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Date : 20070828

Dossier : T-578-05

Référence : 2007 CF 858

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 août 2007

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

SOCIÉTÉ CANADIENNE DE LA PERCEPTION DE LA COPIE PRIVÉE

demanderesse

et

 

Z.E.I. MEDIA PLUS INC.

et ZANIN CD/DVD INC.

et JOSEPH LEMME

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] Le 26 février 2007, le protonotaire Morneau a rendu, en vertu de l’article 467 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), une ordonnance enjoignant aux défendeurs, Z.E.I. Media Plus Inc. (Z.E.I.), Zanin CD/DVD Inc. (Zanin) et Joseph Lemme de comparaître devant un juge de la Cour et d’être prêts à répondre à l’allégation d’outrage au tribunal.

 

 

 

  • [2] Les faits pour lesquels les défendeurs sont accusés d’outrage au tribunal sont les suivants :

Dans une décision datée du 22 décembre 2006, monsieur le juge de Montigny a rejeté l’appel des défendeurs d’une ordonnance du protonotaire Richard Morneau rendue le 30 juin 2006 exigeant les défendeurs de produire un affidavit de documents plus complet et précis dans les vingt-et-un (21) jours de l’ordonnance.  En contravention des décisions susmentionnées de la Cour, les défendeurs ont délibérément omis de produire un affidavit de documents plus complet et précis dans le délai fixé.

 

HISTORIQUE DES POURSUITES

  • [3] En mars 2005, la demanderesse a intenté une action pour obtenir le paiement des redevances pour la copie privée que les défendeurs lui devaient pour leur fabrication ou importation au Canada, et la vente, de supports audio vierges.Ces redevances sont payables en vertu de la Partie VIII de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42.

 

  • [4] La demanderesse a signifié un affidavit de documents le 18 novembre 2005 et un affidavit supplémentaire le 22 novembre 2005.L’affidavit de documents des défendeurs a été signifié le 18 novembre 2005.Le 25 janvier 2006, la Société a déposé une requête en vue d’obtenir la signification d’un affidavit de documents plus complet et plus précis, conformément à l’article 223 des Règles.La Société ne nie pas que les défendeurs ne seront pas assujettis au paiement de redevances si les CD‑R ne sont pas considérés comme des supports audio vierges, mais elle affirme ne pas pouvoir déterminer le montant exact de l’obligation des défendeurs à moins d’être en mesure de calculer le nombre d’unités de supports audio vierges qui ont été importées et vendues au Canada par chacun des défendeurs.Z.E.I., Zanin et M. Lemme, le président de ces entreprises, ont toujours soutenu par ailleurs qu’une grande partie de leurs produits, qu’elles appellent des « supports industriels vierges », ne sont pas visés par la définition « support audio vierge » et que les importations et ventes de ces supports ne peuvent donc pas être assujetties à des redevances en tant que telles.Il s’agit du nœud de la question à trancher à l’action principale.

 

  • [5] Le 30 juin 2006, le protonotaire Morneau a accueilli la requête de la Société et a ordonné aux défendeurs de fournir un meilleur affidavit de documents.Ce faisant, le protonotaire a approuvé les conditions précises énoncées dans la requête de la Société à l’égard des documents à communiquer.Le protonotaire a également refusé la demande des défendeurs pour que la question de responsabilité soit réglée avant que la demanderesse puisse récupérer les redevances pour la copie privée, et a par conséquent refusé la demande que les défendeurs avaient faite en vue de faire scinder l’affaire en vertu de l’article 107 des Règles.Finalement, il a ordonné que l’affaire fasse l’objet d’une gestion spéciale.

 

  • [6] En appel de cette décision, j’ai confirmé l’ordonnance du 22 décembre 2006 du protonotaire Morneau, et j’ai explicitement rejeté une demande des défendeurs pour qu’ils aient au moins 120 jours (par opposition aux 21 de l’ordonnance du protonotaire) afin de se conformer aux termes de l’ordonnance si elle est confirmée en appel.À ce sujet précis, j’ai écrit (au paragraphe 67 de mes motifs, qui se trouvent à 2006 CF 1546) : « Quant au délai supplémentaire demandé par les défendeurs, je conclus qu’il s’agit d’une tactique purement dilatoire.Il y a plus de 18 mois que la déclaration a été déposée et les interrogatoires préalables n’ont pas encore commencé.Les défendeurs ont amplement eu le temps de préparer un affidavit complet de documents ».

 

  • [7] Par conséquent, ma décision laissait intacte l’ordonnance du protonotaire Morneau faite le 30 juin 2006, en vertu de laquelle les défendeurs devaient produire un affidavit de documents plus complet et précis selon les modalités suivantes :

1. Les défendeurs doivent déposer et signifier un affidavit de documents plus complet et précis dans les 21 jours de la présente ordonnance.  Plus précisément, et sans préjudice de la portée générale de ce qui précède, les défendeurs doivent divulguer dans leur affidavit de documents :

A. tous les documents pertinents se rapportant à l’importation de supports audio vierges au Canada par chacun des défendeurs, comme des commandes d’achat, des factures, des documents d’expédition, des documents de douane, des lettres échangées avec des courtiers en douane, des journaux de paiement et ainsi de suite, allant du mois de décembre 1999 jusqu’à maintenant ou datant d’avant le mois de décembre 1999 pour les supports audio vierges vendus au Canada au mois de décembre 1999 ou par la suite;

B. tous les documents pertinents se rapportant à l’achat de supports audio vierges au Canada par chacun des défendeurs, comme des commandes d’achat, des factures, des documents d’expédition, des journaux de paiement et ainsi de suite, allant du mois de décembre 1999 jusqu’à maintenant;

C. les documents pertinents se rapportant à la vente de supports audio vierges au Canada par chacun des défendeurs, comme des factures, des commandes d’achat, des documents d’expédition, des listes d’inventaire, des journaux de ventes et ainsi de suite, allant du mois de décembre 1999 jusqu’à maintenant.

 

2. Les défendeurs doivent communiquer à la demanderesse les documents énumérés dans le nouvel affidavit de documents et ces documents doivent être organisés de façon à ce que la demanderesse puisse facilement déterminer les montants exigibles et les renseignements exigés en vertu des tarifs pour la copie privée homologués par la Commission du droit d’auteur.

 

3. Le droit de la demanderesse de contre-interroger l’auteur du nouvel affidavit de documents à signifier et déposer est différé.

 

 

  • [8] En tenant compte des vacances judiciaires de Noël, le délai dans lequel les défendeurs doivent se conformer à l’ordonnance du protonotaire Morneau venait à échéance le 29 janvier 2007.Le 30 janvier 2007, l’avocate de la demanderesse a fait parvenir un courriel à l’avocat des défendeurs afin de l’informer que ses clients ne s’étaient pas conformés à mon ordonnance du 22 décembre.Le 31 janvier 2007, l’avocat des défendeurs a écrit à l’avocate de la demanderesse pour indiquer que certains documents seraient fournis sous peu.Cependant, il n’y avait aucune mention dans le courriel d’une date à laquelle les défendeurs prévoyaient se conformer à l’ordonnance de la Cour.

 

  • [9] Le 6 février 2007, l’avocate de la demanderesse a écrit à monsieur le juge Hugessen, le juge responsable de la gestion de l’instance en l’espèce, pour demander la convocation d’une conférence de gestion de l’instance le plus tôt possible afin d’obtenir le respect immédiat par les défendeurs de mon ordonnance du 22 décembre.Un double de la lettre a été envoyé à l’avocat des défendeurs.

 

  • [10] Le 8 février 2007, le protonotaire Morneau a ordonné que la demanderesse procède par voie de requête afin de régler les difficultés soulevées dans la lettre du 6 février.Suite à cette directive, la demanderesse a présenté une requête ex parte pour obtenir une ordonnance en vertu de l’article 467 des Règles.

 

  • [11] Le 16 février 2007, les avocats des défendeurs ont écrit à l’avocate de la demanderesse et indiqué que leurs clients déployaient tous les efforts nécessaires pour respecter l’ordonnance de produire un meilleur affidavit de documents.On peut y lire ceci :

Étant donné que nos clients ont décidé de ne pas interjeter appel de la décision de monsieur le juge de Montigny datée du 22 décembre 2006, nos clients n’avaient plus de choix que de fournir les documents demandés sans tarder et nos clients s’emploient de leur mieux à obtempérer, étant toutefois limités par plusieurs facteurs, notamment la mémoire institutionnelle de nos clients.  Dans le délai imposé par l’ordonnance, nos clients ont déménagé, changé les systèmes comptables et fait l’objet de deux vérifications par votre client et puits [sic] des vérifications de la part des autorités gouvernementales.  La capacité de nos clients de satisfaire à l’ordonnance en temps opportun est de plus limitée par l’ampleur de la tâche. 

 

Néanmoins, soyez assurée que, l’ordonnance étant définitive, nos clients ont pleinement l’intention de s’y conformer dans les plus brefs délais possible afin que la présente affaire puisse aller de l’avant.  Dans la mesure où la Cour fédérale est d’avis que, relativement aux questions contestées par les parties, il est raisonnable et pertinent que ces documents soient fournis à votre client à cette étape-ci des procédures, nos clients ont pleinement l’intention de le faire.

 

 

  • [12] Joints à cette lettre se trouvaient 291 « liasses de documents » représentant les achats des défendeurs auprès de trois fabricants jusqu’à la fin de 2006.Ils ont également indiqué qu’ils prévoyaient être en mesure de divulguer [traduction] « le ou avant le 20 février 2007 » leurs achats auprès d’un autre fabricant ainsi que les ventes de leurs clients.Enfin, M. Chronopoulos a ajouté qu’il serait à l’extérieur du pays du 21 février 2007 au 12 mars 2007 et qu’ils devraient être en mesure de transmettre le reste des documents de leurs clients peu de temps après.

 

  • [13] Conformément à cette lettre, une autre lettre a été envoyée par les avocats des défendeurs à l’avocate de la demanderesse le 20 février 2007, lettre dans laquelle se trouvaient 145 autres liasses de documents représentant leurs achats auprès d’un quatrième fabricant jusqu’au 25 juillet 2003.Leurs achats de ces produits depuis devaient être divulgués au retour de M. Chronopoulos au cours de la semaine du 12 mars 2007.La lettre ajoutait ce qui suit :

Sous ce pli, nos clients transmettent également à votre client deux CD, l’un contenant une copie des factures de ventes de Zanin CD/DVC Inc. portant les numéros 2 à 25564, l’autre contenant une copie des factures de ventes portant les numéros 133380 à 193622 de Z.E.I. Media Plus Inc.  À noter qu’en ce qui concerne les factures de Z.E.I. Media Plus Inc., on nous informe que la numérotation, dans plusieurs cas, saute en raison du système de réseautage en place dans le cadre duquel les données relatives aux ventes provenant de différentes sources avant qu’une facture ne soit émise ont fait en sorte que le système sautait des numéros, le tout devant être expliqué en détail par les représentants de Z.E.I.

 

 

  • [14] Dans une autre lettre datée du 18 avril 2007, les avocats des défendeurs ont transmis 1 342 autres liasses de documents reliées à leurs achats de CD auprès de sources canadiennes ou étrangères.En ce qui concerne les factures de ventes, M. Chronopoulos a écrit ceci :

Outre ce qui précède, depuis la communication de deux CD relativement aux ventes de nos clients avec notre lettre du 20 février 2007, nos clients ont examiné plus à fond la question des numéros sautés sur lesdits CD et déterminé que le nombre de factures sautées sur lesdits CD ne traduit pas la réalité.

 

On nous informe que le programme qui a été mis au point par un expert-conseil en programmation pour effectuer la tâche ne l’a pas fait de façon fiable.  On nous informe également qu’après un examen manuel des résultats et la découverte du fait qu’il y avait en fait des factures réelles sur lesdits CD qui avaient été sautées, un nouveau programme a été mis au point afin d’exécuter de façon fiable la tâche qui, d’après ce que nous comprenons, a été longue, a nécessité beaucoup de temps et est toujours en cours.

 

Dans l’intervalle, par les présentes, nos clients vous transmettent trois CD représentant leurs ventes partielles, comme suit :

1. Les factures de ventes de Z.E.I. Media Plus Inc. portant les numéros 133374 à 165000;

2. Les factures de ventes de Norman Manufactoring Inc., une division de Z.E.I. Media Plus Inc., portant les numéros 10001 à 10901;

3. Les factures de ventes de PCLink, une division de Z.E.I. Media Plus Inc. portant les numéros 32412 à 47000.

 

Les CD contenant le reste des factures de ventes de nos clients, dans la mesure où nos clients ont encore des dossiers de ces factures, doivent être transmis le plus tôt possible, à mesure qu’ils sont disponibles.

 

 

  • [15] Enfin, le 4 mai 2007, les défendeurs ont signifié et déposé un affidavit de documents modifié en même temps que trois CD qui complétaient la divulgation des factures de ventes de Z.E.I.

 

RÈGLES DE DROIT APPLICABLES

  • [16] Les règles de common law régissant l’outrage au tribunal ont été codifiées dans les articles 466 à 472 des Règles.Pour établir l’outrage au tribunal, il incombe au demandeur de prouver hors de tout doute raisonnable qu’il existe une ordonnance valide de la Cour, que les défendeurs étaient au courant de cette ordonnance et qu’ils y ont sciemment désobéi.Ma collègue la juge Hansen a résumé de manière succincte les éléments essentiels de l’outrage dans Sherman c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2006 CF 1121, au paragraphe 11 :

Quiconque désobéit à une ordonnance de la Cour est coupable d’outrage au tribunal : alinéa 466b) des Règles des Cours fédérales, DORS/2004-283.  Il incombe à la partie alléguant l’outrage au tribunal de le prouver hors de tout doute raisonnable : article 469 des Règles.  En d’autres mots, tous les éléments constituant l’infraction d’outrage au tribunal doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable.  Lorsque la désobéissance à une ordonnance judiciaire constitue le présumé outrage au tribunal, pour qu’il y ait infraction, il faut que l’ordonnance judiciaire existe, que l’auteur présumé de l’outrage au tribunal connaisse l’existence de l’ordonnance judiciaire et qu’il y désobéisse sciemment.

 

Voir aussi : Brilliant Trading Inc. c. Wong, 2005 CF 1214, au paragraphe 15.

 

 

  • [17] La personne à qui l’outrage au tribunal est reproché a droit à une audience au cours de laquelle les témoignages seront donnés oralement et au cours de laquelle elle aura la possibilité de présenter une défense.Étant donné qu’il incombe à la partie qui allègue l’outrage au tribunal de démontrer l’outrage au tribunal, il n’est pas nécessaire que le défendeur soit présent devant la Cour.

 

  • [18] Bien que la connaissance du processus ou de l’ordonnance de la Cour doive être démontrée de façon à ce que sa violation soit perpétrée sciemment ou par négligence, la mens rea, dans le sens d’une intention précise de désobéir au processus ou à l’ordonnance de la Cour, n’a pas été établie; elle n’entre en jeu qu’en tant que facteur à prendre en compte au moment de déterminer la sanction.Comme l’a expliqué le protonotaire Hargrave dans Telus Mobilité c. Syndicat des travailleurs des télécommunications, 2002 CF 1re inst. 656, (2002), 220 F.T.R. 291, au paragraphe 11, « [l]’élément volonté délibérée ne vise qu’à exclure la désobéissance fortuite, ou la désobéissance accidentelle et involontaire ».La Cour d’appel fédérale s’est étendue sur l’état d’esprit requis de l’accusé pour que la Cour le reconnaisse coupable d’outrage.Dans Apotex inc. c. Sherman, 2003 CAF 234, (2003), 241 F.T.R. 160, au paragraphe 60, le juge Sexton (auteur des motifs unanimes de la Cour) a écrit :

Par conséquent, la jurisprudence établit qu’il n’est pas nécessaire de prouver que l’auteur allégué de l’outrage au tribunal avait l’intention, en commettant son acte « d’entraver la bonne administration de la justice ou de porter atteinte à l’autorité ou à la dignité de la Cour ». Ce degré d’intention est trop exigeant pour les affaires d’outrage au tribunal de nature civile. Il suffit plutôt de conclure que l’intention de la Cour était claire et que l’auteur de l’outrage au tribunal a commis l’acte interdit en connaissance de cause.

 

 

  • [19] Une fois l’outrage au tribunal établi, l’article 472 des Règles prévoit les diverses sanctions que le juge peut ordonner.Cela comprend l’incarcération pour une période de moins de cinq ans, le paiement d’une amende et les dépens.Ma collègue la juge Snider a récemment examiné la jurisprudence pertinente et a résumé les divers critères qui peuvent être pris en compte pour déterminer une sanction :

Un examen de la jurisprudence permet de dégager un certain nombre de facteurs qui doivent être pris en compte dans la détermination de la peine pour outrage. D’une manière générale, la peine doit rendre compte de la sévérité de la loi tout en étant assez modérée pour démontrer la clémence de la justice (Cutter (Canada) Ltd. c. Baxter Travenol Laboratories of Canada Ltd., [1987] 2 C.F. 557, 14 C.P.R. (3d) 449, à la page 453 (C.A.F.)). Les éléments suivants sont aussi pris en considération :

 

l’amende ne doit pas être purement symbolique; elle doit être fonction de la capacité de payer de la personne reconnue coupable d’outrage au tribunal (Desnoes & Geddes Ltd. c. Hart Breweries Ltd., 19 C.P.R. (4th) 346, au paragraphe 7 (C.F. 1re inst.));

 

le fait que l’outrage constitue une première infraction (R. c. de L’Isle (1994), 56 C.P.R. (3d) 371, au paragraphe 373 (C.A.F.));

la question de savoir si l’auteur de l’outrage a déjà fait fi d’un moyen de contrainte de la Cour (Desnoes & Geddes, précitée, au paragraphe 11);

 

la présence de facteurs atténuants tels que la bonne foi et les excuses (Cutter (Canada) Ltd., précité, au paragraphe 454);

 

la présence d’excuses et le moment où elles ont été faites (N.M. Paterson & Sons Ltd. c. Corp. de gestion de la voie maritime du Saint-Laurent., [2002] A.C.F. no 1713, au paragraphe 17 (C.F. 1re inst.));

 

l’objectif de dissuasion, pour faire en sorte que les ordonnances subséquentes soient respectées (Louis Vuitton S.A. c. Tokyo-Do Enterprises Inc. (1991), 37 C.P.R. (3d) 8, au paragraphe 13 (C.F. 1re inst.));

 

l’intention d’ignorer ou de ne pas respecter délibérément les ordonnances de la Cour (James Fisher and Sons Plc c. Pegasus Lines Ltd. S.A., [2002] A.C.F. no 865, au paragraphe 17 (C.F. 1re inst.));

 

le fait que l’ordonnance qui a été violée a été jugée invalide par la suite (Coca‑Cola Ltd. c. Pardhan (2000), 5 C.P.R. (4th) 333, au paragraphe 6 (C.F. 1re inst.)), conf. par (2003), 23 C.P.R. (4th) 173 (C.A.F.)).

 

Wanderingspirit c. Marie, 2006 CF 1420, au paragraphe 4

 

 

CONCLUSIONS DE FAIT

 

  • [20] Nul ne conteste l’existence d’une ordonnance valide (celle du protonotaire Morneau du 30 juin 2006, confirmée en appel par 2006 CF 1546), ni le fait que les défendeurs étaient au courant de l’ordonnance.Lors de l’audience, M. Segal a reconnu que ses clients avaient reçu une copie de ma décision pendant les vacances judiciaires de Noël.Quoi qu’il en soit, il semble que ma décision ait été télécopiée par la Cour à l’avocate de la demanderesse et aux avocats des défendeurs.

 

  • [21] La seule question à résoudre est de savoir si les défendeurs ont sciemment ou par négligence fait fi de l’ordonnance de la Cour.L’avocate de la demanderesse a soutenu que les défendeurs avaient désobéi à l’ordonnance de la Cour premièrement en ne remettant pas un meilleur affidavit de documents dans le délai fixé dans la décision du protonotaire Morneau, comme le confirme ma décision du 22 décembre 2006, et deuxièmement, que les documents qu’ils ont fournis ne sont pas tous pertinents et avaient été plus ou moins « déchargés » sur la demanderesse, obligeant la Société à les trier et à déterminer ce qui était pertinent et ce qui ne l’était pas aux fins du règlement du différend entre les parties.

 

  • [22] Par contre, les avocats des défendeurs ont soutenu que leurs clients ont fait de leur mieux pour respecter l’ordonnance de la Cour, mais qu’ils n’ont pas pu le faire dans un délai de 21 jours, parce qu’il s’agissait d’une entreprise colossale de récupérer tous les documents mentionnés dans l’ordonnance du protonotaire Morneau et, également, parce qu’ils n’avaient pas la capacité technique tout d’abord d’imprimer toutes les factures de ventes au cours de ces années et, ensuite, de faire la distinction entre les renseignements reliés aux « supports audio vierges » et les renseignements qui ne l’étaient pas.Les avocats des défendeurs ont appelé quatre personnes à témoigner à l’appui de cette affirmation.

 

  • [23] Le premier témoin, M. Charles Thibodeau, a travaillé pour les défendeurs depuis 2004 et il est le vice-président (finances) du groupe Sogelem, dont font partie les entreprises des défendeurs.En cette capacité, il s’occupe de tout, la rémunération des employés, la comptabilité et la tenue de livres, les ressources humaines et ainsi de suite.À la demande de M. Lemme, il a fait de son mieux pour extraire de l’ordinateur toutes les factures de ventes, uniquement pour se rendre compte que le logiciel utilisé par les entreprises ne lui permettait pas de le faire (il pouvait extraire les factures de ventes uniquement une à la fois).Il s’est rendu ensuite chez un expert-conseil en informatique, M. Éric Tremblay, pour qu’il développe un programme qui permet de récupérer toutes les factures de ventes de l’ordinateur et de les imprimer en vrac, plutôt qu’une par une.Au cours de son contre-interrogatoire, M. Thibodeau a confirmé qu’on ne lui a jamais demandé de récupérer toutes les factures de ventes avant janvier 2007.Il a aussi indiqué qu’aucune tentative n’avait été faite de récupérer les renseignements dans les factures de ventes en fonction du code de produit, et il ne savait pas si cela aurait été possible.

 

  • [24] Le deuxième témoin, M. Eric Tremblay, est un programmateur informatique qui travaille comme expert-conseil pour les entreprises du défendeur.Il a essayé pendant près d’un mois de mettre au point un programme qui exporterait tous les dossiers de ventes des entreprises du défendeur, mais en vain.De fait, l’application qu’il a mise au point donnait des résultats non fiables et incomplets, et c’est ce qui a amené M. Thibodeau à se tourner vers les programmeurs qui avaient mis au point le logiciel utilisé par les entreprises du défendeur.Au cours de son contre-interrogatoire, il a aussi confirmé qu’il s’agit d’une caractéristique normale de la plupart des programmes de facturation.

 

  • [25] Le deuxième témoin, Mme Louise Lauzon, est l’adjointe de direction de M. Lemme.Elle a déclaré lors de l’audience que les dossiers d’achats des défendeurs auprès de fournisseurs sont en forme papier et qu’elle a travaillé pratiquement à plein temps pendant trois semaines pour parcourir ces dossiers et communiquer les achats des supports pertinents par les défendeurs, à l’exclusion d’autres produits.Au cours de son contre-interrogatoire, elle a mentionné qu’elle a été mise au courant de ma décision (confirmant l’ordonnance du protonotaire Morneau) le 5 janvier 2007 par M. Lemme lui-même, mais qu’elle a été autorisée à prendre ses vacances jusqu’au 16 janvier.Elle a aussi dit que personne d’autre n’a touché aux boîtes des dossiers d’achats avant son retour, étant donné qu’elle était la mieux apte à faire ce travail.

 

  • [26] Enfin, M. Lemme a témoigné en son propre nom et en sa qualité de président des deux entreprises des défendeurs.Il a reconnu qu’il était en voyage d’affaires pour la majeure partie de la période au cours de laquelle un nouvel affidavit de documents plus complet devait être remis, et qu’il n’a pas participé lui-même au processus de se conformer à l’ordonnance, si ce n’est que de donner des directives à M. Thibodeau et à Mme Lauzon.Il a aussi précisé que rien n’a été fait entre juin et décembre 2006, parce qu’il était convaincu d’avoir gain de cause en appel de l’ordonnance du protonotaire Morneau.

 

  • [27] Me fondant sur ces éléments de preuve, j’estime que les défendeurs sont coupables d’outrage eu égard à l’ordonnance de la Cour.Non seulement n’ont-ils pas fourni à la demanderesse un meilleur affidavit de documents plus complet dans le délai ordonné par le protonotaire Morneau et confirmé dans ma décision du 22 décembre 2007, mais ils ont produit une partie importante de documents qui ne sont pas pertinents au règlement du différend entre les parties.

 

  • [28] Les éléments de preuve indiquent que les défendeurs n’ont pas pris l’ordonnance du protonotaire Morneau aussi sérieusement qu’ils auraient dû.Ma décision a été rendue le 22 décembre 2006, et pourtant ils n’ont commencé à la mettre en œuvre qu’au début de janvier.Pour ce qui est des commandes d’achats, Mme Lauzon ne s’est vraiment mise à la tâche de recueillir et de sélectionner les documents pertinents qu’à son retour de vacances, le 16 janvier 2007.Les éléments de preuve selon lesquels elle était la seule personne qui pouvait adéquatement s’acquitter de la tâche sont loin d’être convaincants et au mieux contestables.En ce qui concerne les factures de ventes, aucune tentative n’a été faite de récupérer les renseignements en fonction des codes de produit et aucune explication satisfaisante n’a été donnée quant aux raisons pour lesquelles le logiciel utilisé par les entreprises du défendeur n’a pas la capacité de récupérer tous les documents de façon rapide et efficiente.Quoi qu’il en soit, la démarche prudente aurait été de commencer l’exercice dès que le protonotaire Morneau a rendu son ordonnance, ou du moins de s’assurer que la tâche pouvait être terminée dans les 21 jours.

 

  • [29] Non seulement la transmission des documents était-elle en retard (les derniers CD contenant des factures de ventes ont été envoyés à la demanderesse le 4 mai 2007, quelque trois mois après le délai fixé par la Cour), mais elle n’était pas en conformité des modalités de l’ordonnance.Le paragraphe 2 de l’ordonnance du protonotaire stipule que les « documents doivent être organisés de façon à ce que la demanderesse puisse facilement déterminer les montants exigibles et les renseignements exigés en vertu des Tarifs pour la copie privée ».Cela est conforme avec l’objectif de la divulgation avant l’instruction, soit d’aider à déterminer la vérité des questions en litige, de préciser les questions en litige et d’accélérer l’instruction des véritables problèmes à régler (Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (1993), 51 C.P.R. (3d) 305, 69 F.T.R. 161 (C.F.)).

 

  • [30] Cette obligation imposée aux défendeurs n’aurait pas dû les surprendre, étant donné que l’article 9 des Tarifs pour la copie privée, 1999-2000 (modifiés) stipule que « [l]e fabricant ou importateur tient et conserve (…) les registres permettant à la SCPCP de déterminer facilement les montants exigibles et les renseignements qui doivent être fournis en vertu du présent tarif ».Cet objectif perd son utilité du fait que, du moins en ce qui concerne les factures de ventes, aucune sélection n’a été faite.Si, comme l’ont prétendu certains témoins, seuls M. Lemme, Mme Lauzon et peut-être un nombre limité d’employés des défendeurs sont en mesure de faire une distinction entre ce qu’est un CD et ce qui ne l’est pas, parce que la description sur la facture n’est pas toujours claire, on peut à juste titre s’imaginer à quel point il sera plus compliqué pour la demanderesse de déterminer la nature exacte des produits énumérés sur les factures de ventes.Quoi qu’il en soit, la demanderesse ne devrait pas supporter les coûts importants associés au tri de piles de factures pour déterminer lesquelles concernent la vente de supports audio vierges et lesquelles ne le sont pas, d’autant plus que l’on a reconnu le pourcentage élevé de documents non pertinents qui s’y trouvaient.

 

  • [31] Les défendeurs ont également soutenu que si leur argument de faire scinder l’affaire avait été accepté, ils n’auraient pas été obligés de faire cet exercice immédiatement.Cet argument est fallacieux.Qu’ils aient ou non gain de cause en faisant valoir leur thèse voulant que les supports industriels vierges (c.-à-d., ceux qui ne sont pas vendus aux consommateurs individuels aux fins de la reproduction d’enregistrements sonores) ne sont pas visés par les Tarifs, les défendeurs devront à un moment ou un autre faire un choix et différencier entre leurs divers produits.Après tout, ils n’ont jamais soutenu que tous leurs CD et CD-R ne sont pas assujettis à une redevance.Le nombre de documents qu’ils pourraient devoir produire est peut-être plus limité, mais ils devront tout de même entreprendre une forme de tri.

 

  • [32] Pour tous ces motifs, je conclus que les défendeurs sont coupables d’outrage au tribunal relativement à l’ordonnance du protonotaire Morneau.Quant à la sanction, la demanderesse suggère une amende de 2 500 $ par défendeur, afin de s’assurer d’envoyer un message clair et de s’assurer que les futures ordonnances de la Cour sont respectées.En l’espèce, je souscris à cette proposition et je considère, compte tenu des critères élaborés dans la jurisprudence et résumés plus tôt dans les présents motifs, qu’une telle amende est appropriée et juste.L’objectif n’est pas d’acculer les défendeurs à la faillite, mais de s’assurer que les ordonnances de la Cour sont prises au sérieux.En tirant cette conclusion, je prends acte du fait que M. Lemme a pris certaines mesures pour respecter l’ordonnance de la Cour, et qu’il semble se rendre compte de l’importance d’un bon déroulement des travaux de la Cour.J’ose espérer que la présente condamnation l’incitera à s’impliquer davantage personnellement dans l’exécution de futures ordonnances de la Cour.

 

  • [33] Quant aux dépens, la pratique normale est de les adjuger sur une base procureur-client à la partie qui demande l’exécution de l’ordonnance de la Cour.Je ne vois aucune raison de dévier de la pratique en l’espèce.Par conséquent, les défendeurs doivent payer à la demanderesse ses dépens raisonnables eu égard à l’audience de justification et aux procédures devant la Cour.

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE QUE :

  • - Les défendeurs Z.E.I. Media Plus Inc., Zanin CD/DVD Inc. et Joseph Lemme soient déclarés coupables d’outrage au regard de l’ordonnance délivrée par le protonotaire Morneau le 30 juin 2006.

  • - Les défendeurs Z.E.I. Media Plus Inc., Zanin CD/DVD Inc. et Joseph Lemme payent chacun une amende de 2 500 $ dans le mois suivant la date de la présente ordonnance.

  • - Les défendeurs Z.E.I. Media Plus Inc., Zanin CD/DVD Inc. et Joseph Lemme payent, conjointement et solidairement, à la demanderesse ses dépens raisonnables eu égard à l’audience de justification et aux procédures devant la Cour le 23 avril 2007.Les dépens en question seront calculés au tarif des dépens extrajudiciaires et devront être payés dans le mois suivant leur liquidation.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  T-578-05   

 

INTITULÉ :  SOCIÉTÉ CANADIENNE DE LA PERCEPTION DE LA COPIE PRIVÉE

c.

Z.E.I. MEDIA PLUS ET AL.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  MONTRÉAL   (QUÉBEC) 

 

DATE DE L’AUDIENCE :    LE 23 AVRIL 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :  LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :  LE 28 AOÛT 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Madeleine Lamothe-Samson

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Marvin Segal et

Louis Chronopoulos

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ogilvy Renault

1981, avenue McGill College

Bureau 1100

Montréal (Québec)  H3V 3C1

 

POUR LA DEMANDERESSE

Gross, Pinsky

2, place Alexis Nihon, bureau 1000

3500, boul. de Maisonneuve Ouest

Montréal (Québec)  H3Z 3C1

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

 

 

 

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