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Date : 20070709

Dossier : IMM­2208­06

Référence : 2007 CF 728

Ottawa (Ontario), le 9 juillet 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

VADIM LEBEDEV

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Vadim Lebedev s’est évadé de l’armée et a fui sa Russie natale parce qu’il ne voulait pas servir comme soldat en Tchétchénie. Il prétend ne pas croire à la violence et affirme qu’il sera contraint de prendre part à des crimes de droit international s’il reprend son service militaire. À la suite du rejet de sa demande d’asile, il a sollicité un examen des risques avant renvoi (ERAR), faisant valoir qu’il craignait d’être détenu, torturé et tué par l’armée russe. Terri­Lynn Steffler, l’agente d’examen des risques avant renvoi (l’agente d’ERAR), a rejeté sa demande le 29 mars 2006. M. Lebedev sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

 

[2]               J’accueille la demande du demandeur et j’annule la décision de l’agente d’ERAR pour deux raisons. Premièrement, dans l’analyse de l’agente concernant la question de savoir si la guerre en Tchétchénie avait fait l’objet d’une condamnation internationale, je relève un certain nombre d’erreurs qui minent sa décision au regard de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), L.C. 2001, ch. 27. Deuxièmement, son examen des risques au regard de l’article 97 de la LIPR contient de graves erreurs de fait et de droit. Je précise qu’une partie importante de mes motifs sera consacrée à la question de l’objection de conscience, qui fait depuis des années l’objet d’un traitement à la fois confus et inconstant. Les questions qu’elle soulève revêtent un caractère essentiellement hypothétique dans le cas de M. Lebedev, mais j’estime qu’elles ont suffisamment d’importance pour retenir l’attention de la Cour.

 

LES FAITS

[3]               M. Lebedev est né le 21 mai 1976. En juin 1994, il a répondu à l’appel sous les drapeaux. Dans sa demande d’ERAR, il a déclaré avoir demandé d’effectuer un service de remplacement parce qu’il ne croyait pas à la violence. On l’a cependant enrôlé dans l’armée régulière. Il affirme avoir fait, dès son incorporation, l’objet de brimades extrêmes, notamment d’injures, de tabassages, de privation de nourriture et d’agressions sexuelles.

 

[4]               Quand il a appris qu’on l’envoyait en Tchétchénie en décembre 1994, il s’est arrangé pour prévenir sa mère. Celle-ci a tenté de s’opposer à son déploiement, allant jusqu’à soudoyer un responsable militaire, mais cela n’a rien donné. Lorsqu’il a reçu son ordre de réinstallation, prétextant qu’elle le sortait pour lui faire brièvement ses adieux, sa mère a réussi à l’amener chez elle.

 

[5]               M. Lebedev est retourné à l’armée en janvier 1995 en raison de la promesse des autorités militaires de ne pas l’envoyer en Tchétchénie. Il affirme que cette promesse n’a pas été tenue et qu’il a en fait été emprisonné pendant onze jours. Lors de sa détention, il a reçu de nouveaux ordres de se rendre en Tchétchénie. Il est - à nouveau - parvenu à s’enfuir alors qu’on l’emmenait sous escorte à son travail en prison. Craignant d’être retrouvé et renvoyé à l’armée s’il rentrait chez lui, il s’est réfugié chez sa tante.

 

[6]               Le demandeur a ensuite déménagé en Argentine avec sa mère, apparemment parce que c’était le seul pays pour lequel ils avaient pu se procurer des visas. En juin 1997, sa mère est partie au Canada, où elle a fini par acquérir la citoyenneté canadienne. M. Lebedev a, de son côté, décidé de rester en Argentine parce qu’il y travaillait déjà et il y fréquentait une jeune fille russe. À son arrivée en Argentine, il avait demandé asile, mais sa demande avait été automatiquement retirée lorsqu’il a obtenu un visa de travail.

 

[7]               Le visa de travail de l’Argentine ainsi que le passeport russe de M. Lebedev ont fini par venir à expiration. Le demandeur a alors déposé une demande de résidence permanente à l’ambassade du Canada à Buenos Aires, invoquant des considérations d’ordre humanitaire. Sa demande a été rejetée en juin 2003.

 

[8]               Apprenant qu’il ne pourrait ni réactiver sa demande d’asile ni présenter une nouvelle demande d’asile en Argentine, M. Lebedev s’est enfui au Canada, où il est arrivé en juin 2004 muni d’un faux passeport suisse.

 

LA DÉCISION DE LA COMMISSION

[9]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d’asile de M. Lebedev dans une décision en date du 10 juin 2005. Elle a estimé que M. Lebedev craignait d’être poursuivi en justice et non d’être persécuté et qu’il n’avait pas prouvé qu’il avait cherché à effectuer un service de remplacement.

 

[10]           La Commission a insisté sur ses doutes quant à la crédibilité de M. Lebedev. Par exemple, il a déclaré s’être enrôlé volontairement dans l’armée, mais la Commission a jugé que cela cadrait mal avec le récit d’un homme qui refusait de servir en Tchétchénie. Elle a également jugé peu vraisemblable que M. Lebedev se soit engagé dans l’armée alors qu’il aurait pu obtenir un sursis pour études. La Commission a par ailleurs relevé le caractère contradictoire des témoignages concernant sa prétendue évasion d’une prison russe en janvier 1995 et l’absence de preuves concernant son lieu de résidence entre février 1995 et juin 1997.

 

[11]           Enfin, la Commission a jugé invraisemblable que la mère de M. Lebedev puisse l’avoir renvoyé à l’armée sur la foi de la seule promesse qu’on ne l’enverrait pas en Tchétchénie. Elle avait en effet déjà essayé de soudoyer des responsables pour soustraire son fils au service militaire en Tchétchénie et l’entente à laquelle elle était arrivée n’avait pas été respectée. La Commission a estimé peu plausible qu’elle se soit à nouveau fiée à ce genre de promesse.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE (ERAR)

[12]           L’agente d’ERAR a refusé de prendre en considération la preuve documentaire antérieure à l’audience de M. Lebedev devant la Commission. Elle a toutefois admis un mandat d’arrestation, décerné le 17 juillet 2004 par les autorités russes, indiquant que le demandeur serait arrêté dès son retour en Russie. Elle a également relevé les conclusions défavorables auxquelles la Commission était parvenue en ce qui concerne la crédibilité et la fiabilité de M. Lebedev, précisant que l’ERAR n’était pas censé constituer une nouvelle audition de la demande d’asile initiale.

 

[13]           L’agente d’ERAR s’est appuyée sur l’ouvrage The Law of Refugee Status (Markham : Butterworths, 1991) de James Hathaway, et notamment sur la réflexion de l’auteur sur la question de savoir si on peut invoquer avec succès son opposition au service militaire dans une demande d’asile. Elle a également consulté le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le Guide du HCNUR) au sujet des règles concernant l’opposition au service militaire. À la page 179 de son livre, M. Hathaway cite le paragraphe 168 du Guide du HCNUR et écrit :

[traduction] Les personnes qui revendiquent le statut de réfugié sur le fondement de leur refus d’accomplir leur service militaire ne sont ni des réfugiés en soi, ni des personnes exclues de toute protection. De manière générale,

 

[i]l va de soi qu’une personne n’est pas un réfugié si la seule raison pour laquelle elle a déserté ou n’a pas rejoint son corps comme elle en avait reçu l’ordre est son aversion du service militaire ou sa peur du combat. Elle peut, cependant, être un réfugié si sa désertion ou son insoumission s’accompagnent de motifs valables de quitter son pays ou de demeurer hors de son pays ou si elle a de quelque autre manière, au sens de la définition, des raisons de craindre d’être persécutée.

 

[14]           Ainsi, un demandeur ne peut généralement revendiquer le statut de réfugié au titre de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention) ni, par conséquent, au titre de l’article 96 de la LIPR, uniquement parce qu’il ne veut pas servir dans l’armée de son pays. Selon M. Hathaway, il existe cependant trois exceptions à cette règle. Premièrement, l’insoumission peut avoir un lien avec un des motifs prévus par la Convention si la conscription en vue d’un but licite et légitime s’effectue de manière discriminatoire ou si la peine infligée au déserteur est entachée de partialité pour l’un des motifs prévus par la Convention. Deuxièmement, l’insoumission peut entraîner la reconnaissance du statut de réfugié si elle reflète l’opinion politique implicite que le service militaire en question est foncièrement illégitime au regard du droit international. M. Hathaway décrit cela comme étant [traduction] « l’action militaire visant à violer les droits de l’homme fondamentaux, les entreprises violant les normes de la Convention de Genève relatives à la conduite de la guerre et les intrusions non défensives dans un territoire étranger » (Hathaway, précité, pages 180 et 181). La troisième et dernière exception s’applique aux personnes ayant des « objections de principe » au service militaire, plus connues sous le nom d’« objecteurs de conscience ».

 

[15]           L’agente d’ERAR a partagé la conclusion de la Commission selon laquelle, en Russie, le service militaire obligatoire et les sanctions applicables aux déserteurs sont des lois d’application générale. Concernant la première exception exposée par M. Hathaway, elle a également souscrit à la conclusion de la Commission selon laquelle la loi n’a pas été appliquée de manière discriminatoire.

 

[16]           Passant à la deuxième exception formulée par M. Hathaway, l’agente d’ERAR a reconnu que des violations des droits de la personne commises par l’armée russe ont été rapportées. Elle a toutefois conclu qu’il s’agissait d’incidents isolés et qu’on ne saurait donc parler de violations généralisées et systémiques. C’est ainsi qu’elle a écrit, à la page 4 de sa décision :

[traduction] Le demandeur d’asile indique vaguement qu’il a cherché à se soustraire au service militaire notamment parce que le conflit qui se déroule en Tchétchénie est contraire aux normes internationales. Dans ses observations écrites, il affirme qu’il serait forcé de prendre part à des crimes contre l’humanité. Je reconnais que, selon des rapports dignes de foi, certains membres des forces armées ont commis des violations des droits de la personne dans ce conflit, mais les éléments de preuve présentés par le demandeur d’asile ne permettent pas d’établir que l’armée russe a l’intention de se livrer à des violations des droits de la personne planifiées et systémiques, ou que la communauté internationale considère que les opérations militaires menées en Tchétchénie sont contraires aux règles de conduite les plus élémentaires [Hathaway; Guide du HCNUR]. Je ne suis pas convaincue que les circonstances de la présente affaire relèvent du deuxième scénario.

 

 

[17]           Enfin, l’agente d’ERAR a conclu que M. Lebedev n’était pas un objecteur de conscience et qu’il n’était donc pas visé par la troisième exception de M. Hathaway. Elle a écrit, à la page 5 de sa décision :

[traduction] On peut différencier les objecteurs de conscience des simples insoumis ou déserteurs. Ce qui les distingue l’un de l’autre est ce qui motive leur refus, à savoir des principes profonds et/ou une opinion sincère. Après examen approfondi de l’ensemble de la preuve, je ne suis pas convaincue que le demandeur d’asile est un objecteur de conscience. Il a démontré une volonté de travailler pour les forces militaires russes partout sauf en Tchétchénie. J’estime que la preuve est insuffisante pour conclure que sa décision reposait sur des principes profonds ou des convictions fondamentales et non sur le simple refus de s’exposer aux conditions qui règnent actuellement en Tchétchénie.

 

[18]           Comme M. Lebedev ne pouvait se prévaloir d’aucune des trois exceptions, l’agente a rejeté ses demandes fondées sur l’article 96 de la LIPR. Elle a ensuite analysé la question de savoir s’il courait des risques au sens de l’article 97. M. Lebedev a fait valoir que les conditions de détention en Russie l’exposaient à des risques. Il a présenté des éléments de preuve démontrant que les conditions dans les prisons sont extrêmement dures et peuvent même constituer une menace à la vie, particulièrement dans les établissements de détention avant procès connus sous le nom de « centres de détention au secret pour enquête ».

 

[19]           L’agente d’ERAR a reconnu les conditions difficiles dans les prisons et admis que M. Lebedev ferait effectivement l’objet de poursuites judiciaires dès son retour en Russie. Mais elle pensait aussi qu’il se verrait peut‑être infliger des sanctions moins sévères étant donné qu’elle a conclu que le juge russe avait uniquement prévu une peine d’emprisonnement parce que cela était nécessaire pour obtenir l’extradition de M. Lebedev. Aux pages 6 et 7 de sa décision, l’agente a écrit qu’[traduction]« aux termes de l’article 460 du code de procédure pénale russe, la Fédération de Russie peut demander l’extradition d’une personne uniquement après avoir opté pour une sanction de peine carcérale ». Elle a fait remarquer que les défendeurs sont présumés innocents  en Russie et que la loi leur confère des droits compatibles avec la Déclaration universelle des droits de l’homme. À la page 7 de sa décision, elle a également décrit de la façon suivante M. Lebedev :

[traduction] Les voyages qu’il a effectués et la débrouillardise dont il a fait preuve pour se procurer des papiers d’identité montrent que le demandeur d’asile est un homme avisé; les poursuites pénales et les établissements carcéraux ne lui sont pas entièrement étrangers; il a fait d’assez bonnes études et est, à 30 ans, un homme mûr et en bonne santé. Si l’on évalue sa situation personnelle par rapport aux probabilités qu’il a de se voir imposer une peine indéterminée dans un établissement parmi une gamme d’établissements où règnent des conditions elles-mêmes diverses, j’estime que la preuve ne me permet pas de conclure qu’il sera vraisemblablement exposé à un risque de traitements ou peines cruels et inusités, à une menace à sa vie ou au risque d’être soumis à la torture.

 

[20]           M. Lebedev a également fait valoir qu’après avoir purgé sa peine d’emprisonnement, il serait contraint de compléter son service militaire et il risquerait alors de se voir infliger des sévices, des mauvais traitements, voire de la torture par des membres des forces armées. L’agente d’ERAR a reconnu que les brimades constituent un grave problème dans l’armée russe, mais elle n’a pas estimé que M. Lebedev avait établi qu’il risquait d’être personnellement exposé à de telles pratiques. Elle a conclu qu’il n’y avait objectivement pas lieu de penser qu’il serait exposé aux risques prévus à l’article 97, écrivant à la page 8 de ses motifs :

[traduction] Étant donné son âge (il a dépassé l’âge du service militaire), la réduction des opérations en Tchétchénie et le nombre de jeunes qui, chaque année, atteignent l’âge du service militaire, j’estime que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur d’asile ne sera vraisemblablement pas obligé de servir dans l’armée et qu’il est donc peu probable qu’il soit exposé à des traitements ou peines cruels et inusités, à une menace à sa vie ou au risque d’être soumis à la torture.

 

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[21]           L’avocat de M. Lebedev a soulevé, dans ses observations écrites, toute une série de questions, tant de droit que de fait, mais il les a regroupées sous deux arguments à l’audience :

[traduction]

1)      L’agente d’ERAR a-t-elle erronément conclu que M. Lebedev n’est pas un réfugié au sens de la Convention? Plus précisément, l’agente a‑t‑elle mal interprété l’étendue et la fréquence des violations des droits de la personne en Tchétchénie et a‑t‑elle erronément omis de conclure que le conflit qui s’y déroule viole les normes internationales?

 

2)      L’agente d’ERAR a-t-elle erronément conclu que M. Lebedev ne sera pas personnellement exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités? Autrement dit, a‑t‑elle erronément conclu qu’il ne subirait vraisemblablement aucuns sévices en prison en raison de sa débrouillardise et qu’il ne serait pas contraint de terminer son service militaire?

 

Il faudra bien sûr décider de la norme de contrôle appropriée pour chacune de ces questions.

 

ANALYSE

A)  L’agente d’ERAR a-t-elle erronément conclu que M. Lebedev n’est pas un réfugié au sens de la Convention?

[22]           Depuis 10 ou 15 ans, tant au Canada que dans les autres pays occidentaux, les tribunaux ont commencé à développer une jurisprudence portant sur l’insoumission comme motif justifiant la protection offerte aux réfugiés. Il existe toujours des points litigieux, dont je traiterai un peu plus loin, mais le consensus suivant se dégage aussi petit à petit : si la liberté de conscience et d’opinion doit être prise au sérieux, elle doit guider le traitement que nous réservons aux demandeurs d’asile qui ont fui leur pays d’origine parce qu’ils s’opposent au service militaire.

 

[23]           La juge Anne Mactavish a tout récemment examiné ces questions dans la décision Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 420, conf. par 2007 CAF 171. Après s’être livrée à un examen approfondi de la jurisprudence canadienne et étrangère pertinente ainsi que des principaux ouvrages sur le sujet, elle a fort bien résumé les principes applicables. Comme on le verra dans les présents motifs, je me suis grandement inspiré de son analyse et je partage la plupart de ses opinions.

 

[24]           Cela dit, la Cour d’appel fédérale a récemment refusé de se prononcer sur la question certifiée dans la décision Hinzman, précitée. La Cour d’appel a confirmé la décision de la juge Mactavish sur un fondement restreint, à savoir que le demandeur n’avait pas fait suffisamment d’efforts pour se prévaloir des mécanismes de protection que lui offraient les États-Unis. On ne dispose donc toujours pas d’une interprétation définitive du paragraphe 171 du Guide du HCNUR et on n’a notamment toujours pas de réponse à la question de savoir si l’illégalité d’un conflit est pertinente pour une demande d’asile présentée par un simple fantassin.

 

[25]           Mais, avant d’aller plus loin, revenons à l’essentiel. Selon l’article 96 de la LIPR, un réfugié au sens de la Convention doit « crai[ndre] avec raison d’être persécut[é] du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques ». L’article 96 de la LIPR n’indique pas clairement, et la définition de « réfugié au sens de la Convention » qui figure au paragraphe 2(1) de l’ancienne Loi sur l’immigration n’élucide pas davantage, ce que signifie « craindre avec raison d’être persécuté ». Dans l’arrêt Chan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593, au paragraphe 70, la Cour suprême du Canada précise que « [l]a question essentielle est de savoir si la persécution alléguée par le demandeur du statut de réfugié menace de façon importante ses droits fondamentaux de la personne ». Le décideur doit donc se demander si, en soi, le service militaire obligatoire qui ne s’accompagne d’aucune possibilité de service de remplacement constitue une atteinte à l’un des droits fondamentaux de la personne. Il est clair que la sanction à laquelle s’expose l’insoumis devra être suffisamment grave pour équivaloir à de la persécution. En outre, cette persécution devra se fonder sur l’un des cinq motifs prévus à l’article 96 de la LIPR et la personne ne devra pas être en mesure de se prévaloir de la protection de l’État.

 

[26]           En général, les peines qui sanctionnent la violation d’une loi d’application générale entraînent une poursuite et non une persécution. Dans l’arrêt Musial c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1982] 1 C.F. 290, la Cour d’appel fédérale a statué que les raisons pour lesquelles le revendicateur avait refusé d’effectuer son service militaire n’étaient pas pertinentes. La crainte d’être poursuivi et puni pour l’infraction commise, même si celle­ci se fonde sur des croyances politiques, ne saurait transformer en persécution les sanctions applicables aux insoumis.

 

[27]           Comme nous le verrons, la Cour d’appel fédérale a par la suite précisé sa pensée et introduit un certain nombre de distinctions par rapport aux motifs de l’arrêt Musial, précité. Il est maintenant admis que le service militaire obligatoire peut permettre d’invoquer l’argument de la persécution au titre de l’article 96 de la LIPR dans certaines circonstances. En fait, le Guide du HCNUR prévoit explicitement cette possibilité. Premièrement, selon le paragraphe 167 du Guide, « [l]a crainte des poursuites et du châtiment pour désertion ou insoumission ne constitue pas pour autant une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la définition ». Puis, selon le paragraphe 168 indique :

Il va de soi qu’une personne n’est pas un réfugié si la seule raison pour laquelle elle a déserté ou n’a pas rejoint son corps comme elle en avait reçu l’ordre est son aversion du service militaire ou sa peur du combat. Elle peut, cependant, être un réfugié si sa désertion ou son insoumission s’accompagnent de motifs valables de quitter son pays ou de demeurer hors de son pays ou si elle a de quelque autre manière, au sens de la définition, des raisons de craindre d’être persécutée.

 

[28]           La Cour n’est pas liée par le Guide du HCNUR, mais cet opuscule constitue un point de départ utile lorsqu’il s’agit d’interpréter la Convention. Ainsi que le juge Gérard La Forest l’a affirmé au paragraphe 46 de l’arrêt Chan, précité, ce guide « doit être considéré comme un ouvrage très pertinent dans l’examen des pratiques relatives à l’admission des réfugiés ». Les paragraphes 167 à 174 de la rubrique « Déserteurs, insoumis, objecteurs de conscience » du Guide du HCNUR sont annexés aux présents motifs.

 

[29]           Le demandeur d’asile qui entend réfuter la présomption voulant que le service militaire obligatoire soit une loi d’application générale (et que les peines sanctionnant la désertion ou l’insoumission entraînent de simples poursuites) doit pouvoir se prévaloir de l’une des trois exceptions définies par M. Hathaway, exceptions que reflète également le Guide du HCNUR. Le paragraphe 169 de ce guide énonce l’exception la moins litigieuse : les demandeurs d’asile peuvent plaider la persécution lorsqu’ils peuvent démontrer l’existence d’une forme de traitement discriminatoire avant, pendant ou même après le service militaire obligatoire. Le paragraphe 169 est libellé comme suit :

Un déserteur ou un insoumis peut donc être considéré comme un réfugié s’il peut démontrer qu’il se verrait infliger pour l’infraction militaire commise une peine d’une sévérité disproportionnée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Il en irait de même si l’intéressé peut démontrer qu’il craint avec raison d’être persécuté pour ces motifs, indépendamment de la peine encourue pour désertion.

 

[30]           M. Lebedev n’affirme pas qu’il a fait ou qu’il ferait l’objet d’un traitement discriminatoire dans l’armée, pas plus qu’il n’affirme que les poursuites ou sanctions pour sa désertion seraient entachées de partialité relativement à l’un des cinq motifs prévus à l’article 96 de la LIPR. Comme l’a signalé l’agente d’ERAR, la Commission a estimé que la preuve concernant la discrimination était insuffisante et M. Lebedev n’a pas présenté de nouvelle preuve convaincante à l’effet contraire. Par conséquent, il n’y a pas lieu d’insister sur cette première exception.

 

[31]           L’exception suivante concerne les objecteurs de conscience. Le paragraphe 170 du Guide du HCNUR pose le principe et les paragraphes 172 à 174 étoffent la disposition générale. Cette exception a suscité de nombreux débats. La difficulté de cerner les paramètres du concept explique peut‑être, du moins partiellement, pourquoi les demandes d’asile présentées par des personnes faisant valoir l’objection de conscience sont souvent rejetées d’emblée.

 

[32]           Se fondant sur l’ouvrage de M. Hathaway et The Refugee in International Law (Oxford : Clarendon Press, 1996) de Guy Goodwin­Gill, l’agente d’ERAR était apparemment disposée à accepter qu’un objecteur de conscience puisse se voir reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention. Au vu des éléments de preuve dont elle disposait, elle a néanmoins conclu que M. Lebedev ne s’opposait pas par principe à la guerre. Il ne voulait tout simplement pas s’exposer aux rigueurs du champ de bataille en Tchétchénie. Elle a donc conclu qu’il était un [traduction] « simple insoumis » et non un objecteur de conscience.

 

[33]           M. Lebedev conteste bien sûr cette conclusion. Il prétend qu’à l’époque où il a été enrôlé dans l’armée, il n’existait aucune procédure officielle lui permettant de demander d’accomplir un service de remplacement. Il affirme avoir présenté une telle demande oralement et tenté de faire valoir son objection de conscience, sans succès. Au cours de sa plaidoirie, l’avocat de M. Lebedev a cependant pris une certaine distance par rapport à cette position, soutenant que son client ne revendiquait pas le statut d’objecteur de conscience. Il refusait plutôt de participer à une guerre condamnée par la communauté internationale et contraire aux principes du droit international humanitaire. Cet argument se rapporte à la troisième exception, énoncée au paragraphe 171 du Guide du HCNUR.

 

[34]           Il est généralement admis que la norme de contrôle appropriée à l’égard d’une décision d’un agent d’ERAR, examinée dans son ensemble, est celle de la décision raisonnable : voir Figurado c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 347. Cela dit, la norme applicable peut changer selon la nature des questions soulevées. Après s’être livré à une analyse pragmatique et fonctionnelle, le juge Richard Mosley a écrit, dans la décision Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 437, au paragraphe 19, que « [...] la norme de contrôle applicable aux questions de fait devrait être, de manière générale, celle de la décision manifestement déraisonnable; la norme applicable aux questions mixtes de fait et de droit, celle de la décision raisonnable simpliciter; et la norme applicable aux questions de droit, celle de la décision correcte [...] ».

 

[35]           La question de savoir si un objecteur de conscience peut invoquer la persécution en raison des sanctions que peut lui attirer son comportement est manifestement une question de droit, tout comme celle de la définition qu’il convient de donner à l’objecteur de conscience. Ces deux questions doivent donc être contrôlées selon la norme de la décision correcte. Par contre, la conclusion de l’agente selon laquelle le comportement de M. Lebedev n’était pas attribuable à des principes profonds était essentiellement une conclusion de fait devant être contrôlée selon la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

Objection de conscience par opposition à objection à l’égard d’une guerre en particulier

[36]           Dans la décision Hinzman, précitée, la juge Mactavish était appelée à dire si l’objection de conscience était reconnue par le droit international. À la suite d’une analyse approfondie, elle a conclu par la négative. Elle a en outre conclu qu’il n’existait pas de droit d’objection de conscience « partielle » reconnu, lequel viserait l’opposition à une guerre en particulier. L’objecteur de conscience « absolu » est celui qui s’oppose à la guerre en général. La juge Mactavish a par conséquent rejeté l’argument voulant que M. Hinzman puisse légitimement s’opposer à la guerre en Irak et être de ce fait considéré comme un objecteur de conscience.

 

[37]           Sur la plupart des points, je partage l’analyse de ma collègue dans la décision Hinzman, précitée. Par conséquent, je souscris également à la conclusion de l’agente d’ERAR que le refus de M. Lebedev de servir en Tchétchénie ne constituait pas une objection de conscience. Toutefois, même si c’était le cas, M. Lebedev n’aurait pas droit au statut de réfugié sur le simple fondement de la sincérité de ses croyances. Pour se voir reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention, il ne suffit pas d’établir que l’on est un objecteur de conscience. C’est ce que la Cour d’appel fédérale a conclu dans l’arrêt Ates c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 322. Dans une courte décision rendue de vive voix, la Cour d’appel a statué qu’un objecteur de conscience sincère, originaire de Turquie, n’était pas un réfugié au sens de la Convention bien qu’il ait à plusieurs reprises été accusé et incarcéré pour avoir refusé d’accomplir son service militaire obligatoire.

 

[38]           Cela dit, je me permets les commentaires suivants. Premièrement, l’arrêt Ates, précité, ne semble pas très bien cadrer avec les décisions antérieures de la Cour d’appel fédérale, et en particulier avec l’arrêt Zolfagharkhani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 3 C.F. 540. Dans cette affaire, un citoyen iranien a été reconnu comme étant un objecteur de conscience même s’il n’avait pas d’objection de principe au service militaire en soi. Il avait d’ailleurs servi plus de deux ans comme artilleur à bord d’un char lors de la guerre entre l’Iran et l’Irak. Il n’était en outre même pas opposé à ce conflit. Son opposition était extrêmement précise : l’intention des forces iraniennes d’employer des armes chimiques contre les Kurdes.

 

[39]           Dans l’arrêt Zolfagharkhani, précité, la Cour d’appel fédérale s’est penchée à nouveau sur les motifs qu’elle avait exposés dans l’arrêt Musial, précité, et a tenté d’en préciser le sens véritable. La Commission s’était fondée sur l’arrêt Musial, précité, pour statuer sur la demande de M. Zolfagharkhani et conclure que, lorsqu’un gouvernement applique une loi ordinaire d’application générale, il s’agit non pas d’une persécution mais d’une poursuite. La Cour d’appel n’a pas été d’accord avec cette conclusion. Selon le juge Mark MacGuigan, la Cour d’appel avait simplement entendu indiquer dans l’arrêt Musial, précité, que « la motivation politique d’un demandeur ne peut à elle seule régir la décision sur son statut de réfugié » (Zolfagharkhani, précité, paragraphe 15).

 

[40]           Puis, il a ajouté, au sujet de M. Zolfagharkhani :

[24] Selon mon point de vue sur l’affaire, l’objection de conscience à la guerre en général ne soulève aucune question, puisque l’appelant ne s’opposait nullement au service actif dans l’armée iranienne lors de la guerre Iran­Irak. [...] De plus, j’ai déjà accepté la conclusion de la Commission selon laquelle l’appelant ne formulait pas d’objection de conscience au service militaire contre les Kurdes.

 

[25] La question de l’objection de conscience se rapporte uniquement à la participation à la guerre chimique. C’est l’objectif particulier que la Commission n’a pas trouvé [traduction] « raisonnable ni valable », essentiellement pour le motif que, en tant que travailleur paramédical, l’appelant ne combattrait pas avec des armes chimiques, mais qu’il jouerait simplement un rôle d’ordre humanitaire.

 

[41]           Par son libellé, l’arrêt Zolfagharkhani, précité, reconnaissait certainement l’objection de conscience. Au début de ses motifs, le juge MacGuigan a même écrit que « [l]’espèce concerne le statut d’objecteur de conscience par rapport à la définition de "réfugié au sens de la Convention" figurant au paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I­2 ». Le raisonnement de la Cour d’appel semble cependant se fonder sur une autre exception prévue au Guide du HCNUR – la participation à des activités militaires contraires aux normes internationales. Après avoir conclu que la guerre chimique est contraire au droit international coutumier, et faisant référence au paragraphe 171 du Guide du HCNUR, le juge MacGuigan a écrit ce qui suit :

[30] J’estime qu’il s’agit précisément là de la situation en l’espèce. L’usage probable d’armes chimiques, que la Commission accepte comme un fait, est clairement jugé par la communauté internationale comme contraire aux règles de conduite les plus élémentaires et, en conséquence, la loi iranienne sur la conscription ayant une application générale, appliquée à un conflit dans lequel l’Iran avait l’intention de faire usage d’armes chimiques, équivaut à de la persécution pour des opinions politiques.

 

[42]           Il persiste par conséquent une certaine ambiguïté quant à la question de savoir quel était le véritable fondement de l’arrêt Zolfagharkhani, précité. Je suis personnellement enclin à penser que l’objection de conscience, en tant que principe et précédent, ne peut être que générale et doit viser la participation à tout conflit armé. Lorsqu’un demandeur s’oppose à une guerre en particulier, on ne peut pas dire qu’il s’oppose à la guerre pour des raisons philosophiques, éthiques ou religieuses. Il s’oppose plutôt aux objectifs ou aux stratégies militaires dans un conflit donné. Comme nous le verrons, son objection n’a pas pour source sa conscience, mais un jugement objectif quant à la validité de l’action militaire menée dans une situation précise. Cela est différent de l’objection de conscience.

 

[43]           Les faits en cause dans l’arrêt Zolfagharkhani témoignent de cette dichotomie. Dans cette affaire, le demandeur d’asile s’opposait à la guerre contre les Kurdes non pas en raison de son aversion à la guerre, mais parce qu’il jugeait l’emploi d’armes chimiques contraire aux règles de conduite les plus élémentaires. Pourtant, dans de nombreuses décisions portant sur la question, la Cour a à la fois recherché l’existence de croyances subjectives du demandeur et d’un élément objectif relativement à la nature du conflit en cause. Ce mélange d’éléments subjectifs et objectifs est particulièrement évident dans l’extrait suivant de la décision Bakir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 70 :

[30] Dans l’arrêt Zolfagharkhani, précité, la Cour d’appel fédérale a statué qu’il n’est pas nécessaire d’être un pacifiste absolu ou de se dire opposé à tout service dans des forces armées pour être reconnu comme objecteur de conscience. Lorsque la communauté internationale condamne le conflit ou l’opération militaire en cause comme contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, il convient de reconnaître la personne qui refuse d’y prendre part pour des raisons de conscience ou pour des convictions profondes comme un objecteur de conscience.

 

[44]           Selon moi, l’expression « objection de conscience partielle » implique l’existence d’un lien qui n’existe pas entre deux exceptions différentes prévues par M. Hathaway et le Guide du HCNUR. À mon sens, l’objection de conscience est le fait de ceux qui s’opposent entièrement à la guerre en raison de leurs convictions politiques, éthiques ou religieuses. L’objection sélective vise quant à elle l’opposition à une guerre par un demandeur qui estime que ce conflit viole le droit international et les droits de la personne.

 

[45]           Le premier type de demande, l’objection de conscience, soulève des questions d’ordre subjectif. Les décideurs doivent s’interroger sur les croyances personnelles du demandeur et sur son comportement pour juger de l’authenticité de sa revendication. Le deuxième type de demande commande une appréciation subjective et objective des faits. Le décideur doit non seulement évaluer la sincérité des croyances dont fait état le demandeur, mais encore examiner la question de savoir si le conflit en question est objectivement contraire aux normes internationales. Ces deux types d’objection doivent être considérés comme deux catégories distinctes, comme dans le Guide du HCNUR où les paragraphes 171 et 172 établissent la distinction.

 

[46]           Alors, que conclure de cela? Premièrement, j’estime qu’il y a lieu de restreindre la notion d’objection de conscience aux cas où le demandeur refuse toute participation à une action militaire en raison de ses convictions sincères, que celles‑ci reposent sur des croyances religieuses ou des considérations d’ordre philosophique ou éthique. Je suis conscient du fait que le paragraphe 172 du Guide du HCNUR mentionne les convictions « religieuses », mais cette notion devrait, selon moi, être élargie afin de reconnaître que les principes moraux peuvent aussi être suffisamment puissants pour certaines personnes pour guider et fonder leurs choix de vie. Cela est d’ailleurs conforme à la manière dont la Cour suprême du Canada a interprété le droit à la liberté de religion : voir, par exemple, Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551; Rc. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, et R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713. Dans l’arrêt Welsh c. United States, 398 U.S. 333, la Cour suprême des États‑Unis a rendu admirablement compte de cette idée aux pages 339 et 340 :

[traduction] Ce qu’il faut [...] pour que soit considérée comme « religieuse » l’objection de conscience invoquée par l’inscrit à l’égard de toute guerre [...] c’est que cette opposition à la guerre découle de croyances morales, éthiques ou religieuses concernant ce qui est bien et mal et que ces croyances aient la force des convictions religieuses traditionnelles [...] Chez la personne qui a des convictions profondes et sincères de nature purement éthique ou morale qui lui interdisent, pour être en paix avec sa conscience, de prendre part à toute guerre, de telles croyances occupent sans aucun doute pour cette personne « une place analogue à celle que Dieu » occupe chez les croyants traditionnels.

 

L’objection de conscience du point de vue international

[47]           La question de l’objection de conscience revêtait en l’espèce un caractère surtout théorique puisque la Commission n’a pas été convaincue que M. Lebedev s’était soustrait au service militaire en raison de convictions profondes. Comme il s’agit d’une conclusion de fait, je dois m’en remettre sur ce point à la Commission, à moins que sa conclusion ne soit manifestement déraisonnable. Après avoir attentivement examiné les éléments versés au dossier, je suis d’avis que la Commission pouvait raisonnablement parvenir à cette conclusion. Il est vrai que M. Lebedev ne pouvait pas, lorsqu’il a été incorporé dans l’armée en 1990, demander officiellement un service de remplacement. La loi fédérale sur le service civil de remplacement, qui régit la procédure de demande de service de remplacement en Russie, n’est en effet entrée en vigueur que le 1er janvier 2004. J’estime toutefois que M. Lebedev ne s’est pas comporté comme l’aurait fait un objecteur de conscience. Non seulement il ne s’est opposé au service militaire qu’après avoir appris qu’on allait l’envoyer en Tchétchénie, mais encore il est retourné dans l’armée sur la foi d’une simple promesse qu’on ne l’enverrait pas en Tchétchénie. L’armée lui avait déjà fait cette même promesse et elle ne l’avait pas tenue. L’avocat de M. Lebedev a donc bien fait de faire valoir l’exception prévue au paragraphe 171 du Guide du HCNUR, que j’examinerai sous peu. La question de savoir s’il y a lieu de reconnaître l’existence d’un droit à l’objection de conscience se voit cependant accorder une attention croissante tant au Canada qu’au niveau international. Compte tenu de l’importance de cette question, il est surprenant de constater la rareté de la jurisprudence à cet égard. C’est pourquoi je me livre aux commentaires suivants.

 

[48]           La juge Mactavish avait parfaitement raison d’écrire qu’« [à] l’heure actuelle, il n’existe pas de droit [...] reconnu internationalement au statut d’objecteur de conscience » (Hinzman, précité, paragraphe 207). Cette affirmation est d’ailleurs compatible avec la décision récente de la Chambre des lords Sepet c. Secretary of State for the Home Department, [2003] UKHL 15, [2003] 3 All ER 304. Selon ces décisions, les sanctions imposées à ceux qui refusent d’effectuer leur service militaire pour des motifs de conscience n’équivalent pas à de la persécution. Les cours hésitent bien évidemment à s’ingérer dans l’une des prérogatives essentielles de l’État, à savoir lever une armée afin d’assurer la défense du territoire national et entreprendre des opérations militaires jugées nécessaires par le gouvernement en place.

 

[49]           Il est cependant en même temps également clair que les États commencent à donner, de diverses manières, aux objecteurs de conscience la possibilité de s’exprimer. Par exemple, certains pays dispensent du service militaire les véritables objecteurs de conscience. Cela donne du poids à la liberté de pensée, de conscience et de religion par un exercice qui consiste à trouver un équilibre entre les droits individuels et les intérêts étatiques. Comme nous l’avons vu, le paragraphe 172 du Guide du HCNUR mentionne expressément l’objection de conscience et la Commission des droits de l’homme des Nations Unies ainsi que le Conseil de l’Europe ont encouragé leurs États membres à reconnaître un tel droit. Certains des meilleurs spécialistes du droit des réfugiés estiment aussi que la communauté internationale est sur le point d’accepter l’existence d’un droit d’objection de conscience (voir Hathaway, précité, à la page 182, et Goodwin­Gill, précité, à la page 55). Mais, ce qui importe peut­être davantage pour le cas qui nous occupe, c’est que dans plusieurs décisions récentes, la Cour a fait bon accueil à ce genre de demandes et a explicitement ou implicitement admis que la crainte de représailles pour la personne qui s’oppose par principe à l’accomplissement d’un service militaire peut, dans certains cas, équivaloir à de la persécution : voir, par exemple, Bakir, précité; Atagun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 612; Ozunal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 560.

 

[50]           Tant que la Cour d’appel fédérale n’aura pas clarifié davantage la question, je me sens lié par sa décision la plus récente en la matière, soit l’arrêt Ates, précité. J’estime cependant que l’objection de conscience continue à soulever toute une série de questions qui devront être tranchées. En ce qui concerne M. Lebedev, l’exception la plus pertinente est toutefois celle que j’examinerai maintenant : le refus de servir dans une guerre que condamne la communauté internationale.

 

La condamnation par la communauté internationale

[51]           La jurisprudence et la doctrine reconnaissent qu’une personne qui refuse d’accomplir un service militaire obligatoire peut se voir reconnaître le statut de réfugié si le service en question implique la commission d’actes contraires aux règles de conduite les plus élémentaires définies par le droit international. Il n’y a cependant pas unanimité sur certains aspects clés de cette exception au principe général interdisant à celui qui refuse d’effectuer son service militaire de revendiquer le statut de réfugié au titre d’un motif prévu à l’article 96 de la LIPR.

 

[52]           S’appuyant encore une fois sur l’ouvrage de M. Hathaway, l’agente d’ERAR a reconnu l’existence de cette exception, mais elle a néanmoins conclu que M. Lebedev ne satisfaisait pas aux exigences de cette exception. Elle a écrit, à la page 4 de sa décision :

[traduction] Le demandeur d’asile laisse vaguement entendre que sa décision de se soustraire au service militaire était en partie parce fondée sur le fait que le conflit qui se déroule en Tchétchénie viole les normes internationales. Dans ses observations écrites, il fait valoir qu’il serait contraint de prendre part à des crimes contre l’humanité. Je reconnais qu’il existe des rapports dignes de foi indiquant que des membres des forces gouvernementales ont commis des violations des droits de la personne dans le cadre de ce conflit, mais j’estime que la preuve produite par le demandeur ne permet pas d’établir que les forces militaires russes se livrent à des violations des droits de la personne planifiées et systémiques ni que la communauté internationale considère que les opérations militaires menées en Tchétchénie sont contraires aux règles de conduite les plus élémentaires.

 

[53]           M. Lebedev conteste cette conclusion et affirme que la preuve documentaire démontre effectivement l’existence de violations incessantes des droits de la personne qui transgressent les normes internationales. D’après lui, l’agente d’ERAR aurait dû conclure que les forces militaires russes se livrent délibérément à des violations systémiques des droits de la personne en Tchéchénie.

 

[54]           Ces arguments soulèvent des questions tant de droit que de fait. La Cour doit en premier lieu trancher la question de savoir si l’agente a appliqué le critère approprié pour déterminer si M. Lebedev serait contraint de commettre des violations du droit international en servant dans l’armée russe. Pour y répondre, la Cour doit se poser un certain nombre de questions comme, par exemple : L’état d’esprit du demandeur est‑il pertinent? À quels genres d’actions militaires le demandeur serait‑il contraint de prendre part? Doit‑il s’agir d’actions de nature à exclure le demandeur du statut de réfugié en vertu de la section F de l’article premier de la Convention? Quel est le degré de participation requis du demandeur dans ces actions répréhensibles? Ce sont là des questions de droit devant être contrôlées selon la norme de la décision correcte : Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, paragraphe 37.

 

[55]           Par ailleurs, la preuve concernant le conflit en Tchétchénie, la gravité des violations des droits de la personne imputées à l’armée russe et la réaction de la communauté internationale soulèvent des questions de fait. Les conclusions de l’agente d’ERAR à ces égards doivent donc être contrôlées selon la norme de la décision manifestement déraisonnable : Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, paragraphe 40; Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, paragraphe 34.

 

[56]           Afin de mieux saisir la portée de cette exception, le paragraphe 171 du Guide du HCNUR constitue un bon point de départ :

N’importe quelle conviction, aussi sincère soit‑elle, ne peut justifier une demande de reconnaissance du statut de réfugié après désertion ou après insoumission. Il ne suffit pas qu’une personne soit en désaccord avec son gouvernement quant à la justification politique d’une action militaire particulière. Toutefois, lorsque le type d’action militaire auquel l’individu en question ne veut pas s’associer est condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, la peine prévue pour la désertion ou l’insoumission peut, compte tenu de toutes les autres exigences de la définition, être considérée en soi comme une persécution.

 

[57]           Ce principe a été défendu à maintes reprises par des auteurs et les cours. Par exemple, M. Hathaway a écrit qu’[Traduction] « il existe une gamme d’activités militaires qui ne sont tout simplement pas permises, en ce sens qu’elles violent les normes internationales fondamentales. Cela comprend l’action militaire visant à violer les droits de l’homme fondamentaux, les entreprises violant les normes de la Convention de Genève relatives à la conduite de la guerre et les intrusions non défensives dans un territoire étranger » (Hathaway, précité, aux pages 180 et 181). Voir également : Goodwin­Gill, précité; Mark R. von Sternberg, The Grounds of Protection in the Context of International Human Rights and Humanitarian Law : Canadian and United States Case Law Compared (New York : Martinus Nijhoff, 2002), pages 126 à 143; Martin Jones, « Beyond Conscientious Objection : Canadian Refugee Jurisprudence on Military Service Evasion », Centre for Refugee Studies Working Paper Series No. 2 (Toronto : Université York, 2005), pages 8 à 13; Edward Corrigan, « Refusal to Perform Military Service as a Basis for Refugee Claims in Canada », (2000) 8 Imm. L.R. (3d) 272.

 

[58]           Mais l’arrêt de principe au Canada à cet égard est Zolfagharkhani, précité, rendu par la Cour d’appel fédérale. Il s’agissait dans cette affaire d’un demandeur d’asile iranien qui a fui son pays quand il a appris que le gouvernement entendait employer des armes chimiques contre le peuple kurde. Les éléments de preuve produits ne lui permettaient pas de soutenir que les gaz employés par l’armée iranienne comptaient parmi les gaz asphyxiants, toxiques et autres interdits par diverses conventions, mais la Cour d’appel a néanmoins estimé que la preuve présentée faisait état « de la répugnance totale de la communauté internationale à l’égard de toutes les formes de guerre chimique » et que l’usage d’armes chimiques « devrait maintenant être considéré comme allant à l’encontre du droit coutumier international » (Zolfagharkhani, précité, paragraphe 29). Se fondant sur le paragraphe 171 du Guide du HCNUR, la Cour d’appel a conclu que la loi iranienne sur le service militaire obligatoire, appliquée lors d’un conflit où l’armée avait l’intention de faire usage d’armes chimiques, équivalait à de la persécution pour des opinions politiques (Zolfagharkhani, précité, paragraphe 30, cité au paragraphe 41 des présents motifs).

 

 

[59]           Dans la décision Hinzman, précitée, la juge Mactavish a estimé que le paragraphe 171 du Guide du HCNUR ne devait pas être considéré isolément, mais qu’il devait être interprété avec le paragraphe 170. Cette interprétation contextuelle l’a amenée à conclure que le paragraphe 171 comprend à la fois des éléments objectifs et subjectifs. Son raisonnement me paraît inattaquable et mérite d’être intégralement cité :

[108] Le paragraphe 170 parle de la nature et de l’authenticité des convictions personnelles et subjectives de la personne concernée, tandis que le paragraphe 171 parle du statut objectif de « l’action militaire » en question. Cela signifie que, pour être visé par le paragraphe 170 du Guide, le demandeur doit refuser de servir dans l’armée en raison de ses convictions politiques, religieuses ou morales ou pour des raisons de conscience valables. En l’espèce, la Commission a admis que M. Hinzman entretenait des objections véritablement sincères et profondes à l’égard de la guerre en Irak et cette conclusion n’est pas contestée ici.

 

[109] M. Hinzman a donc démontré qu’il était visé par le paragraphe 170 du Guide. Cela ne lui donne toutefois pas droit à la protection accordée aux réfugiés, étant donné que le paragraphe 171 énonce clairement qu’une conviction morale ou politique authentique ne permet pas toujours de justifier une demande de statut de réfugié. Le paragraphe 171 exige qu’il existe également des éléments de preuve objectifs démontrant que « le type d’action militaire auquel l’individu en question ne veut pas s’associer est condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires ».

 

[60]           Il y a une autre raison pour laquelle j’en arrive à cette conclusion. Si un demandeur refuse de servir dans l’armée en raison de craintes, ou même de désagréments qu’il refuse de subir, le lien qu’il pourrait y avoir avec un des motifs de l’article 96 de la LIPR prévu par la Convention disparaît tout simplement. Les personnes qui tentent par principe de se soustraire au service militaire sont réputées craindre d’être persécutées en raison de leurs opinions politiques ou religieuses. Mais si leurs motivations sont plus anodines, la crainte d’être persécuté ne repose pas sur ces motifs et le demandeur ne pourra pas être considéré comme étant un réfugié au sens de la Convention.

 

[61]           Pour toutes ces raisons, j’aurais été disposé à m’en remettre à l’agente d’ERAR si le fondement de sa décision avait été la non‑crédibilité de M. Lebedev et l’absence de preuve démontrant qu’il avait refusé de servir en Tchétchénie en raison de principes. Ce n’est cependant pas la façon dont j’interprète sa décision. Il ressort de l’extrait cité au paragraphe 49 des présents motifs que le demandeur a fait valoir un tel argument, mais l’agente d’ERAR n’a nulle part mis en doute la crédibilité ou la sincérité de cette prétention. Le demandeur avait peut‑être diverses raisons, ce qui ne serait guère surprenant dans ce type de situation, mais cela ne serait pas suffisant pour l’empêcher d’invoquer ce motif à l’appui de sa demande d’asile. Si j’interprète correctement les motifs de sa décision, l’agente d’ERAR a essentiellement retenu l’absence d’éléments de preuve objectifs concernant les agissements de l’armée russe. Cela m’amène à examiner la deuxième exigence du paragraphe 171 du Guide du HCNUR.

 

[62]           L’agente d’ERAR a conclu que le conflit en Tchétchénie n’avait pas été condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires. Cette conclusion soulève une question de droit et une question de fait. La question de droit qui se pose est celle de savoir si l’agente d’ERAR a appliqué le critère approprié pour décider si M. Lebedev était visé par l’exception prévue au paragraphe 171 du Guide du HCNUR. La question de fait consiste à savoir si les opérations militaires menées par la Russie en Tchétchénie ont effectivement été condamnées par la communauté internationale.

 

[63]           Me fondant sur la jurisprudence et la doctrine traitant du paragraphe 171 du Guide du HCNUR, je pense pouvoir affirmer que l’expression « condamnation internationale » n’a pas été définie de façon uniforme. La confusion provient vraisemblablement de l’ambiguïté du libellé du paragraphe, qui peut être interprété comme se rapportant à une norme de droit (« règles de conduite les plus élémentaires »), mais aussi à un jugement politique (« action militaire condamnée par la communauté internationale »).

 

[64]           Il n’est donc guère surprenant que cette ambiguïté se retrouve dans la jurisprudence, notamment dans les décisions de la Cour. La décision Bakir, précitée, illustre une tentative de concilier ces différents critères. Dans cette affaire, la Cour a estimé que l’objection sélective au service militaire devrait être considérée comme étant une objection de conscience « [l]orsque la communauté internationale condamne le conflit ou l’opération militaires » (paragraphe 30; non souligné dans l’original).

 

[65]           Dans l’arrêt Ciric c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 C.F. 65, le juge Bud Cullen a lui aussi analysé le concept de condamnation internationale, concluant que la preuve documentaire, qui provenait de Helsinki Watch, Amnistie Internationale et le Comité international de la Croix­Rouge, permettait de conclure à une « condamnation internationale ». Il a écrit :

[18] Je crois que les requérants ont raison d’affirmer que la Commission a commis une erreur en omettant de tenir compte de la preuve de la condamnation internationale de la situation existant en Yougoslavie. La conclusion de la Commission, selon laquelle il n’y avait pas suffisamment de preuves que les opérations militaires en cours en Yougoslavie étaient condamnées par la communauté internationale, de sorte que cela autorisait les requérants à éviter le service militaire, va à l’encontre de la preuve dont elle disposait. Cette preuve comprenait des rapports de Helsinki Watch, d’Amnistie Internationale et du CICR ainsi que le propre témoignage non contredit du requérant. On ne peut donc pas dire que la Commission a tiré sa conclusion en tenant compte de la preuve dans son ensemble, de sorte que cela équivaut à une erreur de droit. [Non souligné dans l’original.]

 

[66]           Le juge Cullen a un peu plus loin ajouté ceci au sujet des activités visées par cette condamnation internationale :

[22] Le fait que les Nations Unies ne se sont pas empressées de condamner les violations commises de toutes parts peut dans une certaine mesure réconforter la Commission. Il faut se rappeler que cette organisation mondiale, qui veut maintenir la paix, doit nécessairement agir lentement et prudemment si elle veut demeurer le négociateur honnête dans tout conflit. Heureusement, des organisations respectées comme Amnistie Internationale, Helsinki Watch et le CICR sont capables d’agir rapidement, de faire des études suffisantes et de se prononcer. Or, dans ce cas‑ci, elles l’ont toutes fait, ce que la Commission aurait certainement dû considérer comme une condamnation par la communauté mondiale. Les atrocités commises répugnaient d’une façon immédiate à la communauté mondiale, ce qui a finalement amené les Nations Unies à faire connaître davantage au public sa position. Les droits de l’homme fondamentaux ont été violés au moyen de blessures, de meurtres, d’actes de torture, de l’emprisonnement, lesquels ont tous été clairement condamnés par la communauté mondiale.

 

 

[67]           Dans l’arrêt Zolfagharkhani, précité, la Cour d’appel fédérale ne s’est pas livrée pas à un examen approfondi de la question, mais elle a néanmoins conclu, au paragraphe 29, que l’usage d’armes chimiques constitue une violation du « droit coutumier international ». La Cour d’appel s’est reportée à la Convention de la Haye ainsi qu’aux diverses Conventions de Genève, y compris celle qui interdit la mise au point et l’emploi d’armes biologiques et toxiques.

 

[68]           Dans l’arrêt Al­Maisri c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 642 (QL), le demandeur, originaire du Yémen, avait déserté car il refusait de contribuer à l’appui militaire du Yémen lors de l’invasion du Koweït par Saddam Hussein. Il a été débouté par la Commission. Celle‑ci a reconnu que l’ONU avait condamné tant l’invasion que les diverses formes de brutalité envers la population du Koweït. Elle a néanmoins estimé que cela ne permettait pas de conclure à une condamnation internationale parce que les États membres de l’ONU « [...] n’ont pas condamné les actes de l’Iraq comme étant contraires aux règles de conduite les plus élémentaires » (Al Maisri, précité, paragraphe 4). Après avoir qualifié de « laconique » le raisonnement de la Commission, la Cour d’appel fédérale a fait droit à l’appel de M. Al­Maisri, estimant que la Commission avait eu tort de considérer que les actions de l’Irak n’étaient pas contraires aux règles de conduite les plus élémentaires (Al Maisri, précité, paragraphe 6).

 

[69]           Dans la décision Ozunal, précitée, le juge Michel Shore a rejeté la demande de contrôle judiciaire du demandeur turc, concluant qu’il ne serait pas contraint de prendre part à des activités militaires condamnées par la communauté internationale. Concernant la question de savoir si M. Ozunal était un objecteur de conscience, le juge Shore a écrit :

[17] En tant qu’objecteur de conscience, M. Ozunal devait établir non seulement qu’il possédait ce genre de conviction, mais aussi qu’il y avait une possibilité raisonnable qu’on l’oblige, s’il était conscrit, à participer à des activités militaires illégitimes suivant les normes internationales. [...] [Non souligné dans l’original.]

 

 

[70]           Compte tenu de ce qui précède, je crois pouvoir dire non seulement que la condamnation internationale n’est pas toujours requise, mais aussi qu’elle peut revêtir diverses formes. Il est clair qu’un cas isolé de violation des règles de conduite les plus élémentaires ne suffit pas pour se prévaloir du paragraphe 171 du Guide du HCNUR. À l’inverse, il peut y avoir des cas où, en raison de l’opportunisme politique, l’ONU ou ses États membres ne condamnent pas des violations massives du droit international humanitaire. C’est pourquoi il convient de prendre en considération des rapports d’organismes non gouvernementaux dignes de foi, surtout lorsqu’ils sont concordants et qu’ils émanent de gens qui se trouvent sur place. De tels rapports peuvent être suffisants pour démontrer l’existence de pratiques inadmissibles ou illicites. En fin de compte, la condamnation internationale n’est qu’un indice parmi d’autres de l’existence de violations de droits de la personne. En soi, une telle condamnation ne devrait jamais constituer une exigence absolue.

 

[71]           J’appuie ce point de vue sur l’arrêt Krotov c. Secretary of State for the Home Department, [2004] EWCA Civ 69, [2004] 1 WLR 1825, récemment rendu par la Cour d’appel du Royaume­Uni et cité dans la décision Hinzman, précitée. Cet arrêt revêt un intérêt particulier dans le contexte de la demande de M. Lebedev, non seulement en raison de l’analyse approfondie qu’on y trouve du paragraphe 171, mais également parce qu’il concerne un demandeur d’asile russe qui a déserté juste avant d’être envoyé en Tchétchénie.

 

[72]           Dans l’arrêt Krotov, précité, la cour s’est fortement appuyée sur la jurisprudence britannique existante portant sur la question de la condamnation internationale. Au paragraphe 10, elle a cité l’extrait suivant d’une décision antérieure d’un tribunal, Foughali c. Secretary of State for the Home Department, 2 juin 2000 [00/TH/01513] :

[traduction] [28] La question de savoir si un conflit donné a fait l’objet d’une condamnation internationale peut permettre de faire la lumière sur celle de savoir qui peut être un réfugié au sens de la Convention, mais ce n’est pas la question essentielle. Pour qu’il s’agisse d’un point fondamental, il faudrait introduire dans la définition de réfugié au sens de la Convention une exigence supplémentaire, à savoir la condamnation internationale. Lorsqu’ils évaluent le risque sur le fondement de graves violations des droits de la personne dans des affaires autres que celles ayant trait au service militaire, les décideurs ne lient pas leurs décisions à la question de savoir si les violations en question ont fait l’objet d’une condamnation internationale, bien qu’une telle condamnation puisse être retenue comme élément de preuve. Il serait illogique d’agir autrement dans un domaine qui chevauche le droit international public qui est régi par les mêmes normes et valeurs fondamentales.

 

[29] Le Tribunal estime qu’on améliorerait de beaucoup la clarté du processus décisionnel si l’existence d’une éventuelle condamnation internationale n’était évoquée que dans le contexte de la question de savoir s’il existe des preuves objectives suffisantes des violations des règles de conduite les plus élémentaires. La condamnation internationale ne devrait pas être considérée comme étant le fondement de l’exception b). [Note : l’exception b) a précédemment été définie comme étant « toute persécution attribuable à la nature répugnante des actes militaires qui seront vraisemblablement commis » – voir le paragraphe 9 du jugement].

 

[73]           Dans l’arrêt Krotov, précité, la cour a également cité de longs extraits de la décision B c. Secretary of State for the Home Department, [2003] UKIAT 20. Aux paragraphes 44 à 47 de cette décision, le tribunal britannique a cité cinq raisons pour lesquelles il était plus approprié de retenir le critère du « droit international » que celui de la « condamnation par la communauté internationale » :

1.      La condamnation internationale dépend trop largement des caprices de la politique internationale [traduction] « susceptible de varier au gré des alliances et de la prise de position d’autres pays à l’égard du conflit »;

2.      Un critère fondé sur le droit international cadre mieux avec l’économie de la Convention, celle‑ci comprenant notamment une disposition précise faisant référence aux principes de droit international (section F de l’article premier, la clause dite d’exception);

3.      Le renvoi aux « règles de conduite les plus élémentaires » a un sens très précis en droit international;

4.      L’interprétation de la Convention devrait se fonder sur les normes et valeurs fondamentales qui se dégagent des sources de droit international;

5.      Il convient de donner à la Convention une définition moderne qui rende compte de l’état actuel du droit international humanitaire. Ainsi, [traduction] « une condamnation internationale n’est qu’un indication parmi d’autres, bien qu’elle soit particulièrement pertinente, permettant de décider si le conflit armé en question est ou serait contraire au droit international » (décision B, précitée, paragraphe 48).

 

[74]           Dans l’arrêt Krotov, précité, la cour a passé en revue les principaux instruments internationaux qui établissent les normes humanitaires relatives à la protection des personnes, en particulier des civils, des blessés et des prisonniers de guerre dans les conflits armés. Elle a examiné les types de crimes commis dans de tels conflits, comme les meurtres et attaques visant les civils, les viols, la torture, l’exécution et les mauvais traitements des prisonniers et la prise d’otages civils. Elle a écrit :

[Traduction] [37] [...] les crimes susmentionnés, s’ils sont systémiques et s’inscrivent dans le cadre d’une politique délibérée, ou s’ils sont la conséquence de l’indifférence des autorités à l’égard de la brutalité généralisée des militaires, seraient effectivement contraires aux règles de conduite les plus élémentaires et la peine sanctionnant le refus d’y participer constituerait de la persécution au sens de la Convention de 1951.

 

 

[75]           Pour parvenir à cette conclusion, la cour, dans l’arrêt Krotov, précité, a tenu compte de l’arrêt Sepet, précité, dans lequel la Chambre des lords a écrit ce qui suit après avoir cité la jurisprudence canadienne sur la question :

[Traduction] [8] Le point de vue suivant est puissamment étayé : le statut de réfugié devrait être reconnu à celui qui refuse d’accomplir un service militaire obligatoire au motif que ce service l’obligerait ou pourrait l’obliger à commettre des atrocités ou de graves violations des droits de la personne ou encore à prendre part à un conflit que condamne la communauté internationale, ou lorsque le refus de servir serait sanctionné par des peines excessives ou démesurées [...]

 

[76]           Commentant ce paragraphe, la cour a précisé, au paragraphe 20 de l’arrêt Krotov, précité :

[Traduction] Notons que lord Bingham a considéré comme distincts et non comme synonymes les motifs qu’il a mentionnés. Dans l’extrait reproduit ci‑dessus, il n’a aucunement indiqué que la condamnation internationale d’un conflit constitue une condition essentielle ou supplémentaire qui s’impose au demandeur d’asile qui prétend que le service militaire en cause l’obligerait ou pourrait l’obliger à commettre des atrocités ou de graves violations des droits de la personne.

 

[77]           La Cour n’est, bien sûr, pas liée à cet égard par les décisions des cours britanniques ou d’autres pays. J’estime néanmoins que le raisonnement que l’on trouve dans ces paragraphes est convaincant et entièrement conforme aux décisions antérieures de la Cour et de la Cour d’appel fédérale.

 

[78]           Si on applique ces principes à la présente affaire, je suis préoccupé par les observations de l’agente d’ERAR. Mettant pour l’instant de côté la question de savoir si les preuves produites en l’espèce permettaient de conclure à l’existence de violations systémiques des droits de la personne par les militaires déployés en Tchétchénie, j’estime que l’agente a commis une erreur en mettant l’accent sur l’« intention » des forces russes de se livrer à des violations planifiées et systémiques des droits de la personne. Ce serait établir un dangereux précédent que de tenir pour acquis que la Russie ne commet pas des violations systémiques des droits de la personne simplement parce qu’elle ne l’a pas directement reconnu. Sans être nécessairement le fruit d’une politique délibérée, les violations massives des droits de la personne peuvent naître aussi de l’indifférence ou de la tolérance des autorités. Dans toute demande d’asile, il convient de prendre en considération les violations des normes internationales quelle que soit la façon dont elles ont été commises. L’agente ne pouvait pas écarter la question uniquement parce qu’il n’y avait pas de preuve que l’armée russe avait l’intention de commettre des violations des droits de la personne. Cela ne signifie pas nécessairement que je conclus que le gouvernement russe est effectivement coupable de violations systémiques. Je dis simplement que l’agente d’ERAR aurait dû examiner plus attentivement la preuve pour décider si les allégations de M. Lebedev étaient étayées par les faits.

 

[79]           Concernant la conclusion de l’agente d’ERAR selon laquelle la preuve relative à la condamnation internationale était insuffisante, je ferai les commentaires suivants. La guerre en question a été largement et clairement condamnée sur toute la ligne. La Commission des droits de l’homme des Nations Unies a adopté deux résolutions à cet égard, en 2000 et en 2001 (Résolutions 2000/58 et 2001/24). Selon le rapport du Département d’État américain sur les pratiques en matière des droits de la personne pour l’année 2005, on relève encore des cas d’emploi aveugle de la force dans des zones civiles, même si l’on a pu constater depuis une baisse du nombre d’incidents. L’extrait suivant est tiré de l’introduction de ce rapport :

[traduction] Dans le conflit interne qui se poursuit en Tchétchénie et dans les régions limitrophes, le bilan du gouvernement en matière de droits de la personne laisse encore à désirer. D’une manière générale, tant les forces fédérales que leurs alliés du gouvernement tchétchène ont agi en toute impunité. Dans l’ensemble, les forces de sécurité agissent sous le contrôle effectif des autorités civiles. Les unités paramilitaires tchétchènes favorables à Moscou semblent parfois agir indépendamment du commandement russe, et rien n’indique que les autorités fédérales aient fait le moindre effort pour refréner les violations des droits de la personne. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[80]           Plus sévère encore est le rapport de 2003 de l’Internationale des résistant(e)s à la guerre (IRG), qui décrit explicitement et de façon détaillée la manière dont les Russes conduisent la guerre en Tchétchénie. Voici un extrait particulièrement pertinent :

[traduction] Les Russes affirment que la guerre est finie, mais on constate encore de violents combats [...]. On calcule que plus de 100 000 Tchétchènes, des civils pour la plupart, ont été tués au cours des deux conflits. Les hostilités qui perdurent ont fait plus de morts parmi les civils que parmi les soldats.

 

Les forces russes en Tchétchénie sont responsables de graves violations des droits de la personne contre les populations civiles, notamment de sévices sur les personnes déplacées, de torture, de disparitions et d’exécutions sommaires. Selon de récents rapports, ces abus se sont depuis étendus à la République d’Ingouchie voisine, où des milliers de personnes déplacées sont venues chercher refuge après avoir fui la Tchétchénie. Bien que les ONG aient documenté des dizaines de milliers de violations des droits de la personne en Tchétchénie, seulement 46 soldats russes avaient été condamnés pour de tels abus en janvier 2003. La moitié environ ont été reconnus coupables soit de meurtre soit de viol. À l’époque, 162 autres dossiers étaient en cours. Selon des rapports officiels, dans environ 79 p. 100 des cas, il est mis fin à l’enquête sans que soit portée d’accusation contre les militaires en cause et sans que ne soient recueillis des éléments de preuve cruciaux ou le récit des témoins. Ajoutons que la loi antiterrorisme de 1998 met à l’abri des poursuites tout militaire qui commet une violation des droits de la personne au cours d’une opération « antiterroriste », ce qui a amené un sentiment d’impunité chez les soldats russes en service en Tchétchénie.

 

[81]           Le rapport de l’IRG documente également des cas de torture, de disparitions, d’exécutions sommaires et de charniers. Il indique que les forces russes ont capturé des « dizaines de milliers » de personnes qui, au moment de la rédaction du rapport, sont toujours détenues. Ces personnes sont gardées dans des camps de filtration et leur identité n’est généralement consignée nulle part. Elles sont souvent torturées, battues et/ou électrocutées. Selon le rapport, ces méthodes seraient employées afin d’obliger les détenus à livrer de faux témoignages ou à donner le nom de combattants tchétchènes. Un bon nombre de détenus ont tout simplement disparu et certains prétendent même que les soldats font exploser les corps afin de supprimer toute trace d’exécution sommaire ou de torture.

 

[82]           Au vu du dossier du tribunal, ces éléments de preuve n’ont pas été contredits. Si l’agente d’ERAR estimait que ces éléments de preuve ne démontraient pas que les opérations militaires menées en Tchétchénie violaient les normes internationales, il lui appartenait à tout le moins de motiver sa conclusion. Il est possible que la situation se soit beaucoup améliorée et que M. Lebedev ne puisse plus faire valoir une crainte d’être persécuté fondée sur son refus d’effectuer son service militaire en Tchétchénie. Autrement dit, il est possible que la guerre en Tchétchénie se soit apaisée et que l’action militaire qui y est actuellement menée ne contrevienne plus aux normes internationales. Mais nous en sommes réduits à des conjectures étant donné que l’agente d’ERAR n’a pas expliqué pourquoi M. Lebedev ne peut se prévaloir du paragraphe 171 du Guide du HCNUR. Pour tous ces motifs, j’estime par conséquent que l’agente d’ERAR a commis des erreurs tant de fait que de droit.

 

Le paragraphe 171 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du HCNUR

[83]           Pour terminer sur ce sujet, ajoutons qu’on n’a toujours pas tranché la question de savoir quel degré de participation du demandeur aux atrocités aurait été nécessaire pour qu’il puisse être visé par le paragraphe 171 du Guide du HCNUR. Dans la décision Hinzman, précitée, la juge Mactavish a analysé en profondeur cette question. Bien que je souscrive en gros à son analyse et à son raisonnement, je nuancerais néanmoins sa conclusion.

 

[84]           Il existe des raisons impérieuses d’interpréter le paragraphe 171 du Guide du HCNUR conjointement avec les dispositions de la Convention à l’égard de l’exclusion. Il sied de reconnaître le statut de réfugié à celui qui refuse de prendre part à des violations des droits de la personne si sa participation aux violations en cause l’expose au risque de se voir refuser le statut de réfugié au sens de la Convention. C’est bien le sens de l’arrêt britannique Krotov, précité :

[Traduction] [39] On peut parfaitement soutenir que, dans la mesure où un demandeur d’asile se verra refuser le statut de réfugié s’il a commis des crimes internationaux, définis dans [la Convention], on ne saurait lui refuser le statut de réfugié si, en rentrant dans son pays d’origine, il se verrait contraint de participer à ces crimes internationaux, contrairement à ses convictions profondes et à la voix de sa conscience.

 

 

[85]           Cette conclusion, qui reflète la position concertée du Conseil de l’Union européenne sur l’application uniforme du terme « réfugié », est entièrement conforme à la logique et aux règles d’interprétation. C’est en raison de ce raisonnement, auquel a souscrit la juge Mactavish, qu’on a conclu que la simple participation d’un fantassin à une guerre illicite est insuffisante pour justifier l’octroi du statut de réfugié. La légalité d’une action militaire en particulier peut être pertinente pour la demande d’asile d’un individu qui a participé au déclenchement ou au contrôle du conflit, mais cela ne suffit pas dans le cas d’un simple soldat. Comme le comportement personnel du soldat ne serait pas contraire aux normes internationales, on ne pourrait pas lui refuser le statut de réfugié au sens de la Convention au titre de la section F de l’article premier de la Convention. Par conséquent, sa simple participation ne lui permettrait pas d’invoquer le paragraphe 171 du Guide du HCNUR (Hinzman, précité, paragraphes 159 et 166).

 

[86]           Cela dit, il n’est pas facile de définir l’étendue de la participation « sur le terrain » aux violations du droit international humanitaire et la question n’est toujours pas tranchée. Dans l’arrêt Krotov, précité, la cour britannique a laissé entendre que le critère ne devrait pas être de savoir si la personne risquait d’être « associée » à des actes contraires aux règles de conduite les plus élémentaires au sens du droit international, mais plutôt de savoir si elle serait obligée de « prendre part » à de tels actes. S’il est vrai que cette position peut être compatible avec la jurisprudence développée dans le contexte de l’exclusion, cela relève manifestement la barre d’une manière qui ne se justifie peut­être pas dans le contexte de l’inclusion.

 

[87]           Comme le fait remarquer Martin Jones, le critère de la complicité élaboré dans la jurisprudence relative aux clauses d’exclusion est restrictif étant donné la gravité de la décision d’exclure quelqu’un du statut de réfugié au sens de la Convention (Jones, précité, pages 9 et 10). Dans cet ordre d’idées, il est parfaitement compréhensible qu’on ne limite les conclusions de complicité qu’aux cas où le demandeur avait connaissance des crimes commis par l’organisation et partageait, lors de la perpétration de ces crimes, l’objectif de l’organisation (du moins dans les cas où l’organisation ne visait pas principalement des fins limitées et brutales) : Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 303; Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 89 D.L.R. (4th) 173; Baqri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1096.

 

[88]           Mais, s’agissant d’appliquer le critère de la complicité aux personnes qui prétendent craindre d’être persécutées en raison de leur refus d’accomplir le service militaire, le but est tout à fait différent, voire opposé. Plus nous définissons de manière restrictive la complicité dans ce contexte, plus il sera difficile pour les demandeurs de revendiquer le statut de réfugié. Les violations sporadiques ne suffisent manifestement pas à justifier la revendication du statut de réfugié par un déserteur ou un insoumis. Cela dit, la notion de participation directe est peut‑être trop restrictive compte tenu du libellé du paragraphe 171 du Guide du HCNUR : « [...] le type d’action militaire auquel l’individu en question ne veut pas s’associer [...] ». La question revêt bien sûr parfois un caractère théorique lorsque les violations du droit international humanitaire atteignent une échelle telle qu’à peu près tous les soldats seront vraisemblablement contraints d’y prendre part.

 

[89]           C’est dire que la Commission devrait tenir compte de cet aspect du problème si elle conclut, en réexamen, que les opérations militaires menées par la Russie en Tchétchénie constituent une violation des normes internationales. Il n’existe bien sûr aucune règle absolue pour évaluer quel serait vraisemblablement le degré de participation d’un soldat en particulier dans des opérations militaires précises. Mais, compte tenu de l’esprit et de l’objet de la Convention, la Commission aurait tout intérêt à faire preuve d’une certaine souplesse dans l’examen de ce type de revendication. Après tout, la Cour d’appel fédérale a eu l’occasion de conclure, dans l’arrêt Zolfagharkhani, précité, que le rôle que le demandeur était appelé à jouer en tant qu’ambulancier paramédical traitant les soldats blessés lui permettait de se prévaloir du paragraphe 171 du Guide du HCNUR. Cet arrêt doit clairement nous guider dans la façon d’aborder le difficile dilemme moral auquel se heurtent tous ceux qui sont appelés à servir dans des guerres dont la légitimité est douteuse.

 

B) L’agente d’ERAR a-t-elle erronément conclu que le demandeur ne sera pas personnellement exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités?

[90]           M. Lebedev fait valoir que l’agente d’ERAR a tiré plusieurs conclusions de fait non fondées en ce qui concerne l’article 97 de la LIPR. Ces prétendues erreurs concernent la vraisemblance de l’emprisonnement de M. Lebedev, de sa conscription et des brimades qu’il aurait à subir s’il retournait en Russie.

 

[91]           M. Lebedev affirme que l’agente d’ERAR a tiré des inférences non fondées et a pris en considération des éléments dénués de pertinence pour décider qu’il ne serait pas exposé à une menace à sa vie ou au risque de torture s’il était incarcéré dans une prison russe. Non seulement il affirme qu’il serait emprisonné pour désertion s’il rentrait en Russie, mais encore il soutient que les conditions dans les prisons sont tellement mauvaises qu’elles équivalent à une persécution et poseraient un grave risque pour sa santé. Je dois reconnaître que les motifs de l’agente d’ERAR sur ce point sont à tout le moins problématiques.

 

[92]           L’agente d’ERAR a examiné la preuve documentaire concernant les conditions dans les prisons russes, notamment le rapport du Département d’État américain pour l’année 2005 qui indique que les conditions carcérales sont [traduction] « extrêmement dures et pourraient poser de graves risques sanitaires et même souvent des risques de mort ». Elle a aussi fait remarquer que M. Lebedev pourrait être poursuivi en Russie pour [traduction] « avoir quitté sans autorisation son unité ou son lieu de service ». Enfin, elle a accepté que les établissements de détention avant procès (aussi connus sous le nom de « centres de détention au secret pour enquête » ou SIZO) étaient considérés comme étant [traduction] « extrêmement durs » et pouvaient constituer une [traduction] « menace sérieuse pour la vie et la santé » des détenus.

 

[93]           Dans ce contexte, se fondant à nouveau sur le rapport du Département d’État américain, l’agente d’ERAR a mentionné l’amélioration du système de justice pénale russe malgré les imperfections dans certains domaines et a estimé que les procédures en vigueur étaient généralement conformes à la Déclaration universelle des droits de l’homme. Au bout du compte, c’est la « situation personnelle » de M. Lebedev qui semble avoir eu le plus de poids. Elle a accordé une importance excessive à sa prétendue « débrouillardise » lorsqu’elle a conclu que la preuve présentée était insuffisante pour juger que le demandeur serait vraisemblablement exposé aux risques énumérés à l’article 97 de la LIPR (voir l’extrait de sa décision, cité au paragraphe 19 des présents motifs).

 

[94]           À mon avis, en retenant une théorie de l’« endurcissement » à l’encontre de M. Lebedev, l’agente d’ERAR n’a pas suffisamment tenu compte de la preuve documentaire concernant les terribles conditions des prisons russes. Elle paraît avoir conclu que le demandeur ne souffrirait pas autant qu’un détenu qui n’aurait jamais été incarcéré. Elle a attaché moins d’importance à la question de savoir si M. Lebedev avait objectivement démontré qu’il risquait de faire l’objet de sévices dans les prisons russes et plus à celle de savoir comment ce risque l’affecterait en comparaison avec les autres prisonniers. Il s’agit là d’une question mixte de fait et de droit puisqu’elle entendait appliquer un critère juridique à ces conclusions. Pour cette raison, son raisonnement doit pouvoir résister à un « examen assez poussé » (Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, paragraphe 56). Compte tenu de mes observations, je suis d’avis que les conclusions auxquelles est parvenue l’agente d’ERAR ne satisfont pas à ce critère.

 

[95]           J’estime également que l’agente n’a pas tenu compte de façon appropriée du fait que M. Lebedev est passible d’une peine indéterminée. Si elle a à juste titre affirmé que nous ne savons pas [traduction] « quelle peine il se verra infliger et quelle pourrait être la durée de son incarcération », la preuve documentaire indique qu’il sera vraisemblablement transféré, au moins pendant un certain temps, dans un SIZO en attendant la fin de l’enquête et la tenue de son procès. L’agente d’ERAR a donc commis une erreur en n’analysant pas à fond la question des risques auxquels il serait exposé dans un tel établissement de détention avant procès. On n’est pas en mesure de déterminer exactement quelle peine M. Lebedev encourt en Russie, mais le mandat d’arrestation lancé contre lui démontre qu’en tant que déserteur, il serait exposé à des sanctions. À mon avis, il incombait à l’agente d’ERAR d’analyser plus à fond la question du traitement qui l’attendait après son arrestation – indépendamment de sa conclusion quant au statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur.

 

[96]           Faisant valoir que la Cour ne devrait pas s’immiscer dans la conclusion de l’agente au sujet des conditions dans les prisons, le ministre a invoqué la décision Ates c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1316, conf. par 2005 CAF 322. Dans cette décision, le juge Sean Harrington a statué que la conclusion de l’agente selon laquelle les conditions dans les prisons turques respectaient les normes internationales n’était pas manifestement déraisonnable. Ayant relu attentivement cette décision, j’estime toutefois qu’elle n’aide guère le ministre et n’appuie pas sa thèse. Premièrement, cette décision se fondait sur les faits particuliers de cette affaire. C’est un truisme de dire que des faits différents entraînent une solution juridique différente. Mais ce qui importe davantage, c’est que l’agente d’ERAR qui s’est prononcée sur la demande de M. Lebedev a reconnu que les conditions dans les prisons russes ne respectent pas les normes gouvernementales. Elle a certes relevé qu’elles s’amélioraient, mais il s’agissait là d’une simple analyse comparative par rapport aux conditions antérieures. Or, il convenait en l’occurrence de se livrer à une analyse normative et l’agente aurait par conséquent dû se demander si les conditions actuelles respectaient des normes objectives.

 

[97]           Cela m’amène au deuxième argument de M. Lebedev concernant l’article 97 de la LIPR. Vers la fin de son analyse, l’agente d’ERAR a conclu que les abus dans les forces armées constituaient un problème sérieux. En fait, elle a cité des statistiques gouvernementales indiquant qu’environ 25 p. 100 des 11 500 crimes commis dans l’armée visaient des brimades. Mais, là encore, elle a écarté l’existence de ce risque, estimant que M. Lebedev ne serait vraisemblablement pas obligé d’effectuer le reste de son service militaire. Se fondant sur une analyse superficielle, elle a conclu, « selon la prépondérance des probabilités », que M. Lebedev ne serait vraisemblablement pas contraint de réintégrer l’armée et qu’il était donc peu probable qu’il soit exposé à des sévices (voir le passage cité au paragraphe 20 des présents motifs). Pour parvenir à cette conclusion, elle s’est appuyée sur la déclaration du gouvernement russe selon laquelle il avait l’intention de réduire les opérations militaires en Tchétchénie, sur l’âge du demandeur et sur le nombre de jeunes qui, chaque année, sont appelés sous les drapeaux.

 

[98]           Cette analyse repose sur des conjectures et non sur des faits. Le ministre de la Défense russe a certes pu annoncer que les conscrits ne seraient plus envoyés en Tchétchénie à partir de 2005, mais le dossier ne fait pas état de la mise en œuvre de cette politique. Comme l’a fait valoir M. Lebedev, l’agente d’ERAR a examiné sa demande d’ERAR en 2006, c’est­à­dire deux ans après cette annonce. Les opérations militaires en Tchétchénie semblaient pourtant se poursuivre. L’agente d’ERAR ne disposait d’aucun élément de preuve démontrant que des mesures concrètes récentes avaient été prises en vue de réduire la durée du service militaire ou de ne plus envoyer de conscrits en Tchétchénie.

 

[99]           De plus, l’exposé du ministre ne fournit aucune précision sur le traitement que l’armée russe réserve aux déserteurs comme M. Lebedev. Il n’a en effet porté que sur la situation générale des conscrits. Rien ne démontre, bien sûr, que M. Lebedev serait effectivement contraint d’effectuer le reste de son service militaire. Mais, s’il devait être obligé de terminer son service militaire, il est fort probable qu’on ne lui donnerait pas l’occasion d’accomplir un service de remplacement. Il est vrai que la Constitution russe de 1993 consacre le droit à l’objection de conscience au service militaire. Ce n’est cependant qu’en 2002 que la Douma d’État a adopté la loi fédérale sur le service civil de remplacement qui régit la procédure applicable aux demandes de remplacement du service militaire. Ce texte est entré en vigueur le 1er janvier 2004. M. Lebedev n’avait donc aucun moyen de demander officiellement d’effectuer un service de remplacement dans les années 90 en Russie. Ce nouveau texte législatif indique par ailleurs clairement que les possibilités de revendication du statut d’objecteur de conscience sont très limitées, les demandes de service de remplacement devant en effet être déposées au moins six mois avant l’ordre de mobilisation. Cette possibilité n’est offerte ni aux conscrits déjà incorporés, ni aux réservistes.

 

[100]       Pour l’ensemble de ces motifs, j’estime que l’agente d’ERAR a tiré plusieurs conclusions de fait et conclusions mixtes de fait et de droit discutables. À l’instar de la Commission, je reconnais que le récit livré par M. Lebedev comporte de nombreuses lacunes qui pouvaient à juste titre porter un décideur à douter de sa crédibilité. Cela ne justifie cependant pas que l’on n’évalue pas les risques auxquels le demandeur serait exposé à son retour en Russie. Les doutes concernant sa crédibilité n’ont rien à voir avec le risque qu’il soit emprisonné. Le mandat d’arrestation décerné contre M. Lebedev indique clairement qu’il sera vraisemblablement emprisonné s’il rentre en Russie. Les motifs de l’agente tant à l’égard de l’article 96 que de l’article 97 de la LIPR ne résistent pas à l’examen. J’estime par conséquent qu’il y a lieu d’annuler sa décision et de renvoyer l’affaire à un autre agent d’ERAR pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

[101]       Compte tenu des nombreuses questions urgentes que soulève la présente demande, je certifie également les questions suivantes :

 

1.      Quelle est la différence entre le fait de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention en tant qu’objecteur de conscience et celui de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention en faisant valoir que l’on refuse de prendre part à un conflit condamné par la communauté internationale? Quelles sont les exigences de preuve se rattachant à chacune de ces deux situations?

2.      Existe‑t‑il une notion d’objection de conscience « partielle » ou ce terme indique‑t‑il simplement que la demande du demandeur relève plutôt de l’exception prévue au paragraphe 171 du Guide du HCNUR relative à la « condamnation par la communauté internationale »?

3.      Comment les décideurs devraient‑ils définir la « condamnation internationale »? Se rapporte‑t‑elle uniquement à des violations du droit international? Cette condamnation doit‑elle émaner d’une instance officielle qui peut prétendre s’exprimer au nom de la communauté internationale, comme les Nations Unies? Ou un consensus parmi des organismes internationaux fiables, comme certaines organisations non gouvernementales, est‑il suffisant?

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la décision de l’agente d’ERAR soit annulée, et que la demande d’ERAR soit renvoyée devant un autre agent pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire. La Cour certifie en outre les questions suivantes :

1.   Quelle est la différence entre le fait de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention en tant qu’objecteur de conscience et celui de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention en faisant valoir que l’on refuse de prendre part à un conflit condamné par la communauté internationale? Quelles sont les exigences de preuve se rattachant à chacune de ces deux situations?

2.   Existe‑t‑il une notion d’objection de conscience « partielle » ou ce terme indique‑t‑il simplement que la demande du demandeur relève plutôt de l’exception prévue au paragraphe 171 du Guide du HCNUR relative à la « condamnation par la communauté internationale »?

3.   Comment les décideurs devraient‑ils définir la « condamnation internationale »? Se rapporte‑t‑elle uniquement à des violations du droit international? Cette condamnation doit‑elle émaner d’une instance officielle qui peut prétendre s’exprimer au nom de la communauté internationale, comme les Nations Unies? Ou un consensus parmi des organismes internationaux fiables, comme certaines organisations non gouvernementales, est‑il suffisant?

« Yves de Montigny »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


ANNEXE

 

Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés

 

B. Déserteurs, insoumis, objecteurs de conscience

167.     Dans les pays où le service militaire est obligatoire, le fait de se soustraire à cette obligation ou insoumission est souvent une infraction punie par la loi. Quant à la désertion, elle est toujours dans tous les pays – que le service militaire soit obligatoire ou non – considérée comme une infraction. Les peines varient selon les pays et normalement leur imposition n’est pas considérée comme une forme de persécution. La crainte des poursuites et du châtiment pour désertion ou insoumission ne constitue pas pour autant une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la définition. En revanche, la désertion ou l’insoumission n’empêchent pas d’acquérir le statut de réfugié et une personne peut être à la fois un déserteur, ou un insoumis, et un réfugié.

168.     Il va de soi qu’une personne n’est pas un réfugié si la seule raison pour laquelle elle a déserté ou n’a pas rejoint son corps comme elle en avait reçu l’ordre est son aversion du service militaire ou sa peur du combat. Elle peut, cependant, être un réfugié si sa désertion ou son insoumission s’accompagnent de motifs valables de quitter son pays ou de demeurer hors de son pays ou si elle a de quelque autre manière, au sens de la définition, des raisons de craindre d’être persécutée.

169.     Un déserteur ou un insoumis peut donc être considéré comme un réfugié s’il peut démontrer qu’il se verrait infliger pour l’infraction militaire commise une peine d’une sévérité disproportionnée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Il en irait de même si l’intéressé peut démontrer qu’il craint avec raison d’être persécuté pour ces motifs, indépendamment de la peine encourue pour désertion.

170.     Cependant, dans certains cas, la nécessité d’accomplir un service militaire peut être la seule raison invoquée à l’appui d’une demande du statut de réfugié, par exemple lorsqu’une personne peut démontrer que l’accomplissement du service militaire requiert sa participation à une action militaire contraire à ses convictions politiques, religieuses ou morales ou à des raisons de conscience valables.

171.     N’importe quelle conviction, aussi sincère soit‑elle, ne peut justifier une demande de reconnaissance du statut de réfugié après désertion ou après insoumission. Il ne suffit pas qu’une personne soit en désaccord avec son gouvernement quant à la justification politique d’une action militaire particulière. Toutefois, lorsque le type d’action militaire auquel l’individu en question ne veut pas s’associer est condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, la peine prévue pour la désertion ou l’insoumission peut, compte tenu de toutes les autres exigences de la définition, être considérée en soi comme une persécution.

172.     Le refus d’accomplir le service militaire peut également être fondé sur des convictions religieuses. Si un demandeur est à même de démontrer que ses convictions religieuses sont sincères et qu’elles ne sont pas prises en considération par les autorités de son pays lorsqu’elles exigent de lui qu’il accomplisse son service militaire, il peut faire admettre son droit au statut de réfugié. Toutes indications supplémentaires selon lesquelles le demandeur ou sa famille auraient rencontré des difficultés du fait de leurs convictions religieuses peuvent évidemment donner plus de poids à cette demande.

173.     La question de savoir si l’objection à l’accomplissement du service militaire pour des raisons de conscience peut motiver une demande de reconnaissance du statut de réfugié doit également être considérée en tenant compte de l’évolution récente des idées sur ce point. Les États sont de plus en plus nombreux à avoir introduit dans leur législation ou leur réglementation administrative des dispositions selon lesquelles les personnes qui peuvent invoquer d’authentiques raisons de conscience sont exemptées du service militaire, soit totalement, soit sous réserve d’accomplir un service de remplacement (c’est­à­dire un service civil). L’introduction de semblables dispositions législatives ou administratives a également fait l’objet de recommandations de la part des institutions internationales. Compte tenu de cette évolution, les États contractants sont libres, s’ils le désirent, d’accorder le statut de réfugié aux personnes qui ont des objections à l’égard du service militaire pour d’authentiques raisons de conscience.

174.     L’authenticité des convictions politiques, religieuses ou morales d’une personne ou la validité des raisons de conscience qu’elle oppose à l’accomplissement du service militaire doit, bien entendu, être établie par un examen approfondi de sa personnalité et de son passé. Le fait que cette personne a exprimé ses opinions avant l’appel sous les drapeaux ou qu’elle a déjà eu des difficultés avec les autorités en raison de ses convictions est un élément d’appréciation pertinent. De même, selon qu’elle a reçu l’ordre d’accomplir un service militaire obligatoire ou qu’au contraire elle s’est enrôlée dans l’armée comme volontaire, la sincérité de ses convictions pourra être appréciée différemment.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM­2208­06

 

INTITULÉ :                                                   VADIM LEBEDEV 

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 11 JANVIER 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS ET DE

L’ORDONNANCE :                                     LE 9 JUILLET 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Ann­Margaret Oberst

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lorne Waldman

Waldman & Associates

281, avenue Eglinton Est
Toronto (Ontario)  M4P 1L3

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous­procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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