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Date : 20070731

Dossier : T-267-06

Référence : 2007 CF 805

Ottawa (Ontario), le 31 juillet 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SIMPSON

 

 

ENTRE :

HARBANS KHOTA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DES RESSOURCES HUMAINES

ET DU DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par un tribunal de révision constitué en vertu de l’article 82 du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑8 (le RPC), en date du 29 avril 2002. Le tribunal de révision a rejeté l’appel interjeté du refus du défendeur d’accorder à la demanderesse une pension d’invalidité de longue durée. La demanderesse demande à la Cour d’annuler cette décision et de renvoyer l’affaire à un tribunal de révision nouvellement constitué pour réexamen.

 


FAITS ET PROCÉDURE

 

[2]               Mme Harbans Khota (la demanderesse) est née en Inde en 1950 et a immigré au Canada en 1970. Entre 1975 et 1995, elle a occupé différents emplois; elle a notamment été cueilleuse de baies et laveuse de vaisselle. À l’automne de 1995, elle est devenue incapable de travailler à cause de plusieurs problèmes physiques et mentaux.

 

[3]               La demanderesse a présenté une demande de pension d’invalidité sous le régime du RPC à trois reprises. La première demande, qui a été présentée le 3 juin 1996, indiquait que des maux de dos constants l’empêchaient de travailler. Le défendeur (le ministre) a rejeté cette demande et la demanderesse n’a pas demandé le réexamen de cette décision. La demanderesse a présenté une deuxième demande le 25 août 1997. Elle a de nouveau indiqué qu’elle avait arrêté de travailler en septembre 1995 à cause de maux de dos. Dans le questionnaire qui accompagnait sa demande, elle a déclaré que c’était principalement des problèmes concernant son [traduction] « disque médullaire [sic] », de l’arthrite dans les articulations, une faible glycémie et l’ablation de son ovaire droit qui l’empêchaient de travailler. Elle a aussi déclaré qu’elle était traitée pour dépression. Fait important, elle n’a pas parlé d’arthrose de la colonne cervicale.

 

[4]               Le ministre a rejeté la deuxième demande au motif que la demanderesse n’avait pas démontré que son invalidité était « grave et prolongée » au sens du paragraphe 42(2) du RPC. Il l’a aussi rejetée après réexamen, pour le même motif.

 

[5]               La demanderesse a interjeté appel de cette décision devant le tribunal de révision le 22 avril 1998. À l’audience tenue le 26 août 1998, elle a déclaré qu’elle souffrait principalement de douleurs lombaires. La preuve médicale était constituée par le rapport daté du 13 août 1997, rédigé par son médecin de famille, le docteur MacCharles, qui confirmait qu’elle souffrait de douleurs lombaires chroniques causées par une discopathie dégénérative et de dépression. Le rapport ne faisait pas mention d’arthrose touchant la colonne cervicale.

 

[6]               Par la décision datée du 6 novembre 1998, le tribunal de révision a confirmé la décision du ministre et a conclu que ni ses maux de dos ni sa dépression n’empêchaient la demanderesse [traduction] « d’occuper un emploi rémunéré régulier, même à temps partiel » (la première décision du tribunal de révision). Le 27 août 1999, la Commission d’appel des pensions a refusé d’autoriser la demanderesse à interjeter appel de cette décision.

 

[7]               La troisième demande de pension d’invalidité a été présentée par la demanderesse le 6 janvier 2000. Le ministre a rejeté cette demande après examen ainsi qu’après réexamen. La demanderesse a interjeté appel de cette décision devant le tribunal de révision. Ce dernier a instruit l’appel le 7 mars 2002, au cours d’une audience où la demanderesse se représentait elle‑même et, d’office il a assimilé cet appel à une demande visant à faire modifier la première décision du tribunal de révision, fondée sur une preuve relative à des faits nouveaux et sur le paragraphe 84(2) du RPC.

 

[8]               La preuve relative à des faits nouveaux consistait en deux rapports médicaux. L’un était une lettre du docteur George MacCharles, datée du 4 mars 2002 (la lettre du docteur MacCharles). Cette lettre faisait état pour la première fois de l’arthrose touchant la colonne cervicale de la demanderesse et indiquait notamment (le passage en italique est écrit à la main dans l’original) :

[traduction] La patiente est atteinte d’une maladie mentale réfractaire. Elle souffre de dépression et de dysthymie. Ces troubles étant réfractaires à toutes les formes de traitement, je crois que son seuil de douleur est plus bas et qu’elle n’a pas d’énergie. Il est possible qu’elle souffre aussi de fibromyalgie et du syndrome de fatigue chronique, mais elle n’a pas encore consulté de spécialistes à ce sujet.

 

Elle souffre également d’arthrose de la colonne cervicale qui cause des symptômes liés à ces problèmes. Aucun traitement médical n’est efficace à cet égard. Il s’agit d’une nouvelle conclusion fondée sur un examen aux rayons X, mais la patiente souffre probablement de ce problème depuis de nombreuses années. Une radiographie du cou prise en 1997 révélait déjà ce problème.

 

[9]               Se fondant sur la lettre du docteur MacCharles, la demanderesse affirme qu’elle a produit devant le tribunal de révision une nouvelle preuve de fibromyalgie, de syndrome de fatigue chronique et d’arthrose cervicale.

 

[10]           Le deuxième rapport médical qui, selon la demanderesse, révélait des faits nouveaux était la lettre du docteur Sohal du 5 mars 2002 (la lettre du docteur Sohal). Il y était question de deux nouveaux troubles, la dyspepsie et la dyslipidémie. La lettre ne précisait cependant pas la gravité de ces problèmes, ni à quel moment ils étaient apparus. Elle indiquait notamment :

[traduction] La présente vise à vous informer que je soigne Mme Khota depuis mars 2001. Mme Khota souffre de graves problèmes médicaux, notamment de diabète, de dyslipidémie, de dyspepsie, de symptômes de la ménopause, d’anxiété et de dépression. Elle souffre aussi de fatigue et de douleurs musculo‑squelettiques. Elle prend plusieurs médicaments, notamment de la métformine, de l’Elavil, du clonazépam, du Zantac, du Lipitor, du Naprosyn et du Premarin.

 

En ce moment, Mme Khota est incapable de faire quoi que ce soit d’utile à cause de ses nombreux problèmes médicaux.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[11]           Les questions en litige en l’espèce sont les suivantes :

(i)                  Le tribunal de révision a-t-il commis une erreur en concluant que la lettre du docteur MacCharles ne contenait aucune preuve de faits nouveaux au regard du syndrome de fatigue chronique et de la fibromyalgie?

(ii)                Le tribunal de révision a-t-il commis une erreur en concluant que la lettre du docteur Sohal ne contenait aucune preuve de faits nouveaux au regard de la dyspepsie et de la dyslipidémie?

(iii)               Le fait que la décision du tribunal de révision n’était pas suffisamment motivée constitue-t-il un manquement à l’équité procédurale?

 

LE DROIT APPLICABLE

 

[12]           Le paragraphe 42(2) du RPC prévoit que l’invalidité doit être grave et prolongée :

 

42(2) Pour l’application de la présente loi :

a) une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l’application du présent alinéa :

(i) une invalidité n’est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,

(ii) une invalidité n’est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès;

 

 

42(2) For the purposes of this Act,

(a) a person shall be considered to be disabled only if he is determined in prescribed manner to have a severe and prolonged mental or physical disability, and for the purposes of this paragraph,

(i) a disability is severe only if by reason thereof the person in respect of whom the determination is made is incapable regularly of pursuing any substantially gainful occupation, and

(ii) a disability is prolonged only if it is determined in prescribed manner that the disability is likely to be long continued and of indefinite duration or is likely to result in death;

 

 

[13]           Le paragraphe 84(2) du RPC vise les faits nouveaux :

 

84(2) Indépendamment du paragraphe (1), le ministre, un tribunal de révision ou la Commission d’appel des pensions peut, en se fondant sur des faits nouveaux, annuler ou modifier une décision qu’il a lui-même rendue ou qu’elle a elle-même rendue conformément à la présente loi.

 

84(2) The Minister, a Review Tribunal or the Pension Appeals Board may, notwithstanding subsection (1), on new facts, rescind or amend a decision under this Act given by him, the Tribunal or the Board, as the case may be.

 

[14]           La Cour d’appel fédérale a dit, au paragraphe 2 de l’arrêt Ministre des Ressources humaines c. Macdonald, [2002] A.C.F. no 197, qu’aux fins du paragraphe 84(2) du RPC, les faits nouveaux « […] ne doivent pas avoir pu être découverts auparavant au moyen de diligence raisonnable, et ils doivent être substantiels ».

 


LA NORME DE CONTRÔLE

 

[15]           La Cour d’appel fédérale a défini, au paragraphe 12 de l’arrêt Taylor c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2005 CAF 293, la norme de contrôle qui s’applique à la décision rendue relativement à des faits nouveaux visés au paragraphe 84(2) du RPC :

La question du caractère substantiel et celle de la diligence raisonnable sont des questions mixtes de droit et de fait qui sont fortement axées sur les faits. La question de la possibilité de découvrir les faits en question est de toute évidence une question de fait. La norme de contrôle qui régit ce type de question est […] celle de la décision manifestement déraisonnable […]

 

 

[16]           Par conséquent, c’est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui s’applique aux questions (i) et (ii). J’estime toutefois que la question (iii) n’exige pas que l’on procède à une analyse pragmatique et fonctionnelle parce que, le caractère suffisant des motifs étant une question d’équité procédurale, il n’est pas nécessaire de faire preuve de retenue.

 

ANALYSE

 

[17]           Le docteur Sohal n’a produit aucun renseignement concernant la date à laquelle les problèmes de la demanderesse ont été constatés la première fois. Pour sa part, le docteur MacCharles a seulement mentionné dans sa lettre qu’il était [traduction] « possible » que la demanderesse souffre du syndrome de fatigue chronique et de fibromyalgie. Ainsi, ni la lettre du docteur Sohal ni celle du docteur MacCharles ne permettaient de considérer que la fibromyalgie, le syndrome de fatigue chronique, la dyspepsie et la dyslipidémie constituaient des faits nouveaux. Par conséquent, la décision du tribunal de révision n’était pas manifestement déraisonnable en ce qui concerne ces problèmes.

 

[18]           Le tribunal de révision a, à juste titre, surtout porté son attention sur l’arthrose cervicale mentionnée dans la lettre du docteur MacCharles. Selon cette lettre, une radiographie du cou révélait déjà la présence d’arthrose en 1997, quoique celle‑ci n’a pas été diagnostiquée à l’époque. En outre, aucun traitement n’avait pas été efficace en mars 2002.

 

[19]           Malheureusement, la décision indiquait seulement, au sujet de cet élément de preuve :

[traduction] Le tribunal de révision a quelques réserves au sujet de la question de savoir si la preuve exposée ci‑dessus constitue des « faits nouveaux ». Selon lui, cette preuve ne répondrait probablement pas au deuxième volet du critère juridique, à savoir qu’elle n’aurait probablement pas eu une incidence importante sur sa première décision.

 

[20]           La demanderesse soutient que le tribunal de révision n’a pas expliqué dans sa décision pourquoi l’arthrose cervicale n’aurait probablement pas été pertinente.

 

[21]           Compte tenu du problème qui existait apparemment à l’époque pertinente (c’est‑à‑dire avant le 31 décembre 1997, date à laquelle la période de référence de la demanderesse a expiré), j’estime qu’il incombait devant le tribunal de révision de traiter de la gravité et de la durée de l’arthrose cervicale dont souffrait la demanderesse afin d’étayer sa conclusion au sujet du caractère pertinent. Faute de motifs concernant ces questions, la décision est insuffisante.

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la décision du tribunal de révision est annulée uniquement en ce qui a trait à l’arthrose cervicale.

 

            La question de savoir s’il y a des faits nouveaux au sens du paragraphe 84(2) du RPC concernant l’arthrose cervicale est renvoyée pour réexamen par un autre tribunal de révision. Si elles le souhaitent, les parties peuvent produire des éléments de preuve supplémentaire au sujet de l’arthrose cervicale dont il est fait mention dans la lettre du docteur MacCharles.

 

 

                                                                                                                « Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                             T-267-06

 

INTITULÉ :                                                           HARBANS KHOTA

                                                                                c.

                                                            LE MINISTRE DES RESSOURCES HUMAINES ET DU DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                   le 10 avril 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                la juge Simpson

 

DATE DES MOTIFS :                                          le 31 juillet 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Roy Antunes                                                             POUR LA DEMANDERESSE

 

Rose-Gabrielle Birba                                                POUR LE DEMANDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Christopher M.A. Bunguay                                       POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

 

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