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Date : 20070912

Dossier : T‑161‑07

Référence : 2007 CF 907

Toronto (Ontario), le 12 septembre 2007

En présence de monsieur le juge Hughes

 

ENTRE :

SANOFI‑AVENTIS CANADA INC. et

SCHERING CORPORATION

 

demanderesses

 

et

 

APOTEX INC.

défenderesse

 

ET ENTRE :

 

APOTEX INC.

 

demanderesse reconventionelle

 

et

 

 

SANOFI‑AVENTIS CANADA INC.,

SCHERING CORPORATION,

SANOFI‑AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH et

RATIOPHARM INC.

 

défenderesses reconventionnelles

 


MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Deux questions soulevées dans le cadre de la présente instance ont été instruites ensemble le lundi 10 septembre 2007. Il s’agit, premièrement, d’un appel interjeté par Apotex Inc. à l’encontre d’une ordonnance rendue le 20 juillet 2007 par le protonotaire Morneau dans la présente instance. Il s’agit, deuxièmement, d’une requête présentée par Sanofi‑Aventis Canada Inc. et Sanofi‑Aventis Deutschland GmbH pour obtenir la radiation de certains paragraphes de la défense et demande reconventionnelle d’Apotex ou, subsidiairement, la suspension de la procédure visée à ces paragraphes. Ces questions sont étroitement liées, elles ont été débattues ensemble et un seul ensemble de motifs et une seule ordonnance seront prononcés.

 

[2]               La présente action, instituée en janvier 2007 par les demanderesses Sanofi‑Aventis Canada Inc. (Sanofi Canada) et Schering Corporation contre la défenderesse Apotex Inc., est une action relativement simple en contrefaçon de brevet. On allègue que certaines revendications du brevet canadien 1,341,206 (le brevet 206) concernent un médicament connu sous le nom de ramipril. On allègue que Schering détient le brevet 206 et que Sanofi Canada en est un porteur de licence. On allègue enfin qu’Apotex fait commerce du ramipril sans autorisation au Canada et contrefait ainsi les revendications en cause du brevet 206. Ce brevet expire en 2018. Les demanderesses sollicitent, entre autres mesures réparatoires, une injonction et des dommages-intérêts; subsidiairement, elles présentent une réclamation en restitution des bénéfices.

 

[3]               Apotex a produit une défense. Elle nie la contrefaçon et conteste de nombreuses manières assez courantes la validité ou le brevet. En outre, toutefois, Apotex a introduit une demande reconventionnelle. Cette demande reconventionnelle n’est pas présentée qu’à l’encontre des demanderesses, Sanofi Canada et Schering; elle met également en cause comme défenderesses reconventionnelles Sanofi‑Aventis Deutschland GmbH (Sanofi Allemagne) et Ratiopharm Inc.

 

[4]               La demande reconventionnelle soulève deux allégations distinctes de collusion. Cette première collusion serait liée à une instance en cas de conflit instruite par le Bureau canadien des brevets puis par la Cour et comptait notamment comme parties Schering et Sanofi Allemagne. L’instance a résulté en l’octroi du brevet 206 à Schering. Les allégations relatives à cette première collusion figurent aux paragraphes 61 à 72 de la demande reconventionnelle et ne sont en cause quant à aucune des questions dont je suis saisi.

 

[5]               La seconde question soulevée dans la demande reconventionnelle concerne la soi‑disant seconde collusion ou entente avec la société générique, et il en est traité aux paragraphes 73 à 120 de la demande reconventionnelle. Il semble d’après le paragraphe 109 que l’allégation de collusion est portée contre toutes les défenderesses reconventionnelles et elle vise nommément Ratiopharm, Sanofi Allemagne et Schering. On vise nommément Sanofi Canada au paragraphe 110.

 

[6]               Au paragraphe 125, à la toute fin de la demande reconventionnelle, Apotex demande comme réparation, outre l’octroi de dommages-intérêts indéterminés, que le brevet 206 et les revendications pertinentes soient déclarés invalides et inexécutoires.

 

[7]               La seconde allégation de collusion est, en bref, qu’une entente a été conclue prévoyant l’octroi par les défenderesses reconventionnelles d’une licence à Ratiopharm, une société générique, pour faire commerce du ramipril à titre de médicament générique, cette licence étant conçue de manière à contrecarrer les plans d’Apotex, une autre société générique, qui a dû faire pénétrer le ramipril sur le marché canadien à la dure, puisque sans licence.

 

[8]               Le libellé de cette seconde allégation a été intégré au paragraphe 7 de la défense, où l’on soutient que les demanderesses (Sanofi Canada et Schering) n’ont droit à aucune des mesures réparatoires sollicitées, tout particulièrement la réclamation en restitution des bénéfices.

 

[9]               Il faut apprécier les allégations relatives à la seconde collusion en tenant compte d’une action intentée par Apotex devant la Cour supérieure de l’Ontario contre diverses parties, y compris la société Aventis Pharmaceutical Products Inc., désormais désignée Sanofi‑Aventis Canada Inc. (Sanofi Canada), et la société Altimed Pharmaceutical Company Inc., désormais désignée Ratiopharm Inc. Dans l’action ontarienne, Apotex présente essentiellement les mêmes allégations que celles formulées dans la demande reconventionnelle visant la seconde collusion dans la présente action en Cour fédérale. Dans l’action ontarienne, toutefois, les allégations ont une beaucoup plus large portée et couvrent un nombre important d’opérations concernant un grand nombre de médicaments, dont parmi beaucoup d’autres le ramipril, le médicament en cause dans l’action en Cour fédérale. Le paragraphe 8 de la plus récente déclaration dans l’action ontarienne d’Apotex (en date du 19 décembre 2001) prétend englober des activités ayant débuté [traduction] « […] vers 1994 et se poursuivant encore à l’heure actuelle […] » Apotex demande notamment comme réparation dans l’action ontarienne que certaines pratiques soient déclarées illicites et contraires à diverses dispositions de la Loi sur la concurrence, que certaines interdictions soient imposées et que soient octroyés des dommages-intérêts de quelque 500 M$.

 

[10]           Les défenderesses dans l’action ontarienne ont présenté une contestation préliminaire visant les allégations, que la Cour d’appel de l’Ontario a tranchée dans l’arrêt Apotex Inc. c. Hoffmann La‑Roche Ltd. (2000), 9 CPR (4th) 417, du 14 décembre 2000. L’évolution de l’action ontarienne semble avoir été assez lente depuis cette date. La preuve révèle que les parties procédaient toujours à la communication de documents en fin 2005 et, d’après ce que m’ont dit les avocats dans le cadre de la présente requête, il en serait toujours ainsi. On m’a également informé que l’action ontarienne est actuellement soumise au processus de gestion des cas.

 

[11]           Compte tenu par conséquent de l’action ontarienne et de l’action en Cour fédérale, y compris dans ce dernier cas la demande reconventionnelle, il est possible de formuler les observations qui suivent.

1.         La portée de l’action ontarienne recouvre à l’égard de Sanofi Canada et de Ratiopharm toute la portée de la demande reconventionnelle en Cour fédérale. L’action ontarienne a toutefois une plus large portée. Elle a été engagée sept ans environ avant que soit présentée la demande reconventionnelle devant la Cour fédérale, et son déroulement est lent. À titre de demanderesse dans l’action ontarienne, Apotex a l’initiative de cette instance, et l’on s’attend à ce qu’elle prenne toutes les mesures raisonnables pour en assurer la progression.

 

2.         Apotex, dans l’énoncé liminaire du paragraphe 7 et à l’alinéa 7c) de sa défense dans l’action en Cour fédérale a fait mention d’arrangements et d’ententes intervenus entre les demanderesses Sanofi Canada et Schering ainsi que Ratiopharm. Cela, Apotex soutient‑elle, prive les demanderesses Sanofi Canada et Schering du droit à toute réparation, ou du moins à toute réclamation en restitution de bénéfices. L’avocat d’Apotex précise que ces arrangements et ententes sont ceux plaidés quant à la soi‑disant seconde collusion. Apotex invoque ainsi la seconde collusion comme moyen de défense tout autant que comme argument au soutien de sa demande reconventionnelle.

 

La requête devant le protonotaire Morneau

[12]           Ratiopharm a présenté une requête dans le cadre de la présente instance en Cour fédérale, requête que le protonotaire Morneau a instruite. On demandait en premier lieu dans cette requête que la demande reconventionnelle soit radiée en son entier à l’égard de Ratiopharm ou, subsidiairement, qu’elle soit suspendue. On demandait également la radiation d’éléments particuliers des allégations de la demande reconventionnelle.

 

[13]           Le protonotaire Morneau a rendu une ordonnance le 20 juillet 2007, actuellement portée en appel par Apotex. Cette ordonnance avait pour effet de suspendre la demande reconventionnelle à l’égard de Ratiopharm et de radier les éléments particuliers suivants des allégations de la demande reconventionnelle :

[traduction]

-         les expressions ou numéros « 32 » et « 78 et 79 » au paragraphe 115;

 

-         les mots suivants à la fin du paragraphe 117 : « le tout en violation du paragraphe 32(1) de la Loi sur la concurrence »;

 

-         les mots suivants à la fin du paragraphe 120 : « le tout en violation des articles 78 et 79 de la Loi sur la concurrence ».

 

 

[14]           Apotex n’en a pas appelé de la partie de l’ordonnance radiant ces éléments des allégations. On a soulevé la question de savoir si l’ordonnance radiait ces éléments à l’égard de Ratiopharm seulement, ou de toutes les parties. L’avocat d’Apotex a fait savoir à ce sujet que la radiation à l’égard de toutes les parties convenait à sa cliente.

 

[15]           Le protonotaire Morneau n’a pas radié la demande reconventionnelle en son entier à l’égard de Ratiopharm. Il a plutôt suspendu la procédure en ce qui la concernait. Ratiopharm n’a pas interjeté appel du refus de radier les allégations. Ce refus n’est pas énoncé explicitement dans l’ordonnance du protonotaire Morneau, mais il découle implicitement de sa décision d’ordonner la suspension ainsi que la radiation de certains éléments seulement des actes de procédure.

 

[16]           En ce qui concerne l’ordonnance du protonotaire Morneau, ce qu’on me demande par conséquent d’examiner c’est uniquement l’appel d’Apotex visant la partie suivante de l’ordonnance :

[traducton]

Compte tenu des motifs énoncés précédemment, la Cour ordonne par les présentes qu’en ce qui concerne Ratiopharm, outre la radiation partielle ordonnée dans le paragraphe suivant, les paragraphes 73 à 120 et 125c) et d) de la demande reconventionnelle soient suspendus à son égard, en application du paragraphe 50(1) de la Loi.

 

 

[17]           Il importe à ce stade de noter que le protonotaire n’a radié aucune partie de la défense d’Apotex; il ne le pouvait d’ailleurs pas, Ratiopharm n’étant pas partie à l’action principale, mais uniquement une défenderesse reconventionnelle.

 

[18]           La norme de contrôle que la Cour doit appliquer à une ordonnance de protonotaire varie selon que l’ordonnance tranche ou non une question ayant une influence déterminante sur le sort du principal. Lorsqu’une suspension est refusée, l’affaire en son entier est menée à procès et aucune question n’a été tranchée de manière définitive; il convient donc de faire preuve de retenue face à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire (Vogo Inc. c. Acme Window Hardware Ltd. (2004), 256 FTR 37). Lorsque la suspension a été ordonnée, par contre, une question ayant une influence déterminante a été tranchée; la Cour doit donc examiner la question de novo (Apotex Inc. c. AstraZeneca Canada Inc. (2003), 23 CPR (4th) 371, paragraphe 11 (CF), confirmée sans mention de ce point (2003), 25 CPR (4th) 142 (CAF)). Il me faut donc en l’espèce examiner de novo la question tranchée par le protonotaire.

 

[19]           J’en suis en tout état de cause arrivé à la même conclusion que le protonotaire Morneau. L’action ontarienne intentée il y a quelque sept années par Apotex et dont celle‑ci a l’initiative couvre à l’encontre de Ratiopharm tout (et plus encore) ce qu’on fait aussi valoir contre elle dans le cadre de la demande reconventionnelle en Cour fédérale. Et la réparation qu’Apotex vise à faire imposer à Ratiopharm dans les deux instances est essentiellement la même.

 

[20]           L’avocat d’Apotex a déclaré devant moi au cours de sa plaidoirie avoir reçu comme directive de présenter l’engagement suivant à la Cour :

[traduction]

Si l’appel à l’encontre de l’ordonnance du protonotaire Morneau est accueilli, Apotex s’engage à ne poursuivre dans le cadre de l’action ontarienne aucune cause d’action quant à la collusion visant le ramipril plaidée aux paragraphes 73 à 120 de la demande reconventionnelle.

 

 

[21]           Après certains échanges, l’avocat d’Apotex a également fait savoir que sa cliente prendrait le même engagement en cas de rejet de la requête de Sanofi dont je suis saisi.

 

[22]           L’avocat d’Apotex a toutefois exprimé bien clairement devant moi le désir de sa cliente de continuer de faire valoir, comme moyen de défense, tous les éléments de fait allégués dans les paragraphes en question. Les parties seraient donc toujours obligées de procéder à la communication de documents ainsi qu’à procès quant aux questions alléguées dans ces paragraphes. Selon moi, l’économie en temps et en argent ainsi réalisée serait ainsi infime, sinon nulle.

 

[23]           Si on permettait à la demande reconventionnelle contre Ratiopharm d’aller de l’avant, il en résulterait pour celle‑ci d’être « tracassée deux fois », devant la Cour fédérale et devant la Cour de l’Ontario, ce que la Cour suprême du Canada a déclaré être un abus de procédure dans l’arrêt Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77. Apotex n’en subit pour sa part aucun préjudice. Elle dispose de l’action ontarienne engagée de longue date pour solliciter la même réparation à l’encontre de Ratiopharm. La suspension de la demande reconventionnelle à l’égard de Ratiopharm n’a pas d’incidence sur sa défense dans le cadre de l’action en Cour fédérale puisque Ratiopharm n’est pas partie à l’action principale.

 

[24]           L’appel à l’encontre de l’ordonnance du protonotaire Morneau sera par conséquent rejeté, les dépens étant alloués à Ratiopharm en fonction des valeurs moyennes de la colonne III.

 

La requête de Sanofi

[25]           Sanofi Canada et Sanofi Allemagne m’ont présenté, ensemble, une requête en vue de faire radier les paragraphes 7c), 15 et 16 de la défense et l’ensemble de la demande reconventionnelle à leur égard ou, subsidiairement, d’obtenir la suspension des procédures énoncées contre elles dans ces paragraphes.

 

[26]           Comme dans le cas de Ratiopharm, il est bien clair qu’Apotex sollicite dans l’action ontarienne essentiellement la même réparation que celle demandée dans la demande reconventionnelle en Cour fédérale à l’encontre de Sanofi Canada. Sanofi Allemagne n’est pas partie à l’action ontarienne. Les allégations portées contre Sanofi Allemagne dans le cadre de la demande reconventionnelle en Cour fédérale sont énoncées au paragraphe 109 de la demande reconventionnelle. On y allègue que la soi‑disant entente avec la société générique [traduction] « […] relève de l’autorité de Sanofi Allemagne et de Schering », et on allègue au paragraphe 123 que Sanofi Allemagne exerce une emprise sur Sanofi Canada, de sorte que Sanofi Allemagne est responsable devant Apotex. Il est par conséquent évident que la réparation sollicitée à l’encontre de Sanofi Canada dans l’action ontarienne couvrirait celle demandée contre Sanofi Allemagne dans la demande reconventionnelle; s’il existait le moindre doute à ce sujet, Apotex pourrait par ailleurs obtenir réparation en demandant la jonction, si cela est indiqué, de Sanofi Allemagne à l’action ontarienne.

 

[27]           J’estime ainsi que la demande reconventionnelle fait double emploi avec l’action ontarienne de plus large portée et devrait par conséquent être suspendue à l’égard de Sanofi Canada et de Sanofi Allemagne.

 

[28]           Si, toutefois, était jugé bien fondé le moyen de défense visé aux paragraphes 7, 15 et 16 de la défense, cela priverait Sanofi Canada (Sanofi Allemagne n’est pas demanderesse) du droit, s’il existe, d’obtenir la réparation sollicitée, ou à tout le moins la réclamation en restitution de bénéfices. Cependant, Sanofi n’est pas titulaire du brevet 206 en cause, mais porteur de licence, selon ce qui est plaidé au paragraphe 8 de la déclaration, une question à l’égard de laquelle Apotex plaide, au paragraphe 2 de sa défense, ne disposer d’aucune connaissance. Or, à titre de porteur de licence, Sanofi Canada a droit à la seule mesure réparatoire, les dommages-intérêts, à laquelle donne ouverture l’article 55 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4, tel qu’il est applicable aux brevets, comme le brevet 206, demandés avant le 1er octobre 1989. Sanofi Canada ne peut présenter une demande d’injonction ou une réclamation en restitution des bénéfices, ni demander quelque autre réparation en equity. Apotex soutient, au paragraphe 58 de sa défense, que l’action devrait être rejetée, et, au paragraphe 7, que les demandeurs n’ont doit à aucune réparation, pas même des dommages-intérêts.

 

[29]           Étant donné que Sanofi Canada ne peut, à titre de porteur de licence, demander aucune réparation en equity, il est indiqué au stade actuel de se pencher sur la requête en radiation. Il faut examiner à cet égard l’évolution du droit quant à la possibilité de faire valoir des violations de la Loi sur la concurrence, ou de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions qui l’a précédée, comme moyen de défense dans une instance en matière de propriété intellectuelle.

 

[30]           La première fois qu’une telle question a été examinée, c’était dans le cadre d’une action en contrefaçon de dessins industriels, l’affaire RBM Equipment Ltd. c. Philips Electronics Industries Ltd. (1973), 9 CPR (2d) 46. Dans cet arrêt, le juge Thurlow de la Cour d’appel fédérale a statué comme suit (page 59) :

La question de savoir si, dans une action en contrefaçon, un tribunal refusera un redressement à une personne détenant un droit de propriété intellectuelle dans le seul cas où le but véritable de l’action est l’exécution ou la poursuite d’un complot ou d’une entente illégale n’est pas encore résolue.

 

 

[31]           La deuxième décision où l’on a examiné la question était Eli Lilly and Co. c. Marzone Chemicals Ltd. (1979), 29 CPR (2d) 253 (C.F. 1re inst.), dans laquelle le juge Addy a déclaré ce qui suit (page 255) :

[traduction]

Il y a toutefois une raison plus convaincante, celle que les demanderesses demandent une réparation reconnue en equity et qu’elles doivent se présenter devant la Cour avec des « mains propres ». S’il s’avérait qu’elles ont en fait enfreint la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, comme cela est allégué dans le paragraphe 9 de la défense, la Cour aurait une raison des plus valables pour refuser l’injonction demandée, bien que les allégations puissent bien ne pas constituer en droit une défense contre la demande.

 

 

[32]           L’opinion du juge Addy de la Section de première instance a toutefois été reformulé comme suit par le juge Hugessen dans l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Procter & Gamble Co. c. Kimberley-Clark of Canada Ltd. (1990), 29 CPR (3d) 545 (page 546) :

Nous sommes tous d’avis que le juge de la requête a commis une erreur en droit car ces allégations [des violations de la Loi sur la concurrence] n’ont tout simplement aucune pertinence relativement à la défense à l’action en contrefaçon de brevet intentée par les demanderesses. Suivant son raisonnement [à la page 230], puisqu’il est question au paragraphe 16 du droit des demanderesses d’obtenir un redressement reconnu en equity, la modification relèverait du « pouvoir discrétionnaire [de la Cour] d’accorder ou de refuser une telle réparation compte tenu de tous les faits pertinents, dont le comportement passé des demanderesses ». C’est là une erreur. Pour que l’equity refuse, en vertu de la doctrine des « mains propres », une réparation à laquelle une partie aurait autrement droit, il faut que la conduite passée de cette partie soit directement reliée à la cause d’action même invoquée dans la demande, en l’espèce le brevet. […]

 

 

[33]           Ces deux décisions, Eli Lilly et Procter & Gamble, ont été examinées par le juge Rothstein (maintenant juge à la Cour suprême du Canada) dans la décision Visx Inc. c. Nidek Co. (1994), 58 CPR (3d) 51, de la Cour fédérale. Le juge Rothstein en est venu à la conclusion suivante (page 53) :

Il est évident que ce n’est pas n’importe quelles allégations de mauvaise conduite de la part d’une partie qui peuvent être prises en considération relativement à la décision d’accorder ou non une réparation reconnue en equity. La mauvaise conduite doit être directement liée à la demande de la demanderesse.

 

En l’espèce, il se peut que la demanderesse ne devrait pas percevoir de droits de la façon qu’on allègue qu’elle le fait. Ou il se peut que sa conduite contrevienne à certaines dispositions de la Loi sur la concurrence. Mais même si la demanderesse pose des actes incorrects, ces actes ne sont pas liés directement au brevet de la demanderesse ou à la question de savoir si les défenderesses ont commis un délit de contrefaçon à l’égard de ce brevet. Rien n’indique que le brevet serait invalide ou qu’il ne pourrait pas servir de fondement à une action en contrefaçon. Rien n’indique non plus que les allégations des défenderesses sont la preuve qu’il n’y a eu aucune contrefaçon. On n’a pas démontré que la conduite alléguée est liée à la demande de la demanderesses.

 

 

[34]           La dernière décision qu’il nous faut examiner est l’arrêt Volkswagen Canada Inc. c. Access International Automotive Ltd., [2001] 3 C.F. 311, de la Cour d’appel fédérale. Celle‑ci a alors passé en revue l’arrêt Procter & Gamble et, semble‑t‑il, la décision Visx du juge Rothstein, bien qu’on l’ait citée erronément – 68 CPR (3d) 272 et 72 CPR (3d) 19 – (ces décisions dans l’affaire Visx portaient sur d’autres allégations, sans lien avec la Loi sur la concurrence). S’exprimant au nom de la Cour d’appel dans l’arrêt Volkswagen, la juge Sharlow a conclu comme suit (paragraphes 25 et 26) :

25     Les décisions Visx et Procter & Gamble sont deux exemples dans lesquels les violations à la Loi sur la concurrence qui auraient été commises par un breveté n’ont pas soulevé de doutes sur les droits conférés par le brevet. Par conséquent, il n’y avait pas, entre la conduite prétendument illégale et la réparation d’equity recherchée par le breveté, un lien susceptible d’étayer un moyen de défense d’absence de conduite sans reproche.

 

26     Le juge des requêtes a conclu qu’on pouvait en dire autant du présent cas, et donc qu’une défense d’absence de conduite sans reproche n’avait pas de chance d’être accueillie. Je ne saurais partager cette opinion. En l’espèce, Access International veut faire valoir que la cession du droit d’auteur sur le logo VW et celui d’Audi à Volkswagen Canada est une conduite décrite au paragraphe 32(1) de la Loi sur la concurrence, parce que Volkswagen Canada aurait obtenu le droit d’auteur dans le dessein de limiter ou d’empêcher indûment la concurrence en ce qui concerne les pièces et accessoires Volkswagen et Audi authentiques. Cette allégation est bien différente des allégations examinées dans les affaires Visx et Procter & Gamble. À mon avis, il serait au moins possible de faire valoir qu’il existe en l’espèce un lien suffisant entre le droit d’auteur et la défense de l’absence de conduite sans reproche qui serait susceptible d’entraîner le refus de la réparation reconnue en equity.

 

 

[35]           Je conclus de ces décisions que, lorsque dans une défense, on fait valoir comme moyen la conduite illégale, comme la violation de la Loi sur la concurrence, ce moyen doit être lié à l’acquisition du titre au brevet ou à un autre droit de propriété intellectuelle, ou à une demande de réparation en equity, ou les deux à la fois.

 

[36]           Dans la présente action, Sanofi Canada, un porteur de licence, ne peut demander une réparation en equity ni ne dispose du titre au brevet en cause. C’est Schering la propriétaire du brevet, et c’est elle qui pourrait présenter une demande de réparation en equity. Il faut par conséquent radier les paragraphes 7c), 15 et 16 de la défense, à l’égard de Sanofi Canada, et les allégations soulevées aux paragraphes 73 à 120 de la demande reconventionnelle.

 

[37]           Comme je l’ai déjà dit, il y a lieu de suspendre mais non de radier la demande reconventionnelle comme telle à l’égard de Sanofi Canada et de Sanofi Allemagne, puisqu’il s’agit d’un acte de procédure de l’ordre d’une demande et non d’une défense, dont la portée est déjà couverte par celle, plus large, de l’action ontarienne.

 

[38]           Par conséquent, les paragraphes 7c), 15 et 16, pour ce qui a trait à Sanofi Canada et dans la mesure où on y fait valoir ce qui est allégué aux paragraphes 70 à 120 de la demande reconventionnelle, sont radiés à l’égard de Sanofi Canada. Ces paragraphes de la demande reconventionnelle sont suspendus à l’égard de Sanofi Canada et de Sanofi Allemagne. Sanofi Canada et Sanofi Allemagne ont droit aux dépens en fonction des valeurs moyennes de la colonne III.

 

Schering

[39]           Schering est demanderesse dans l’action en Cour fédérale de même que défenderesse reconventionnelle, mais elle n’est pas partie dans l’action ontarienne. Elle n’était partie dans aucune requête dont j’ai été saisi.

 

[40]           L’avocat de Schering a comparu devant moi et s’est exprimé brièvement; il a demandé que sa cliente soit jointe comme partie à la requête de Sanofi. Je n’aurais accédé à cette demande que si Apotex y avait consenti, ce qu’elle n’a pas fait. Schering par conséquent, si elle souhaite prendre quelque mesure que ce soit en lien avec l’objet des présentes, devra le faire par la voie officielle.

 


ORDONNANCE

 

Pour les motifs énoncés :

1.         L’appel interjeté à l’encontre de l’ordonnance du 20 juillet 2007 du protonotaire Morneau est rejeté, avec dépens à Ratiopharm selon les valeurs moyennes de la colonne III.

 

2.         La requête présentée par Sanofi Canada et Sanofi Allemagne au moyen de l’avis de requête du 31 août 2007 est accueillie en partie et, en particulier :

a)         la demande reconventionnelle contre ces parties, quant à ce qu’on fait valoir aux paragraphes 73 à 120 de la demande reconventionnelle, est suspendue en application du paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales;

b)         les paragraphes 7c), 15 et 16 de la défense, dans la mesure où ils sont liés aux allégations formulées aux paragraphes 73 à 120 de la demande reconventionnelle ou intègrent ces allégations, sont radiés à l’égard de Sanofi Canada;

c)         Sanofi Canada et Sanofi Allemagne ont droit aux dépens, en fonction des valeurs moyennes de la colonne III.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T‑161‑07

 

INTITULÉ :                                       SANOFI‑AVENTIS CANADA INC. ET AL. c. APOTEX INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 10 SEPTEMBRE 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS ET

DE L’ORDONNANCE :                   LE 12 SEPTEMBRE 2007

 

COMPARUTIONS :

 

David Morrow                                                                         POUR LA DEMANDERESSE

Jeremy Want                                                                            (Sanofi‑Aventis Canada Inc.)

 

Marc Richard                                                                           POUR LA DEMANDERESSE

                                                                                                (Schering Corporation.)

 

Ben Hackett                                                                             POUR LA DÉFENDERESSE

                                                                                                (Apotex Inc.)

 

Scott Maidment                                                                        POUR LA DÉFENDERESSE

Jonathan Hood                                                                         RECONVENTIONNELLE

                                                                                                (Ratiopharm Inc.)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

SMART & BIGGAR                                                               POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)                                                                     (Sanofi‑Aventis Canada Inc.)

 

GOWLING LAFLEUR HENDERSON LLP                           POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)                                                                      (Schering Corporation.)

 

GOODMANS LLP                                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)                                                                     (Apotex Inc.)

 

MCMILLAN BINCH MENDELSOHN LLP                          POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)                                                                     RECONVENTIONNELLE

                                                                                                (Ratiopharm Inc.)

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