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Date : 20060802

Dossier : IMM-4132-06

Référence : 2006 CF 951

Entre :

NUREDDIN SOLMAZ, SULTAN SOLMAZ, TAYYAR SOLMAZ, FATIH SOLMAZ

(représenté par son tuteur à l’instance, NUREDDIN SOLMAZ) et KUBRA SOLMAZ (représentée par son tuteur à l’instance, NURREDIN SOLMAZ)

 

demandeurs

 

et

 

 

 

le ministre de la sécurité publique

et de la protection civile

 

défendeur

 

 

motifs de l’ordonnance

[1]               Il s’agit des motifs pour lesquels j’ai sursis, hier, à la mesure administrative portant renvoi de la famille Solmaz du Canada.

 

[2]               M. et Mme Solmaz ainsi que trois de leurs enfants mineurs, originaires de la Turquie, n’ont pas été reconnus comme étant des réfugiés au sens de la Convention. Par la suite, ils ont fait l’objet d’un examen des risques avant renvoi (ERAR). L’agent a décidé qu’il n’y avait guère plus qu’une simple possibilité qu’ils soient persécutés s’ils étaient renvoyés en Turquie; il a donc rendu une décision qui leur était défavorable. Cette décision fait maintenant l’objet d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale sous le numéro de dossier IMM‑3915‑06. Jusqu’à ce que la décision défavorable d’ERAR soit rendue, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) et le règlement pris en application de cette loi empêchaient les autorités de renvoyer les Solmaz du Canada. Toutefois, à la suite de la décision défavorable d’ERAR, les détails de leur retour en Turquie ont été confiés à un agent d'exécution qui, en vertu de l’article 48 de la LIPR, devait veiller à leur renvoi du Canada « dès que les circonstances le permett[ai]ent ».

 

[3]               Outre le fait que les Solmaz avaient une demande pendante d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision défavorable d’ERAR, ils ont demandé à l’agent d’exécution de différer leur renvoi pour un certain nombre d’autres raisons, y compris le fait que Mme Solmaz avait un rendez‑vous pour subir une cholécystectomie par laparoscopie le 27 juillet 2006. Il s’agit d’un traitement contre les calculs biliaires. Leur départ du Canada devait avoir lieu le lendemain. Ils ont également demandé que leur renvoi soit différé en raison de l’intérêt supérieur de leurs enfants, dont le plus jeune est né au Canada et ne peut pas être renvoyé. Ils ont également invoqué un préjudice économique irréparable tant pour eux que pour les autres employés de l’entreprise de M. Solmaz à Toronto.

 

[4]               Entre-temps, pour des raisons administratives, leur renvoi avait été repoussé au 2 août 2006.

 

[5]               L’agent d’exécution s’est contenté de déclarer, dans sa décision défavorable, qu’ [traduction] « après avoir examiné [leurs] demandes, [il] ne pens[ait] pas qu’il y avait lieu de reporter l’exécution de la mesure de renvoi dans les circonstances de l’espèce ».

 

[6]               Les Solmaz ont déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision et, à la fois dans le présent dossier et dans le dossier relatif à la décision défavorable d’ERAR dont le numéro est IMM‑3915‑06, ils ont demandé le sursis de leur renvoi jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur leurs demandes. La requête a été entendue le 1er août 2006, soit la veille de la nouvelle date de leur départ. J’ai rejeté la requête en sursis sur la question relative à l’ERAR, mais j’ai accordé un sursis jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de l’agent d’exécution.

 

[7]               Lorsqu’il a rendu sa décision, l’agent d’exécution savait que si l’opération de Mme Solmaz avait lieu, Mme Solmaz aurait besoin, selon ce qu’indiquait la déclaration de son chirurgien versée au dossier, d’un mois de convalescence postopératoire et de surveillance. Bien que l’opération soit routinière, [traduction] « il y a plusieurs complications qui peuvent s’ensuivre. Ces complications comprennent : une hémorragie hépatique, des infections, une blessure du canal cholédoque. Des soins postopératoires sont nécessaires après l’opération puisque le professionnel de la santé doit surveiller les jaunisses, les douleurs au quadrant supérieur droit, les douleurs épigastriques, les nausées, les vomissements, la fièvre sans signes de localisation et la dyspepsie qui sont des indicateurs de problèmes secondaires liés à la maladie des calculs biliaires ».

 

[8]               Toutefois, l’agent d’exécution a rendu sa décision en tenant pour acquis que Mme Solmaz ne subirait pas l’opération. Sans le lui dire, il s’est entretenu avec un médecin qui l’a avisé que l’opération envisagée était plus ou moins facultative et non urgente. L’opération était probablement possible en Turquie et aussi aux États-Unis où ils allaient être renvoyés sous peu. Toutefois, les notes au dossier de l’agent d’exécution n’indiquent pas qu’il a consulté un médecin relativement aux soins postopératoires.

 

[9]               Il s’est avéré que la Cour a été avisée que l’opération avait eu lieu et que l’examen postopératoire était prévu pour le 8 septembre 2006.

 

analyse

[10]           Mme Solmaz n’avait aucune obligation de différer son opération et il aurait été manifestement déraisonnable de lui refuser un examen postopératoire fait par son propre médecin. Je tiens à souligner qu’il s’agit d’une cause où la date de l’opération avait été prévue avant la décision défavorable d’ERAR. Les circonstances auraient pu être différentes s’il y avait eu une preuve que Mme Solmaz avait été en mesure de manipuler le système de santé de façon à prévoir une date pour l’opération, dans le but de différer son renvoi.

 

[11]           L’agent d’exécution n’est qu’un agent d’exécution. Il n’est pas médecin et il ne lui appartient pas de décider que l’opération de Mme Solmaz aurait dû être différée. C’était une question qui se posait entre son médecin et elle. En outre, les renseignements qu’il a obtenus de sources médicales étaient des renseignements ne faisant pas partie du dossier et ils auraient dû être communiqués aux Solmaz afin qu’ils puissent avoir la possibilité d’y répondre.

 

[12]           Il s’agit de sérieuses questions de fond. Il y a des limites au pouvoir discrétionnaire d’un agent d’exécution de différer un renvoi, les circonstances médicales étant certainement une de ces limites. La décision de ne pas différer le renvoi fait courir à Mme Solmaz un risque de préjudice irréparable. La prépondérance des inconvénients penche en sa faveur et en faveur de sa famille.

 

[13]           Indépendamment de la question de l’audience inéquitable relativement à l’opération, les Solmaz avaient, par l’intermédiaire de leur avocat, transmis par télécopieur une lettre à l’agent d’exécution. Celle‑ci contenait leurs allégations sur les autres questions mentionnées ci‑dessus, y compris l’intérêt supérieur des enfants et le préjudice économique irréparable. Cette lettre avait été transmise par télécopieur et elle mentionnait douze pièces jointes qui étaient envoyées par messager. La décision a été rendue sur la base de la lettre, avant que les pièces jointes n’aient été reçues. On m’a demandé de tenir pour acquis que l’agent d’exécution avait accepté toutes les prétentions écrites contenues dans cette lettre et donc, qu’il était inutile d’examiner les pièces jointes. Je ne suis pas prêt à faire une telle hypothèse. Dans de pareilles causes, on tient pour acquis que le décideur a préalablement examiné tous les éléments. Dans la présente affaire, il ne l’a pas fait. Le principe de justice naturelle audi alteram partem exige que les Solmaz aient la possibilité de faire entièrement entendre leur cause. On dit que même Dieu n’a pas renvoyé Adam et Ève du jardin d’Eden sans une audience complète. Qui était l’agent d’exécution pour en décider autrement? (The King c. the Chancellor, & c., of Cambridge (1723), 1 Stra. 557; Cooper c. The Wandsworth Board of Works (1863), 143 E.R. 414, à la page 420; et Matondo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 44 Imm. L.R. (3d) 225, 2005 CF 416, [2005]  A.C.F. no 509 (QL)).

 

« Sean Harrington »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 2 août 2006

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                              IMM-4132-06

 

INTITULÉ :                                             NUREDDIN SOLMAZ, SULTAN SOLMAZ, TAYYAR SOLMAZ, FATIH SOLMAZ (représenté par son tuteur à l’instance, NUREDDIN SOLMAZ) et KUBRA SOLMAZ (représentée par son tuteur à l’instance, NURREDIN SOLMAZ)

c.

                                                                     LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE la PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     le 1er août 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :        Le juge Harrington

 

DATE DES MOTIFS :                            le 2 août 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman

Hadayt Nazami

 

POUR LES DEMANDEURS

Michael Butterfield

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman & Associates

Avocats

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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