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Date :  20070726

Dossier :  IMM-517-07

Référence :  2007 CF 774

Ottawa (Ontario), le 26 juillet 2007

En présence de Monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

MISENGA BUNEMA

BILOLO BUNEMA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               [9]        Il ne fait aucun doute que la Commission du statut de réfugié a toute la discrétion nécessaire pour évaluer la crédibilité du témoignage des personnes qui revendiquent le statut de réfugié et qu'elle peut tenir compte d'une multitude de facteurs pour ce faire. La Commission peut fonder ses conclusions sur des contradictions internes, des incohérences et des déclarations évasives qui sont le "fondement même du pouvoir discrétionnaire du juge des faits", ainsi que sur d'autres éléments extrinsèques tels que la raison, le sens commun et la connaissance d'office, mais ces conclusions ne doivent pas être tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont dispose la Commission: Sbitty c. Canada (M.C.I.), [1997] F.C.J. No. 1744, (IMM-4668-96, 12 décembre 1997), Shahamati c. M.E.I., [1994] F.C.J. No. 415, (C.A.F.) (A-388-92, 24 mars 1994).

 

(Antonippillai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 382 (QL).)

PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire introduite en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (Loi), à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Commission), rendue le 16 janvier 2007, statuant que les demandeurs n’ont pas la qualité de « réfugiés au sens de la Convention » ni de « personnes à protéger » en vertu des articles 96 et 97 de la Loi.

 

FAITS

[3]               Le 3 septembre 2005, la demanderesse, Mme Misenga Bunema, âgée de 22 ans, est soumise à un mariage forcé avec le colonel Léon Kasonga. Madame Bunema allègue avoir été battue et contrainte à des relations sexuelles contre son gré, en plus d’être violentée par cet homme.

 

[4]               Le 10 septembre 2005, Mme Bunema fuit le domicile de son époux et se refuge chez l’ami d’un de ses oncles qui s’était opposé au mariage avec le colonel.

 

[5]               Le 11 septembre 2005, le frère de la demanderesse, M. Bilolo Bunema, allègue qu’il a été amené chez le colonel Kasonga où il fut interrogé et battu puis détenu dans une prison communale pendant deux jours. Aussi, les demandeurs allèguent que leur oncle paternel fut battu et tué par les militaires du colonel.

 

[6]               En novembre 2005, grâce à l’ami de leur oncle maternel, les demandeurs quitte la République démocratique du Congo (RDC). Après avoir transité par Paris, ils allèguent être arrivés au Canada le 20 novembre 2005 et réclamer le statut de réfugié le lendemain.

 

DÉCISION CONTESTÉE

[7]               Dans une décision datée du 16 janvier 2007, la Commission rejette la demande d’asile des demandeurs, estimant qu’ils « n’étaient pas crédible et [que] leur témoignage n’était pas digne de foi en égard des éléments essentiels de leur demande d’asile ». (Décision de la Commission, à la page 2.)

 

[8]               Dans ses motifs, la Commission a noté que « D’entrée de jeu, des incohérences significatives sont apparues au tribunal entre le témoignage des demandeurs, leur déclaration faite lorsqu’ils ont sollicité l’asile et leurs documents d’identité ». Ces problèmes ont amené le tribunal à douter que les demandeurs avaient « cessé leurs études à la date et pour les raisons alléguées, ce qui, dès le départ, entach[ait] leur crédibilité ». (Décision de la Commission, aux pages 2 et 4)

 

[9]               La Commission a également relevé une « autre incohérence importante » qui est « venue miner davantage la crédibilité des demandeurs ». Madame Bunema n’a pas valablement expliqué à la satisfaction de la Commission pourquoi elle n’a pas fui son domicile dès qu’on lui eut annoncé qu’elle allait être mariée à un colonel de l’armée congolaise, elle qui pourtant s’était vivement opposé à ce mariage. (Décision de la Commission, aux pages 4 et 5.)

 

[10]           La Commission a estimé que la crédibilité de M. Bunema a été mise à mal lorsqu’il a été confronté à ses déclarations faites lorsqu’il a sollicité l’asile. À cet égard, la Commission a estimé que les contradictions du demandeur « sur des éléments centraux sans explications raisonnables affect[aient] irrémédiablement la crédibilité de cette histoire ». (Décision de la Commission, aux pages 5 et 6.)

 

[11]           La Commission a noté que « Le témoignage de la demandeure [sic] comportait plusieurs failles importantes lorsqu’il fut question du prétendu assassinat de son oncle paternel […] ». Par conséquent, la Commission n’a pas accordé de valeur probante au certificat de décès soumis par la demanderesse sur ce point. (Décision de la Commission, aux pages 6 et 7.)

 

[12]           La Commission a aussi relevé plusieurs incohérences qui sont venues miner la crédibilité du récit des demandeurs, en ce qui a trait aux différentes démarches entreprises par un certain M. Ilunga, qui aurait supposément aidé les demandeurs à se cacher et fuir leurs pays. (Décision de la Commission, aux pages 7 à 9.)

 

[13]           La Commission a conclu qu’il était « en présence d’une histoire inventée afin de justifier une demande d’asile. » (Décision de la Commission, à la page 9.)

 

[14]           Par ailleurs, au-delà du manque de crédibilité des demandeurs, la Commission a estimé qu’elle ne pouvait pas accepter la prétention des demandeurs, selon laquelle ils avaient une crainte bien fondée de persécution ou de torture en tant que ressortissants congolais. La Commission a estimé que cette prétention n’était pas appuyée, ni par le comportement des demandeurs, qui avaient tardé à invoquer cette allégation, ni par la preuve sur les conditions objectives dans le pays d’origine des demandeurs. (Décision de la Commission, aux pages 9 et 10.)

 

QUESTIONS EN LITIGE

[15]           La Commission a-t-elle commise une erreur manifestement déraisonnable en décidant que Mme Misenga Bunema et M. Bilolo Bunema ne sont pas crédibles ?

 

NORME DE CONTRÔLE

[16]           L’évaluation de la crédibilité des témoins et de l’appréciation de la preuve relève de la compétence de la Commission. Ce dernier a une expertise bien établie pour trancher des questions de fait et, plus particulièrement, pour évaluer la crédibilité et la crainte subjective de persécution d’un demandeur d’asile. (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (QL), au paragraphe 14.)

 

[17]           Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire portant sur des questions de crédibilité, la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer est celle de la décision manifestement déraisonnable. La Cour doit faire preuve d’une grande retenue puisqu’il appartient à la Commission d’apprécier le témoignage des demandeurs et d’évaluer la crédibilité de leurs affirmations. Si les conclusions de la Commission sont raisonnables, il n’y a pas lieu d’intervenir. Toutefois, la décision de la Commission doit s’appuyer sur la preuve; elle ne doit pas être prise arbitrairement en se fondant sur des conclusions de faits erronées ou en ignorant des éléments de preuve présentés. (Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, [2005] A.C.S. no 39 (QL), au paragraphe 38; Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (QL), au paragraphe 4.)

 

ANALYSE

La Commission a-t-elle commise une erreur manifestement déraisonnable en décidant que Mme Misenga Bunema et M. Bilolo Bunema n’étaient pas crédibles ?

 

[18]           Dans sa décision, la Commission a renvoyé à plusieurs incohérences et contradictions en ce qui concerne les études et occupations des demandeurs. À la suite d’un examen approfondi de la preuve documentaire et du procès verbal de l'audience, la Cour estime que les divergences identifiées par la Commission sont des contradictions réelles et pertinentes. En outre, la Commission  n’a pas donné, au manque de crédibilité des demandeurs sur ce point, plus d’importance que nécessaire. Au contraire, la Commission a indiqué dans ses motifs que les problèmes qu’elle a relevés affectaient « dès le départ » la crédibilité des demandeurs. Ensuite, la Commission a procédé à une analyse des éléments plus importants du récit des demandeurs.

 

a) Contradictions et invraisemblances concernant les études et occupations des demandeurs

 

[19]            Ainsi, il était loisible à la Commission de relever les incohérences suivantes émanant de la preuve des demandeurs :

a) Dans leur récit, les demandeurs allèguent que, suite au décès de leur parent, ils ont dû interrompre leurs études et gagner leur vie par leurs propres moyens. Or, il appert que les demandeurs ont pu poursuivre leurs études, entre autres à l’étranger. (Décision de la Commission, à la page 3.)

b) M. Bunema allègue, dans son récit, avoir dû interrompre ses études en 1999 après son secondaire. Or, il appert qu’il a fait des études à Kinshasa et en Zambie de 1999 à 2002;

c) Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), M. Bunema n’a pas mentionné ses études en Zambie de 2001 à 2002, se limitant à celles suivies à Kinshasa de 1999 à 2001. La Commission n’a pas accepté l’explication du demandeur, qui affirme avoir « oublié » de mentionner cet élément;

d) Mme Bunema a affirmé avoir suivi son frère en Zambie, mais affirme ne pas y avoir étudié. Or, la demanderesse a obtenu un visa d’étudiante des autorités de la Zambie et a été identifiée comme étudiante dans son passeport à cette époque. La Commission n’a pas cru l’explication de la demanderesse qui a affirmé qu’elle a simplement accompagné son frère en Zambie, que son oncle a obtenu ses documents de voyage et qu’elle ignorait la raison pour laquelle elle était désignée comme étudiante dans ces documents;

e) Mme Bunema est également identifiée comme étudiante dans une attestation de pertes de documents datés de novembre 2002, soit trois ans après la fin alléguée de ses études. La Commission n’a pas cru l’explication de la demanderesse qui affirme que c’est son oncle qui a obtenu ce document pour elle et qu’elle ignorait la raison pour laquelle il l’a désigné ainsi dans ce document;

f) Les demandeurs affirment avoir habité ensemble. Or, il est inscrit deux adresses différentes sous la rubrique « domicile » dans leurs passeports. En outre, aucunes des deux adresses indiquées ne correspondent à celles inscrites dans leurs FRPs. La Commission n’a pas cru l’explication des demandeurs, selon laquelle leurs passeports indiquent l’adresse postale de leur oncle puisqu’ils ne peuvent expliquer la raison pour laquelle ce dernier aurait noté deux adresses différentes pour son domicile.

 

[20]           En somme, les demandeurs n’ont pas démontré que les constatations de la Commission sur ce point sont viciées au point de rendre sa décision manifestement déraisonnable dans son ensemble.

 

            b) Contradictions et invraisemblances concernant le mariage forcé de la demanderesse

[21]           Contrairement à ce que les demandeurs affirment,  il était loisible à la Commission, à la lumière de toute la preuve au dossier, de conclure que la demanderesse n’était pas crédible lorsqu’elle a affirmé que son oncle l’a forcé à épouser un colonel de l’armée congolaise.

 

[22]           À ce titre, dans son récit écrit, la demanderesse affirme être « vivement opposée » au projet de son oncle sans qu’il n’y ait une raison derrière cette opposition. Ainsi, la Commission pouvait se surprendre que la demanderesse n’ait pas tenté d’échapper à ce triste sort qu’elle disait redouter. Par ailleurs, il était loisible à la Commission de ne pas juger crédible la demanderesse en ce qui concerne le mauvais traitement de la part du colonel de l’armée congolaise.

 

[23]           En outre, il appert que la Commission a tenu compte de la preuve documentaire en ce qui a trait à la pratique commune du mariage forcé en RDC. Contrairement aux prétentions des demandeurs, la preuve n’indique pas que ce sont toutes les femmes qui se résignent à cette pratique. (Dossier des demandeurs, à la page A56.)

 

[24]           Ainsi, la décision de la Commission n’était pas manifestement déraisonnable dans son ensemble.

 

c) Contradictions et invraisemblances en ce qui a trait aux circonstances de la fuite des demandeurs

 

[25]           Contrairement aux allégations des demandeurs, il était loisible à la Commission de tenir compte du témoignage contradictoire des demandeurs en ce qui a trait aux circonstances de leur fuite de la RDC.

 

[26]           À ce titre, dans le récit écrit des demandeurs, ces derniers ont affirmé qu’un ami de leur oncle, M. Ilunga, les avait aidés à fuir la RDC. Cependant, M. Bunema n’a aucunement fait mention du rôle important joué par l’ami de son oncle tel qu’il appert des notes au point d’entrée. Ainsi, lorsque la Commission lui a demandé combien avait coûté le voyage, le demandeur a affirmé qu’il l’ignorait, puisque c’est son oncle qui avait « tout préparé ». Or, en réponse à une autre question, le demandeur a alors mentionné que son oncle s’appelait M. Bapuka. La Commission ne pouvait donc pas raisonnablement retenir l’explication du demandeur, qui affirmait avoir voulu, dans sa première réponse, référer à M. Ilunga. (Décision de la Commission, à la page 5.)

 

[27]           La Commission a également noté que le demandeur a affirmé au point d’entrée que son oncle était la seule personne qui a pu les aider à se cacher. Or, dans son récit écrit, c’est plutôt M. Ilunga qui a fourni cette assistance au demandeur. La Commission n’a pas pu retenir l’explication du demandeur qui affirma avoir mentionné le nom de M. Ilunga à l’agent d’immigration, mais que celui-ci avait omis de le mentionner dans ses notes. (Décision de la Commission, à la page 6.)

 

[28]           Par ailleurs, il était loisible à la Commission de douter de l’histoire du demandeur en ce qui a trait à l’affirmation que M. Bakupa avait tout de même joué un rôle dans leur histoire, en finançant leur voyage et que M. Ilunga n’a pas mentionné le nom de M. Bakupa afin de le protéger des autorités du RDC. Cette explication est contredite par une lettre de M. Ilunga dans laquelle il affirme avoir supporté à ses propres frais le voyage des demandeurs à l’étranger. (Dossier du demandeur, à la page A84.)

 

[29]           Compte tenu de ce qui précède, il n’était pas déraisonnable pour la Commission de conclure que le témoignage des demandeurs n’était pas crédible en ce qui a trait aux circonstances de leur fuite de la RDC.

 

c) Contradictions et invraisemblances en ce qui a trait au prétendu assassinat de l’oncle des demandeurs

 

[30]           Contrairement aux allégations des demandeurs, il était loisible à la Commission de ne pas croire que leur oncle a été assassiné suite à la fuite de la demanderesse. Ainsi, dans leur récit écrit initial, les demandeurs affirment que les militaires ont battu leur oncle à mort devant sa femme et pillé sa maison. En outre, la demanderesse a également affirmé, en réponse aux questions de l’agent d’immigration, que son oncle a été battu « et tué sur place ».

 

[31]           Par ailleurs, le certificat de décès, obtenu par les demandeurs suite au dépôt de leur récit écrit, indique que l’oncle des demandeurs est décédé non pas le 11 septembre 2005, mais le 12 septembre 2005, soit le lendemain de cette prétendue agression.

 

[32]           Ainsi, la Commission n’a pas jugé que les demandeurs fussent crédibles lorsqu’ils ont déposé une « correction » à leur récit écrit, indiquant que leur oncle était mort, non plus le 11 septembre 2005, mais le lendemain. (Décision de la Commission, à la page 6.)

 

[33]           Il n’était certes pas déraisonnable pour la Commission de croire que les demandeurs avaient manifestement tenté d’ajuster leur récit et que, dès lors, ils n’ont pas offert un témoignage crédible concernant le prétendu assassinat de leur oncle. Sur ce point, n’ayant pas cru que l’oncle du demandeur fut « assassiné », la Commission pouvait conclure que le certificat de décès n’était d’aucun secours pour les demandeurs. Du reste, le fait que le nom de leur oncle a été retranscrit erronément sur le certificat de décès constitue un autre motif de ne pas accorder de valeur probante à ce document. Ainsi, la décision de la Commission n’est pas manifestement déraisonnable sur ce point.

 

CONCLUSION

[34]           Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE

1.         La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

2.         Aucune question grave de portée générale soit certifiée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-517-07

 

INTITULÉ :                                       MISENGA BUNEMA

                                                            BILOLO BUNEMA

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 17 juillet 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 26 juillet 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Johanne Doyon

 

POUR LES DEMANDERESSES

Me François Joyal

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

DOYON & ASSOCIÉS

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDERESSES

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-Procureur Général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

 

 

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