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Date : 20061109

Dossier : T-1696-06

Référence : 2006 CF 1353

Montréal (Québec), le 9 novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

 

ENTRE :

PRADEEP KUMAR VERMA et

CAROLE ANN BROWN

 

demandeurs

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

(responsable du fait de l’administrateur judiciaire de la Cour fédérale du Canada, du greffier du Conseil privé du Canada, de la Gendarmerie royale du Canada, du procureur général du Canada, du greffier de la Cour suprême du Canada, du directeur exécutif du Conseil canadien de la magistrature, du commissaire à la magistrature fédérale et de Son Excellence la gouverneure générale du Canada)

 

 

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONANNCE ET ORDONNANCE

 

[1]               D’une part, les présents motifs portent sur une déclaration défectueuse, sur la requête des défendeurs en radiation de cet acte de procédure et sur les efforts faits par les demandeurs pour le maintenir. D’autre part, les motifs portent aussi sur l’accès à la justice et sur la compétence de la Cour fédérale.

 

[2]               Dans leur déclaration qui comptait 18 courts paragraphes, et dans lequel ils ne se nommaient pas, les demandeurs ont réclamé trois millions de dollars à huit entités différentes. Ils soutiennent que les défendeurs ont eu des comportements, qui n’ont pas été précisés, qui contrevenaient à la Charte canadienne des droits et libertés. Entre autres, il est allégué que les défendeurs avaient l’obligation de dissuader l’appareil judiciaire d’avoir recours à une application erronée du droit et qu’ils ont manqué à cette obligation; qu’ils ont commis un outrage au Parlement et qu’ils ont comploté pour intervenir illicitement dans un appel interjeté au sujet d’ordonnances inconstitutionnelles rendues par des juges de la Cour alors qu’ils n’en avaient pas la compétence. Les demandeurs s’en prennent tout particulièrement au procureur général parce qu’il [traduction] « n’a pas empêché le comportement illicite des juges nommés par le gouvernement fédéral qui ont eu des comportements délictueux et qu’en fait, il en a profité. »

 

[3]               Il semble que les questions sont si claires que les demandeurs n’ont pas cru bon de donner des précisions.

 

[4]               Les demandeurs ne sont pas représentés par un avocat.

 

LA REQUÊTE EN RADIATION

[5]               Comme on peut s’y attendre, les défendeurs ont présenté une requête en radiation de la déclaration au motif que l’acte de procédure ne révèle pas de cause d’action. Ils ont présenté cinq moyens à l’appui de cette requête.

 

[6]               Premièrement, le demandeur Pradeep Kumar Verma est une personne qui n’a pas la capacité d’ester en justice et il ne peut être représenté que par le tuteur et curateur public de la Colombie‑Britannique.

 

[7]               Deuxièmement, la demanderesse Carole Ann Brown n’est pas avocate et elle ne peut pas représenter M. Verma. Ceci veut dire qu’elle n’a pas de cause d’action en son propre nom.

 

[8]               Les troisième et quatrième motifs, qui peuvent être réunis, portent sur le fait que la déclaration ne contient aucune des précisions et aucun des faits substantiels qui sont prescrits par les Règles des Cours fédérales (les Règles).

 

[9]               Finalement, en plus de ne pas révéler de cause d’action, l’acte de procédure est qualifié de scandaleux, de frivole et de vexatoire et constitue autrement un abus de procédure.

 

[10]           Les défendeurs demandent aussi que leur requête soit jugée sur dossier en vertu de l’article 369 des Règles, sans que les parties aient à comparaître.

 

LA RÉPONSE DES DEMANDEURS

[11]           Les demandeurs ont répondu de deux façons. D’abord, ils ont présenté ce qu’ils ont appelé « Réponse des demandeurs et requête incidente ». Ils ont aussi déposé ce qu’ils ont présenté comme étant une déclaration modifiée. Dans leur dossier de requête, ils ont demandé une audience.

 

[12]           J’examinerai d’abord la demande d’audience des demandeurs, la nature de la déclaration modifiée et la nature de la requête incidente, avant d’examiner la requête en radiation des défendeurs.

 

[13]           Bien qu’en règle générale, les parties aient droit de se faire entendre, il ne s’ensuit pas qu’elles ont le droit de comparaître pour présenter leurs observations de vive voix, plutôt que de le faire par écrit. Par exemple, les demandes d’autorisation d’interjeter appel présentées à la Cour suprême du Canada se font par écrit seulement, sauf ordonnance contraire de la cour. L’article 369 des Règles permet au requérant de demander à ce que la décision à l’égard de la requête soit prise uniquement sur la base de prétentions écrites. Cependant, l’intimé peut demander l’audition de la requête et accompagner ses prétentions écrites des raisons justifiant l’audition. J’ai examiné le dossier de réponse et je suis convaincu qu’aucune raison ne justifie une audience; par conséquent, la requête en radiation des défendeurs sera jugée sur dossier.

 

[14]           Voyant ses lacunes, les demandeurs ont tenté d’épontiller leur déclaration en déposant ce qu’ils ont présenté comme étant une déclaration modifiée. Bien que l’article 200 des Règles prévoie qu’une partie peut, sans autorisation, modifier l’un de ses actes de procédure à tout moment avant qu’une autre partie y ait répondu, et bien qu’une requête en radiation ne constitue pas nécessairement une telle réponse, l’article 200 doit s’interpréter conjointement avec l’article 221, que les défendeurs ont invoqué dans leur requête en radiation. Si la Cour décide d’accueillir la requête, elle peut radier la déclaration « avec ou sans autorisation de [la] modifier ». Il s’ensuit qu’une partie ne peut pas, sans l’autorisation de la Cour, unilatéralement modifier un acte de procédure qui fait l’objet d’une requête en radiation. Par conséquent, j’ordonne au greffe de ne pas accepter la déclaration modifiée comme telle, mais de plutôt de la joindre à la réponse et à la requête incidente des demandeurs. C’est le traitement le plus favorable que je puisse accorder aux demandeurs. Dans la mesure où ses 71 pages constituent une réponse, j’en tiendrai compte.

 

[15]           Dans la mesure où la « requête incidente » est une requête distincte, la Cour ne peut pas l’examiner avant que les défendeurs aient la possibilité d’y répondre. De toute façon, cette requête a un caractère théorique puisque je radierai la déclaration en entier sans autorisation de modification.

 

LA COMPÉTENCE DE LA COUR FÉDÉRALE

[16]           Avant de me pencher sur la requête en radiation, je dois mentionner que les demandeurs ne comprennent pas, ou ne veulent pas comprendre, que le Parlement a établi la Cour fédérale en vertu de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 en tant que tribunal additionnel pour la bonne application des lois du Canada. La Cour fédérale, dont la compétence est établie par la loi (contrairement à la Cour suprême de la Colombie-Britannique par exemple), n’a de compétence que si le Parlement a compétence législative au sujet de la question visée par la procédure, qu’il existe une loi fédérale en vigueur et que son application a été confiée à la Cour fédérale (ITO – International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., [1986] 1 R.C.S. 752, [1986] A.C.S. no 38 (QL)). Par exemple, même si le Parlement a compétence législative en ce qui a trait au droit criminel et qu’il a adopté le Code criminel, l’application du Code revient aux cours provinciales. Il est évident qu’une grande partie de la procédure en l’espèce dépasse la compétence de la Cour. Comme la déclaration, même dans sa version prétendument modifiée, est totalement dépourvue de fondement, il n’est pas nécessaire de traiter de la question de la compétence.

 

[17]           J’examinerai maintenant les observations des défendeurs.

 

LE DEMANDEUR VERMA N’EST PAS CORRECTEMENT REPRÉSENTÉ

[18]           En règle générale, une personne peut se représenter elle-même devant la Cour. L’article 115 des Règles autorise la Cour à désigner une personne pour représenter une personne n’ayant pas la capacité d’ester en justice. Sauf indication du contraire en des circonstances particulières, l’article 121 prévoit que le représentant doit être un avocat.

 

[19]           Les défendeurs ont présenté des documents de l’avocate qui représente le tuteur et curateur public de la Colombie-Britannique. L’avocate a inclus deux lettres qu’elle avait envoyées à la Cour fédérale en novembre 2002 et en novembre 2004 au sujet d’autres instances introduites au nom de M. Verma et de Mme Brown. Il semble que le tuteur et curateur public soit le curateur aux biens de M. Verma en vertu d’un certificat d’incapacité délivré le 14 novembre 2001, qui malheureusement ne fait pas partie de la preuve dont je suis saisi. En vertu de la Patients Property Act of British Columbia, seul le curateur du patient peut introduire une action au nom du patient. Mme Brown n’est pas la curatrice de M. Verma.

 

[20]           Notre Constitution prévoit que les droits civils relèvent de la compétence des provinces. Par conséquent, l’action a été introduite de façon irrégulière. Cependant, comme le dossier à ce sujet n’est pas complet parce que le certificat d’incapacité n’a pas été présenté et qu’il y a d’autres motifs pour lesquels la déclaration sera rejetée, il n’est pas nécessaire de poursuivre sur la question de la représentation. Le tuteur et curateur public est intervenu officieusement en l’espèce pour préciser que la situation de M. Verma n’avait pas changé.

 

[21]           Compte tenu des circonstances, il n’est pas nécessaire d’examiner les vagues allégations des demandeurs selon lesquelles la loi de la Colombie‑Britannique est inconstitutionnelle et que le gouvernement fédéral devrait désigner un avocat pour représenter M. Verma.

 

LE STATUT DE CAROLE ANN BROWN

[22]           Bien que la première déclaration ne mentionne pas à quel titre Mme Brown agit dans l’affaire, la déclaration prétendument modifiée et les documents de requête indiquent clairement qu’elle s’est chargée de la cause de M. Verma. Elle n’a pas sa propre cause d’action. Les défendeurs ont amplement prouvé qu’elle n’est pas avocate et qu’elle ne peut pas entendre agir pour M. Verma en se désignant comme demanderesse.


L’INSUFFISANCE DE FAITS SUBSTANTIELS ET DE PRÉCISIONS

[23]           L’article 171 et suivants des Règles prescrivent qu’une partie doit présenter les faits substantiels de façon suffisamment précise pour permettre à l’autre partie d’y répondre. J’ajoute que la Cour ne peut modifier le statu quo que si elle comprend ce qu’une partie allègue. Les demandeurs ne le voient pas de cette façon. Dans leur dossier de réponse, ils soutiennent, entre autres, qu’ils ont répondu à l’exigence de présenter des précisions parce que :

[traduction]

Les délits sont de la nature de la responsabilité stricte, qui impose au défendeur l’obligation de présenter la matrice des faits dans sa défense, puisque la seule allégation de ces infractions est suffisante pour transférer le fardeau de la preuve au défendeur […]

 

[…] Et le défaut des défendeurs de réussir à obtenir les précisions pertinentes normales est le résultat de sa propre inconduite consistant à prendre toutes les mesures possibles pour causer de sérieuses lacunes en matière de communication.

 

 

[24]           Qu’est-ce que cela signifie? Je n’en ai aucune idée.

 

[25]           La prétendue déclaration modifiée comporte de nombreuses divisions et sous-divisions. Il est allégué que les défendeurs :

i.                     ont violé des garanties constitutionnelles impératives;

ii.                   ont exclu les demandeurs, illégitimement ou illégalement, des procédures judiciaires;

iii.                  ont comploté en vue de modifier sans autorisation la Constitution du Canada en effectuant cette exclusion illégitime et illégale;

iv.                 ont commis une faute dans l’exercice d’une charge publique en ce qu’ils ont fait preuve de discrimination inconstitutionnelle ou commis un manquement flagrant à la doctrine des attentes légitimes;

v.                   ont été de connivence avec l’appareil judiciaire afin d’effectuer des expropriations sans offrir de compensation;

vi.                 ont ourdi un complot avec les procureurs généraux des provinces, les tribunaux des droits de la personne et les collèges des médecins et des chirurgiens qui visait, entre autres, à commettre des actes contre la common law et d’autres délits;

vii.                ont aidé le tuteur et curateur public de la Colombie‑Britannique à manquer à des obligations fiduciaires importantes et à commettre des infractions criminelles.

 

[26]           Il semble que le demandeur M. Verma était un médecin qui faisait l’objet d’une enquête policière et que les défendeurs n’ont pas tenté de contrôler les juges de la Colombie-Britannique, de l’Ontario, de l’Alberta, de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale (je me permets d’ajouter qu’il aurait été inconstitutionnel de le faire).

 

[27]           La prétendue déclaration modifiée présente 25 conclusions. Le montant des dommages-intérêts demandé est passé de 3 millions de dollars à plus de 105 millions de dollars. Les demandeurs demandent aussi un jugement déclaratoire selon lequel je ne peux pas faire ce que je fais présentement, soit l’examen d’une requête en radiation de la déclaration en application de l’article 221 des Règles :

[traduction]

Une telle ordonnance donnerait ouverture à des poursuites parce qu’il s’agirait d’une expropriation déguisée et illégitime des droits de propriété d’un bénéficiaire de la Couronne et d’un manquement à une obligation fiduciaire importante, ce qui équivaudrait à une commission secrète produisant une fiducie judiciaire […]

 

[28]           Je suis convaincu que la déclaration, même prétendument modifiée, ne contient pas de faits substantiels ni n’est assez précise et qu’elle est incompréhensible. Elle ne peut pas échapper à la radiation.

 

LE DÉFAUT DE RÉVÉLER UNE CAUSE D’ACTION

[29]           La déclaration, même prétendument modifiée, ne révèle aucune cause d’action et constitue incontestablement un abus de procédure.

 

[30]           Je radierai la déclaration en entier, sans autorisation de modification, et je rejetterai l’action.

 

[31]           Comme la déclaration sera radiée, la requête incidente devient théorique. Cependant, comme la déclaration est radiée sur le vu des actes de procédure, et non après une audience sur le fond, rien n’empêche les demandeurs d’intenter une nouvelle action. Il est noté au dossier qu’il a déjà été déclaré en Colombie‑Britannique que les demandeurs abusaient des procédures judiciaires. S’ils intentent une nouvelle action, le procureur général du Canada peut avoir recours aux dispositions de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la déclaration soit radiée en entier, sans autorisation de modification, et que l’action soit rejetée. Il n’y a aucune ordonnance quant aux dépens.

 

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1696-06

 

INTITULÉ :                                       PRADEEP KUMAR VERMA et CAROLE ANN BROWN c.

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA (responsable du fait de l’administrateur judiciaire de la Cour fédérale du Canada, du greffier du Conseil privé du Canada, de la Gendarmerie royale du Canada, du procureur général du Canada, du greffier de la Cour suprême du Canada, du directeur exécutif du Conseil canadien de la magistrature, du commissaire à la magistrature fédérale et de Son Excellence la gouverneure générale du Canada)

 

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER EN VERTU DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES, À MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 9 novembre 2006

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Carole Ann Brown (pour son propre compte)

 

POUR LES DEMANDEURS

Sarah Frost

 

POUR LES DÉFENDEURS

Catharine Herb-Kelly, c.r.

 

 

POUR LE TUTEUR ET CURATEUR PUBLIC DE LA COLOMBIE‑BRITANNIQUE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ankenman Herb-Kelly

Avocats

 

POUR LE TUTEUR ET CURATEUR PUBLIC DE LA COLOMBIE‑BRITANNIQUE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LES DÉFENDEURS

 

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