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Date : 20070926

Dossier : T-762-06

Référence : 2007 CF 964

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa, Ontario, le 26 septembre 2007

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE

BAYER HEALTHCARE AG et

BAYER INC.

 

demanderesses

défenderesses reconventionnelles

 

et

 

SANDOZ CANADA INCORPORATED

défenderesse

demanderesse reconventionnelle

 

 

MOTIFS POUR ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’un appel de la défenderesse, Sandoz Canada Incorporated (Sandoz), d’une ordonnance (l’ordonnance) datée du 19 mars 2007 du protonotaire Lafrenière, qui a accordé une requête déposée par la partie demanderesse, Bayer Healthcare AG et Bayer Inc. (Bayer) en vue de faire radier les paragraphes 24, 25, 26 et 27 de la défense de Sandoz.

 

[2]               Sandoz a prétendu que le brevet canadien 1,282,006 (le « brevet 006 ») est invalide pour un certain nombre de motifs. Sandoz a prétendu aux paragraphes 24 à 27 de la défense que certaines revendications ont une portée plus vaste que l’invention divulguée. En formulant cette prétention, Sandoz a invoqué les déclarations de l’inventeur présentées lors de l’instruction d’une demande de brevet américain.

 

[3]               Les paragraphes 24 à 27 de la défense sont rédigés dans les termes suivants :

[traduction]

 

24.       Les revendications 1, 2, 3, 4, 5, 6, 8, 9, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36 et 27 du brevet 006 couvrent des solutions pour perfusion renfermant 1 mole d’acide lactique à 1 mole de ciprofloxacin (ci‑après « revendications molaires 1 pour 1). Les revendications couvrant les solutions pour perfusion renfermant 1 mole d’acide lactique à 1 mole de ciprofloxacin (« équimolaires ») ou moins d’une mole d’acide lactique à une mole de ciprofloxacin (« sous-équimolaire ») sont plus vastes que l’invention faite ou divulguée.

 

25.       Dans une déclaration datée du 18 avril 1989, l’inventeur désigné, Peter Serno, a indiqué que l’invention n’était pas liée aux solutions ayant un ratio équimolaire ou sous‑équimolaire de ciprofloxacin par rapport à l’acide lactique :

 

5.         Je suis au courant de l’article de Gert Höffken et al., Pharmacokinetics of Ciprofloxacin after Oral and Parenteral Administration publié dans Antimicrobial Agents And Chemotherapy, mars 1985, p. 375 à 379;  

 

[…]

 

7.         Par suite des résultats de ces tests, je tire les conclusions suivantes :

 

Höffken décrit les solutions de lactate de ciprofloxacin dans une solution de chlorure de sodium physiologique. Le rapport molaire du ciprofloxacin par rapport à l’acide lactique est donc de 1.

 

La concentration de lactate de ciprofloxacin concentration dans les solutions de Höffken est déjà près de la limite de solubilité à la température de la pièce. Par conséquent, au cours des tentatives répétées de préparer les formules, celles obtenues sont encore claires, dans certains cas, mais, dans d’autres cas, elles affichent une turbidité en fonction des lots de ciprofloxacin et d’acide lactique utilisés et des autres conditions limitatives (tableau 1).

 

Il était surprenant de constater, et une personne qualifiée n’aurait pu le prévoir, que les problèmes de solubilité, qui était également inhérents dans les solutions de Höffken, pouvaient être éliminés en ajoutant un excédent d’une acide toléré sur le plan physiologique.

 

26.       En outre, à la date de la déclaration du 18 avril 1989, les inventeurs désignés avaient seulement démontré que le rapport molaire de 1,33 pour 1 (mole d’acide lactique par rapport une mole de ciprofloxacin) fournissait la solution stable. En conséquence, les revendications 7, 10, 22 et 23 qui comprennent dans la portée des rapports molaires inférieurs à 1,33 pour 1, sont également plus vastes que l’invention faite ou divulguée.

 

27.       Ainsi, les revendications molaires de 1 pour 1 et les revendications 7, 10, 22 et 23 sont plus vastes que l’invention faite par les inventeurs désignés.

 

 

 

[4]               La norme de contrôle à appliquer aux ordonnances discrétionnaires des protonotaires a été établie par la Cour d’appel fédérale dans Merck & Co. et al. c. Apotex Inc. (2003), 30 R.P.C. (4e) 40, aux paragraphes 17 à 20.

17.       Le tribunal, dans Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.F.), a exposé la norme de contrôle à appliquer aux ordonnances discrétionnaires des protonotaires dans les termes suivants :

 

Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans c. Bartlam, (1937) A.C. 473 (H.L.) à la page 484, et par le juge Lacoursière, J.C.A., dans Stoicevski c. Casement (1983), 43 O.R. (Cr div.), les ordonnances discrétionnaires des protonotaires ne doivent pas être modifiées par un juge saisi d’un appel sauf :

 

a) l’ordonnance est entachée d’erreurs flagrantes, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’une mauvaise appréciation des faits,

 

b) l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal.

 

 

Si l’ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l’affaire depuis le début. Le juge MacGuigan, aux pages 462 et 463. Note infra-paginale omise.

 

 

18.       Le juge MacGuigan poursuit, aux pages 464 et 465, en expliquant que la décision de savoir si une question a une influence déterminante sur l’issue du principal doit être faite sans égard à la réponse réelle donnée par le protonotaire :

 

 

Il me semble qu’une décision qui peut être ainsi soit interlocutoire soit définitive selon la manière dont elle est rendue, même si elle est interlocutoire en raison du résultat, doit néanmoins être considérée comme déterminante pour la solution définitive de la cause principale. Autrement dit, pour savoir si le résultat de la procédure est un facteur déterminant de l’issue du principal, il faut examiner le point à trancher avant que le protonotaire ne réponde à la question, alors que, pour savoir si la décision est interlocutoire ou définitive (ce qui est purement une question de forme), la question doit se poser après la décision du protonotaire. Il me semble que toute autre approche réduirait la question de fond de l’« influence déterminante sur l’issue du principal » à une question purement procédurale de distinction entre une décision interlocutoire et une décision définitive, et protégerait toutes les décisions interlocutoires contre les attaques (sauf le cas d’erreurs de droit).

 

 

C’est probablement pourquoi, selon moi, il utilise les mots « l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal », plutôt que « l’ordonnance a une influence déterminante sur l’issue du principal ». L’accent est mis sur le sujet des ordonnances et non sur leur effet. Dans un cas comme celui de l’espèce, la question à se poser est de savoir si les modifications proposées sont en soi déterminantes, qu’elles soient ou non autorisées. Si elles sont déterminantes, le juge doit exercer son pouvoir discrétionnaire en reprenant l’affaire depuis le début.

 

19.       Dans le but d’éviter la confusion que nous voyons parfois découler du choix des termes employés par le juge MacGuigan, je pense qu’il est approprié de reformuler légèrement le critère de la norme de contrôle. Je saisirai l’occasion pour renverser l’ordre des propositions initiales pour la raison pratique que le juge doit logiquement trancher d’abord la question de savoir si les questions sont déterminantes pour l’issue de l’affaire. Ce n’est que quand elles ne le sont pas que le juge a effectivement besoin de se demander si les ordonnances sont clairement erronées. J’énoncerais le critère comme suit :

 

Le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

 

a)  l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal,

 

b) l’ordonnance est entachée d’erreurs flagrantes, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.

 

 20.      Au sujet du critère à appliquer pour notre Cour déposé en appel de la décision d’un juge, la Cour suprême du Canada, dans Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Line N.V. (2003), 224 D.L.R. (4e) 577, a conclu au paragraphe 18 que la Cour d’appel fédérale ne peut intervenir que si le juge des requêtes « n’avait aucun motif de modifier la décision du protonotaire ou, advenant l’existence de tels motifs, si la décision du juge était mal fondée ou qu’elle était manifestement erronée ».

 

[5]           La Cour, dans Distrimedic Inc. c. Dispill Inc., [2006] A.C.F. no 1532 (C.F. 1re inst.) et dans Zambon Group S.P.A. c. Teva Pharmaceutical Industries Ltd. (2005), 44 R.P.C. (4e) 173 (CF), a mentionné qu’une décision visant la radiation de certains paragraphes d’une défense et d’une demande reconventionnelle est déterminante sur l’issue du principal. Je suis d’accord et je dois donc exercer mon propre pouvoir discrétionnaire pour reprendre l’affaire depuis le début.

 

[6]               On peut lire ce qui suit dans la décision du protonotaire :

[traduction]

 

La partie défenderesse fait valoir que les déclarations effectuées dans le cadre de poursuites de demandes équivalentes de brevet dans d’autres pays peuvent être pertinentes quant aux questions relatives à l’invention de l’inventeur. Cette vaste proposition n’est appuyée par aucune jurisprudence et elle omet de tenir compte de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Free World Trust c. Electro Santé Inc., 2000 CSC 66, qui statue que les dossiers des demandes de brevet, notamment les observations par les inventeurs, ne sont pas admissibles au Canada aux fins de considération au titre de demandes de brevet. La Cour suprême du Canada a reconnu que, dans certaines circonstances, l’historique des poursuites pourrait être pertinent, mais seulement à des fins autres que la définition de la portée de l’octroi d’un monopole. Le juge Blais est parvenu à la même conclusion dans Novartis AG c. Apotex Inc. (2001), 15 R.P.C. (4e). 417, aux paragraphes 77 à 86.

 

Les allégations figurant aux paragraphes 24 à 27 de la défense et la demande reconventionnelle sont fondées uniquement sur la déclaration de l’inventeur tirée de l’historique du fichier des États‑Unis. Lors de l’étude des paragraphes contestés de la défense et la demande reconventionnelle et de l’utilisation proposée de la déclaration de l’inventeur à cet égard, je conclus que cette dépendance contrevient aux instructions claires de la Cour suprême du Canada dans Free World Trust. Je suis donc convaincu qu’il soit clair et évident que les paragraphes 24, 25, 26 et 27 de la défense et la demande reconventionnelle ne constituent pas une défense raisonnable et qu’elles doivent être radiées.

 

LA COUR STATUE que :

 

1.         Les paragraphes 24, 25, 26 et 27 de la défense et la demande reconventionnelle sont par la présente radiés, avec une autorisation de les modifier, à condition que la modification ne contrevienne pas aux motifs de la présente ordonnance.

 

2.         La défenderesse/demanderesse reconventionnelle doit signifier et déposer sa défense et demande reconventionnelle modifiée dans les dix jours du prononcé de la présente ordonnance.

 

3.         La demanderesse/défenderesse reconventionnelle doit signifier et déposer sa réponse à la défense et demande reconventionnelle modifiées dans les dix jours de la signification de la défense et demande reconventionnelle modifiée par la défenderesse/demanderesse reconventionnelle.

 

4.         Les dépens de cette requête sont fixés à 1 000 $ et sont accordés à la demanderesse/demanderesse reconventionnelle sans égard à l’issue de l’instance.

 

[7]               Principes généraux de la radiation d’actes de procédure

            L’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/2004-283 précise ce qui suit :

221.(1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

 

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

 

 

[…]

 

Elle peut aussi ordonner que l’action soit rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

 

221.(1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

 

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

 

. . .

 

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

 

 

[8]               Il est généralement reconnu que le critère à appliquer pour radier un acte de procédure consiste à se demander s’il est évident et manifeste que la demande ne divulgue aucune cause raisonnable d’action ou, dans la présente affaire, une défense (voir Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959). Dans Eli Lily and Co. et al. c. Apotex Inc. (1998), 80 C.P.R. (3e) 86 (C.F. 1re inst.), le juge Richard a dit, au paragraphe 10 :

[traduction]

 

La Cour ne radie un acte de procédure que dans les cas évidents et manifestent qui ne soulèvent aucun doute (Canada (Procureur général) c. Inuit Tapirisat et autres, [1980] 2 R.C.S.. 735; Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S 441; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959).

 

[9]               En l’espèce, Sandoz compte sur les déclarations de l’inventeur faites au cours de la poursuite d’une demande de brevet américain afin d’indiquer que certaines revendications de brevet sont plus vastes que l’invention divulguée.

 

[10]           Selon Hughes and Woodley on Patents, deuxième édition (Markham, Ontario : LexisNexis, 2005), au paragraphe 25 :

[traduction]

 

2.         La divulgation

 

Le paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets est au cœur de tout le système de brevet. La description de l’invention fournie aux présentes est la contrepartie pour laquelle l’inventeur a reçu un monopole sur l’invention pendant un certain nombre d’années limité; cela vise à offrir au public des détails adéquats pour qu’un ouvrier, versé dans l’art auquel l’invention appartient, puisse construire ou exploiter l’invention après la fin du monopole. Essentiellement, ce qui doit figurer dans le mémoire descriptif (qui comprend à la fois la divulgation et les revendications) c.-à-d., la partie descriptive de la demande de brevet, et les revendications ainsi que la façon de la produire ou de la construire, à laquelle s’ajoute une ou plusieurs revendications qui exposent les aspects nouveaux pour lesquels le demandeur demande un droit exclusif. La Loi exige que le demandeur présente un mémoire descriptif, y compris la divulgation et les revendications par lesquelles tout ce qui est essentiel au bon fonctionnement de l’invention est divulgué. Pour être complet, le mémoire doit respecter deux conditions : l’invention doit y être décrite et la façon de la produire ou de la construire; il doit définir la nature de l’invention et décrire la façon de la mettre en activité. Le défaut de définir la première condition le rend invalide pour cause d’ambiguïté; le défaut de respecter la deuxième condition le rend invalide pour cause d’insuffisance. Le mémoire descriptif doit être suffisamment complet pour permettre à une personne compétente versée dans l’art de produire l’invention seulement à l’aide de la divulgation du brevet.

 

[11]           La partie du mémoire descriptif du brevet doit indiquer et décrire l’invention et définir la façon de la produire ou de la construire. En outre, elle doit définir la nature de l’invention et décrire la façon de la mettre en activité.

 

[12]           Les revendications sont une autre partie du mémoire descriptif. Le paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets, L.R., ch. P-4, précise que « Le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif ».

 

[13]           La Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit dans Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] A.C.S. no 68, aux paragraphes 42 et 43 :

42. Le contenu du mémoire descriptif d’un brevet est régi par l’art. 34 de la Loi sur les brevets. La première partie est une « divulgation » dans laquelle le breveté doit fournir une description de l’invention « comportant des détails assez complets et précis pour qu’un ouvrier, versé dans l’art auquel l’invention appartient, puisse construire ou exploiter l’invention après la fin du monopole ». Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, au par. 517. La divulgation est ce que l’inventeur fournit en contrepartie d’un monopole de 17 ans (maintenant 20 ans) sur l’exploitation de l’invention. On peut faire respecter le monopole au moyen de toute une gamme de recours en droit et en equity, de sorte qu’il importe que le public sache ce qui est interdit et ce qu’il peut faire sans risque lorsque le brevet est encore en vigueur. Les revendications qui concluent le mémoire descriptif servent d’avis public et doivent énoncer « distinctement et en termes explicites les choses ou combinaisons que le demandeur considère comme nouvelles et dont il revendique la propriété ou le privilège exclusif » (par. 34(2)). Un inventeur n’est pas tenu de revendiquer un monopole sur tous les éléments nouveaux, ingénieux et utiles dans le mémoire descriptif. La règle habituelle est que ce qui n’est pas revendiqué est considéré comme une renonciation.

 

43. La première étape dans une action en contrefaçon de brevet est donc d’interpréter les revendications. L’interprétation des revendications est antérieure à la considération des questions portant sur la validité et la contrefaçon. L’argument des appelants est que ces deux enquêtes – validité et contrefaçon – sont distinctes et que, si les principes de l’« interprétation utilitaire » découlant  de Catnic doivent être adoptés, ils doivent être adéquatement délimités aux questions de contrefaçon seulement. Le principe de  l’« interprétation utilitaire », dit-on, ne joue aucun rôle dans la détermination de la validité et son application erronée est fatale pour le jugement faisant l’objet de l’appel.

 

[14]           Dans Free World Trust c. Électro Santé Inc.,. 2000 A.C.S. no 67, la Cour suprême du Canada a dit ce qui suit aux paragraphes 64, 65, 66 et 67 :

64. Au Canada, la préclusion fondée sur les notes apposées au dossier a été énergiquement rejetée par le président Thorson dans Lovell Manufacturing Co. c. Beatty Bros. Ltd. (1962), 23 Fox Pat. C. 112 (C. de l’É.), et la Cour fédérale du Canada a généralement confirmé au fil des ans l’irrecevabilité des notes apposées sur l’enveloppe du dossier aux fins de l’interprétation des revendications. Voir p. ex. P.L.G. Research Ltd. c. Jannock Steel Fabricating Co. (1991), 35 C.P.R. (3d) 346 (C.F. 1re inst.), à la p. 349. Aucune distinction n’est établie à cet égard entre une affaire portant sur une allégation de contrefaçon textuelle et une affaire relative à la contrefaçon de l’essentiel du brevet.

 

65. L’avocat de Procter & Gamble Inc. fait valoir que des éléments de preuve liés à l’examen de la demande de brevet devraient être recevables dans certaines circonstances pour que l’interprétation des revendications soient cohérente ici et aux États‑Unis, d’où proviennent de nombreux brevets canadiens. Cette proposition jouit d’un certain appui de la part d’autres praticiens d’expérience (p. ex. D. W. Scott, «The Record of Proceedings in the Patent Office in Canada & Foreign Countries as Evidence in Infringement & Validity Contests» (1985-86), 2 R.C.P.I. 160). On avance que la mention de l’intention de l’inventeur dans Catnic et O'Hara, précités, entrouvrirait la porte à un éventuel réexamen de la question.

 

66. J’estime que, dans ces affaires, l’intention de l’inventeur renvoie à l’expression objective de cette intention dans les revendications du brevet, selon l’interprétation qui en est faite par une personne versée dans l’art, et non à des éléments de preuve extrinsèque comme des déclarations ou des aveux faits pendant l’examen de la demande de brevet. Autoriser la mise en preuve de tels éléments extrinsèques pour déterminer l’étendue d’un monopole compromettrait le rôle des revendications dans l’information du public et ajouterait à l’incertitude, tout en attisant le brasier déjà intense du contentieux en matière de brevets. La faveur dont jouit actuellement l’interprétation téléogique, qui assure la primauté de la teneur des revendications, paraît également incompatible avec l’ouverture de la boîte de Pandore que serait la préclusion fondée  sur les notes apposées au dossier. Lorsque des observations importantes lui sont présentées concernant la portée des revendications, le Bureau des brevets devrait exiger, si besoin est, qu’une modification soit apportée en conséquence aux revendications.

 

67. Il ne s’ensuit pas que l’examen de la demande de brevet ne puisse jamais être pertinent pour une autre fin que celle de définir l’étendue du monopole accordé : Foseco Trading A.G. c. Canadian Ferro Hot Metal Specialties Ltd. (1991), 36 C.P.R. (3d) 35 (C.F. 1re inst.), à la p. 47. Notre Cour ne se prononce toutefois pas à ce sujet, car la question n’est pas soulevée en l’espèce.

 

 

[15]           La Cour a aussi déclaré ce qui suit dans Free World Trust, au paragraphe 31 :

31. Le présent pourvoi soulève donc la question fondamentale de la démarche qui s’impose pour arbitrer « contrefaçon textuelle » et « contrefaçon de l’essentiel du brevet » de façon à obtenir un résultat juste et prévisible. D’innombrables débats ont eu lieu à ce sujet au Canada et ailleurs dans le monde; j’en ferai état brièvement à l’appui des propositions suivantes :

 

a)  La Loi sur les brevets favorise le respect de la teneur des revendications.

 

b)  Le respect de la teneur des revendications favorise à son tour tant l’équité que la prévisibilité.

 

c)  La teneur d’une revendication doit toutefois être interprétée de façon éclairée et en fonction de l’objet.

 

d)  Ainsi interprétée, la teneur des revendications définit le monopole. On ne peut s’en remettre à des notions imprécises comme « l’esprit de l’invention » pour en accroître l’étendue.

 

e)  Suivant une interprétation téléologique, il ressort de la teneur des revendications que certains éléments de l’invention sont essentiels, alors que d’autres ne le sont pas. Les éléments essentiels et les éléments non essentiels sont déterminés:

 

(i)  en fonction des connaissances usuelles d’un travailleur versé dans l’art dont relève l’invention;

 

(ii)  à la date à laquelle le brevet est publié;

 

(iii)  selon qu’il était ou non manifeste, pour un lecteur averti, au moment où le brevet a été publié, que l’emploi d’une variante d’un composant donné ne modifierait pas le fonctionnement de l’invention, ou

 

(iv)  conformément à l’intention de l’inventeur, expresse ou inférée des revendications, qu’un composant en particulier soit essentiel, peu importe son effet en pratique;

 

 

(v)  mais indépendamment de toute preuve extrinsèque de l’intention de l’inventeur.

 

f)  Il n’y a pas de contrefaçon lorsqu’un élément essentiel est différent ou omis.  Il peut toutefois y avoir contrefaçon lorsque des éléments non essentiels sont substitués ou omis.

 

 

 

[16]           Par conséquent, il semblerait que la jurisprudence ne permette pas l’utilisation du type de preuve extrinsèque mentionné par Sandoz dans les paragraphes contestés de la défense.

 

[17]           Il semble que le mémoire descriptif du brevet doit être interprété de la façon décrite par la Cour suprême du Canada afin de déterminer si les revendications sont de portée plus vaste que l’invention divulguée. L’invention divulguée peut être décidée en l’espèce en fonction de la description et du monopole recherché par l’interprétation des revendications.

 

[18]           Au vu de ce qui précède, je suis d’avis que le protonotaire avait raison lorsqu’il a radié les paragraphes 24, 25, 26 et 27 de la défense. Comme l’énonce le juge Richard dans Eli Lily and Co. et al., ci-dessus, au paragraphe 10 : « La Cour ne radie un acte de procédure que dans les cas évidents et manifestent qui ne soulèvent aucun doute [...] ». À mon avis, c’est le cas en l’espèce; les preuves extrinsèques sur lesquelles les paragraphes se fondent ne s’appliquent pas en droit des brevets canadien. Il serait utile de conserver ces paragraphes dans la défense.

 

[19]           L’ordonnance du protonotaire Lafrenière est maintenue et l’appel de Sandoz est rejeté.

 

[20]           Les parties auront dix jours, à compter du prononcé de la présente décision, pour présenter des observations écrites sur les dépens et une autre période de dix jours pour toute réponse.

 

[21]           Sandoz aura quatorze jours à compter de la date de la présente décision pour produire une défense modifiée et une demande reconventionnelle modifiée.

 

[22]           Bayer aura quatorze jours à compter de la date de la signification de la défense modifiée et de la demande reconventionnelle modifiée afin de signifier la réponse à la défense modifiée et à la demande reconventionnelle modifiée.


 

JUGEMENT

 

[23]           IL EST DÉCIDÉ que :

            1.         L’ordonnance du protonotaire Lafrenière est maintenue et l’appel de Sandoz est rejeté.

            2.         Les parties auront dix jours, à compter de la date de la présente décision, pour présenter des observations écrites sur les dépens et une autre période de dix jours pour toute réponse.

            3.         Sandoz aura quatorze jours à compter de la date de la présente décision pour produire une défense modifiée et une demande reconventionnelle modifiée.

            4.         Bayer aura quatorze jours à compter de la date de la signification de la défense modifiée et de la demande reconventionnelle modifiée afin de signifier la réponse à la défense modifiée et à la demande reconventionnelle modifiée.

 

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-762-06

 

INTITULÉ :                                       BAYER HEALTHCARE AG et

                                                            BAYER INC.

 

                                                            - et -

 

                                                            SANDOZ CANADA INCORPORATED

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 mai 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      26 septembre 2007

 

 

COMPARUTION :

 

Me Peter W. Choe

 

POUR LA DEMANDERESSE/DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

 

Me Warren Sprigings

 

POUR LA DÉFENDERESSE/DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

Gowling Lafleur Henderson s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE/DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

Hitchman & Sprigings

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE/DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

 

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