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Date : 20070822

Dossier : IMM-4074-06

Référence : 2007 CF 845

Ottawa (Ontario), le 22 août 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

 

ENTRE :

ISHMAEL JUNIOR BEMA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, (la Loi), à l’égard d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), rendue le 4 juillet 2006, de rejeter la demande d’asile d’Ishmael Junior Bema (le demandeur) présentée conformément à l’article 96 et au paragraphe 97(1) de la Loi.

 

CONTEXTE

[2]                Le demandeur est citoyen du Zimbabwe.

 

[3]               Le demandeur prétend qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de son appartenance à un groupe social et de ses opinions politiques. En tant qu’opposant au gouvernement du Zimbabwe et membre du Mouvement pour la démocratie et le changement  (le MDC), le demandeur allègue qu’il est une personne à protéger du fait qu’il serait exposé à une menace à sa vie, ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, s’il retournait dans son pays d’origine. Plus particulièrement, le demandeur prétend qu’il a été battu par trois membres de la milice des green bombers de l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (la ZANU‑PF), qui lui auraient dit qu’il devait adhérer à leur organisation, sinon il serait tué. À la suite de cet incident, les parents du demandeur ont envoyé leur fils vivre chez leur famille en attendant qu’il obtienne un visa pour se rendre aux États-Unis.

 

[4]               Le demandeur est parti pour les États-Unis en juillet 2005. Il est ensuite arrivé au Canada le 16 novembre 2005 et a demandé l’asile.

 

[5]               À son arrivée au Canada, le demandeur était âgé de dix-sept ans et, de ce fait, Mme Daiva Kelertas, responsable de l’établissement des réfugiés au Centre multiculturel de Fort Erie, a accepté d’être désignée comme sa représentante. Le demandeur était également représenté par un avocat au moment où il a rempli son formulaire de renseignements personnels (le FRP) et au cours de l’audience. Il convient de préciser qu’à l’audience tenue le 23 mai 2006 le demandeur était âgé de dix-huit ans.

 

[6]               Dans une décision rendue le 4 juillet 2006, la Commission a conclu que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention, ni qualité de personne à protéger, et ce, à la lumière des incohérences et des omissions cruciales qu’elle a relevées dans son témoignage. Elle a indiqué que l’élément qui a eu une influence déterminante sur sa question était le manque de crédibilité du demandeur dans son témoignage, et plus précisément dans les parties de celle-ci dans lesquelles il cherchait à établir une crainte objective de persécution par les green bombers et le fait qu’il était recherché à titre de membre du MDC ou de membre de la famille d’une personne appartenant au MDC.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[7]               La présente demande soulève les questions en litige suivantes :

1)      La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur du fait qu’il ait omis d’indiquer dans son FRP les mesures prises contre les membres de sa famille?

2)      La Commission a-t-elle commis une erreur en n’ajournant pas l’audience pour permettre au demandeur de déposer des documents supplémentaires?

3)      La Commission a-t-elle porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale en  ne respectant pas les directives de la présidente relatives aux demandeurs d’asile mineurs non accompagnés?

 

NORME DE CONTRÔLE

[8]               Comme l’a confirmé la Cour suprême dans l’arrêt Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, le choix de la norme de contrôle applicable aux décisions de fond de la Commission repose principalement sur la nature de la décision. Quant aux questions de fait, comme celles portant sur les conclusions de la Commission quant à la crédibilité du demandeur et sur son appréciation de la preuve, la norme de contrôle appropriée est celle de la décision manifestement déraisonnable. Ainsi, en ce qui concerne les questions de fait, le tribunal saisi du contrôle ne peut intervenir que s’il est convaincu que l’office fédéral, en l’occurrence la Commission, « a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose », comme le prévoit l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7.

 

[9]               Quant à la question relative à l’obligation d’agir équitablement en matière de procédure, la Cour suprême du Canada a conclu que la norme de contrôle applicable était celle de la décision correcte (Ellis-Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [2001] 1 R.C.S. 221). Par conséquent, un manquement à l’obligation d’agir équitablement en matière de procédure entraîne l’annulation de la décision (Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c. Lafontaine (Village), [2004] 2 R.C.S. 650).

 

ANALYSE

[10]           À titre préliminaire, le demandeur cherche à déposer un document de l’Institute for War and Peace Reporting (l’Institut de journalisme de guerre et de paix), dans lequel il est indiqué que l’armée du Zimbabwe recrute seulement des jeunes âgés entre 18 et 22 ans. Ce document est fourni pour expliquer pourquoi les green bombers n’ont pas tenté de recruter les frères du demandeur qui étaient âgés de 29 et de 30 ans au moment où l’incident serait survenu. Le demandeur soutient qu’il aurait déposé ce document devant la Commission s’il avait su qu’il devait aborder la question des mesures prises contre les membres de sa famille, ou de l’absence de celles-ci.

 

[11]           Il est bien établi en droit que, sauf dans des circonstances exceptionnelles, les éléments de preuve dont n’était pas saisi le décideur ne sont pas admissibles devant la Cour dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire (Bekker c. Canada, [2004] A.C.F. no 819 323 N.R. 195 (C.A.F.)). Dans la présente affaire, je ne suis pas convaincu qu’il existe des circonstances exceptionnelles qui permettraient le dépôt du nouvel élément de preuve.

 

[12]           En outre, après avoir examiné la transcription de l’audience, je ne suis pas convaincu que le nouvel élément de preuve appuie les allégations du demandeur. Lorsqu’on lui a posé la question de savoir pourquoi ses frères n’avaient pas été ciblés par les green bombers aux fins de recrutement, le demandeur n’a d’abord pas été en mesure d’y répondre. À supposer que les green bombers ne recrutent que les jeunes d’un groupe d’âge spécifique, il y aurait lieu de s’attendre à ce que le demandeur, qui apparemment vivait dans la crainte d’être persécuté par cette milice, connaisse ce fait. Le demandeur a ensuite expliqué que l’un de ses frères souffre de troubles mentaux et que l’autre a une dépendance à la marijuana. De toute évidence, le document que le demandeur cherche maintenant à déposer n’appuie pas les explications qu’il a fournies à la Commission et n’est aucunement utile dans l’examen du caractère raisonnable de la conclusion de la Commission quant à sa crédibilité.

 

 

1) La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur du fait qu’il ait omis d’indiquer dans son FRP les mesures prises contre les membres de sa famille?

 

[13]           En concluant que le demandeur manquait de crédibilité, la Commission a mis l’accent sur quelques éléments, notamment une contradiction importante entre les notes prises au point d’entrée et l’exposé circonstancié du FRP au sujet des mesures prises contre les membres de sa famille. Selon les notes prises au point d’entrée, le demandeur a indiqué que l’affrontement avec les green bombers avait incité sa famille à quitter sa maison et à aller vivre chez un membre de la parenté, puis chez un autre. Dans son FRP, le demandeur n’a toutefois pas fait mention de ce fait, il a plutôt indiqué qu’après son départ du Zimbabwe la maison de ses parents avait été détruite par les green bombers parce qu’elle aurait contrevenu au règlement de zonage, et que l’un de ses frères avait été grièvement blessé au cours de cet incident. Selon le FRP du demandeur, c’est après cet incident que ses parents ont dû aller vivre chez des membres de la famille et changer continuellement de maison.

 

[14]           Lorsque la Commission a demandé au demandeur pourquoi les faits relatés dans les notes prises au point d’entrée ne figuraient pas dans son FRP, ce dernier a d’abord répondu qu’il devait avoir oublié de les mentionner. Ensuite, lorsque son avocat lui a posé la même question, le demandeur a donné la même réponse et ajouté qu’il pensait que le fait d’apporter trop de changements à son FRP donnerait l’impression qu’il voulait fournir trop de renseignements non pertinents. À la fin de l’audience, après une brève pause pendant laquelle il s’est entretenu avec le demandeur et sa représentante, l’avocat du demandeur a demandé à la Commission la permission de poser quelques questions supplémentaires à son client. L’une de ces questions portait sur la compréhension du demandeur quant aux renseignements qui devaient être fournis dans son FRP. C’est seulement à ce moment-là que le demandeur a affirmé qu’il croyait qu’il était censé ne parler que de lui-même et non des membres de sa famille, étant donné qu’il s’agissait d’un formulaire de renseignements « personnels », et qu’il ne se rappelait pas avoir lu les instructions relatives à la question 31 sur le type de renseignements devant figurer dans l’exposé circonstancié.

 

[15]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur susceptible de révision en lui reprochant son omission d’indiquer dans son FRP les mesures prises contre les membres de sa famille, en dépit du fait qu’il lui avait dit expressément qu’il ne savait pas qu’il devait le faire.

 

[16]           À mon avis, l’argument du demandeur est sans fondement étant donné que, dans l’appréciation de sa crédibilité, la Commission peut « fonder sa décision sur les éléments de preuve qui lui sont présentés et qu’elle estime crédibles et dignes de foi dans les circonstances » (Mugesera, précité, paragraphe 38). Compte tenu des différentes réponses données par le demandeur, du fait que les instructions sur le type de renseignements devant figurer à la question soit indiquées clairement 31 sur le FRP et du fait que le demandeur bénéficiait de l’assistance d’une représentante désignée et d’un avocat au moment où il a rempli son formulaire, la Commission était tout à fait fondée à n’accorder qu’un faible poids aux explications qu’il lui a fournies. Cette conclusion de la Commission était raisonnable et ne constitue pas un motif donnant ouverture au contrôle judiciaire.

 

[17]           La Commission a également signalé que le demandeur avait affirmé au cours de l’audience avoir demandé à son père de signer un affidavit concernant la destruction de la maison familiale et de fournir des documents confirmant que son frère avait été blessé grièvement et hospitalisé, mais que son père avait refusé de le faire, ce qui a laissé la Commission perplexe et qui a miné davantage la crédibilité du demandeur. En outre, comme le précise le défendeur, le fait que le demandeur ait pris l’initiative de solliciter de tels documents dès le départ semble bien confirmer qu’il savait qu’on lui poserait des questions sur les mesures prises contre les membres de sa famille et qu’il allait devoir déposer les documents nécessaires à l’appui de ses réponses.

 

[18]           Enfin, le reproche adressé au demandeur ne portait pas seulement sur son omission de fournir des renseignements dans son FRP, mais aussi sur une contradiction flagrante entre les notes prises au point d’entrée et celles figurant dans son FRP et l’incidence de celle-ci sur la vraisemblance de son récit, contradiction à l’égard de laquelle il n’a pas pu fournir des explications satisfaisantes.

 

2) La Commission a-t-elle commis une erreur n’ajournant pas l’audience pour permettre au demandeur de déposer des documents supplémentaires?

 

[19]           Le demandeur soutient que la Commission, qui a conclu qu’il avait fourni une preuve insuffisante à l’appui de son dossier, aurait dû ajourner l’audience pour lui permettre d’obtenir des documents supplémentaires à l’appui de sa demande. Une fois de plus, le demandeur soutient que la Commission aurait dû faire preuve d’indulgence à son égard étant donné qu’il ne savait pas qu’il devait fournir des documents à l’appui des allégations touchant les membres de sa famille.

 

[20]           Il importe de souligner que l’avocat du demandeur n’a sollicité aucun ajournement au cours de l’audience. Ainsi, le demandeur ne plaide pas que la Commission a commis une erreur par son refus d’accorder l’ajournement qu’il aurait pu demander, mais plutôt par son omission de lui avoir proposé de le faire.

 

[21]           Sur ce point, le défendeur allègue que l’absence de documents à l’appui du dossier n’était qu’un facteur parmi d’autres ayant amené la Commission à rejeter la demande, étant donné que la conclusion défavorable de cette dernière quant à la crédibilité du demandeur était principalement fondée sur les incohérences et les omissions cruciales dans le témoignage de celui-ci. Le défendeur se fonde sur l’arrêt  Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] A.C.F. no 604, dans lequel la Cour d’appel fédérale a décidé qu’une conclusion générale quant au manque de crédibilité du demandeur peut fort bien s'étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage, et que la Commission peut rejeter la demande du demandeur au motif qu’elle ne le croit tout simplement pas, rendant ainsi le dépôt d’éléments de preuve supplémentaires superfétatoire.

 

[22]           À mon avis, les prétentions du demandeur sur ce point ne sont aucunement fondées. Essentiellement, comme le souligne le défendeur, il est de droit constant qu’il incombe au demandeur d’établir le bien-fondé de sa demande au cours de l’audience, ce qui implique la nécessité de fournir les documents requis (l'article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés (les Règles), DORS/2002-228). J’ajouterais qu’il n’y a certainement aucune obligation de la part de la Commission d’ajourner une audience, sans même qu’on le lui ait demandé, pour donner au demandeur qui a omis de présenter suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de son dossier une deuxième occasion de le faire.

 

3) La Commission a-t-elle porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale en ne respectant pas les directives de la présidente relatives aux demandeurs d’asile mineurs non accompagnés?

 

[23]           Le demandeur allègue que la Commission a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale en n’appliquant pas les règles visant les demandeurs d’asile mineurs non accompagnés énoncées dans les Directives no 3 intitulées « Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié » (les Directives). Plus particulièrement, le demandeur soutient que la Commission a omis, dans ses motifs, de mentionner expressément son âge, qu’elle n’a pas examiné les questions particulières touchant à la preuve qui se posent au moment de l'obtention et de l'évaluation de la preuve relative aux demandes présentées par des enfants et, enfin, qu’aucune conférence préparatoire n’a eu lieu.

 

[24]           Tout d’abord, il faut garder à l’esprit que la Commission n’avait pas affaire à un enfant ou à un jeune adolescent, mais à une personne qui est arrivée au Canada et qui y a demandé l’asile seulement quatre mois avant son 18e anniversaire. Le demandeur a bénéficié de l’assistance d’une représentante désignée et d’un avocat tout au long du processus de traitement de sa demande, et il était majeur au moment de l’audience. En outre, bien que les Directives soient censées s’appliquer à tous les demandeurs âgés de moins de dix-huit ans, il est évident que les cas d’enfants âgés de cinq ans, ceux d’enfants âgés de douze ans et ceux d’adolescents de l’âge du demandeur soulèvent des questions différentes en matière de preuve, ce qui veut dire qu’il faut faire preuve de souplesse dans l’interprétation des Directives pour tenir compte des circonstances propres à chaque cas.

 

[25]           Le demandeur se fonde sur la décision de la juge Eleanor Dawson dans l’affaire Duale c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 150. Se référant aux motifs de la Commission dans cette affaire, la juge Dawson a écrit :

Le défaut de reconnaître expressément l’âge de M. Duale ainsi que l’effet que son âge peut avoir eu sur sa manière de remplir son FRP, sur son témoignage et sur l’évaluation de celui-ci, quoique ne constituant peut-être pas en soi une erreur susceptible de révision, ne renforce pas les conclusions quant à la crédibilité.

 

 

[26]           Non seulement la juge Dawson n’a pas considéré l’omission de la Commission comme une erreur susceptible de révision en soi, mais les faits dans cette affaire peuvent facilement être distingués des présents faits, puisque le demandeur était âgé seulement de seize ans à son arrivée au Canada, et qu’il n’a jamais obtenu l’assistance d’un représentant désigné. Dans la présente affaire, la Commission a bien indiqué, dans le premier paragraphe de l’énoncé de ses motifs, que le demandeur était âgé de dix-huit ans au moment de l’audience et que son FRP avait été rempli en présence d’une représentante désignée, qui a également assisté à l’audience. La Commission connaissait parfaitement l’âge du demandeur et son omission d’y faire référence ailleurs dans sa décision ne constitue pas une erreur susceptible de révision.

 

[27]           Relativement à la conduite de l’audience et à l’application des Directives, je constate que ni l’avocat ni la représentante désignée ne semble avoir contesté la manière dont la commissaire a mené l’audience. Aucune demande de conférence n’a été faite au cours de l’audience, et la commissaire a bien demandé à l’avocat du demandeur au début de l’audience s’il s’opposait à ce qu’elle interroge le demandeur en premier, ce à quoi il a répondu par la négative. Ainsi, je ne vois aucune erreur susceptible de révision dans la manière dont la commissaire a conduit l’audience.

 

[28]           Bien que je ne voie aucun manquement à l’obligation d’agir équitablement en matière de procédure découlant de la manière dont la commissaire a conduit l’audience, il n’en reste pas moins qu’aucune conférence préparatoire n’a eu lieu dans la présente affaire, malgré le fait que les Directives énoncent clairement qu’« [u]ne conférence préparatoire devrait être fixée dans les 30 jours suivant la réception du Formulaire de renseignements personnels ».

 

[29]           Le défendeur allègue que les Directives de la présidente, y compris les Directives no 3, ne sont pas impératives, et que le fait de ne pas les appliquer dans leur intégrité ne vicie pas une décision. De plus, il prétend que le demandeur n’a pas réussi à établir qu’il avait subi un préjudice en raison de l’absence de conférence préparatoire.

 

[30]           Sur ce point, je souscris à l’argument du défendeur selon lequel les Directives ne sont pas impératives. Cependant, comme le fait valoir le demandeur, on s’attend normalement à ce que les commissaires suivent les Directives. Le demandeur renvoie la Cour à la décision Khon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 143, dans laquelle la juge Danièle Tremblay-Lamer a écrit au paragraphe 18 :

Bien que les directives n’aient pas été appliquées en entier en l’espèce, je suis d’avis qu’il n’en a résulté aucun préjudice pour la demanderesse.

 

[31]           Je conviens que la Commission devrait normalement suivre les Directives, mais je ne crois pas que son omission de tenir une conférence préparatoire en l’espèce suffirait pour justifier l’annulation de sa décision, à moins que le demandeur puisse établir que cette omission lui a causé un préjudice quelconque. Dans la décision Duale, précitée, la juge Dawson a annulé la décision de la Commission au motif que l’omission de nommer un représentant désigné aurait pu « influer sur l’issue » de la revendication, car ce dernier aurait pu aider le demandeur à recueillir les éléments de preuve nécessaires au soutien de la revendication. Dans la décision Gajic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 108, la demanderesse a également soutenu qu’il y avait eu atteinte à son droit à l’équité procédurale parce que la Commission n’avait pas appliqué les Directives comme elle se devait de le faire. Cet argument a été rejeté par le juge John A. O’Keefe qui a écrit au paragraphe 24 :

Bien que le tribunal n’ait pas l’obligation d’appliquer les directives car celles-ci n’ont pas force de loi, elles doivent être examinées par les membres du tribunal dans les cas appropriés.

 

[32]           Dans l’affaire qui nous occupe, le demandeur prétend qu’il a subi un préjudice en raison de cette omission, alléguant que l’absence de conférence préparatoire et le caractère vague du formulaire d’examen initial l’ont privé de son droit d’obtenir un préavis raisonnable et de la possibilité de présenter des éléments de preuve. Même si l’argument de l’avocat n’était pas tout à fait clair, la question semble une fois de plus s’articuler autour du fait que le demandeur ne savait pas qu’il devait fournir des renseignements au sujet des incidents de persécution touchant les membres de sa famille.

 

[33]           En premier lieu, il convient de souligner que, même si elle avait eu lieu, la conférence préparatoire n’aurait eu aucune incidence sur la préparation du FRP qui, de toute façon, l’aurait précédée. Tout au plus, le demandeur aurait pu apporter des modifications à son FRP après la conférence préparatoire.

 

[34]           En deuxième lieu, il importe de souligner qu’il revient au demandeur de lire les instructions relatives au FRP et que celles applicables à la question 31 énoncent clairement qu’il faut « énumére[r] les mesures prises contre vous et les membres de votre famille ». De plus, lorsqu’il a rempli son FRP, le demandeur a reçu non seulement l’aide d’une représentante désignée mais il était aussi représenté par un avocat. Comme le précise le défendeur, ces personnes auraient dû être en mesure non seulement de lui fournir des conseils sur les questions relatives à sa demande, mais aussi de demander la tenue d’une conférence préparatoire, si nécessaire. Dans la décision Diagana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 330, au paragraphe 25, le juge Frederick E. Gibson a conclu que l’absence de toute opposition, à l’audience ou après celle-ci, équivalait à la renonciation à l’argument du vice de procédure :

Le président de la SPR n’a ménagé aucun effort pour s’assurer que le demandeur et son avocat à l’audience étaient prêts à commencer et qu’ils n’avaient alors aucune objection à soulever quant à la procédure devant la SPR. En particulier, ils ont amplement eu l’occasion de soulever tout manquement aux directives. Compte tenu de ce qui précède, je suis convaincu que le demandeur et son avocat ont renoncé à tout vice de procédure dans le processus qui a conduit à l’audience devant la SPR, y compris la conformité aux Directives.

 

[35]           En troisième lieu, quant au formulaire d’examen initial envoyé au demandeur en prévision de l’audience, celui-ci indiquait clairement que des documents devaient être fournis permettant d’établir [traduction] « l’appartenance du demandeur et de sa famille au MDC et les activités qu’ils exerçaient auprès de cette organisation, ainsi que la perte de biens subie par les parents du demandeur, les réclamations formulées et les rapports rédigés à cet égard »; l’expression [traduction] « à cet égard » fait évidemment référence à la destruction de la résidence familiale décrite dans le FRP.

 

[36]           En quatrième lieu, comme je l’ai souligné précédemment, le fait que le demandeur ait demandé à son père de lui fournir un affidavit, des documents médicaux et une pièce confirmant l’appartenance de son père au MDC semble effectivement indiquer qu’il savait qu’on lui poserait des questions sur les mesures prises contre les membres de sa famille et que des documents à l’appui de ses réponses seraient peut-être requis.

 

[37]           Enfin, comme je l’ai expliqué précédemment, l’absence de documents à l’appui du dossier n’est qu’un des facteurs sur lesquels s’est fondée la Commission pour rejeter la demande, et ce qui était clairement le plus troublant à ses yeux n’est pas le fait que le demandeur n’ait pas réussi à obtenir de la part de sa famille des éléments de preuve à l’appui de sa demande, mais le fait qu’il ait affirmé avoir communiqué avec son père, lequel a refusé de signer un affidavit et de lui envoyer des dossiers médicaux. Compte tenu de la prétention du demandeur selon laquelle ses parents aimants l’auraient envoyé à l’étranger pour le protéger de ses persécuteurs, la Commission a trouvé très étrange le refus de son père de lui fournir les documents en question, d’autant plus que le demandeur avait effectivement déposé une lettre, qui aurait été obtenue de son père, confirmant son appartenance au MDC. Une fois de plus, il est très improbable que la tenue d’une conférence préparatoire ait pu aider le demandeur à corriger cette lacune, puisque la Commission ne pouvait pas obliger le père à fournir les documents requis à l’appui de la demande.

 

[38]           Compte tenu de ces facteurs, je ne suis pas convaincu que l’absence de conférence préparatoire a influé sur l’issue de la demande ou causé d’une quelconque façon un préjudice au demandeur et, par conséquent, j’estime que la Cour n’est pas en présence d’un manquement à l’obligation d’agir équitablement en matière de procédure, justifiant son intervention.

 

[39]           Pour les motifs susmentionnés, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[40]           Le demandeur propose la question suivante aux fins de certification :

[traduction]

 

Le fait que la Section de la protection des réfugiés, sans aucun motif, omette de fixer la date en vue de la tenue d’une conférence préparatoire visant un demandeur d’asile mineur non accompagné comme l’exigent les Directives no 3 de la présidente intitulées « Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié », constitue-il un manquement à l’obligation d’agir équitablement en matière de procédure?

 

 

[41]           Le défendeur s’oppose à la certification au motif qu’il ne s’agit pas d’une question de portée générale.

 

[42]           En fait, cette question relative à l’absence de conférence préparatoire est peu importante en l’espèce. L’avocat qui représentait le demandeur au moment de l’audience avait demandé la tenue d’une audience dans les plus brefs délais, mais il n’a jamais demandé la tenue d’une conférence préparatoire. Comme l’a précisé l’avocate du défendeur, le manque de crédibilité du demandeur est le motif principal ayant donné lieu au rejet de la demande d’asile.

 

[43]           À mon avis, la question proposée n’est pas une question de portée générale et elle ne sera donc pas certifiée.


JUGEMENT

 

  1. La demande est rejetée.
  2. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« Pierre Blais »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-4074-06

                                                           

 

INTITULÉ :                                                               ISHMAEL JUNIOR BEMA c. MCI

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 15 AOÛT 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE BLAIS

 

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 22 AOÛT 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

PETER M. SHEN                                                        POUR LE DEMANDEUR

 

ASHA GAFAR                                                            POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

PETER M. SHEN                                                        POUR LE DEMANDEUR

AVOCAT                                                                               

20 HUGHSON ST. S., SUITE 500

HAMILTON, ON L8N 2A1

 

JOHN H. SIMS, C.R.                                                  POUR LE DÉFENDEUR

TORONTO (ONTARIO)

 

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