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Date : 20070928

Dossier : IMM-1160-07

Référence : 2007 CF 934

Ottawa (Ontario), le 28 septembre 2007

En présence de Monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

ROBERTO ERNESTO CONTRERAS MENDOZA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur, M. Mendoza, a sollicité le statut de réfugié, mais le ministre l’a déclaré interdit de territoire au motif qu’il était membre d’une organisation criminelle, selon ce que prévoit l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Il s’agit ici d’une demande de contrôle judiciaire déposée à l’encontre de la décision du 8 février 2007 de la Section d’appel de l’immigration (la SAI), annulant la décision d’un membre de la Section de l’immigration (la SI) pour qui M. Mendoza n’était pas interdit de territoire (et était donc admissible). Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

LES FAITS

[2]               M. Mendoza est né le 15 décembre 1974. Il dit qu’il a eu une vie difficile au El Salvador. À l’âge de 16 ans, il a été arrêté et emprisonné pour possession illégale d’une arme. Alors qu’il était en prison, son frère a été tué par des policiers et sa sœur a été violée. Après deux ans passés en prison, il a été blanchi, puis relâché.

 

[3]               Il a alors rencontré des membres de la bande Mara Salvatrucha et s’est joint à cette bande. On ne sait trop si M. Mendoza s’y est joint de son plein gré ou sous la contrainte. Il a fait état de la correction que lui avaient administrée plusieurs membres de la bande pour valoir de rites d’initiation. Il reconnaît que, au cours de la période pendant laquelle il était membre de la bande, il s’était fait faire des tatouages, il avait peint des graffitis, il portait un lance-pierre, il rançonnait les gens dans l’autobus et il assistait aux réunions de l’organisation. Il a démenti avoir personnellement recouru à la violence ou avoir été impliqué directement dans des crimes graves.

 

[4]               On ne sait pas non plus très bien à quel moment il a quitté la bande. Il a dit, au cours de son témoignage devant le membre de la SI, qu’il était devenu mal à l’aise quand il s’était rendu compte que les gens qui ne payaient pas l’argent exigé dans les autobus s’exposaient à des représailles. Il a dit aussi qu’il avait limité ses liens avec la bande après la naissance de sa fille en 1996, mais qu’il lui était impossible de rompre totalement avec la bande et de s’en affranchir sans plus de formalités. M. Mendoza a finalement quitté le El Salvador le 10 mai 2000 pour les États-Unis, où il a vécu et travaillé durant environ deux ans. Il est alors venu au Canada, où il a demandé l’asile.

 

[5]               M. Mendoza dit qu’il craint de retourner dans son pays parce que la bande Mara Salvatrucha le traquerait pour le punir de sa déloyauté envers l’organisation. Il a peur également d’être persécuté par un sous-groupe de policiers pour le rôle qu’il a joué dans l’organisation.

 

[6]               Par décision du 11 avril 2006, un membre de la SI a estimé que M. Mendoza n’était pas membre d’une organisation criminelle au sens de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. Le membre a été convaincu qu’une conclusion favorable à M. Mendoza ne serait pas contraire aux objectifs de la LIPR, que M. Mendoza avait été contraint de se livrer à certaines activités et que lesdites activités ne présentaient pas une gravité telle qu’elles devaient entraîner pour lui une interdiction de territoire. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a fait appel de la décision de la SI devant la SAI, en application du paragraphe 63(5) de la LIPR.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[7]               La SAI a fait droit à l’appel du ministre et substitué sa propre décision à celle de la SI. Invoquant les mots « au moment où il en est disposé [de l’appel] », au paragraphe 67(1) de la LIPR, la SAI a considéré qu’elle avait le pouvoir de reprendre l’instruction depuis le début. En conséquence, les deux parties pouvaient produire les preuves nouvelles qu’elles souhaitaient que la SAI examine. Cependant, M. Mendoza a décidé de ne pas produire de preuves additionnelles. Quant au ministre, il a été autorisé à produire des preuves complémentaires se rapportant uniquement à la bande Mara Salvatrucha.

 

[8]               Pour savoir si M. Mendoza était interdit de territoire en application de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR, la SAI devait s’enquérir si la bande Mara Salvatrucha pouvait être considérée comme une organisation criminelle et si M. Mendoza en était l’un des membres. Quant à la nature de l’organisation, la SAI n’a eu aucune difficulté à dire que la bande Mara Salvatrucha répondait à la définition d’une organisation criminelle durant la période au cours de laquelle M. Mendoza était présumé en avoir été membre. Non seulement le membre de la SI avait-il conclu ainsi, et M. Mendoza avait-il admis qu’il s’agissait d’une organisation criminelle, mais encore la preuve documentaire a convaincu la SAI que cette organisation n’avait qu’un seul objectif, celui de se livrer à des activités criminelles par les moyens qu’elle jugeait opportuns.

 

[9]               Plus difficile était la question de l’appartenance de M. Mendoza à cette organisation. Invoquant le jugement rendu par la Cour fédérale dans l’affaire Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 2 C.F. 642, confirmé à [2001] 2 C.F. 297), la SAI a jugé que le fait d’être considéré comme « membre » d’une organisation criminelle signifie simplement appartenir à cette organisation. La SAI a jugé aussi que la simple appartenance suffit à entraîner l’interdiction de territoire lorsque l’organisation criminelle en cause est déclarée avoir un unique objet, la violence. Quoi qu’il en soit, l’admission par M. Mendoza de sa participation à certaines activités de l’organisation, outre le fait qu’il savait que les gens qui ne payaient pas l’argent exigé dans les autobus pouvaient être violentés, autorisait la conclusion selon laquelle il était membre de la bande Mara Salvatrucha. En conséquence, la SAI a conclu que le membre de la SI avait commis une erreur en se focalisant sur des facteurs comme les objets de la LIPR, le niveau de gravité des activités auxquelles avait été mêlé M. Mendoza, et la contrainte à laquelle il avait pu être soumis.

 

[10]           Finalement, la SAI a rejeté l’allégation de M. Mendoza selon laquelle les fonctionnaires de l’immigration l’avaient intimidé, tout comme son allégation selon laquelle le travail d’interprétation n’avait pas été à la hauteur. Après examen des transcriptions, la SAI est arrivée à la conclusion que, malgré les directives quelque peu autoritaires des fonctionnaires de l’immigration, M. Mendoza avait eu la possibilité de s’expliquer et qu’il avait effectivement fourni des renseignements détaillés en réponse aux questions qui lui étaient posées. De même, la SAI n’a pu trouver aucune preuve montrant que le travail d’interprétation avait été déficient, et ni M. Mendoza ni son avocat n’avaient en tout état de cause évoqué la question à cet égard au moment opportun.

 

LES POINTS LITIGIEUX

[11]           La demande de contrôle judiciaire soulève essentiellement trois points :

·           Quelle est la norme de contrôle qui est applicable?

·           La SAI a-t-elle commis une erreur en concluant qu’elle avait le pouvoir d’instruire à nouveau l’affaire depuis le début?

·           La SAI a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il y avait « des motifs raisonnables de croire » que M. Mendoza était « membre » d’une organisation criminelle?

 

ANALYSE

            A) La norme de contrôle applicable

[12]           Le premier point soulevé par la demande de contrôle judiciaire concerne carrément une question de compétence et intéresse la manière correcte d’interpréter une disposition légale. Pour savoir si la SAI pouvait validement instruire l’appel en reprenant l’affaire depuis le début, la Cour doit interpréter le paragraphe 67(1) de la LIPR, isolément ou en même temps que d’autres dispositions de la LIPR, plus particulièrement l’article 63. Il ne s’agit certainement pas là d’un sujet sur lequel la SAI est plus spécialisée que la Cour, ni d’un sujet qui fait intervenir la délicate mise en balance d’objectifs rivaux, ou d’intérêts propres à divers groupes. De plus, il s’agit manifestement d’une question de droit, dont la solution pourrait avoir valeur de précédent. Par conséquent, la décision de la SAI sur ce point requiert l’application de la norme de la décision correcte.

 

[13]           En revanche, le second point peut être divisé en deux interrogations distinctes. Il y a une question de droit, celle de savoir, aux fins de l’application du paragraphe 37(1) de la LIPR, ce qu’est le critère de l’appartenance à un groupe criminel organisé, et une question mixte de droit et de fait, celle de savoir si la SAI a commis une erreur en concluant qu’il existait une preuve suffisante de l’appartenance de M. Mendoza à la bande Mara Salvatrucha, ainsi que de son rôle au sein de cette bande. Pour les motifs déjà exposés dans le paragraphe précédent à propos de la compétence de la SAI, je suis d’avis que la première question n’appelle aucune retenue et doit être revue selon la norme de la décision correcte. La seconde question est une question mixte de droit et de fait, mais j’incline toutefois à l’évaluer selon la norme de la décision manifestement déraisonnable, car le contenu factuel est prééminent.

 

[14]           La Cour d’appel fédérale est arrivée à une conclusion semblable dans une affaire récente qui présente des similitudes avec la présente affaire. S’exprimant au nom de la Cour d’appel, le juge Evans a écrit ce qui suit, dans l’arrêt Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 122 :

[26] En ce qui a trait aux questions de fait et aux inférences reposant sur des faits, les décisions de la Commission sont assujetties à un contrôle judiciaire selon la norme de la décision manifestement déraisonnable, conformément à la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, alinéa 18.1(4)d). Par contre, il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence à l’égard de l’interprétation donnée par la Commission aux dispositions particulières de ses lois habilitantes : Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, 2002 CSC 3.

 

[27] Deux questions doivent être tranchées dans le présent appel. Premièrement, est-ce que le juge saisi de la demande a commis une erreur de droit en omettant de considérer si M. Thanaratnam « se livrait à des activités faisant partie » d’un plan d’activités criminelles, au sens de l’alinéa 37(1)a)? Deuxièmement, est-ce que la Commission a commis une erreur en concluant que la preuve qui lui avait été présentée était suffisante pour constituer des « motifs raisonnables de croire » ? Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit. Toutefois, dans la présente affaire, les éléments factuels sont si importants qu’il faudrait infirmer la décision de la Commission seulement si elle est manifestement déraisonnable.

 

 

B) La nature de la compétence de la SAI en appel, selon le paragraphe 63(5) de la LIPR

 

[15]           L’avocat de M. Mendoza a prétendu que l’appel interjeté par le ministre en vertu du paragraphe 63(5) de la LIPR est très différent, par sa nature et son étendue, des appels autorisés par les paragraphes 63(1) à (4). À l’appui de cette position, il s’est fondé sur le fait que l’appel interjeté par le ministre n’entraîne pas, s’agissant de motifs d’ordre humanitaire, l’audition de preuves nouvelles dont n’aurait pu tenir compte le membre de la SI. Et, en tout état de cause, la SAI, dans le cas présent, n’agissait pas en tant que juridiction reprenant une instance depuis le début, puisqu’elle se limitait à un examen de la procédure qui s’était déroulée devant la SI (hormis les preuves nouvelles produites par le ministre appelant à propos de la nature de la bande Mara Salvatrucha, preuves qui n’ont joué aucun rôle significatif dans l’appel).

 

[16]           Cela étant, M. Mendoza soutient que la norme de contrôle devant être appliquée par la SAI lorsqu’elle est saisie d’un appel à l’encontre d’une décision de la SI en application du paragraphe 63(5) de la LIPR doit être déterminée après analyse pragmatique et fonctionnelle. Il en résulterait que c’est la norme de la décision manifestement déraisonnable qu’il faudrait appliquer aux questions de fait, puisque les membres de la SI peuvent justifier d’une spécialisation dans leur domaine et qu’ils sont les seuls à pouvoir juger de la crédibilité d’un demandeur par l’audition de témoignages de vive voix.

 

[17]           Après examen attentif des dispositions pertinentes de la LIPR, je trouve que cet argument est sans fondement et qu’il est contraire au texte clair employé par le législateur pour définir la compétence de la SAI en appel. L’article 63 traite à fond du droit d’appel et énumère cinq cas où appel peut être interjeté, l’un d’eux étant le droit pour le ministre d’interjeter appel d’une décision de la SI rendue dans le cadre d’une enquête d’admissibilité. L’article 66 donne à la SAI trois moyens de statuer sur l’appel après qu’elle l’a examiné, dont l’un est de faire droit à l’appel conformément à l’article 67. Il vaut la peine de reproduire cet article intégralement, car il est essentiel pour la résolution de la présente demande de contrôle judiciaire :

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

 

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

(2) La décision attaquée est cassée; y est substituée celle, accompagnée, le cas échéant, d’une mesure de renvoi, qui aurait dû être rendue, ou l’affaire est renvoyée devant l’instance compétente.

 

67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

(2) If the Immigration Appeal Division allows the appeal, it shall set aside the original decision and substitute a determination that, in its opinion, should have been made, including the making of a removal order, or refer the matter to the appropriate decision-maker for reconsideration.

 

[18]           On ne trouve nulle part dans cet article, s’agissant de la nature de l’appel, une distinction entre un appel interjeté par le ministre conformément au paragraphe 63(5) et les autres appels autorisés par les paragraphes 63(1) à (4). Il est vrai que la SAI ne peut pas tenir compte de motifs d’ordre humanitaire dans le cas d’un appel interjeté par le ministre, mais le législateur n’a pas pour autant jugé à propos de limiter le pouvoir de la SAI de reprendre l’instance depuis le début en conséquence de son droit restreint de considérer des preuves nouvelles. Non seulement les mots introductifs du paragraphe 67(1) sont-ils explicitement applicables aux trois alinéas, mais encore le paragraphe 67(2) confirme le pouvoir de la SAI de reprendre l’instance depuis le début, sans égard aux motifs pour lesquels il est fait droit à l’appel, en disant que la SAI peut substituer sa propre décision à celle qui aurait dû être rendue. Lorsque le législateur énonce explicitement dans le texte de loi les fondements à l’origine de l’appel qui peuvent être retenus par la SAI et le redressement qu’elle peut accorder si elle fait droit à l’appel, alors il n’est pas nécessaire de faire une analyse pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle à appliquer.

 

[19]           Je n’ai donc aucune hésitation à faire mien le raisonnement de la SAI sur cette question et je souscris pleinement aux deux paragraphes suivants de ses motifs :

[14] L’article 67 de la Loi précise « au moment où il en est disposé », ce qui indique clairement les intentions du Parlement. L’ancienne loi ne prévoyait pas un tel libellé, et la SAI se fondait sur la jurisprudence, surtout sur Kahlon. Dans la nouvelle Loi, le Parlement a expressément précisé l’étendue de la compétence de la SAI dans le libellé de l’article 67. Le libellé ne comporte aucune ambiguïté. Une simple lecture des dispositions pertinentes exige de la SAI, aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi, qu’elle examine les appels dans le cadre d’une audience de novo.

 

[15] Qui plus est, le Parlement a clairement indiqué les appels pour lesquels la SAI ne peut pas prendre en considération les motifs d’ordre humanitaire, c’est-à-dire l’article 65 et l’alinéa 67(1)c) de la Loi. Il a précisément envisagé les circonstances particulières des appels interjetés par le ministre aux termes du paragraphe 63(5) de la Loi en incluant le libellé « sauf dans le cas de l’appel du ministre », lequel empêche la SAI de prendre en considération les motifs d’ordre humanitaire dans le cas des appels du ministre. Ces limites sont la prérogative du Parlement et, bien qu’elles puissent sembler injustes à l’intimé, elles ne diminuent en rien la compétence conférée à la SAI dans le cadre des audiences de novo.

 

 

[20]           Il me suffit d’ajouter à cela que l’arrêt Kahlon a été maintes fois suivi par la Cour après l’adoption de la LIPR, et il est souvent écrit dans les décisions qui l’ont suivi que le pouvoir de la SAI de reprendre l’affaire depuis le début est admis et n’est pas un point de désaccord entre les parties : voir par exemple Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1673, paragraphe 8; Ni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 241, paragraphe 9; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Savard, 2006 CF 109, paragraphe 16; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Venegas, 2006 CF 929, paragraphe 18; Froment c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1002, paragraphe 19.

 

[21]           Je ferais aussi observer que, dans la présente affaire, M. Mendoza a décidé de ne pas produire de preuves additionnelles, pour plutôt s’en rapporter au dossier et présenter des observations additionnelles. C’était là son choix. Le ministre, quant à lui, a reçu de la SAI la directive de ne pas produire de nouveaux témoignages des agents d’immigration à propos de l’entrevue avec M. Mendoza, mais il a été autorisé à déposer des preuves et observations additionnelles à propos de la bande Mara Salvatrucha. M. Mendoza n’a nullement été lésé par le fait que l’appel a été instruit en tant qu’instance reprise depuis le début, et la SAI avait le pouvoir, aux termes de la LIPR, de l’instruire ainsi.

 

C) L’appartenance de M. Mendoza à une organisation criminelle

[22]           Selon le paragraphe 37(1) de la LIPR, la criminalité organisée emporte interdiction de territoire. L’alinéa 37(1)a) est ainsi rédigé :

37. (1) Emportent interdiction de territoire pour criminalité organisée les faits suivants :

 

a) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction, ou se livrer à des activités faisant partie d’un tel plan;

b) se livrer, dans le cadre de la criminalité transnationale, à des activités telles le passage de clandestins, le trafic de personnes ou le recyclage des produits de la criminalité.

37. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of organized criminality for

(a) being a member of an organization that is believed on reasonable grounds to be or to have been engaged in activity that is part of a pattern of criminal activity planned and organized by a number of persons acting in concert in furtherance of the commission of an offence punishable under an Act of Parliament by way of indictment, or in furtherance of the commission of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute such an offence, or engaging in activity that is part of such a pattern; or

(b) engaging, in the context of transnational crime, in activities such as people smuggling, trafficking in persons or money laundering.

 

 

[23]           Le sens de l’expression « organisation criminelle » est également détaillé dans le paragraphe 121(2) de la LIPR :

121. (2) On entend par organisation criminelle l’organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction.

121. (2) For the purposes of paragraph (1)(b), "criminal organization" means an organization that is believed on reasonable grounds to be or to have been engaged in activity that is part of a pattern of criminal activity planned and organized by a number of persons acting in concert in furtherance of the commission of an offence punishable under an Act of Parliament by way of indictment or in furtherance of the commission of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute such an offence.

 

[24]           Les dispositions sur l’interdiction de territoire qui figurent dans les articles 34 à 37 de la LIPR sont sujettes à la règle d’interprétation énoncée dans l’article 33. Selon cet article, les faits mentionnés aux articles 34 à 37 qui donnent lieu à interdiction de territoire comprennent les faits passés, présents et futurs.

 

[25]           La preuve requise pour conclure à l’existence de motifs raisonnables n’atteint pas le niveau de la preuve en matière civile. Selon la définition qui en a été donnée, il s’agit de la preuve qui, sans atteindre la prépondérance des probabilités, sous-entend néanmoins une croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi : arrêt Chiau. Cela dit, le rôle de la Cour fédérale dans une procédure de contrôle judiciaire n’est pas de tirer de la preuve ses propres conclusions, mais de dire si la SAI a agi d’une manière manifestement déraisonnable en tranchant l’affaire comme elle l’a fait. Ainsi que l’a écrit le juge Evans dans l’arrêt Thanaratnam :

[33] Il est important de rappeler que la Cour n’occupe pas les mêmes fonctions que la Commission. Notre fonction n’est pas de décider si, selon la preuve présentée à la Commission, il existait des « motifs raisonnables de croire » mais seulement de décider s’il était irrationnel de toute évidence pour la Commission de tirer cette conclusion. En l’absence d’une allégation selon laquelle la Commission a commis une erreur de droit, ou que sa procédure était inéquitable, il est difficile d’établir que la conclusion de la Commission, selon laquelle il existait des « motifs raisonnables de croire », était manifestement déraisonnable.

 

 

 

[26]           Le caractère criminel de l’organisation Mara Salvatrucha ne fait ici aucun doute. M. Mendoza en a convenu, et c’est une conclusion amplement autorisée par la preuve. Il s’agit donc uniquement de savoir si la SAI a commis une erreur en disant que M. Mendoza était membre de cette organisation et qu’il s’est livré à des activités criminelles.

 

[27]           L’avocat de M. Mendoza a affirmé que la simple appartenance ne suffit pas, sauf si la nature criminelle de l’organisation est notoire. Mais aucun précédent n’autorise cette affirmation, qui va à l’encontre du texte de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. Cette disposition mentionne clairement le fait d’être membre d’une bande ou celui de s’être livré à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert. On peut donc être frappé d’interdiction de territoire soit à cause de son appartenance à une organisation criminelle, soit à cause de son rôle dans les activités de ladite organisation. Ainsi que l’a écrit la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Thanaratnam (au paragraphe 30), l’appartenance à une bande et la participation aux activités de la bande sont « des motifs distincts qui se chevauchent », ce qui permet de déclarer une personne interdite de territoire en application de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. De plus, le fait que M. Mendoza a cessé d’être membre de la bande Mara Salvatrucha ne lui permet pas d’échapper à l’alinéa 37(1)a) de la LIPR, qui s’applique aux anciens membres d’organisations criminelles : Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 326, paragraphes 18-29).

 

[28]           Une preuve abondante a été présentée à la SAI, notamment par M. Mendoza lui-même, une preuve qui attestait son appartenance confessée à la bande Mara Salvatrucha et son rôle dans cette bande. Son appartenance à cette organisation est le fondement de sa demande d’asile. Il a écrit dans son Formulaire de renseignements personnels qu’il avait été membre de cette organisation depuis la date de sa sortie de prison jusqu’à la naissance de son premier enfant. Les tatouages qu’il a sur le corps témoignent de son rôle. M. Mendoza a été interrogé par trois agents d’exécution de l’Agence des services frontaliers du Canada, et il a à ce moment avoué son appartenance à la bande, et sa participation aux activités de la bande. Je fais une pause ici pour dire que, après une lecture attentive de la transcription de ces entretiens, il m’est impossible de dire que M. Mendoza a été l’objet d’intimidations et qu’il a été contraint de faire de fausses déclarations. La SAI s’est fondée sur l’ensemble de cette preuve pour dire qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Mendoza avait été membre de la bande Mara Salvatrucha et que le démenti ultérieur qu’il a opposé à son rôle au sein de cette organisation, durant son témoignage devant le membre de la SI, n’était pas vraisemblable. Gardant à l’esprit la jurisprudence selon laquelle l’« appartenance » est une notion qui doit être comprise au sens large et qu’elle englobe le simple fait d’appartenir à une organisation criminelle (arrêt Chiau, paragraphe 57), il m’est impossible de dire que la conclusion de la SAI est manifestement déraisonnable.

 

[29]           Au paragraphe 41 de ses motifs, la SAI a conclu ce qui suit :

[41] L’audience de la SI a eu lieu après que l’intimé a obtenu les services d’un conseiller juridique et a été informé du fait que son appartenance au gang Mara Salvatrucha pourrait constituer un motif d’interdiction de territoire au Canada. Le tribunal reconnaît que l’intimé a probablement été victime de nombreuses injustices au fil des ans et que sa participation aux activités du gang Mara Salvatrucha a pu, dans une certaine mesure, avoir été forcée; le tribunal conclut cependant qu’il est invraisemblable que l’intimé ait pu fournir de tels détails au sujet du gang Mara Salvatrucha et de sa participation aux activités de l’organisation au cours des entrevues antérieures avec les autorités de l’immigration, même s’il a été soi-disant intimidé, mais qu’il ait été incapable de fournir de tels détails concernant sa participation aux activités du gang Mara Salvatrucha ou des activités de l’organisation à l’audience de la SI. Par conséquent, le tribunal préfère accorder davantage d’importance aux déclarations de l’intimé aux agents d’immigration en tant qu’éléments de preuve crédibles et dignes de foi plutôt qu’à son témoignage à l’audience de la SI.

 

 

[30]           Eu égard au pouvoir qu’avait la SAI d’instruire l’affaire depuis le début, et compte tenu de la compétence restreinte de la Cour lorsqu’elle examine des questions de fait et de crédibilité, la conclusion de la SAI ne justifie pas mon intervention. Même si M. Mendoza n’a pas lui-même participé à des crimes graves et violents, il avait connaissance des activités criminelles du groupe. Le dossier montre qu’il savait que les gens qui ne payaient pas l’argent exigé dans les autobus s’exposaient à des représailles, que les membres du groupe utilisaient des armes maison, que les luttes entre bandes rivales se terminaient par des blessés ou des morts, que la violence était employée contre ceux qui se faisaient passer pour des membres de bande, que d’autres membres tenteraient de le tuer s’il cessait lui-même d’être membre et que le groupe avait coutume de battre les membres qui n’assistaient pas aux réunions. Dans cette mesure, la présente affaire s’accorde parfaitement avec un jugement récent de ma collègue la juge Tremblay-Lamer, dans lequel elle a déclaré qu’une telle connaissance de l’existence d’activités criminelles suffisait à établir l’appartenance à la même organisation : Amaya c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 549.

 

[31]           À la fin de l’audience, j’ai autorisé les parties à présenter des observations sur des questions à certifier. L’avocat du demandeur a proposé la question suivante :

[traduction]

Dans un appel interjeté par le ministre d’une décision de la Section de l’immigration, en application du paragraphe 63(5) de la LIPR, la norme de contrôle que doit appliquer la Section d’appel de l’immigration est-elle établie après l’analyse pragmatique et fonctionnelle dont le principe est exposé dans l’arrêt Pushpanathan, ou bien le texte de l’article 67 de la LIPR impose-t-il à la Section d’appel de l’immigration d’appliquer la norme de la décision correcte, compte tenu de son pouvoir de reprendre l’affaire depuis le début?

 

 

[32]           L’avocate du ministre s’est opposée à ce que cette question soit certifiée, essentiellement parce que, selon elle, les raisons de faire droit à un appel sont clairement exposées dans l’article 67 de la LIPR. Je reconnais avec le ministre que la question proposée par M. Mendoza ne constitue pas une question grave. Même si aucun précédent ne porte directement sur la norme de contrôle que doit appliquer la SAI dans un appel formé en application du paragraphe 63(5) de la LIPR, je crois (pour les motifs déjà exposés) que l’argument de M. Mendoza ne repose tout simplement sur aucun fondement. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

D. Laberge, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1160-07

 

INTITULÉ :                                       ROBERTO ERNESTO CONTRERAS MENDOZA

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 5 SEPTEMBRE 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE 

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 28 SEPTEMBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ron Holloway

Emma Andres

 

POUR LE DEMANDEUR

Helen Park

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rod Holloway et Emma Andrews

Avocats

Bureau 1825, Marine Building

Vancouver (C.-B.)

V6C 2G8

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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