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Date : 20070803

Dossier : IMM-6729-06

Référence : 2007 CF 816

Ottawa (Ontario), le 3 août 2007

EN PRÉSENCE DE Monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

CAI, CHANGBIN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un agent d’immigration en date du 5 décembre 2006, par laquelle a été refusée la demande de statut de résident permanent dans la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada présentée par le demandeur.

Le contexte

[2]               Le demandeur est un citoyen chinois qui vit au Canada depuis le 30 juin 2001. Pendant ses études au Collège international Bond en avril ou mai 2002, il a rencontré sa conjointe de fait actuelle, Wen Yang.

[3]               Mlle Yang a demandé la résidence permanente le 27 janvier 2005 à titre de personne à la charge de son père. Elle n’a pas révélé à ce moment qu’elle avait un conjoint de fait. Mlle Yang a obtenu son statut de résidente permanente en juin 2006.

 

[4]               Le demandeur, Mlle Yang et quelques autres étudiants ont vécu dans la même maison à Toronto de mai à novembre 2002. Le demandeur et Mlle Yang ont habité ensemble à Ottawa depuis décembre 2002, tout en poursuivant leurs études collégiales. Ils se sont déclarés leur intention de vivre ensemble de façon permanente en juillet ou en août 2005. Ils partagent les dépenses, ont des activités sociales en tant que couple, et vivent ensemble dans une relation intime.

 

[5]               Le 13 septembre 2006, le demandeur a présenté, de l’intérieur du Canada, une demande de résidence permanente dans la catégorie des conjoints au Canada. Le demandeur et Mlle Yang, qui parraine sa demande, ont été interviewés le 28 novembre 2006. Dans une décision datée du 6 décembre 2006, leur demande a été refusée :

[Traduction]

[…] Pour obtenir la résidence permanente dans la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, vous devez respecter les exigences du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

L’alinéa 125(1)d) du Règlement prévoit ce qui suit :

 

« Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

 

d)    sous réserve du paragraphe (2), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle. »

 

Dans votre cas, vous n’avez pas démontré que vous respectiez cette condition parce qu’au moment où votre répondante a présenté sa demande de résidence, elle ne vous a pas désigné comme membre de sa famille ne l’accompagnant pas et que vous n’avez pas fait l’objet d’un contrôle. […]

 

[Non souligné dans l’original.]

La question en litige

[6]               La seule question soulevée dans la présente demande est de savoir si l’agent d’immigration a commis une erreur en décidant que le demandeur était le conjoint de fait de sa répondante quand celle-ci a présenté sa demande de résidence permanente au Canada.

Les dispositions législatives pertinentes

[7]               Les textes de loi pertinents à la présente demande sont les suivants :

1.         la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi); et

2.         le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

 

[8]               En particulier, les dispositions suivantes du Règlement s’appliquent :

Définitions

 

1. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la Loi et au présent règlement.


« conjoint de fait » Personne qui vit avec la personne en cause dans une relation conjugale depuis au moins un an. (common-law partner ) […]

 

Qualité

 

124. Fait partie de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada l’étranger qui remplit les conditions suivantes :

a) il est l’époux ou le conjoint de fait d’un répondant et vit avec ce répondant au Canada ;

b) il détient le statut de résident temporaire au Canada ;

c) une demande de parrainage a été déposée à son égard.

Restrictions

 

125. (1) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes : […]

d) sous réserve du paragraphe (2), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

Definitions

1. (1) The definitions in this subsection apply in the Act and in these Regulations



"common-law partner" means, in relation to a person, an individual who is cohabiting with the person in a conjugal relationship, having so cohabited for a period of at least one year. (conjoint de fait) […]

Member

 

124. A foreign national is a member of the spouse or common-law partner in Canada class if they

(a) are the spouse or common-law partner of a sponsor and cohabit with that sponsor in Canada;

(b) have temporary resident status in Canada; and

(c) are the subject of a sponsorship application.

Excluded relationships

 

125. (1) A foreign national shall not be considered a member of the spouse or common-law partner in Canada class by virtue of their relationship to the sponsor if […]

(d) subject to subsection (2), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member of the sponsor and was not examined.

 

La norme de contrôle

[9]               La question soulevée dans la présente demande porte sur une question mixte de fait et de droit, à savoir si la définition légale de « conjoint de fait » s’applique aux faits qui sous-tendent les demandes de résidence permanente du demandeur et de sa répondante. Étant donné qu’il y a lieu de faire preuve d’une certaine retenue judiciaire à l’égard des conclusions de fait de l’agent d’immigration, mais non pas pour ce qui a trait à la détermination du critère juridique qu’il convient d’appliquer à ces conclusions de fait, la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable.

Analyse

[10]           L’agent d’immigration a refusé la demande de résidence permanente présentée par le demandeur en vertu de l’article 124 du Règlement, parce qu’il a déterminé que le demandeur était un membre de la famille de sa répondante ne l’accompagnant pas quand celle-ci a demandé sa résidence permanente et qu’il n’a pas fait l’objet d’un contrôle à cette époque. La présente demande consiste à déterminer si la répondante du demandeur était tenue, en vertu de l’alinéa 125(1)d) du Règlement, de déclarer que le demandeur était son conjoint de fait quand elle a présenté sa demande de résidence permanente le 27 janvier 2005.

 

[11]           Il n’est pas contesté que le demandeur et sa répondante sont actuellement des conjoints de fait. Dans sa demande de parrainage et son engagement, la répondante du demandeur a déclaré que sa relation avec le demandeur a commencé le 1er juin 2002. Le demandeur fait valoir que, malgré le fait que sa relation avec sa répondante remonte à 2002, leur relation ne respectait pas les conditions applicables à une relation de conjoints de fait à cette date. En fait, le demandeur prétend que les conditions concernant une relation conjugale n’ont été respectées qu’après que sa répondante eut demandé et obtenu son statut de résidente permanente. Par conséquent, il soutient qu’il n’est pas exclu aux termes de l’alinéa 125(1)d) du Règlement.

 

[12]           Tel que noté ci-dessus, un conjoint de fait en vertu du Règlement désigne une « personne qui vit avec la personne en cause dans une relation conjugale depuis au moins un an ». Le Règlement ne définit pas ce qu’est une « relation conjugale ». Toutefois, comme l’a noté le juge Rouleau dans la décision Siev c. Canada (Ministre  de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 736, les procédures opérationnelles préparées par le défendeur reflètent le critère de common law énoncé par la Cour suprême du Canada :

15     Le guide OP 2 - Traitement des demandes présentées par des membres de la catégorie du regroupement familial, reprend les critères énoncés par la Cour suprême dans M. c. H. ([1999] 2 R.C.S. 3) pour déterminer si deux personnes vivent réellement une relation conjugale :

logement commun (p. ex., ententes relatives au couchage);

comportement sexuel et personnel (p. ex., fidélité, engagement, sentiments l'un envers l'autre);

services (p. ex., comportement et habitudes concernant la répartition des tâches ménagères);

activités sociales (p. ex., attitude et comportement en tant que couple au sein de la collectivité et avec leurs familles);

soutien économique (p. ex., ententes financières, propriété de biens);

enfants (p. ex., attitude et comportement vis-à-vis les enfants);

perception sociale des partenaires en tant que couple.

Si l'on considère les termes employés par la Cour suprême au cours de l'affaire M. c. H., il est clair qu'une relation conjugale suppose une certaine permanence, une interdépendance financière, sociale, émotive et physique, un partage des responsabilités ménagères et connexes, ainsi qu'un engagement mutuel sérieux.

En se fondant sur ces facteurs, les caractéristiques suivantes devraient être présentes, à un certain degré, dans toutes les relations conjugales, que les conjoints soient mariés ou non :

engagement mutuel à une vie commune;

exclusivité - on ne peut vivre plus d'une relation conjugale en même temps;

intimité - engagement envers une exclusivité sexuelle;

interdépendance - physique, émotive, financière et sociale;

permanence - relations authentiques constantes à long terme;

les conjoints se présentent comme un couple.

(Point 5.25 du guide)                                        [Non souligné dans l’original.]

 

[13]           Les notes préparées par l’agent d’immigration le 30 novembre 2006 indiquent que le demandeur et sa répondante ont été interviewés le 28 novembre 2006. Sur la base de cette entrevue et de « nombreuses observations au dossier », l’agent d’immigration s’est dit convaincu que le client et sa répondante étaient conjoints de fait depuis 2003.

 

[14]           L’agent d’immigration n’a pas énoncé le critère qu’il a appliqué pour déterminer si la relation qu’entretenaient le demandeur et sa répondante répondait à la définition d’une relation conjugale entre conjoints de fait. D’après l’examen que je fais des documents dont disposait l’agent d’immigration, il ressort clairement que bien que les questions de l’entrevue aient eu pour objet de déterminer si le demandeur et sa conjointe étaient des conjoints de fait à la date de la demande de parrainage, l’agent d’immigration n’a pas cherché à élucider si le demandeur et sa répondante partageaient « un engagement mutuel à une vie commune » et s’ils étaient engagés « dans une relation permanente à long terme » à l’époque pertinente, c’est-à-dire le 27 janvier 2005, quand Mlle Yang a demandé la résidence permanente.

 

[15]           Quand Mlle Yang et le demandeur ont commencé à vivre ensemble, ils étaient de jeunes étudiants. À ce titre, ils n’ont peut-être pas passé « d’engagement mutuel à une vie commune », quand ils ont décidé de vivre ensemble. Par conséquent, il n’y a pas de fondement à partir duquel l’agent d’immigration pouvait raisonnablement conclure que le demandeur était le conjoint de fait de sa répondante le 27 janvier 2005 quand elle a présenté sa demande de résidence permanente et qu’elle n’a pas désigné le demandeur comme un membre de sa famille ne l’accompagnant pas. La preuve indique que c’est après juin 2005 que le couple a envisagé de prendre un engagement mutuel à une vie commune dans le cadre d’une relation permanente à long terme. Il ressort également de la preuve qu’à la fin de 2005 et au début de 2006, ils ont ouvert des comptes bancaires, ont fait établir leur bail résidentiel et leurs assurances à leurs deux noms, et que le demandeur n’a rencontré les parents de sa conjointe pour la première fois qu’en juin 2005.

 

[16]           Comme l’a statué le juge Paul Rouleau dans la décision Siev, précitée, la définition de « conjoint de fait » signifie que la relation conjugale est permanente quand les partenaires prennent un engagement mutuel sérieux.

 

[17]           Pour les raisons précitées, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La demande de résidence permanente du demandeur est renvoyée pour un nouvel examen par un autre agent d’immigration.

 

[18]           La Cour souhaite faire remarquer que, quel que soit le bien-fondé juridique de la présente demande, les circonstances de l’espèce font intervenir des motifs d’ordre humanitaire qui peuvent donner au demandeur et à Mlle Yang le droit d’être exemptés de respecter les exigences de la Loi.

 

[19]           Aucune partie n’a proposé de question aux fins de la certification. Aucune question ne sera donc certifiée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie; et

2.                  la demande de résidence permanente du demandeur est renvoyée pour un nouvel examen par un autre agent d’immigration.

 

 

 

 

            « Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, trad. a., LL.L.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIEER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6729-06

 

INTITULÉ :                                       CAI, CHANGBIN c. LE MINISTRE
DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 25 JUILLET 2007

 

MOTIFS DU  JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 3 AOÛT 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mike Bell                                                                                 POUR LE DEMANDEUR

 

Claudine Patry                                                                          POUR LE DÉFENDEUR                                           

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mike Bell                                                                                 POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Ottawa (Ontario)

 

 

John Sims, c.r.                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

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