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Date : 20070716

Dossier : T-416-07

Référence : 2007 CF 752

Ottawa (Ontario), le 16 juillet 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

 

CANWEST MEDIAWORKS INC.

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]        Le ministre de la Santé et le procureur général du Canada sont les défendeurs dans une demande de contrôle judiciaire présentée par CanWest MediaWorks Inc. (CanWest). Dans la présente requête, les défendeurs sollicitent le rejet de cette demande et, à titre subsidiaire, sa suspension en attendant l’issue définitive d’une action intentée par CanWest devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario (dossier no 05-CV-303001PD2).

 

 

Contexte

[2]        CanWest, par l’entremise de ses sociétés affiliées, a des intérêts dans différentes formes de médias, notamment la presse écrite, la télévision et les publications en ligne. CanWest compte sur les recettes publicitaires que génèrent ces différents médias. Au Canada, ce genre de publicité est soumis à certaines restrictions en vertu de la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. 1985, ch. F-27 (LAD) et le Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870 (RAD). Ainsi, il est interdit, en ce qui concerne les médicaments sur ordonnance, de faire ce qui est connu comme étant de la « publicité directe aux consommateurs » (PDC). Selon CanWest, ces restrictions ne sont pas compatibles avec le par. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, de sorte que le 23 décembre 2005 elle a intenté une action devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario en vue de faire déclarer les dispositions pertinentes de la LAD et du RAD contraires à la Charte (l’action de CanWest fondée sur la Charte). Cette action n’a pas encore été instruite.

 

[3]        En attendant l’issue définitive de son action fondée sur la Charte, CanWest estime que les revues importées au Canada depuis les États‑Unis, les publicités diffusées au Canada dans le cadre d’émissions de télévision américaines et les publications américaines pouvant être consultées en ligne par les Canadiens posent problème. Ces formes de médias américains contiendraient de la PDC. Le 13 mars 2007, CanWest a déposé une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale et sollicité une ordonnance de mandamus enjoignant aux défendeurs d’effectuer une enquête et d’intenter des poursuites concernant le non‑respect par les entités américaines de l’interdiction de faire de la PDC.

 

Questions en litige

[4]        La demande soulève les questions suivantes :

 

1.    La demande de contrôle judiciaire devrait‑elle être rejetée au motif que :

 

a.  CanWest n’a pas qualité pour présenter la demande?

 

b.    les conditions préalables au prononcé d’une ordonnance de mandamus ne peuvent être remplies?

 

2.    À titre subsidiaire, la demande de contrôle judiciaire devrait‑elle être suspendue jusqu’à l’issue définitive de l’action de CanWest fondée sur la Charte dont est saisie la Cour supérieure de justice de l’Ontario?

 

[5]        Pour les motifs ci‑dessous, j’ai conclu que CanWest n’a pas qualité pour présenter la demande de contrôle judiciaire. Le fait que CanWest n’ait pas qualité pour agir est déterminant. Il n’est donc pas nécessaire que j’examine les autres questions et je vais accueillir la requête en rejet des défendeurs.

 

Cadre législatif

[6]        Les dispositions pertinentes que CanWest souhaite voir appliquer par sa demande (et qu’elle cherche à faire déclarer invalides devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario) sont les par. 3(1) de la LAD et l’art. C.01.044 du RAD. Le par. 3(1) de la LAD énonce ce qui suit :

 

3. (1) Il est interdit de faire, auprès du grand public, la publicité d’un aliment, d’une drogue, d’un cosmétique ou d’un instrument à titre de traitement ou de mesure préventive d’une maladie, d’un désordre ou d’un état physique anormal énumérés à l’annexe A ou à titre de moyen de guérison.

 

3. (1) No person shall advertise any food, drug, cosmetic or device to the general public as a treatment, preventative or cure for any of the diseases, disorders or abnormal physical states referred to in Schedule A.

 

 

 

[7]        L’article C.01.044 du RAD prévoit :

 

(1) Quiconque fait la publicité auprès du grand public d'une drogue mentionnée à l'annexe F doit ne faire porter la publicité que sur la marque nominative, le nom propre, le nom usuel, le prix et la quantité de la drogue.

 

(2) Le paragraphe (1) ne s'applique pas lorsque :

 

  a) la drogue est mentionnée à la partie

  II de l'annexe F;

 

  b) la drogue est :

 

       (i) soit présentée sous une forme

        impropre à l'usage humain,

 

       (ii) soit étiquetée de la façon prévue 

        à l'alinéa C.01.046b).

 

(1) Where a person advertises to the general public a Schedule F Drug, the person shall not make any representation other than with respect to the brand name, proper name, common name, price and quantity of the drug.

 

(2) Subsection (1) does not apply where

 

 

  (a) the drug is listed in Part II of

  Schedule F; and

 

  (b) the drug is

 

(i)    in a form not suitable for human use, or

 

(ii) labelled in the manner prescribed by paragraph C.01.046(b).

 

 

 

[8]        En termes simples, les dispositions réglementaires pertinentes interdisent certaines formes de publicité à l’égard de certains médicaments d’ordonnance.

 

[9]        Le législateur a conféré aux défendeurs le pouvoir général de faire enquête et d’intenter des poursuites concernant les manquements aux dispositions législatives. Le demandeur soutient qu’en ce qui concerne certaines entités américaines dont les publications sont importées au Canada ou dont les émissions sont regardées par des Canadiens ou qui ont des sites Internet consultés par ceux‑ci, l’interdiction de faire de la PDC n’est pas respectée.

 

Analyse

Principes généraux

[10]      Il est bien établi que la Cour fédérale peut rejeter une demande de contrôle judiciaire sur le fondement d’une requête préliminaire. Toutefois, il s’agit d’un pouvoir exceptionnel, que la Cour ne devrait exercer que lorsque la demande est si clairement inappropriée qu'elle est dépourvue de toute possibilité de succès (David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588, 176 N.R. 48 (C.A.F.)). En l’espèce, deux exceptions à la règle générale selon laquelle les demandes de contrôle judiciaire ne devraient pas être rejetées méritent d’être signalées : a) le demandeur n’a pas qualité pour présenter la demande (Apotex Inc. c. Canada (Gouverneur en conseil), 2007 FC 232, au par. 33, 155 A.C.W.S. (3d) 1080, [2007] A.C.F. no 312 (CF) (QL)); et b) les actes de procédure ne permettent d’établir les conditions préalables au prononcé d’une ordonnance de mandamus (Rocky Mountain Ecosystem Coalition c. Canada (Office national de l’énergie) (1999), 174 F.T.R. 17, [1999] A.C.F. no 1223, par. 42 (C.F. 1re inst.) (QL)).

 

Question no 1a): La demanderesse a‑t‑elle qualité pour présenter la demande de contrôle judiciaire?

[11]      Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la compétence de la Cour fédérale vise les actes ou les décisions de « tout office fédéral » (art. 18, Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7). En l’espèce, personne ne conteste que l’acte des défendeurs (ou plus précisément leur défaut d’agir) qui consiste à avoir choisi de ne pas contrôler l’application des dispositions de la LAD est une acte visé par l’art. 18 de la Loi sur les Cours fédérales. Cela ne signifie pas que toute personne peut présenter une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un « office fédéral ». Une demande peut être présentée par « quiconque est directement touché par l'objet de la demande » (Loi sur les Cours fédérales, art. 18.1(1)). Il doit donc y avoir un certain lien entre la personne qui présente la demande et l’acte ou la décision; c’est ce qu’on appelle, de façon générale, la « qualité pour agir ». Lorsqu’un demandeur n’est pas en mesure d’établir l’existence d’un lien, il ne peut intenter le recours.

 

[12]      Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, un demandeur peut avoir qualité pour agir de deux façons. Premièrement, il peut avoir un intérêt direct dans l’acte ou la décision faisant l’objet du contrôle. Deuxièmement, les tribunaux ont reconnu que, dans des circonstances appropriées, une partie devrait se voir accorder « qualité pour agir dans l’intérêt public » pour contester les actes d’un  « office fédéral » (Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, 57 D.L.R. (4th) 231, [1989] 3 W.W.R. 97). Je vais examiner chacun de ces cas.

 

a)     L’intérêt direct

[13]      De façon générale, la jurisprudence reconnaît qu’un demandeur est « directement touché » lorsque la demande vise un acte portant atteinte à ses droits, lui imposant des obligations juridiques ou lui causant directement préjudice (voir par exemple Rothmans of Pall Mall Canada Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), [1976] 2 C.F. 500 (C.A.F.), 67 D.L.R. (3d) 505; Kwicksutaineuk/Ah-kwa-mish Tribes c. Canada (Ministre des pêches et des océans), 2003 CFPI 30, [2003] A.C.F. no 98, au par. 8 (C.F. 1re inst.) (QL), conf. pour d’autres motifs 2003 CAF 484, [2003] A.C.F. no 1893 (C.A.F.) (QL), autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2004] C.S.C.R. n55); Apotex, précitée, au par. 20).

 

[14]      À mon avis, CanWest ne peut démontrer qu’elle a un intérêt direct dans l’issue de la demande de contrôle judiciaire. Je vais d’abord traiter des ordonnances que CanWest sollicite dans la demande de contrôle judiciaire. La demande de CanWest vise à obtenir :

 

1.    une ordonnance de mandamus enjoignant aux défendeurs d’effectuer une enquête et d’intenter des poursuites concernant le non-respect par des médias américains de l’interdiction de faire de la PDC;

 

2.  un jugement déclarant que les défendeurs sont tenus d’effectuer une enquête et d’intenter des poursuites concernant les manquements en matière de PDC.

 

[15]      Dans les termes les plus simples, les seules parties directement touchées par l’ordonnance de mandamus ou la déclaration demandées par CanWest seraient les entités américaines qui selon CanWest enfreignent l’interdiction de faire de la PDC et les défendeurs.

 

[16]      De fait, le dossier ne permet pas de conclure qu’un jugement favorable aurait des répercussions commerciales pour CanWest. Devant moi, l’avocat de CanWest a tenté de faire valoir qu’une telle décision avantagerait CanWest au plan financier. Il a soutenu que si on empêchait les entités américaines de faire de la PDC dans les médias américains auxquels les Canadiens peuvent à l’heure actuelle avoir accès, les sociétés pharmaceutiques souhaitant annoncer leurs produits au Canada choisiraient de le faire, d’une manière permise par la loi, par l’entremise des médias relevant de CanWest. Autrement dit, il fait valoir que les mêmes règles s’appliqueraient également à tous. Or, cette assertion pose problème parce qu’elle se fonde sur de pures suppositions. Rien ne me permet de conclure que CanWest bénéficierait de recettes publicitaires additionnelles si des médias américains faisaient l’objet d’enquêtes et de poursuites.

 

[17]      Même en tenant pour acquis qu’elle a un intérêt commercial dans l’issue de la procédure, je ne suis pas convaincue que CanWest est une partie « directement touchée » par l’objet de la demande. Un intérêt commercial dans les questions faisant l’objet d’un contrôle judiciaire ne confère pas en soi qualité pour agir (Rothmans of Pall Mall Canada Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), [1976] 2 C.F. 500, 67 D.L.R. (3d) 505 (C.A.F.); Aventis Pharma Inc. c. Ministre de la Santé et al, 2005 CF 1396, 45 C.P.R. (4th) 6, par. 19, 143 A.C.W.S. (3d) 350).

 

b)   La qualité pour agir dans l’intérêt public

[18]      Dans les cas où l’existence d’un intérêt direct ne peut être établi, les tribunaux ont permis, en vertu de leur pouvoir discrétionnaire, à des parties d’intervenir dans l’intérêt public. Dans Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236, aux p. 252 et 253, le juge Cory expose de façon particulièrement claire les raisons de principe ayant permis d’établir dans quelles circonstances il y a lieu de reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public :

 

La reconnaissance grandissante de l'importance des droits publics dans notre société vient confirmer la nécessité d'élargir la reconnaissance du droit à la qualité pour agir par rapport à la tradition de droit privé qui reconnaissait qualité pour agir aux personnes possédant un intérêt privé. En outre, un élargissement de la qualité pour agir au-delà des parties traditionnelles est compatible avec les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1982. Toutefois, je tiens à souligner que la reconnaissance de la nécessité d'accorder qualité pour agir dans l'intérêt public dans certaines circonstances ne signifie pas que l'on reconnaîtra pour autant qualité pour agir à toutes les personnes qui désirent intenter une poursuite sur une question donnée. Il est essentiel d'établir un équilibre entre l'accès aux tribunaux et la nécessité d'économiser les ressources judiciaires. Ce serait désastreux si les tribunaux devenaient complètement submergés en raison d'une prolifération inutile de poursuites insignifiantes ou redondantes intentées par des organismes bien intentionnés dans le cadre de la réalisation de leurs objectifs, convaincus que leur cause est fort importante. Cela serait préjudiciable, voire accablant, pour notre système de justice et injuste pour les particuliers.

 

La reconnaissance de la qualité pour agir a pour objet d'empêcher que la loi ou les actes publics soient à l'abri des contestations. Il n'est pas nécessaire de reconnaître qualité pour agir dans l'intérêt public lorsque, selon une prépondérance des probabilités, on peut établir qu'un particulier contestera la mesure.  Il n'est pas nécessaire d'élargir les principes régissant la reconnaissance de la qualité pour agir dans l'intérêt public établis par notre Cour. La décision d'accorder la qualité pour agir relève d'un pouvoir discrétionnaire avec tout ce que cette désignation implique. Les demandes sans mérite peuvent donc être rejetées.  Néanmoins, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire, il faut interpréter les principes applicables d'une façon libérale et souple.

 

[19]      À la lumière de ces principes, dans Conseil canadien des Églises le juge Cory a eu recours à un critère à trois volets, qui a par la suite été appliqué dans d’autres affaires (voir, à titre d’exemple, Hartling c. Nova Scotia (Attorney general), 2006 NSSC 225, au par. 33; Fraser c. Canada (Attorney general), [2005] O.J. no 5580, au par. 51 (Cour supérieure de justice de l’Ontario) (QL); Peace Hills Trust Co. c. Saulteaux First Nation, 2005 CF 1364, au par. 77) et qui nécessite qu’on tienne compte de trois aspects :

 

1.    L’affaire soulève‑t‑elle une question sérieuse?

 

2.    Le demandeur a‑t‑il un intérêt véritable dans l’issue de l’affaire?

 

3.  Y a ‑t‑il une autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question au tribunal?

 

[20]      Je vais présumer, sans statuer sur ce point, que comme le prétend CanWest, la question de savoir si les défendeurs ont l’obligation d’effectuer une enquête et d’intenter des poursuites à l’égard des entités américaines se pose sérieusement. 

 

[21]      Le prochain aspect, celui de l’« intérêt véritable », est plus problématique. Dans Conseil canadien des Églises, le juge Cory reconnaît que le Conseil a un intérêt véritable, celui‑ci ayant, selon ses propres mots, « démontré un intérêt réel et constant dans les problèmes des réfugiés et des immigrants ». Il me semble qu’un examen de cet aspect du critère nécessite que j’examine la nature de l’intérêt de CanWest dans la présente demande. En d’autres termes, CanWest a‑t‑elle un « intérêt réel et constant » dans le maintien et l’application des dispositions relatives à la PDC? À mon avis, la réponse à cette question est loin d’être claire. L’introduction devant un autre tribunal d’une procédure visant à faire invalider les dispositions contestées donne fortement à penser que l’intérêt « constant » de CanWest n’est pas que la législation existante soit maintenue, mais plutôt que les restrictions l’empêchant de participer au marché de la PDC soient levées.

 

[22]      CanWest fait valoir que l’iniquité de la situation actuelle — celle‑ci, contrairement aux entités américaines, devant se conformer à la législation — lui confère un intérêt réel dans l’issue de la demande de contrôle judiciaire. Certes, CanWest a peut‑être à ce stade un intérêt réel à ce que les règles du jeu soient uniformes, mais cela ne me paraît pas suffisant, compte tenu du contexte factuel, pour lui reconnaître qualité pour agir.

 

[23]      Enfin, CanWest soutient qu’il n’y pas d’autre manière raisonnable et efficace de saisir la Cour de la question du défaut de la partie défenderesse de faire respecter ses propres lois et elle pose la question suivante : si CanWest ne présente pas la demande de contrôle judiciaire, qui le fera? CanWest prétend qu’il s’agit d’une situation qui, comme dans l’affaire Distribution Canada Inc. c. Ministre du Revenu national, [1993] 2 C.F. 26, 99 D.L.R. (4th) 440, à la p. 449 (C.A.F.), soulève une « sérieuse question d'intérêt général », que « n'eût été ses efforts, il se peut qu'il n'existe aucun autre moyen d'en saisir la Cour » et qu’à ce titre la qualité pour agir devrait lui être reconnue. Je ne suis pas d’accord.

 

[24]      En fait, une coalition composée de plusieurs parties intéressées a déjà obtenu, en vue de s’y opposer, le statut d’intervenant dans l’action de CanWest fondée sur la Charte. Il semble évident qu’au Canada il y a des individus et des groupes qui appuient les interdictions en matière de PDC et qui pourraient avoir qualité pour présenter dans l’intérêt public une demande de contrôle judiciaire visant les questions soulevées en l’espèce (en supposant qu’il s’agit de questions susceptibles de contrôle). De nombreuses raisons peuvent expliquer pourquoi personne, mis à part CanWest, n’a choisi de présenter une demande de mandamus devant notre Cour. Ce n’est pas parce qu’aucune autre partie (par exemple, une partie n’ayant pas d’intérêt de nature commerciale ou ayant des préoccupations plus larges en ce qui touche la santé) n’a à ce jour cherché à obtenir une ordonnance de mandamus, que les raisons qui motivent CanWest doivent pour autant être considérées comme des raisons d’« intérêt public ».

 

[25]      En bref, je ne suis pas convaincue que CanWest satisfait à l’un ou l’autre des volets du critère relatif à la qualité pour agir dans l’intérêt public.

 

[26]      Toutefois, même si on suppose qu’il existe des arguments permettant de conclure que CanWest remplit les trois volets du critère, il reste que la reconnaissance de la qualité pour agir dans l’intérêt public relève du pouvoir discrétionnaire du juge. Comme le dit le juge Cory aux pages 252 et 253 de l’arrêt Conseil canadien des Églises, précité : « La décision d'accorder la qualité pour agir relève d'un pouvoir discrétionnaire avec tout ce que cette désignation implique.  Les demandes sans mérite peuvent donc être rejetées. » En l’espèce, de sérieux motifs justifient que je n’exerce pas mon pouvoir discrétionnaire, d’autant plus que la partie qui présente la demande a également intenté devant un autre tribunal une action fondée sur la Charte. Il est également difficile de considérer que l’intérêt qu’a une partie de faire en sorte que les mêmes règles s’appliquent à tous n’est pas un simple intérêt privé.

 

[27]      De plus, il serait beaucoup plus facile pour notre Cour de traiter des questions soulevées dans la demande de contrôle judiciaire après la résolution du litige fondée sur la Charte. Autrement dit, s’il était reconnu que les dispositions contestées ne portent pas atteinte à la Charte (si le tribunal statue en ce sens dans le cadre de l’action de CanWest fondée sur la Charte) que la Cour aurait des motifs valables sur le plan juridique d’examiner les arguments avancés dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. Une telle conclusion pourrait également donner l’occasion à d’autres parties intéressées (comme des individus préoccupés par la situation ou des groupes d’intérêt public), n’ayant pas d’intérêt sur le plan commercial dans l’issue du litige, de chercher en connaissance de cause à obtenir une ordonnance de mandamus dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire présentée devant la Cour fédérale. Par contre, il pourrait être inutile de présenter une demande de contrôle judiciaire si la Cour supérieure de justice de l’Ontario devait conclure que les dispositions contestées portent atteinte à la Charte. Bien que cet argument puisse justifier une demande visant à surseoir la procédure dont la Cour est saisie, il touche aussi la question de la qualité pour agir et la question de savoir si la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire. Au vue du dossier, le résultat de l’action de CanWest fondée sur la Charte n’aura vraisemblablement pas d’incidences sur sa qualité pour agir et son éventuel intérêt dans l’issue du contrôle judiciaire. Par conséquent, il est préférable, plutôt que de la suspendre, de rejeter la demande de contrôle judiciaire.

 

Conclusion

[28]      En conclusion, j’estime que CanWest n’a pas qualité pour introduire la présente demande de contrôle judiciaire. Cette conclusion se fonde sur les motifs suivants :

 

  • CanWest n’est pas directement touchée par l’objet de la demande de contrôle judiciaire;

 

  • Il n’y a pas lieu dans les circonstances que la Cour, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, reconnaisse à CanWest, qualité pour agir dans l’intérêt public.

 

[29]      Comme je l’ai déjà signalé, la question de la qualité pour agir est déterminante et il n’est pas nécessaire que j’examine les autres questions soulevées devant moi. Étant donné que CanWest n’a pas qualité pour agir, la demande de contrôle judiciaire n’a aucune chance de succès et elle sera rejetée, avec dépens en faveur des défendeurs.


 

ORDONNANCE

 

     LA COUR ORDONNE :

 

  1. La requête des défendeurs en vue de faire rejeter la demande de contrôle judiciaire est accueillie;

 

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

  1. Les dépens sont adjugés aux défendeurs.

 

« Judith A. Snider »

____________________________

                         Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                 T-416-07

 

INTITULÉ :                                                                CANWEST MEDIAWORKS INC. c.          

                                                                                     LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET AL.                                                                                                        

LIEU DE L’AUDIENCE :                                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                        LE 4 juillet 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                                               LE 16 juillet 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Andrew K. Lokan

Brydie C.M. Bethell

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

Joseph Cheng

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Teplitsky, Colson

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Paliare Roland Rosenberg Rothstein LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LES DÉFENDEURS

 

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