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Date : 20070712

Dossier : IMM-2702-07

Référence : 2007 CF 742

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 juillet 2007

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

DIPESH KUMAR THALANG

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

APERÇU

[1]               « On ne prend pas la justice d’assaut. On la courtise petit à petit. » Le juge Benjamin N. Cardozo, The Growth of the Law, 1924.

 

[2]               Pour déterminer s’il existe une menace imminente à la vie et à l’intégrité physique d’une personne si elle devait présenter une demande à l’extérieur du Canada, il ne faut pas uniquement démontrer qu’on a lu la preuve, mais que l’on s’est aussi livré à un exercice de réflexion avant de se prononcer.

 

INTRODUCTION

[3]               Concernant cette demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi présentée à la suite d’une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, le demandeur cherche à faire réfuter la conclusion relative à la crédibilité à laquelle est arrivée la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) en expliquant (dans un affidavit) le contexte dans lequel trois lettres ont été présentées à la CISR en guise d’éléments de preuve et en précisant qu’on ne lui avait demandé aucune explication lors de l’audience. Cet élément de preuve présenté sous serment et les observations du conseil démontrent que les maoïstes sont véritablement actifs à Katmandou, qu’ils se livrent à des enlèvements, à de l’extorsion et à des exécutions là-bas et qu’ils sont également actifs dans la région où le demandeur vit. (Dossier de requête du demandeur, onglet 2 : Affidavit de Dipesh Kumar Thalang, pièce B : Observations du 26 avril 2006, p. 18ff; affidavit, p. 489ff.)

 

[4]               Le demandeur a également présenté une preuve détaillée sur l’évolution rapide du climat politique au Népal en 2006 et au début de 2007, c’est-à-dire le cessez-le-feu et l’accord de paix subséquent conclu entre la couronne et les maoïstes, et sur le fait que les changements politiques rattachés à cet accord n’ont toujours pas été mis en œuvre. Il a également présenté des éléments de preuve plus récents sur la poursuite des actes de violence généralisés par les maoïstes et les forces gouvernementales à Katmandou et ailleurs au Népal pendant la période du cessez-le-feu et depuis la signature de l’accord à la fin de 2006. (Dossier de requête du demandeur, onglet 2 : Affidavit de Dipesh Kumar Thalang, pièce B : Observations du 26 avril 2006, p. 18ff; affidavit, p. 489ff; pièce D : Observations du 14 février 2007, p. 640ff.)

 

[5]               Enfin, le demandeur a présenté de l’information sur son établissement au Canada en tant qu’employé et, depuis 2004, en tant que copropriétaire d’une entreprise florissante dans le domaine de l’importation et de l’exportation à Toronto. (Dossier de requête du demandeur, onglet 2 : Affidavit de Dipesh Kumar Thalang, pièce B : Observations du 26 avril 2006, p. 18ff; affidavit, p. 489ff; pièce C : Observations du 10 mai 2006, p. 603ff; pièce D : Observations du 14 février 2007, p. 640ff.)

 

Décision visée par le contrôle

[6]               Dans les motifs de sa décision, l’agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR) indique avoir pris en considération la demande d’ERAR simultanément avec la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et avoir rejeté cette dernière (de même que la demande d’ERAR) par voie de décisions datées du 28 mai 2007. L’agent a examiné la demande du demandeur, mais est arrivé à la conclusion qu’il n’y avait pas suffisamment [traduction] « de motifs d’ordre humanitaire [...] pour approuver la demande en s’appuyant sur le risque individuel pour le demandeur » et que [traduction] « la preuve était insuffisante pour l’inciter à conclure que l’obligation pour le demandeur de présenter sa demande à l’étranger en suivant le processus habituel lui occasionnerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives au regard du risque à sa vie ou à sa sécurité personnelle ». (Dossier de requête du demandeur, onglet 2 : Affidavit de Dipesh Kumar Thalang, pièce A, Raisons, p. 14.)

 

[7]               L’agent, dans les motifs de sa décision, explique avoir tiré cette conclusion au vu de l’accord de paix signé entre les rebelles maoïstes et le gouvernement à la fin de 2006. L’agent, bien qu’il ait reconnu avoir vu des informations faisant état de cadres maoïstes qui refusaient de baisser les armes et d’une instabilité persistante au Népal qui demeurait une source de préoccupation sur le plan de la sécurité, a cependant retenu que [traduction] « l’amélioration de la situation devient désormais aussi la responsabilité officielle des maoïstes ». Pour ces raisons, l’agent a conclu que [traduction] « la preuve est insuffisante pour laisser entendre que le demandeur serait incapable de vivre et de travailler en toute sécurité à Katmandou compte tenu des changements qui s’opèrent au Népal depuis un an ». (Dossier de requête du demandeur, onglet 2 : Affidavit de Dipesh Kumar Thalang, pièce A, Raisons, p. 14.)

 

[8]               L’agent, s’il a pris en considération le fait que le demandeur vit au Canada depuis [traduction] « plusieurs années », a cependant estimé qu’il n’avait pas présenté une preuve suffisante d’un degré appréciable d’établissement au Canada pendant cette période. Il a donc déterminé que la preuve présentée ne permettait pas de conclure que le demandeur fait partie intégrante de l’entreprise ou qu’il participe de façon importante à la société canadienne et y joue un rôle notable. (Dossier de requête du demandeur, onglet 2 : Affidavit de Dipesh Kumar Thalang, pièce A, Raisons, p. 15.)

 

[9]               Le demandeur a reçu les motifs de la décision de l’agent le 21 juin 2007, a retenu les services d’un nouveau conseil et a présenté une demande d’autorisation de contrôle judiciaire le 4 juillet 2007.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[10]           (a)        Existe-t-il une question sérieuse à trancher?

(b)        Le demandeur subirait-il un préjudice irréparable si le sursis n’était pas accordé?

(c)        En faveur de qui la prépondérance des inconvénients penche-t-elle?

 

ANALYSE

[11]           Le rôle de la Cour à l’étape des procédures correspondant aux questions interlocutoires et préliminaires a été clarifié par la Cour suprême du Canada :

[40]      Le rôle limité d’un tribunal au stade interlocutoire est bien décrit par lord Diplock dans l’arrêt American Cyanamid, précité, à la p. 510 :

[traduction] La cour n’a pas, en cet état de la cause, à essayer de résoudre les contradictions de la preuve soumise par affidavit, quant aux faits sur lesquels les réclamations de chaque partie peuvent ultimement reposer, ni à trancher les épineuses questions de droit qui nécessitent des plaidoiries plus poussées et un examen plus approfondi. Ce sont des questions à régler au procès.

[…]

[42]      Premièrement, l’étendue et le sens exact des droits garantis par la Charte sont souvent loins [sic] d’être clairs et la procédure interlocutoire permet rarement à un juge saisi d’une requête de trancher ces questions capitales. Les litiges constitutionnels se prêtent particulièrement mal à la procédure expéditive et informelle d’une cour des sessions hebdomadaires où les actes de procédure et les arguments écrits sont peu nombreux ou même inexistants et où le procureur général du Canada ou de la province peut ne pas avoir encore reçu l’avis qu’exige généralement la loi [...].

 

(Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110.)

 

QUESTION SÉRIEUSE

[12]           Le premier volet du critère relatif à l’injonction est la divulgation :

[31]            Le premier critère revêt la forme d’une évaluation préliminaire et provisoire du fond du litige, mais il y a plus d’une façon de décrire ce critère. La manière traditionnelle consiste à se demander si la partie qui demande l’injonction interlocutoire est en mesure d’établir une apparence de droit suffisante. [...] Ce premier critère a été quelque peu assoupli par la Chambre des lords dans l’arrêt American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] 1 All E.R. 504, où elle a conclu que, pour y satisfaire, il suffisait de convaincre la cour [page 128] de l’existence d’une question sérieuse à juger, par opposition à une réclamation futile ou vexatoire.

 

[...]

 

[33]            [...] À mon avis, cependant, la formulation dans l’arrêt American Cyanamid, savoir [sic] celle de l’existence d’une “question sérieuse”, suffit dans une affaire constitutionnelle où, comme je l’indique plus loin dans les présents motifs, l’intérêt public est pris en considération dans la détermination de la prépondérance des inconvénients.

 

(Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores (MTS) Ltd., précité; il est également fait référence aux arrêts RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311; Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (CAF).)

 

[13]           L’agent a-t-il a) appliqué le mauvais critère aux difficultés que subirait le demandeur, et b) ignoré ou mal interprété les éléments de preuve présentés, rendant ainsi une décision manifestement déraisonnable?

 

[14]           Dans les circonstances, l’agent a commis une erreur de droit en exigeant une preuve de l’existence d’un risque pour la vie ou l’intégrité physique du demandeur afin de prouver que le refus d’une dispense lui causerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Ce faisant, il a rehaussé les exigences applicables à la protection ERAR, appliquant les exigences à satisfaire pour l’approbation d’une demande pour des considérations d’ordre humanitaire sans faire de distinction entre les deux critères. Une preuve qui ne démontre pas l’existence d’une menace à la vie ou à l’intégrité physique de la personne peut néanmoins établir l’existence de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. (Pinter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 296, [2005] A.C.F. no 366 (QL); Ramirez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1404, [2006] A.C.F. no 1763 (QL); dossier de requête du demandeur, onglet 2 : Affidavit de Dipesh Kumar Thalang, pièce A, Raisons, p. 14.)

 

[15]           L’agent a commis une erreur de droit dans son appréciation du risque. (Dossier de requête du demandeur, IMM-2703-07.)

 

PRÉJUDICE IRRÉPARABLE

[16]           Le deuxième volet du critère à appliquer à un sursis ou à une injonction consiste à déterminer si le demandeur subira un préjudice irréparable pouvant difficilement être compensé par des dommages-intérêts.

[34]           Le deuxième critère consiste à décider si la partie qui cherche à obtenir l’injonction interlocutoire subirait, si elle n’était pas accordée, un préjudice irréparable, c’est-à-dire un préjudice qui n’est pas susceptible d’être compensé par des dommages-intérêts ou qui peut difficilement l’être.

 

(Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores (MTS) Ltd., précité; une référence est également faite à l’affaire Toth, précitée.)

 

[17]           Considérant le fait que cette cour a, dans des affaires antérieures, conclu que la perte d’une entreprise, voire un préjudice moins grave comme la perte d’une part de marché, peut être considérée comme un préjudice irréparable, il fallait que la preuve présentée par le demandeur soit appréciée sous cet angle. (Abazi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 429 (C.F. 1re inst.)  (QL), aux paragraphes 10 et 11; Agard c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2000] A.C.F. no 412 (C.F. 1re inst.) (QL); Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [1998] A.C.F. no 1088 (C.A.) (QL), aux paragraphes 6 et 8; Belkin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1159 (QL); Calabrese c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 723 (C.F. 1re inst.) (QL); Charles c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1149.)

 

PRÉPONDÉRANCE DES INCONVÉNIENTS

 

[18]           Le troisième volet du critère à appliquer à un sursis ou à une injonction consiste à analyser de quel côté penche la prépondérance des inconvénients.

Le troisième critère, celui de la prépondérance des inconvénients, consiste à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond.

 

(Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., précité, Toth, précité.)

 

 

[19]           Il y a bien évidemment un aspect d’intérêt public dans l’application des dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) et des règlements et politiques qui lui sont subordonnés. Un intérêt public des plus importants consiste à s’assurer que les personnes exposées à des conséquences aussi graves advenant leur renvoi du Canada ont un accès effectif à une mesure de redressement devant les tribunaux. (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 4 FC 206; [1999] A.C.F. no 1180 (C.A.) (QL).)

 

[20]           Le demandeur ne constitue pas un danger pour le public ou la sécurité du Canada. De plus, il subirait un préjudice bien plus important si le sursis n’était pas accordé que celui auquel le défendeur est exposé si la Cour l’autorise à demeurer au Canada pendant que sa demande est en cours devant cette cour. (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1440 (C.F. 1re inst.) (QL); Smith c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 1069 (C.F. 1re inst.) (QL).

 

CONCLUSION

[21]           Pour tous ces motifs, la demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du demandeur est accordée.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE qu’il soit sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre le demandeur.

 

            « Michel M.J. Shore »

                       Juge     

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2702-07

 

INTITULÉ :                                       DIPESH KUMAR THALANG c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario) par téléconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 juillet 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            Le juge SHORE

 

DATE :                                               Le 12 juillet 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Brouwer

 

POUR LE DEMANDEUR

Bernard Assan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

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