Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20071004

Dossier : IMM-4972-06

Référence : 2007 CF 1000

ENTRE :

EMEBET MELESSE MANE

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

LE JUGE PINARD

 

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision en date du 17 août 2006 par laquelle un agent chargé d’examiner les risques avant le renvoi (l’agent) a rejeté la demande d’asile de la demanderesse.

* * * * * * * *

[2]               La demanderesse est une citoyenne d’Éthiopie. Elle affirme être membre du All Amhara People’s Organization (AAPO) [Organisation de tous les peuples de l'Amhara]. L’AAPO est également connu sous le nom d’All Ethiopian Unity Party (AEUP) [Parti pour l'unité de tous les Éthiopiens]. Elle affirme qu’elle et son mari en étaient membres depuis 1992. Son mari a été emprisonné en raison de ses activités au sein de l’AEUP et il est mort en prison en septembre 1994. La maison de la demanderesse a fait l’objet d’une perquisition et des documents politiques ont été saisis. Elle affirme que les autorités les ont violentées, elle et ses deux filles, et elle ajoute qu’elle a été interrogée et détenue pendant environ une semaine.

 

[3]               La demanderesse affirme également qu’elle a participé, aux États-Unis et au Canada, à des manifestations et à d’autres activités dirigées contre le gouvernement éthiopien et que ces activités l’ont mise en danger parce que le gouvernement éthiopien surveille les activités politiques qui se déroulent à l’étranger.

 

[4]               La demanderesse a d’abord demandé l’asile aux États-Unis. Les autorités américaines n’ont pas cru son histoire en 1997. Elle a passé six ans aux États-Unis avant de venir au Canada.

 

[5]               La demanderesse a demandé l’asile au Canada en 2003. Sa demande a également été refusée pour des raisons de crédibilité. Plus précisément, la Commission n’a pas cru qu’elle était membre de l’AEUP. La Commission a également constaté qu’il y avait des contradictions entre la demande américaine et la demande canadienne de la demanderesse.

* * * * * * * *

[6]               La présente affaire soulève les questions suivantes :

-         L’agent a-t-il commis une erreur dans son examen de la revendication de statut de réfugié sur place de la demanderesse?

 

-         L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que la demanderesse aurait dû chercher à obtenir la protection de l’État en Éthiopie?

 

-         L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que le fait que la demanderesse avait passé six ans aux États-Unis démontrait qu’elle ne craignait pas de retourner en Éthiopie?

 

* * * * * * * *

Réfugié sur place

 

[7]               Suivant l’alinéa 113a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), l’agent n’est tenu d’examiner que les éléments de preuve survenus depuis l’audience concernant le statut de réfugié ou les éléments de preuve qui n’étaient alors pas normalement accessibles.

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

 

 

[8]               L’examen de l’ensemble de la preuve démontre que la demanderesse n’a jamais soulevé auparavant la question de la persécution en tant que réfugiée sur place du fait de ses activités au Canada. En conséquence, sa revendication de statut de réfugié sur place constitue une « nouvelle demande ». Dans sa demande d’examen des risques avant le renvoi, elle assimile son risque à celui qui est expliqué dans le formulaire de renseignements personnels (FRP) qu’elle a soumis à la Section de la protection des réfugiés (la SPR). Elle ajoute toutefois ce qui suit : [traduction] « De plus, j’ai été active sur le plan politique au Canada […] » (non souligné dans l’original). À la lecture tant du FRP de la demanderesse que de la décision de la SPR, rien ne permet de penser que la demanderesse a présenté une revendication de statut de réfugié sur place au cours de son audience sur le statut de réfugié. À l’époque, elle ne se trouvait pas au Canada depuis longtemps, et il semble que ses activités et les manifestations auxquelles elle a participé soient postérieures à son audience sur le statut de réfugié. La revendication de statut de réfugié sur place constitue donc un nouvel élément de preuve portant sur la crainte de persécution de la demanderesse.

 

[9]               La question à se poser est donc celle de savoir si la situation de la demanderesse permet de qualifier celle-ci de réfugiée sur place. Premièrement, la demanderesse a fourni certains éléments de preuve au sujet des manifestations auxquelles elle a participé. Il ne semble pas que l’agent ait tiré une conclusion déraisonnable en estimant que les photos produites par la demanderesse avaient une faible valeur probante. En examinant les photos, je n’ai pas réussi à identifier la demanderesse ou à déterminer l’objet de la manifestation avec suffisamment de précision pour établir un lien entre la manifestation et la demande d’asile de la demanderesse. Si, comme la demanderesse l’affirme, les photos ont été produites pour corroborer ses activités politiques au Canada, elles devraient alors permettre de l’identifier comme manifestante ou de connaître l’objet de la manifestation. Or, les photos ne permettent pas de confirmer ces éléments.

 

[10]           Il serait peut-être exagéré de dire que les photos soumises par la demanderesse en l’espèce appuient sa preuve. Les photos établissent seulement que des manifestations ont été organisées à Ottawa au sujet des mauvais traitements infligés à des Éthiopiens par le gouvernement éthiopien. La conclusion de l’agent suivant laquelle les photos en question avaient une faible valeur probante n’était par conséquent pas déraisonnable.

 

[11]           Cependant, la lettre de Bishu Mamo, de l’All Ethiopia Unity Cultural and Relief Organization [Organisation culturelle et de secours pour l’unité de tous les Éthiopiens] (la succursale canadienne de l’AEUP, selon une publication du 3 juin 2004 de la CISR, à la page 69) confirme la présence de la demanderesse lors de manifestations de soutien aux personnes tuées par le gouvernement à Addis-Abeba. Cette lettre confirme par ailleurs la présence régulière de la demanderesse aux réunions de cette organisation. Les lettres de ses filles et de la personne qui a payé son cautionnement permettent de penser que les membres de sa famille et ses proches continuent d’être persécutés en raison de leur adhésion à cette organisation. Les lettres en question corroborent sa version des faits sur ce point.

 

[12]           Par ailleurs, suivant les renseignements fournis par le distributeur de nouvelles Andrenet au sujet d’une manifestation, les manifestants protestaient contre les violences et les atrocités dont des Éthiopiens étaient victimes de la part du gouvernement éthiopien à la suite de certains problèmes électoraux. On y mentionne expressément la Coalition for Unity and Democracy (CUD) [Coalition pour l’unité et la démocratie] et les comités conjoints d’Ottawa et de Toronto des United Ethiopian Democratic Forces (UEDF) [Forces démocratiques éthiopiennes unies] (bien que leur rôle ne soit pas précisé). L’AEUP est un des partis de la coalition CUD, selon le rapport du Département d’État des États-Unis (le rapport du Département d’État).

 

[13]           Enfin, comme l’agent n’a jamais mis en doute la crédibilité de la demanderesse, il est logique de présumer qu’il a cru sa version des faits. Il semble que l’agent ait à tout le moins cru que la demanderesse avait participé aux manifestations.

 

[14]           En somme, il semble que malgré la faible valeur probante des photos soumises par la demanderesse, cette dernière ait établi qu’elle avait pris part à des manifestations organisées contre le gouvernement éthiopien, en tant que membre de la branche canadienne de l’AEUP. La dernière étape consiste à évaluer la preuve soumise par la demanderesse pour déterminer si le gouvernement éthiopien persécute les membres de l’AEUP et s’il persécute ceux qui manifestent à l’étranger.

 

[15]           Il ressort à l’évidence de la preuve documentaire que le gouvernement éthiopien persécute présentement des groupes minoritaires d’opposition. Suivant le Rapport du Département d’État américain, [traduction] « au cours de la période ayant suivi les élections, les autorités ont détenu arbitrairement, battu et tué des membres de l’opposition, des minorités ethniques, des travailleurs d’ONG, de même que des journalistes ». Le Rapport du Département d’État précise par ailleurs que des personnes appartenant à l’AEUP/CUD ont été tuées pour des motifs d’ordre politique en 2005. Certains de ces assassinats étaient le fait de la milice armée, alors que d’autres étaient attribuables à la police. De nombreuses disparitions ont également été signalées, dont certaines étaient imputables aux violences qui avaient eu lieu lors des élections. Les détenus étaient exposés à des risques de torture. Le Rapport du Département d’État note expressément que les autorités n’auraient pris aucune mesure contre les membres de la police ou de la milice qui étaient responsables des passages à tabac et des agressions survenus en 2004, notamment contre les membres de l’opposition de l’AEUP. Des gens étaient brutalisés lors des manifestations. Il est incontestable que le gouvernement tolère la détention des membres des partis d’opposition, y compris de la coalition CUD. Le Rapport du Département d’État déclare expressément que [traduction] « les autorités n’ont pris aucune mesure contre les milices pro-gouvernementales de la région d’Amhara, les autorités régionales et les policiers qui avaient détenu arbitrairement des membres de l’AEUP en avril et en mai 2004 […] » Ces éléments de preuve sont repris par plusieurs autres sources, y compris Amnistie Internationale et Human Rights Watch.

 

[16]           Dans son rapport, M. Gilkes affirme sans ambages que la personne qui, à l’étranger, militerait sur le plan politique contre le parti au pouvoir risquerait d’être persécutée en Éthiopie. Voici ce qu’il écrit :

[traduction]

5.     À cet égard, je tiens à signaler que les autorités de l’EPRDF [Ethiopian People’s Revolutionary Democratic Front – Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien] à Addis-Abeba seraient certainement au courant des activités de l’AAPO au Canada ou aux États-Unis. Une des principales fonctions du personnel de l’ambassade éthiopienne est de surveiller de près toute activité d’opposition, de participer à toutes les manifestations et assemblées publiques, de noter et de consigner les opinions exprimées et d’en identifier les auteurs. Il arrive parfois, ainsi que j’ai pu l’observer ici même à Londres, que les manifestations soient filmées. Les renseignements recueillis sont transmis à Addis-Abeba. En Amérique du Nord, le contrôle général de ces activités relève de l’ambassade de l’Éthiopie à Washington. On peut mesurer l’importance accordée à ces activités en tenant compte du fait qu’un fonctionnaire d’un rang aussi élevé que celui d’administrateur général de la Sûreté fédérale, qui est chargé de la sécurité interne, avait été dépêché à Washington il y a quelques années pour surveiller le déroulement de ces activités. Il a par la suite été envoyé à Londres pour une mission analogue. Toute personne qui est impliquée dans des mouvements d’opposition comme l’AAPO peut s’attendre à ce que ses opinions soient retransmises à Addis-Abeba.

 

 

[17]           M. Gilkes signale de plus que [traduction] « rien n’indique que ces faits permettent de conclure que cette personne occupe un poste quelconque au sein de l’organisation, seulement qu’elle en est membre. Le gouvernement de l’EPRDF est manifestement au courant des activités de l’opposition à l’étranger et les surveille de près ». Cette lettre établit donc que la demanderesse pourrait être exposée au risque d’être persécutée en raison de ses agissements au Canada.

 

[18]           La lettre de M. Gilkes a été écrite en 2001. Toutefois, comme la revendication de statut de réfugié sur place est une nouvelle demande, il n’aurait pas été raisonnable que la demanderesse la présente au cours de l’examen de sa demande d’asile. Le témoignage de M. Gilkes tombe par conséquent sous le coup des dispositions de l’alinéa 113a) qui permettent l’examen d’éléments de preuve « qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il[s soient] présentés ».

 

[19]           L’agent n’a abordé ni la lettre de M. Gilkes ni les éléments de preuve se rapportant à la situation du pays qui contredisaient les éléments favorables relevés dans les décisions. Pour cette raison, la décision de l’agent est déraisonnable. Ces éléments de preuve revêtent une importance capitale quant au sort de la revendication de statut de réfugié sur place de la demanderesse et, pour cette raison, c’était une erreur de la part de l’agent de ne pas même faire mention des éléments de preuve contradictoires. Ainsi que la demanderesse le souligne, le jugement Cepeda-Gutierrez c. Canada (M.C.I.) (1998), 157 F.T.R. 35, est abondamment cité à l’appui de la proposition que, lorsqu’il existe des éléments de preuve contradictoires se rapportant directement aux questions qui le préoccupe, l’agent doit les examiner. Aux paragraphes 16 et 17, le juge Evans explique :

 

[…] Une simple déclaration par l'organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l'ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l'organisme a analysé l'ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

 

     Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

 

 

 

[20]           Dans le jugement King c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 774, au paragraphe 15, le juge O’Keefe a estimé que le commissaire avait commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve contraires contenus dans un document qu’il citait, comme c’est le cas en l’espèce, et en ne citant pas les éléments de preuve présentés par la demanderesse. L’agent a donc de toute évidence commis une erreur dans son examen de la revendication de statut de réfugié sur place de la demanderesse. L’agent a commis une erreur même si la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable.

 

Protection de l’État

[21]           La conclusion de l’agent au sujet de la possibilité de se réclamer de la protection de l’État est également erronée. Dans l’arrêt Jeremy Hinzman et autre c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CAF 171, la Cour d’appel fédérale déclare ce qui suit, au paragraphe 54 :

[…] la présomption de protection étatique décrite dans Ward s’applique autant dans les cas où une personne prétend craindre d’être persécutée par des entités non étatiques que dans les cas où l’État serait le persécuteur. Cette présomption est d’autant plus applicable quand l’État d’origine est un pays démocratique comme les États‑Unis. Nous devons respecter la capacité des États‑Unis de protéger les convictions profondes de ses citoyens. Le Canada ne peut accorder l’asile à un demandeur que s’il est prouvé de façon claire et convaincante qu’aucune protection n’était offerte ou qu’elle était inefficace au point où la conduite de l’État constituait de la persécution.

 

 

[22]           Dans le cas qui nous occupe, l’agent de persécution est le niveau le plus élevé de l’État, l’élite politique au pouvoir et les personnes qui se trouvent dans une situation semblable sont de toute évidence victimes de persécution, d’après la preuve documentaire. Ce qui est en cause ici, c’est le conflit qui oppose des partis politiques et la domination par la violence d’un parti sur l’autre, une situation qui a conduit à la persécution des membres des coalitions formées des partis qui ne sont pas au pouvoir, et ce du fait de leurs opinions politiques.

 

[23]           Qui plus est, la lettre écrite par les deux filles de la demanderesse précise que le frère de la demanderesse risque maintenant d’être persécuté du fait de ses affiliations politiques. La lettre écrite par la voisine démontre que cette dernière s’expose à la persécution du fait de ses rapports avec la demanderesse, à une époque aussi récente que 2004. Autrement dit, les personnes se trouvant dans une situation semblable sont persécutées.

 

[24]           De même, la suggestion du défendeur suivant laquelle l’Ethiopian Human Rights Council [Conseil des droits de la personne de l’Éthiopie] et d’autres organisations non gouvernementales semblables (ONG) étaient en mesure de protéger la demanderesse de l’appareil de l’État n’est pas raisonnable. Même s’il s’agissait de voies de recours légitimes permettant d’obtenir la protection de l’État, ce qui est en soi douteux, ces voies de recours ne sont habituellement mentionnées que lorsque l’État n’est pas capable d’assurer la protection de ses ressortissants ou lorsque la question qui se pose est celle de la complicité de l’État, et non lorsque l’État est l’agent de persécution. Qui plus est, l’agent n’a jamais cherché à prétendre que des ONG ou des organisations de défense des droits de la personne offriraient leur protection. Le défendeur soutient catégoriquement dans son mémoire des faits et du droit que cette voie de recours était ouverte à la demanderesse.

 

[25]           La thèse du défendeur est encore moins raisonnable à la lumière des éléments de preuve documentaire démontrant que des enquêteurs du Conseil des droits de la personne de l’Éthiopie ont eux-mêmes été persécutés pour cause d’intervention politique. Le rapport de Human Rights Watch du 15 juin 2005 nous apprend en effet que trois enquêteurs du Conseil des droits de la personne de l’Éthiopie ont été arrêtés et détenus alors qu’ils cherchaient à recueillir des renseignements au sujet de l’arrestation de partisans du CUD. La BBC et Amnistie Internationale ont signalé que six membres du Conseil avaient été arrêtés.

 

[26]           Le défendeur cite aussi d’autres organismes qui font partie de l’appareil de l’État, mais l’agent n’a jamais expliqué pourquoi ils constitueraient des voies de recours légitimes permettant d’obtenir une protection. Par exemple, il semble, à la lecture de la preuve documentaire, que le Commissaire de police fédéral joue un rôle capital en ce qui concerne la détention des partisans du CUD.

 

Crainte subjective et retard à quitter les États-Unis

[27]           L’argument de la demanderesse sur ce point est convaincant. En tout premier lieu, le retard à quitter les États-Unis n’est de toute évidence pas pertinent lorsqu’il s’agit d’examiner la revendication de statut de réfugié sur place.

 

[28]           Deuxièmement, l’agent a simplement dit que le retard à quitter les États-Unis permettait de conclure à une absence de crainte. Le défendeur affirme catégoriquement que ce retard démontrait une absence de crainte parce que la demanderesse aurait tenté de régulariser sa situation si elle avait vraiment eu peur d’être renvoyée. C’est le raisonnement du défendeur, et non celui de l’agent. L’affirmation de l’agent que le retard à quitter les États-Unis permettait de conclure à une absence de crainte n’est pas raisonnable. La jurisprudence est constante sur ce point : le retard à revendiquer le statut de réfugié peut être considéré comme une preuve d’absence de crainte. Cependant, la demanderesse n’a pas tardé à revendiquer le statut de réfugié, que ce soit à son arrivée au Canada ou lorsqu’elle se trouvait aux États-Unis. La demanderesse a plutôt décidé de ne pas quitter les États‑Unis pour rentrer en Éthiopie après avoir été débouté de sa demande d’asile et ce, indépendamment de son statut. Ces faits démontrent en réalité davantage l’existence d’une crainte, s’ils démontrent quoi que ce soit.

 

[29]           Troisièmement, dans son FRP, la demanderesse parle du temps qu’elle a passé aux États‑Unis sans statut. Elle signale qu’elle était sidérée lorsque sa demande d’asile a été refusée aux États-Unis et elle ajoute qu’elle craignait de retourner en Éthiopie. Une église lui a toutefois trouvé une famille accueillante chez qui elle pouvait habiter. Malheureusement, elle a par la suite habité chez des gens inhospitaliers. C’est alors qu’un prêtre lui a fait savoir qu’elle pouvait réussir à obtenir l’asile au Canada. Elle a présenté sans délai une demande d’asile au Canada, ce qui là encore témoigne de l’existence d’une crainte de sa part.

 

[30]           Ne disposant donc d’aucune autre explication sur les raisons pour lesquelles son comportement permettrait de penser qu’elle n’avait pas de crainte, je suis d’avis que la conclusion de l’agent est déraisonnable. Je répète que même si la norme applicable était celle de la décision manifestement déraisonnable, la conclusion de l’agent est quand même erronée.

 

* * * * * * * *

 

[31]           Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée pour être réexaminée par un autre agent d’examen des risques avant le renvoi.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 4 octobre 2007

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                              IMM-4972-06

 

INTITULÉ :                                             EMEBET MELESSE MANE c.

                                                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     LE 11 septembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                  LE JUGE PINARD

 

DATE DES MOTIFS :                            LE 4 octobre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Douglas Lehrer                                                       POUR LA DEMANDERESSE

 

Janet Chisholm                                                       POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Vander Vennen Lehrer                                           POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.