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Date : 20071010

Dossier : T-2240-06

Référence : 2007 CF 1038

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 octobre 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

ENTRE :

GERALD WRY, GAVEN LEWIS et DANIEL AMUNDSON

demandeurs

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]        Les demandeurs ont été cités à une audience d’arbitrage de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la CRTFP) concernant un collègue. L’employeur a refusé de leur payer les heures supplémentaires et les frais qu’ils réclamaient. Ils ont déposé des griefs, qui ont été rejetés. Ils ont ensuite renvoyé l’affaire à l’arbitrage, et un arbitre de grief de la CRTFP, Dan Butler, a maintenu la décision de l’employeur. 

 

[2]        Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre de grief. Ils font valoir que son interprétation de l’article pertinent de la convention collective est manifestement déraisonnable. Selon eux, cette interprétation ne peut s’appuyer rationnellement sur le sens grammatical et le libellé ordinaire de l’article pertinent, ou de la convention collective en général. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la décision de l’arbitre de grief n’était pas manifestement déraisonnable.

 

Le contexte

[3]        Les demandeurs sont des agents de correction de l’établissement fédéral à sécurité moyenne situé à Dorchester, au Nouveau‑Brunswick. Leur emploi est régi par une convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et le Syndicat des agents correctionnels du Canada.

 

[4]        Le 18 octobre 2005, les demandeurs ont assisté à une audience d’arbitrage concernant un autre agent de correction (M. Rose). Des citations avaient été délivrées, pour le compte de la personne s’estimant lésée, par le président de la CRTFP. Les demandeurs devaient se présenter à l’audience le 18 octobre, un jour de congé. Se fondant sur l’article 23.01 de la convention collective, ils ont réclamé le paiement des heures supplémentaires et des frais afférents à leur présence à l’audience. Comme je l’ai mentionné précédemment, l’employeur a refusé de les leur payer, et leurs griefs ont été rejetés. Les demandeurs ont renvoyé l’affaire à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (la LRTFP). Un membre de la CRTFP, Dan Butler, a été choisi pour agir comme arbitre de grief en vertu de l’alinéa 223(2)d) de la LRTFP.

 

[5]        À l’audience d’arbitrage le 22 septembre 2006, les demandeurs ont accepté que l’arbitre de grief Butler rende une seule décision relativement à leurs trois griefs. Aucune preuve n’a été présentée à l’audience. Les parties ont accepté que les trois griefs et les réponses que leur avait données l’employeur constituent le fondement factuel de l’audience. La seule pièce qui a été déposée était la convention collective.

 

La convention collective

[6]       Les articles pertinents de la convention collective sont les suivants :

 

 

Paragraphe 2.01(1)

« congé » désigne l’absence autorisée du travail d’un-e employé-e pendant ses heures de travail normales ou régulières (leave);

 

 

Article 14.06

 

Lorsque les nécessités du service le permettent, l’Employeur accorde un congé payé à l’employé-e qui est :

 

a)         partie à l’arbitrage,

b)         le représentant d’un employé-e qui s’est constitué partie à l’arbitrage, et

c)         un témoin convoqué par un employé-e qui s’est constitué partie à l’arbitrage.

 

 

Article 23.01

 

L’employé-e qui est tenu d’assister, sur assignation ou citation, comme témoin, défendeur ou plaignant à un procès contre un détenu ou toute autre personne dans quelconque procédure précisée au paragraphe 30.17, sous-alinéa « C » de la présente convention, en raison des actions de l’employé-e au cours de l’exercice de ses fonctions autorisées, doit être considéré comme étant en fonction et être rémunéré au taux de traitement applicable, et doit être remboursé de ses dépenses raisonnables de transport, de repas et de logement, déterminées habituellement par l’Employeur.

 

 

Article 30.17

 

L’Employeur accorde un congé payé à l’employé-e pendant la période de temps où il est tenu :

 

a)         d’être disponible pour la sélection d’un jury;

b)         de faire partie d’un jury;

c)         d’assister, sur assignation ou sur citation, comme témoin à une procédure qui a lieu :

 

(i)                 devant une cour de justice ou sur son autorisation, ou devant un jury d’accusation,

(ii)               devant un tribunal, un juge, un magistrat ou un coroner,

(iii)             devant le Sénat ou la Chambre des communes du Canada ou un de leurs comités, dans des circonstances autres que dans l’exercice des fonctions de son poste,

(iv)             devant un conseil législatif, une assemblée législative ou une chambre d’assemblée, ou un de leurs comités, autorisés par la loi à obliger des témoins à comparaître devant eux, ou

(v)               devant un arbitre, une personne ou un groupe de personnes autorisés par la loi à faire une enquête et à obliger des témoins à se présenter devant eux.

 

La décision

[7]        L’arbitre de grief a rejeté les griefs des demandeurs au motif que l’audience d’arbitrage du 18 octobre 2005 n’était pas « un procès contre un détenu ou toute autre personne », selon les termes de l’article 23.01.

 

[8]        L’arbitre de grief a tiré les conclusions suivantes en parvenant à sa décision :

 

•           l’expression « un procès contre un détenu ou toute autre personne » ne se prête pas à toutes les interprétations. Elle doit avoir une signification qui a un sens dans le contexte de l’article 23.01 et de l’architecture globale de la convention collective;

 

•           on ne peut pas dire que l’employeur, agissant comme partie à une audience d’arbitrage où un employé conteste son licenciement, peut être considéré comme « toute autre personne » au sens où ces termes sont employés dans l’expression « un procès contre un détenu ou toute autre personne » figurant à l’article 23.01;

 

•           les parties à la convention collective entendaient que le libellé de l’article 23.01 s’appliquent à quelque chose qui se rapporte en propre au travail des agents de correction ou à leur lieu de travail. L’intention des parties visait certaines procédures auxquelles les agents de correction puissent être tenus d’assister, qui sont propres à leur travail et qui méritent les avantages spéciaux liés au statut « en fonction »;

 

•           dans un renvoi à l’arbitrage contestant un licenciement disciplinaire, il n’y a rien qui, en soi, est propre au travail des agents de correction ou à leur lieu de travail;

 

•           conclure que la comparution d’une personne citée aux diverses catégories de procédures décrites à l’alinéa 30.17c) donne lieu à un droit selon l’article 23.01 équivaut à interpréter cette disposition comme si l’expression « un procès contre un détenu ou toute autre personne » n’y figurait pas ou n’avait aucune signification.

 

La norme de contrôle

[9]        Les parties soutiennent conjointement, en se fondant sur Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941 (AFPC), un arrêt qui avait également trait à une décision de l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique, que la norme de contrôle qui s’applique en l’espèce est celle de la décision manifestement déraisonnable.

 

[10]      La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont statué à maintes reprises que la norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision manifestement déraisonnable dans les cas où la décision d’un arbitre de grief est axée sur l’interprétation d’une disposition d’une convention collective (et qu’aucune question constitutionnelle ou loi non constitutive n’est en cause) : Banton c. Canada (Conseil du Trésor) (1995), 90 F.T.R. 222 (C.F. 1re inst.); Canada (Procureur général) c. Cleary (1998), 161 F.T.R. 238 (C.F. 1re inst.); Barry c. Canada (Conseil du Trésor) (1997), 221 N.R. 237 (C.A.F.); Currie c. Canada (Agence des douanes et du revenu du Canada), [2007] 1 R.C.F. 471 (C.A.F.).

 

[11]      La norme de la décision raisonnable appliquée dans Voice Construction Ltd. c. Construction & General Workers’ Union, Local 92, [2004] 1 R.C.S. 609 (Voice Construction), ne convient pas en l’espèce. La Cour d’appel fédérale a mentionné, dans Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments) (2005), 343 N.R. 334 (C.A.F.), qu’un arbitre de grief de la CRTFP n’est pas un arbitre ad hoc nommé par les parties, mais une personne possédant une expertise institutionnelle. De plus, la Cour d’appel a statué que la question de savoir si les dispositions de la convention collective trouvaient application en raison des faits est une question mixte de fait et de droit.

 

[12]      Contrairement à la situation dans Voice Construction, l’article 233 de la LRTFP renferme une clause privative concernant la décision de l’arbitre de grief. En outre, l’alinéa 49.01h) de la convention collective contient une clause privative rigoureuse au regard de la décision de l’arbitre de grief.

 

[13]      Pour les motifs qui précèdent, je suis d’accord avec les parties que c’est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui s’applique en l’espèce.

 

L’analyse

[14]      Les demandeurs soutiennent que la décision de l’arbitre de grief était manifestement déraisonnable parce qu’elle va à l’encontre du sens ordinaire et littéral des termes employés dans l’article et de l’esprit de la convention collective. Ils prétendent que la décision repose sur le sens attribué à l’expression « toute autre personne ». Selon eux, le terme « quelconque » à l’article 23.01 renvoie à l’une des procédures énumérées à l’alinéa 30.17c). Il ne peut en être autrement en français courant. Les mots signifient simplement ce qu’ils disent. La décision de l’arbitre de grief enlève tout sens à la disposition et mène à un résultat absurde.

 

[15]      Je ne suis pas d’accord avec eux. Il ne fait aucun doute que l’arbitre de grief savait parfaitement ce qu’il devait faire. Il a dit que sa décision était d’abord fondée sur le libellé de l’article 23.01 et qu’il devait attribuer aux termes employés leur sens ordinaire. Il était convaincu qu’une « audience d’arbitrage » faisait partie des catégories de procédures énumérées à l’alinéa 30.17c), auquel renvoie l’article 23.01. Il a indiqué que la question cruciale était de savoir « si une audience d’arbitrage peut être “[...] un procès contre un détenu ou toute autre personne [...]” au sens de [l’article] 23.01 ».

 

[16]      Après avoir analysé cette question, l’arbitre de grief a conclu « que c’est faire un effort d’imagination que de conclure que l’intention des parties était que les termes “toute autre personne” désignent n’importe qui ou n’importe quelle entité ». Selon lui, il fallait déterminer la signification de ces termes en tenant compte du contexte de l’article 23.01 et de la convention collective. Il croyait que la signification de l’expression « toute autre personne » était en lien avec le mot « détenu » aussi bien qu’avec les termes « se rapporte en propre au travail des agents de correction ou à leur lieu de travail ».

 

[17]      L’arbitre de grief n’était pas convaincu que l’employeur, agissant comme partie à une audience d’arbitrage où un employé contestait son licenciement, pouvait être considéré comme une « autre personne » au sens où ces termes sont employés dans l’expression « un détenu ou toute autre personne ». En outre, dans un renvoi à l’arbitrage contestant un licenciement disciplinaire, il n’y a rien qui, en soi, est propre au travail des agents de correction ou à leur lieu de travail. Les détails et les circonstances d’un renvoi à l’arbitrage « pourraient bien refléter des conditions propres au travail des agents de correction », mais tel n’était pas le cas du renvoi à l’arbitrage lui-même d’une décision de licenciement.

 

[18]      L’arbitre de grief n’a pas reconnu que l’expression « en raison des actions de l’employé‑e au cours de l’exercice de ses fonctions autorisées » indiquait que la procédure devait être [traduction] « liée au travail » au sens général. Il est significatif que l’arbitre de grief n’ait disposé d’aucune preuve établissant que l’arbitrage en question était, ou aurait pu être, propre au travail des agents de correction ou à leur lieu de travail. Il est donc difficile d’imaginer que la conclusion aurait pu être différente. 

 

[19]      L’arbitre de grief n’a pas déterminé si un procès contre l’employeur « [peut] répondre aux conditions dans certaines […] circonstances » propres au lieu de travail correctionnel. La question de savoir si un tel procès pourrait inclure une audience d’arbitrage (qui répondrait aux conditions de l’article 23.01) n’a pas été réglée.

 

[20]      De plus, l’arbitre de grief a analysé expressément l’emploi du terme « quelconque » à l’article 23.01. Il n’a pas reconnu que le simple emploi de ce terme constituait une raison suffisante pour conclure que les parties entendaient que la comparution, sur citation, comme témoin aux diverses catégories de procédures décrites à l’alinéa 30.17c) donnait lieu à un droit selon l’article 23.01. Il fallait attribuer une signification à l’expression « un procès contre un détenu ou toute autre personne » qui imposait une condition ou une modification. Toute autre interprétation ne tiendrait pas compte de la présence de l’expression ou lui enlèverait toute signification.

 

[21]      En conclusion, l’arbitre de grief a déterminé que l’interprétation la plus raisonnable du renvoi à une « quelconque procédure précisée [à l’article] 30.17, sous-alinéa “C” de la présente convention », qui cadrait avec l’intention des parties, exigeait que le procès donnant lieu au devoir de comparution soit également « une procédure précisée au sous-alinéa 30.17c)(v) ». Le renvoi avait été utilisé par les parties par souci de simplicité. Il est vrai que son libellé aurait pu être plus clair, mais les termes ne peuvent avoir le sens allégué par les demandeurs.

 

[22]      Revenons à la norme de contrôle applicable aux décisions des arbitres de grief de la CRTFP. La retenue judiciaire est la norme. Il appartient aux demandeurs de démontrer que la décision est manifestement déraisonnable, c’est‑à‑dire qu’elle est clairement irrationnelle. Or, ils ne l’ont pas fait.

 

[23]      L’arbitre de grief a tenu compte des dispositions pertinentes de la convention collective ainsi que de la disposition particulière qui était contestée. Il a correctement défini son travail, analysé la question et donné des motifs convaincants à l’appui de sa décision. Même si la Cour aurait pu interpréter la disposition différemment (ce que je ne laisse cependant pas entendre en l’espèce), son intervention n’est pas justifiée puisque l’issue de l’affaire n’est pas clairement irrationnelle.

 

[24]      L’interprétation n’a pas à être correcte. Il suffit seulement qu’elle soit rationnelle. L’interprétation proposée par l’arbitre de grief est, à mon avis, plus rationnelle que celle suggérée par les demandeurs. À cet égard, je rappelle la prétention du défendeur selon laquelle, si l’interprétation proposée par les demandeurs était retenue, ces derniers auraient droit à un montant plus élevé pour un jour de congé que pour un jour de travail.

 

[25]      Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.


 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée et que les dépens soient accordés au défendeur.

 

 

« Carolyn Layden-Stevenson »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                        T-2240-06

 

INTITULÉ :                                                     GERALD WRY, GAVEN LEWIS et

                                                                            DANIEL AMUNDSON

                                                                            c.

                                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                              HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                            LE 3 OCTOBRE 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                     LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :                          LE 10 OCTOBRE 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Mancini

 

POUR LES DEMANDEURS

Harvey Newman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Giovanni Mancini

Avocat

Confédération des syndicats nationaux

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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