario de manière à éviter la possibilité que la militaire perde le droit à des services de santé auxquels elle aurait eu droit en tant que civile dans sa province de résidence. Cette nouvelle politique étant uniforme pour tous, les militaires de sexe féminin qui ne résident pas normalement en Ontario ont elles aussi droit à la FIV.

 

[18]           Bien que les premières notes de service faisant état de ce changement dans la politique n'aient pas été nettes et précises, il a toujours été clair que le financement était offert uniquement aux membres des Forces canadiennes, et non à leurs personnes à charge, à leur conjoint ou à leur partenaire. En 1998, la politique a été codifiée dans un document intitulé Gamme de soins de manière à faire correspondre les services assurés à ceux qu'offrait l'Ontario. Le Régime de soins de santé de la fonction publique offre la même protection à Mme Buffett, sous réserve de l'existence d'une coassurance et d'autres modalités.

 

[19]           Lorsque M. Buffett a appris l'existence de ce changement de politique, il a présenté une demande de financement en bonne et due forme, qui a été refusée. Son grief a franchi les divers paliers de la procédure de règlement et a finalement été soumis au Comité des griefs des Forces canadiennes. Le mandat de ce Comité consiste à examiner le dossier et à transmettre des conclusions et des recommandations au chef d'état‑major de la Défense, qui rend une décision définitive. Bien que le Comité ait conclu que l'absence de protection pouvait être discriminatoire selon la Charte canadienne des droits et libertés, il a estimé que l'accès limité au financement constituait une restriction raisonnable, aux termes de l'article premier de la Charte, imposée par une règle de droit dont la justification pouvait se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. En conséquence, il a recommandé que le grief soit rejeté. Le chef d'état-major de la Défense, le général Henault, a accepté cette recommandation.

 

[20]           Par la suite, M. Buffett a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. La plainte n'était pas fondée sur la Charte, mais plutôt sur les articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

 

LA DÉCISION ASSUJETTIE AU CONTRÔLE

[21]           Après avoir clairement énoncé les faits et effectué un examen des plus minutieux du droit, le membre du Tribunal a conclu que M. Buffett et la Commission canadienne des droits de la personne avaient établi une preuve prima face qui, à moins d’être réfutée, justifiait qu’on leur donne gain de cause (O’Malley c. Simpson-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536). L'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne dispose :

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

 

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.

 

 

Les motifs de distinction illicites sont notamment le sexe, l’état matrimonial, la situation de famille et la déficience.

 

[22]           L'alinéa 10a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit ensuite que constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite.

 

[23]           Le Tribunal a conclu qu'une preuve prima face de discrimination avait été établie. M. Buffett avait été défavorisé par rapport à ses collègues de sexe féminin des Forces canadiennes sur le fondement de son sexe et de l'infertilité masculine (déficience). L'allégation de discrimination sur le fondement de la situation de famille n'était pas étayée par la preuve.

 

[24]           L'étape suivante consistait pour l'employeur à réfuter la preuve prima face en établissant que son refus d'accorder un financement reposait une exigence professionnelle justifiée conformément à l'alinéa 15(1)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Plus particulièrement, les Forces canadiennes devaient démontrer que les mesures destinées à répondre aux besoins de M. Buffett ou d’une catégorie de personnes dans une situation semblable à la sienne constitueraient une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

 

[25]           À cet égard, le Tribunal a accepté que la politique des Forces canadiennes était rationnellement liée à l'objectif consistant à fournir à ses membres des soins de santé payés par l'État d'un niveau égal à celui des soins médicaux assurés par les régimes de santé provinciaux et que les Forces canadiennes avaient adopté leur politique de bonne foi. Toutefois, leur analyse des coûts supplémentaires n’a pas convaincu le Tribunal. Il a estimé que leurs estimations de dix millions de dollars par année pour couvrir l'élargissement de la protection pour la FIV, auxquels s'ajouterait une somme de 2,25 millions de dollars pour les traitements d'IICS, étaient exagérées, mais, même si ces chiffres étaient exacts, il n'était pas convaincu que les coûts étaient élevés au point de constituer une contrainte excessive.

 

[26]           Au titre des mesures de réparation, il a ordonné ceci :

a.                   Si le spécialiste des Buffett continuait de recommander la FIV combinée à une IICA, les Forces canadiennes devaient financer les traitements jusqu'à concurrence d'un maximum de trois cycles.

b.                  Les Forces canadiennes devaient verser à M. Buffett la somme de 7 500 $, avec intérêts, pour ses souffrances et douleurs.

c.                   Les Forces canadiennes devaient prendre des mesures, en consultation avec la Commission canadienne des droits de la personne, pour modifier leur politique en matière de financement des traitements de FIV de sorte que les militaires de sexe masculin souffrant d'infertilité reçoivent des avantages à peu près égaux à ceux dont jouissent les militaires de sexe féminin souffrant d'une obstruction bilatérale des trompes de Fallope ou à ceux dont jouissent toutes les femmes militaires, selon le cas.

 

[27]           Vu ces conclusions et ordonnances, le Tribunal a jugé qu'il n'était pas nécessaire de se prononcer sur l’allégation de pratique discriminatoire fondée sur l'article 10 de la Loi.

 

[28]           Le coût de financement de la FIV et de l'IICS pour les Buffett n'est plus en cause. M. Buffett a demandé le financement il y a environ dix ans. Au cours de l'audience qui s'est déroulée en ma présence, il a déclaré qu’on leur avait recommandé de ne plus tenter ce traitement, son épouse et lui‑même étant maintenant âgés de 45 ans. Ils ont accepté cette recommandation.

 

[29]           Le procureur général, qui agit pour le compte des Forces canadiennes, ne soutient plus que le financement de la FIV et de l'IICS constituerait une contrainte excessive aux termes de l'article 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. En fait, il ne conteste plus réellement les conclusions de fait du Tribunal, mais plutôt la manière dont les avantages prévus au Régime de soins de santé ont été qualifiés. L'opinion du Tribunal selon laquelle « …une distinction peut être faite entre les interventions qui pallient l'infertilité et celles qui favorisent ou facilitent la conception » a constitué un élément‑clé dans sa décision. Le premier type d’intervention est effectué exclusivement sur la personne en cause, comme, par exemple, une intervention chirurgicale visant à reconstruire les trompes de Fallope obstruées d'une femme ou l'embolisation de varicocèle que M. Buffett a subie.

 

[30]           Les prochains paragraphes tirés des motifs du Tribunal sont cruciaux :

[52] La FIV et l'IICS sont tout à fait différentes, par contre. Ces techniques ne pallient pas l'infertilité d'un homme ou d'une femme. Elles donnent plutôt à un couple la possibilité de concevoir et d'avoir un enfant qui est biologiquement le leur, peu importe que ce soit l'homme ou la femme qui est infertile. Comme le docteur Nigro l'a dit dans son témoignage, [traduction] « vous n'avez recours à la FIV que si vous voulez un enfant ». À mon avis, les FC ont donné une interprétation trop étroite aux faits en l'espèce. Elles considèrent que, comme presque tous les aspects de la FIV et de la FIV combinée avec l'IICS touchent la femme, il s'agit de procédures médicales qui ne concernent qu'elle. Or, les FC oublient que les procédures de reproduction assistée sont différentes de toutes les autres procédures médicales, y compris celles palliant l'infertilité, en ce sens que, par nécessité biologique, il faut la participation de deux personnes.

 

[53] La politique de soins de santé des FC est conçue de façon à fournir à la militaire qui souffre d'une forme d'infertilité féminine un service financé par des fonds publics qui lui permettra d'avoir un enfant. Physiologiquement, cette procédure ne peut être effectuée qu'avec la participation d'une personne du sexe opposé. Les FC financent le service pour la militaire, même si la personne du sexe opposé dont la participation est requise n'est pas un membre des FC. Elles n'offrent toutefois pas le même avantage à ses membres de sexe masculin souffrant d'infertilité, simplement parce que la participation de la personne du sexe opposé qui n'est pas membre des FC est beaucoup plus complexe sur le plan médical. Cependant, la même réalité physiologique existe : il ne peut y avoir conception qu'avec la participation de deux partenaires.

 

[54] Cette réalité est un facteur important de la comparaison qu'il faut faire en l'espèce. Le fait est que la FIV n'est pas simplement une procédure médicale offerte aux militaires de sexe féminin. Ces femmes ont une véritable chance d'avoir un enfant. C'est là le but fondamental de cette procédure. À mon avis, compte tenu du contexte, la comparaison exige que l'on se demande si les FC offrent le même avantage aux militaires de sexe masculin ayant des problèmes d'infertilité qu'aux militaires de sexe féminin ayant des problèmes d'infertilité.

 

[55] Il ne fait aucun doute que cette question appelle une réponse négative. Il n'est pas important que les FC aient ajouté les traitements de FIV à leur liste de services médicaux assurés pour les militaires de sexe féminin qui ont un certain problème médical, afin que la protection offerte par leur régime de santé soit équivalente à celle d'un régime provincial (l'OHIP en l'occurrence). Compte tenu du véritable but de la politique et de son effet, le résultat est que M.  Buffett se voit refuser un avantage dont jouissent les militaires de sexe féminin, à savoir l'accès à une conception assistée par FIV. Le traitement est donc inégal.

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

[31]           La présente demande présentée par le procureur général pour le compte des Forces canadiennes soulève un certain nombre de questions. La première est la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux fins du contrôle de la décision du Tribunal. En d'autres termes, il faut décider du degré de retenue dont il faut faire preuve à l'égard du Tribunal.

 

[32]           La deuxième question est de savoir si les services de santé des Forces canadiennes constituent un avantage lié à l'emploi au sens de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le procureur général soutient que la prestation de services de santé à l'adjudant Buffett par le gouvernement fédéral était simplement l'une des nombreuses méthodes de financement des soins médicaux offerts aux résidents canadiens. S'il ne s'agit pas d'un avantage lié à l’emploi, le Tribunal canadien des droits de la personne est sans compétence.

 

[33]           Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur en définissant l'avantage offert aux membres de sexe féminin des Forces canadiennes comme étant la possibilité de concevoir un enfant, par opposition à un traitement de l'infertilité féminine? Autrement dit, les avantages sont‑ils limités aux personnes ou ont‑ils une portée plus large? En l’espèce, peuvent‑ils s'appliquer à un couple marié ou à tout le moins à un homme et à une femme?

 

[34]           Lorsqu'il a conclu que l'adjudant Buffett avait été victime de discrimination, le Tribunal a‑t‑il commis une erreur en le comparant aux membres de sexe féminin des Forces canadiennes plutôt qu'aux membres des Forces canadiennes qui demandent un financement pour des procédures médicales que leur conjoint doit subir?

 

[35]           Le Tribunal a‑t‑il à tort conclu que les Forces canadiennes offraient des avantages d'une manière discriminatoire?

 

[36]           Le Tribunal a‑t‑il erronément ordonné aux Forces canadiennes de financer des traitements médicaux qui ne sont pas assurés par le régime pour une personne qui n'est pas membre des Forces canadiennes?

 

NORME DE CONTRÔLE

[37]           L’analyse pragmatique et fonctionnelle, qui doit fonder les contrôles judiciaires, a été résumée par la Cour suprême notamment dans les arrêts Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, [2003] 1 R.C.S. 226, et Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247. Les quatre facteurs suivants jouent un rôle de premier plan : a) la présence ou l'absence d'une clause privative ou d'un droit d'appel prévu dans la loi; b) l'expertise du tribunal par rapport à celle du tribunal de révision; c) l'objet de la loi et des dispositions en cause; et d) la nature des questions en litige : questions de droit, questions de fait ou questions mixtes de fait et de droit.

 

[38]           En ce qui concerne son application au Tribunal canadien des droits de la personne, la Cour d'appel fédérale a affirmé clairement que les questions de droit sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte, les questions de fait, selon la norme de la décision manifestement déraisonnable et les questions mixtes de fait et de droit, selon celle de la décision raisonnable simpliciter (Morris c. Canada (Forces armées canadiennes), 2005 CAF 154, [2005] A.C.F. no 731, et Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204, 322 N.R. 50).

 

AVANTAGE LIÉ À L’EMPLOI

[39]           Pour la vaste majorité des Canadiens, notamment ceux qui travaillent dans la fonction publique fédérale, les soins de santé de base découlent de l'application de la loi, de la Loi canadienne sur la santé et des divers régimes provinciaux et territoriaux. Le législateur a privé l'adjudant Buffett de ce droit qui tire sa source de la résidence canadienne. Ce qu'il a retiré, cependant, il l'a remis de façon bonifiée par l'entremise de son emploi. Abstraction faite de certaines dispositions visant les anciens combattants, l'adjudant Buffett sera à nouveau assujetti aux régimes de soins de santé provinciaux lorsqu'il quittera les Forces canadiennes.

 

[40]           Je ne peux accepter la thèse du procureur général suivant laquelle le traitement de l'infertilité n'était pas offert, pour reprendre le libellé de l'article 7 de la Loi, à un individu (« in relation to an employee » dans le texte anglais de la disposition). Il est vrai qu'il ne fait pas partie des fonctions d'emploi de l'adjudant Buffett de concevoir des enfants — ce dont on peut dire également des employés du secteur privé —, mais le législateur aurait pu choisir de le priver uniquement des services de soins de santé provinciaux qui se rapportent à ses fonctions de militaire, laissant les autres aspects, dont les traitements d'infertilité, aux régimes provinciaux de soins de santé. Il lui a plutôt imposé comme condition d’emploi d'être privé de l'accès aux régimes de soins de santé provinciaux. Comme le montre la Gamme de soins, les services médicaux équivalents ne peuvent qu'être considérés comme étant des avantages dans le cadre de son emploi.

 

[41]           Si les membres des Forces canadiennes ne sont pas considérés comme étant des employés dans d'autres contextes, ils sont des employés au sens de la Loi (Rosin c. Canada (Forces canadiennes), [1991] 1 C.F. 391, 131 N.R. 295).

 

FAITS ESSENTIELS

[42]           Les autres questions qui ont été soulevées par le procureur général sont très étroitement liées et découlent des faits essentiels suivants, qui ne sont pas en litige.

 

[43]           Les recommandations de l'urologue de M. Buffett qu'il soit traité par FIV et IICS et qu'il ne prenne aucun médicament pour infertilité n'ont jamais été contestées.

 

[44]           L'IICS n'est pas assurée par le Régime de soins de santé des Forces canadiennes, par aucun des régimes provinciaux publics ni par aucune  couverture d’une tierce partie, comme celle qui est disponible en vertu du Régime de soins de santé de la fonction publique.

 

[45]           Le Régime de soins de santé des Forces canadiennes, comme le régime de l'Ontario (OHIP), finance la FIV pour les femmes, mais seulement si elles ont une obstruction des trompes de Fallope et pour trois cycles de traitement uniquement. Ce financement est offert également par le Régime de soins de santé de la fonction publique, sous réserve des cotisations des employés et des dispositions relatives à la franchise et à la coassurance. Aucun de ces régimes ne prévoit un financement relatif au sperme du donneur. Des procédures médicales peuvent se révéler nécessaires pour extraire le sperme de l'homme et le sperme même peut faire l’objet de traitements comme des analyses, des lavements et une congélation.

 

[46]           Comme elle n'est pas membre des Forces canadiennes, Mme Buffett n'est pas assurée par le Régime de soins de santé des Forces canadiennes, mais elle est prestataire du Régime de soins de santé de la fonction publique. Toutefois, à l'époque pertinente, elle était fertile et, plus particulièrement, elle ne souffrait pas d'une obstruction des trompes de Fallope.

 

[47]           Les parties du corps des hommes et des femmes qui assurent leur reproduction sont différentes. Les hommes n'ont pas de trompes de Fallope. Il existe donc des traitements d'infertilité différents pour les hommes et pour les femmes. Ainsi, dans la présente affaire, Mme Buffett a pris des médicaments pour réguler son niveau de progestérone et elle a subi une hystéroscopie. Le Régime de soins de santé de la Colombie‑Britannique, province dans laquelle elle résidait alors, a financé ces traitements. De même, M. Buffett a été soumis à une série de tests et d'analyses et a également subi une embolisation de varicocèle. Tout cela a été financé par le Régime de soins de santé des Forces canadiennes.

 

DISPOSITIF

[48]           Cela m'amène au nœud de l'affaire, à savoir l'opinion du Tribunal selon laquelle la nature de la FIV et de l'IICS est complètement différente de celle des traitements d'infertilité, en ce que la FIV et l’IICS ne pallient pas l'infertilité, mais « … donnent plutôt à un couple la possibilité de concevoir et d'avoir un enfant qui est biologiquement le leur, peu importe que ce soit l'homme ou la femme qui est infertile ». Je ne peux souscrire à cette interprétation ni me contenter d’exprimer mon désaccord. La question à trancher vise le degré de retenue dont il faut faire preuve à l'égard du Tribunal.

 

[49]           À mon avis, la qualification des avantages qui découlent de la Loi canadienne sur la santé, de la Loi sur la Défense nationale, des Ordonnances et règlements royaux et de la Gamme de soins constitue une question de droit, une question à l'égard de laquelle la Cour ne doit pas faire preuve de retenue et à l'égard de laquelle elle doit former sa propre opinion. Au paragraphe 94 de l'arrêt S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003]1 R.C.S. 539, le juge Binnie a cité un passage des motifs de lord Reid dans l'arrêt Padfield c. Minister of Agriculture, Fisheries and Food, [1968] AC 997 (C.L.), qui a dit à la page 1030 que [traduction] « pour déterminer la politique générale et les objets de la Loi, il faut interpréter la Loi dans son ensemble et l’interprétation est toujours une question de droit qui relève de la cour ». De nombreuses autres décisions au même effet ont été citées dans l'arrêt S.C.F.P. Il n'y a rien dans la Loi canadienne sur la santé, la Loi sur la Défense nationale, les Ordonnances et règlements royaux ou les régimes de soins de santé provinciaux qui change quoi que ce soit au fait que les services médicaux sont fournis à des patients; à des personnes. Il ne s'agit pas d'une simple question de tenue de livres. Les dossiers comptables ne font que refléter la réalité des régimes.

 

[50]           De fait, la disposition de la Loi canadienne sur la santé qui traite de l'interprétation, l'article 2, est des plus révélatrices. Des « services de santé assurés » sont fournis aux « assurés » qui ne sont pas, entre autres choses, des « membres des Forces canadiennes ».

 

[51]           Le chapitre 34 des Ordonnances et règlements royaux indique également en des termes on ne peut plus clairs que les soins de santé sont prodigués aux frais de l'État à un militaire de la force régulière, de la force spéciale ou de la force de réserve. Il existe des cas où la famille est visée, comme dans celui du traitement d'un militaire pour toxicomanie. Toutefois, l'accent est mis sur le membre des Forces et non sur sa famille. Il y a des cas également où les services médicaux sont fournis aux membres de la famille, comme dans les régions éloignées ou à l'étranger. Toutefois, ces exceptions ne s'appliquent pas en l’espèce.

 

[52]           La question de l'identification du groupe auquel M. Buffett devrait être comparé est une autre question de droit. Bien que le droit à l'égalité garanti au paragraphe 15(1) de la Charte fasse appel à une analyse beaucoup plus complexe, la discrimination met toujours en cause une comparaison. Ainsi que le juge Iacobucci l'a affirmé dans l'arrêt Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, aux paragraphes 56 et 57 :

56     […] En dernière analyse, le tribunal doit établir la différence de traitement par comparaison avec une ou plusieurs autres personnes ou groupes.[…]

 

57     Pour déterminer quel est l’élément de comparaison approprié, toute une gamme de facteurs doit être prise en compte, notamment, l’objet des dispositions législatives.  Une analyse relative au par. 15(1) n’a pas pour objet de juger de l’égalité dans l’abstrait.  Son objet est plutôt de déterminer si les dispositions législatives contestées créent entre le demandeur et les autres, sur le fondement des motifs énumérés ou de motifs analogues, une différence de traitement qui entraîne de la discrimination.  Il faut examiner à la fois l’objet et l’effet des dispositions pour faire ressortir le groupe ou les groupes de comparaison appropriés.  D’autres facteurs contextuels peuvent également être pertinents.  Les ressemblances ou dissemblances biologiques, historiques et sociologiques peuvent être pertinentes en particulier pour cerner l’élément de comparaison approprié et, de façon plus générale, pour déterminer si les dispositions créent réellement de la discrimination : voir Weatherall [c. Canada (Procureur général), [1993] 2 S.C.R. 872].

 

 

[53]           À l'instar du Tribunal, j’estime que M. Buffett aurait dû être comparé aux femmes militaires des Forces canadiennes. Dans certaines circonstances, elles ont droit à la FIV jusqu'à concurrence de trois cycles. Les coûts qui s'y rattachent sont financés en vertu de la Gamme de soins par les Forces canadiennes. Les coûts liés au sperme ne le sont pas. Les membres de sexe féminin des Forces canadiennes ne doivent pas nécessairement faire partie d'un « couple », qu'il soit hétérosexuel ou homosexuel. Le donneur peut être inconnu. Le fait est que les coûts liés au sperme ne sont pas assurés.

 

[54]           Bien qu'un membre de sexe masculin des Forces canadiennes puisse n'avoir aucune difficulté à fournir du sperme, ce n'est pas toujours le cas. Le major Chris Weisgerberg, qui jouait un rôle décisionnel au sein de la Direction de la prestation des services de santé pour les demandes liées à la Gamme de soins, a souligné que les traitements offerts aux hommes sur le fondement des différences physiologiques visaient notamment les cas d'impuissance (dysérection) ou de maladie de la prostate, qui tous deux peuvent contribuer à des problèmes de fertilité. Le Dr Arthur Leader, expert dans le domaine de l'infertilité tant masculine que féminine, a témoigné que, dans certains cas, si l'homme ne peut fournir l'échantillon de sperme, une biopsie est effectuée. Exception faite de la biopsie, certains hommes qui sont diabétiques éjaculent du sperme dans la vessie, ce qui nécessite le recours à un cathéter pour l'en extraire. Certains hommes peuvent devoir prendre des médicaments en raison de problèmes hormonaux. Ces coûts sont couverts par le Régime de soins de santé des Forces canadiennes si l'homme est membre des Forces canadiennes.

 

[55]           Je ne vois pas pourquoi le Tribunal a dit de la FIV et de l'IICS qu'elles ne constituaient pas un remède et qu'elles offraient plutôt une « possibilité de concevoir ». L'objectif de tous les traitements d'infertilité est d'éliminer les obstacles à la conception. Un militaire pourrait ne pas tirer profit d'un traitement médical fructueux. Une femme peut toujours dire non, même après une fécondation réussie dans une éprouvette. Le Viagra et l'insertion d'un cathéter dans la vessie ne constituent pas des cures.

 

[56]           Néanmoins, je suis moi aussi d'avis que l'adjudant Buffett a été victime de discrimination au sens de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Toutefois, cette discrimination est de portée beaucoup plus étroite que celle dont le Tribunal a fait état. Conformément aux lois, règlements et politiques, le Régime de soins de santé des Forces canadiennes ne devrait couvrir que le volet de la procédure qui se rapporte à l'IICS, et non le volet de la FIV. Dans le cas du membre de sexe féminin des Forces, le volet de la FIV est couvert, mais non celui de l'IICS. Le fait que la FIV est plus coûteuse que l'IICS n'a pas d’importance. Il découle d'une réalité biologique. L'on ne peut faire valoir l'existence d'une discrimination parce qu'un traitement peut être plus cher qu’un autre. Par exemple, si les coûts de traitement du cancer des ovaires et du cancer de la prostate ne sont pas égaux, personne ne peut s'en plaindre.

 

[57]           Le procureur général s'est fondé principalement sur les cas tranchés en matière d'égalité sous le régime du paragraphe 15(1) de la Charte et récemment examinés par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Tomasson c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 265, [2007] A.C.F. no 1084. La question dans cette affaire était celle de savoir si les dispositions de la Loi sur l'Assurance‑emploi qui prescrivent le versement de prestations de maternité aux mères biologiques avaient un effet discriminatoire à l'égard des mères adoptives, en violation de leur droit à l'égalité garanti par la Charte.

 

[58]           Le paragraphe 15(1) prévoit ce qui suit :

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques

15. (1) Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

 

[59]           Le juge Nadon a statué que le droit à l'égalité de Mme Tomasson n'avait pas été violé. Il a souscrit à l’arrêt antérieur de la Cour d'appel de l'Ontario Schafer c. Canada (Attorney General), (1997), 149 D.L.R. (4th) 705, 35 O.R. (3d) 1, et à l’arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique British Columbia Government and Service Employees’ Union c. British Columbia (Public Service Employee Relations Committee), 2002 BCCA 476, 216 D.L.R. (4th) 322, qui portait sur la même question, quoique dans le contexte d'une convention collective.

 

[60]           Plus particulièrement, l’arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario Schafer a subsisté à l’arrêt Law, précité, rendu subséquemment par la Cour suprême. Ainsi que le juge Nadon l'a fait remarquer, le critère de l'article 15 énoncé dans l'arrêt Law a été résumé par la Cour suprême dans l'arrêt Auton (Tutrice à l'instance de) c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 2004 CSC 78, [2004] 3 R.C.S. 657, au paragraphe 22, dans les termes suivants : « (1) Y a‑t‑il une différence de traitement sous le régime de la loi; (2) est‑elle fondée sur un motif énuméré ou analogue; (3) est‑elle discriminatoire? ».

 

[61]           Je ne vois pas comment l'arrêt Tomasson, précité, appuie la thèse du procureur général. Au paragraphe 47, le juge Nadon a renvoyé à l'arrêt Andrews c. Law Society (British Columbia), [1989] 1 R.C.S. 143, page 169, où le juge MacIntyre a dit que : « le respect des différences, qui est l'essence d'une véritable égalité, exige souvent que des distinctions soient faites ». La distinction dans l'arrêt Tomasson tenait à la naissance d'un enfant et non à l'impossibilité de donner naissance à un enfant. Dans la présente affaire, la question de l'infertilité se pose de différentes manières selon qu'il est question d'un homme ou d'une femme.

 

[62]           Le législateur a laissé au Directeur général du Services de santé, sous réserve du contrôle du ministre, la tâche de déterminer la gamme de services médicaux qui doivent être inclus dans la Gamme de soins ou en être exclus. Il n'appartient pas à la Cour de remettre en question cette décision de politique. Toutefois, puisque l'on a décidé d'offrir aux membres de sexe féminin des Forces canadiennes l'avantage de la FIV, les membres de sexe masculin ne peuvent être privés de l'accès à l'IICS. Dans les faits, les femmes fournissent les ovules et l'utérus et les hommes, le sperme. Dans le cas des militaires de sexe féminin, la Gamme de soins couvre des questions se rapportant à l'ovule et à l'utérus, mais aucune se rapportant au sperme. Il s'ensuit que, dans le cas d'un membre de sexe masculin des Forces canadiennes souffrant d'infertilité, si les circonstances justifient le recours à l'IICS, les coûts se rapportant à son sperme devraient être couverts, mais les coûts liés à l'ovule et à l'utérus ne devraient pas l'être.

 

[63]           Vu cette conclusion, il n'est pas nécessaire d’examiner l'article 10 de la Loi et, comme nous l’avons vu, le procureur général ne tente plus de faire valoir que les mesures destinées à répondre aux besoins de M. Buffett ou à la catégorie de personnes dans sa situation constitueraient une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité aux termes de l'article 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

 

[64]           S'il s'agissait en l'espèce d'un appel, contrairement au Tribunal, j'aurais ordonné aux Forces canadiennes de financer le volet IICS du traitement de M. Buffett jusqu'à concurrence de trois cycles. Toutefois, cette question est aujourd'hui théorique. J'aurais ordonné également aux Forces canadiennes de prendre des mesures en consultation avec la Commission canadienne des droits de la personne en vue de modifier leur politique relativement au financement des traitements d'IICS. Il n'y a aucune raison de modifier l'ordonnance prévoyant le versement à M. Buffet de la somme de 7 500 $, avec intérêts, pour ses souffrances et douleurs. Toutefois, comme il s'agit d'un contrôle judiciaire et non d'un appel, il convient d'annuler la décision et de la renvoyer pour qu’une nouvelle décision soit rendue, avec ou sans directives. J'ordonne au procureur général de soumettre un projet d'ordonnance, en consultation avec les autres parties, dans un délai de 14 jours à partir de la date de la présente décision. Si les parties ne peuvent s'entendre sur le libellé, chacune devra formuler ses commentaires dans le même délai. Par la suite, la Cour décidera si une deuxième audience est requise. Comme l'issue de l'affaire est mixte, il n'y aura aucune ordonnance quant aux dépens.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 16 octobre 2007

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                T-1818-06

 

INTITULÉ :                                               PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c.

TERRY BUFFETT ET LE TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                        Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                       11 septembre 2007

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :          Le juge HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                             16 octobre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS

 

Elizabeth Richards

 

POUR LE DEMANDEUR

Terry Buffett

 

 

Philip Dufresne

 

POUR LE DÉFENDEUR TERRY BUFFETT, AGISSANT POUR SON PROPRE COMPTE

 

POUR LA DÉFENDERESSE LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

Terry Buffett

 

 

Tribunal canadien des droits de la personne

 

POUR LE DÉFENDEUR TERRY BUFFETT, AGISSANT POUR SON PROPRE COMPTE

 

POUR LA DÉFENDERESSE LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 

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