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Date : 20070710

Dossier : T‑2300‑05

Référence : 2007 CF 696

Ottawa (Ontario), le 10 juillet 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

ENTRE :

APOTEX INC.

demanderesse

et

 

ASTRAZENECA CANADA INC.

défenderesse

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

APERÇU

[1]               À quel moment le temps commence‑t‑il à courir? Quand commence‑t‑on à compter le nombre de jours pour le calcul du montant des profits? Une fois que l’inventeur ne bénéficie plus de la protection d’un brevet, à quel moment un fabricant de médicaments génériques peut‑il espérer recueillir les fruits financiers du verger qui s’ouvre ainsi au nouveau cueilleur? Seul le procès permettra de le dire.

En l’espèce, il s’agit essentiellement de décider qui peut, en tant que partie intéressée, engager une action. Les questions concernant le fondement des revendications et le montant des sommes éventuellement en cause ne peuvent, elles aussi, être tranchées qu’à l’issue d’un procès.

 

INTRODUCTION

[2]               Par la présente requête, la défenderesse AstraZeneca Canada Inc. (AstraZeneca) demande à la Cour d’annuler l’ordonnance de la protonotaire Roza Aronovitch, en date du 6 juin 2007, rejetant la requête d’AstraZeneca en radiation de la déclaration déposée par Apotex Inc. (Apotex).

 

[3]               La question fondamentale est de savoir si AstraZeneca est parvenue à démontrer qu’il est manifeste que la déclaration d’Apotex ne fait pas état suffisamment de faits importants pour justifier une cause d’action en vertu de l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement).

 

[4]               L’interprétation de la loi au regard de l’article 8 du Règlement est encore « embryonnaire ». Ainsi, la Cour hésite à ordonner, au stade du dépôt des actes de procédure, la radiation d’une action intentée au titre de l’article 8. (Apotex Inc. c. Eli Lilly an Co. et al. (2004), 36 C.P.R. (4th) 111 (C.A.F.), paragraphes 14 et 6; Apotex Inc. c. Laboratoires Fournier S.A., [2006] O.J. No. 4555, paragraphes 10 et 11; Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals International Ltd. (2001), 16 C.P.R. (4th) 473 (C.F. 1re inst.), paragraphe 15, conf. (2002, 20 C.P.R. (4th) 190 (C.A.F.); Apotex Inc. c. Merck & Co. (2004), 248 F.T.R. 82, [2004] A.C.F. no 1495 (QL).)

 

[5]               La Cour a statué que les questions relatives à l’interprétation de l’article 8 devaient être tranchées dans le cadre d’un procès :

[15]         [...] il n’existe toujours pas d’exposé clair de la véritable signification de l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés.

[18]         [...] les points en litige sont d’une nature complexe et qu’il est préférable de les régler à l’instruction. [...]

(Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals International Ltd., précité.)

 

[17]         La Cour a à plusieurs occasions été appelée à examiner l’article 8, sans jamais statuer sur son sens. Au total, notre Cour et la Cour d’appel fédérale ont conclu au moins à 11 reprises que les questions relatives à l’interprétation de l’article 8 devraient être examinées dans le cadre du procès [...]

 

(Apotex Inc. c. Merck & Co., précité)

 

LES FAITS

            L’action

[6]               La présente action a été engagée par une déclaration, en date du 29 décembre 2005, sollicitant diverses réparations en raison de la mise en marché tardive par Apotex de l’Apo‑Oméprazole, ses gélules d’oméprazole de 20 mg. (Déclaration, dossier de la requête d’AstraZeneca, onglet 3, (Déclaration), paragraphe 1)

 

[7]               Apotex reproche essentiellement à AstraZeneca d’avoir indûment engagé une procédure en vertu du Règlement dans le dossier no T‑2311‑01. Comme cela a retardé son obtention de l’approbation de mise en marché de ses gélules Apo‑oméprazole, Apotex demande à être indemnisée pour le préjudice subi. (Déclaration, paragraphes 15 à 20)

 

Contexte réglementaire

[8]               Comme pour toutes les nouvelles drogues, Apotex devait, avant de pouvoir mettre en marché ses gélules Apo‑oméprazole de 20 mg, obtenir une approbation du ministre de la Santé (le ministre), laquelle se traduit par la réception d’un avis de conformité. (Déclaration, paragraphes 6 et 7)

 

[9]               Avant 1993, l’autorisation de drogue nouvelle était uniquement liée à l’innocuité et à l’efficacité du médicament proposé. (Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général) (2005), 253 D.L.R. (4th) 1, paragraphe 13 (C.S.C.) (Biolyse))

 

[10]           En 1993, dans le cadre d’une refonte de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. P‑6, on a rattaché le processus d’approbation du ministre en matière de santé et de sécurité au respect des droits de brevet. Cela a été en partie accompli par l’adoption du Règlement. (Biolyse, précité)

 

[11]           Le Règlement prévoit notamment que le concurrent en puissance doit aviser sans tarder le titulaire du brevet, ou son représentant canadien autorisé, du dépôt ou de son intention de déposer auprès du ministre une présentation de drogue nouvelle sollicitant un avis de conformité pour la version générique de la drogue commercialisée par le titulaire du brevet. (Règlement, article 5)

 

[12]           En réponse à cet avis, le breveté peut déposer une demande de contrôle judiciaire. Qu’elle soit ou non fondée, une telle demande entraîne un retard dans l’octroi par le ministre d’un avis de conformité au concurrent éventuel. (Biolyse, précité, pages 16 et 17)

 

[13]           Voilà en quels termes on a décrit l’effet du Règlement :

Édicté par le gouverneur en conseil en application des dispositions de la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets (L.C. 1993, ch. 2) qui abolissaient le régime d’octroi de licences obligatoires pour les médicaments brevetés, et s’inscrivant dans le cadre du régime de contrôle réglementaire établi par le Règlement sur les aliments et drogues (C.R.C., ch. 870), le nouveau règlement visait à contribuer à la protection des droits privés sur les brevets commerciaux.

Les principales caractéristiques du nouveau régime de protection peuvent être décrites en un mot de la façon suivante : le ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social (le ministre) est chargé, aux termes du Règlement sur les aliments et drogues, de délivrer des « avis de conformité » certifiant la salubrité, l’innocuité et l’efficacité de médicaments. Il est nécessaire d’obtenir un avis de conformité avant de pouvoir vendre un médicament. Le fabricant d’un médicament qui est titulaire d’un brevet ou d’une licence en vertu d’un brevet en cours de validité est invité à soumettre au ministre une liste de brevets indiquant chacun des médicaments pour lesquels il détient déjà un avis de conformité. À partir de ce moment‑là, tout autre fabricant qui demande un avis de conformité pour le même médicament doit appuyer sa présentation de drogue nouvelle (PDN) par une allégation motivée suivant laquelle le brevet de médicament figurant sur la liste ne serait pas contrefait si sa demande était accueillie. Un avis de cette allégation doit être signifié au titulaire du brevet. Dans les 45 jours de la signification de l’allégation, le titulaire du brevet qui désire contester le bien‑fondé de l’allégation doit demander à la Cour fédérale de prononcer une ordonnance interdisant au ministre de délivrer l’avis de conformité demandé, et la Cour rend cette ordonnance, sauf si elle conclut que l’allégation est fondée. La PDN relative à un médicament inscrit sur la liste doit être laissée en suspens jusqu’à l’expiration du délai accordé au titulaire du brevet pour répondre et, si une demande d’interdiction est présentée, jusqu’à ce que cette demande soit rejetée ou jusqu’à l’expiration d’un délai supplémentaire de 30 mois. Toutefois, en l’absence de demande d’interdiction, le ministre est tenu de donner suite à la demande et de délivrer l’avis de conformité demandé, sauf si des questions de santé et de sécurité publiques se posent. [...]

 

(Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé sociale et du Bien‑être social) 1997, 76 C.P.R. (3d) 1, page 3 (C.A.F., autorisation de pourvoi en C.S.C. refusée, [1997] C.S.C.R. no 528.)

 

[5]           Dès que le titulaire d’un brevet présente une demande d’interdiction conformément au Règlement, le pouvoir du ministre de délivrer l’avis de conformité pour la drogue nouvelle est automatiquement suspendu en attendant l’issue de l’instance en interdiction. Cette suspension automatique reste en vigueur pendant une période maximale de vingt‑quatre (24) mois, sauf si ce délai est prorogé conformément au paragraphe 7(5) du Règlement. Cette suspension automatique a été qualifiée de mesure draconienne puisqu’elle permet au titulaire d’un brevet de retarder l’entrée sur le marché de compétiteurs sans avoir à établir une preuve prima facie de contrefaçon de son brevet : Apotex c. Merck Frosst Canada Inc., [1998] 2 R.C.S. 193, (1998) 80 C.P.R. (3d) 368.

 

(Bristol‑Myers Squibb Canada Inc. c. Canada (Procureur général) (2001), 11 C.P.R. (4th) 539 (C.A.F.).)

 

[14]           Étant donné le caractère radical du sursis présomptif légal et l’absence d’engagement correspondant à verser des dommages‑intérêts, le Règlement confère un droit d’action à l’entreprise lésée qui a été retardée dans l’obtention de son avis de conformité en raison de la procédure infructueuse engagée en vertu du Règlement. (Règlement, article 8)

 

[15]           C’est au titre du droit d’action qui lui est ainsi conféré qu’Apotex a introduit son action contre AstraZeneca. AstraZeneca a été déboutée dans sa procédure engagée contre Apotex en vertu du Règlement et elle a, par conséquent, retardé l’entrée d’Apotex sur le marché.

 

La requête en radiation déposée par AstraZeneca

[16]           Au lieu de répondre à la déclaration d’Apotex en présentant une défense, AstraZeneca a choisi de déposer une requête en radiation de la déclaration. Le fondement de sa requête était qu’Apotex n’avait pas fait état des éléments exigés de toute demande présentée au titre de l’article 8. (Ordonnance de la protonotaire Aronovitch, en date du 6 juin 2007; dossier de la requête d’AstraZeneca, onglet 4 (Ordonnance rejetant la requête en radiation), page 2)

 

[17]           Par ordonnance en date du 6 juin 2007, la protonotaire Aronovitch a rejeté la requête par laquelle AstraZeneca sollicitait la radiation de la demande d’Apotex, faisant droit cependant à la demande présentée subsidiairement par AstraZeneca en vue de l’obtention de renseignements supplémentaires.

 

[18]           Dans ses motifs d’ordonnance, la protonotaire Aronovitch reprend les arguments initialement invoqués par AstraZeneca lors du dépôt de sa requête :

[traduction] La défenderesse a, à l’audience, développé son argumentation et a demandé à la Cour d’exiger d’Apotex qu’elle fasse état des éléments qui, selon la jurisprudence, identifient la « seconde personne » aux fins du paragraphe 5(1) du Règlement (Ferring Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2007] A.C.F. no 420, paragraphe 59). Cela tendrait à faire constater qu’eu égard aux éléments en question, Apotex ne peut être considérée comme une « seconde personne » ayant qualité pour engager cette procédure en vertu de l’article 8.

 

Un des éléments cumulatifs cité dans la décision Ferring, précitée, comme entraînant l’application du paragraphe 5(1) du Règlement et incluant ainsi un fabricant de produits génériques dans la définition de « seconde personne », serait que « cette autre drogue a[it] été commercialisée au Canada ». Or, AstraZeneca fait valoir que le Losec n’a pas été commercialisé au Canada après 1996, et qu’Apotex ne peut par conséquent pas avoir la qualité voulue pour une poursuite en dommages‑intérêts.

 

Pour étayer cette thèse, la défenderesse invoque la décision Sanofi‑Aventis Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2006), 54 C.P.R. (4th) 387 (C.F.), dans laquelle la Cour a estimé, malgré la requête en interdiction alors en instance, qu’Apotex n’avait pas la qualité de « seconde personne ».

 

(Ordonnance rejetant la requête en radiation, page 2.)

 

[19]           La protonotaire a alors rejeté les arguments d’AstraZeneca pour quatre motifs distincts.

 

[20]           Elle a, premièrement, estimé que les arguments invoqués par AstraZeneca devraient plutôt être avancés dans le cadre d’une défense. Apotex n’est pas, en effet, tenue de réfuter l’argument lui refusant la qualité de « seconde personne » avant qu’AstraZeneca ne le soulève.

 

[21]           Deuxièmement, conformément à une série de décisions voulant que toute question concernant l’interprétation de l’article 8 soit examinée au procès, elle a conclu que, dans la mesure où AstraZeneca sollicite une interprétation de l’article 8, il convient de laisser cette question pour le procès.

 

[22]           La protonotaire a, troisièmement, estimé qu’Apotex avait invoqué suffisamment de faits pour étayer une cause d’action fondée sur l’article 8, mais que, par contre, AstraZeneca [traduction] « était loin » de s’être acquittée du fardeau qui lui incombait dans le cadre d’une requête en radiation. (Ordonnance rejetant la requête en radiation, page 3)

 

[23]           Enfin, la protonotaire a ajouté qu’il se pouvait que, même en admettant les arguments d’AstraZeneca au sujet du paragraphe 5(1), l’interprétation de l’article 8 confirme néanmoins qu’Apotex a qualité pour présenter une demande en vertu de l’article 8. Cette autre question d’interprétation [traduction] « soulève une question de fait et de droit à trancher qui, selon la jurisprudence, ne peut être tranchée que dans le cadre d’un procès ». (Ordonnance rejetant la requête en radiation, page 3)

 

[24]           Conformément à l’ordonnance rendue le 6 juin 2007 par la protonotaire Aronovitch, Apotex a signifié et déposé auprès de la Cour des renseignements supplémentaires. (Renseignements supplémentaires relatifs à la déclaration, en date du 13 juin 2007; dossier d’Apotex de réponse à la requête, onglet 1)

 

AstraZeneca fait appel du rejet de sa requête

[25]           AstraZeneca demande à la Cour d’annuler l’ordonnance de la protonotaire Aronovitch et de faire droit à sa requête en radiation.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[26]           Bien qu’AstraZeneca ait demandé à la Cour de procéder à un nouvel examen, elle a choisi d’invoquer deux erreurs commises par la protonotaire. Pour répondre de manière complète à ces deux présumées erreurs de droit, la Cour va examiner les points suivants relativement à la requête en radiation de la déclaration d’AstraZeneca :

a)         Le critère applicable pour les requêtes en radiation;

b)         L’action fondée sur l’article 8;

c)         La protonotaire a‑t‑elle inversé le fardeau de la preuve?

d)         La protonotaire a-t-elle interprété erronément le Règlement?

 

ANALYSE

            a)         Le critère applicable pour les requêtes en radiation

[27]           Le critère applicable pour les requêtes visant la radiation de certains paragraphes d’un acte de procédure est à la fois bien établi et difficile à satisfaire : la Cour doit être convaincue hors de tout doute qu’il est évident et manifeste que les passages en cause « ne révèlent aucune cause d’action ou de défense raisonnable ». (voir Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, page 980)

 

[28]           La Cour doit tenir les faits allégués pour établis, puis se demander si l’allégation que renferme les paragraphes en cause est si manifestement futile que l’intimé n’a aucune chance de succès. L’interprétation doit être généreuse compte tenu de la possibilité d’erreurs de rédaction. La Cour doit s’abstenir de statuer sur des questions de droit. Enfin, elle ne doit autoriser la radiation de paragraphes que dans les cas les plus clairs, lorsqu’il n’existe aucun fondement défendable permettant d’inclure les allégations dont la radiation est demandée (Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106; Hunt, précité; Operation Dismantle Inc. c. La Reine (1985), 18 D.L.R. (4th) 481, page 488 (C.S.C.)).

 

[29]           La Cour a par ailleurs rappelé à maintes reprises que les allégations contenues dans une déclaration doivent être maintenues à moins que les passages contestés ne révèlent pas « la moindre cause d’action » (Charette c. Delta Controls, 2003 CAF 425, [2003] A.C.F. no 1696 (C.A.F.) (QL), paragraphe 3; Apotex Inc. c. Wellcome Foundations Ltd. (1996), 68 C.P.R. (3d) 23 (C.F. 1re inst.), page 41).

 

[30]           On ne peut pas simplement faire droit à une requête en radiation d’une déclaration « même s’il peut [lui] manquer des éléments et que certains autres peuvent être incomplets ». Face à une telle requête, il s’agit essentiellement de savoir si l’acte de procédure contient suffisamment de renseignements pour que la partie adverse se fasse « une idée assez juste » de la preuve à laquelle elle devra répliquer. (Pharmaceutical Partners of Canada Inc. c. Faulding (Canada) Inc. (2002), 21 C.P.R. (4th166 (C.F. 1re inst.), paragraphe 13; Bande indienne de Shubenacadie c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2002 CAF 249, [2002] A.C.F. no 880 (QL); Sweet c. Canada (1999), 249 N.R. 17 (C.A.F.), paragraphe 19; Novartis AG c. Apotex Inc., 2006 CF 1277, [2006] A.C.F. no 1595 (C.F.) (QL), paragraphe 15.)

 

b)         Action fondée sur l’article 8

[31]           Pour que la Cour fasse droit à sa demande d’appel de la décision de la protonotaire, AstraZeneca doit établir qu’il est évident et manifeste que la déclaration d’Apotex ne fait état d’aucune cause d’action raisonnable.

 

[32]           Parmi les objections soulevées à l’égard de la déclaration, AstraZeneca reproche à Apotex de ne pas faire valoir sa qualité de « seconde personne » au sens du Règlement.

 

[33]           En contrepartie de cette mesure « radicale » que représente le sursis automatique prévu par le Règlement en faveur de la « première personne » sans engagement à verser des dommages‑intérêts, l’article 8 permet au fabricant de produits génériques d’engager une action en indemnisation du préjudice découlant de l’action engagée abusivement à son encontre en vertu du Règlement.

8.     (1) Si la demande présentée aux termes du paragraphe 6(1) est retirée ou fait l’objet d’un désistement par la première personne ou est rejetée par le tribunal qui en est saisi, ou si l’ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité, rendue aux termes de ce paragraphe, est annulée lors d’un appel, la première personne est responsable envers la seconde personne de toute perte subie au cours de la période :

 

a) débutant à la date, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l’absence du présent règlement, sauf si le tribunal conclut :

 

 

[...]

 

b) se terminant à la date du retrait, du désistement ou du rejet de la demande ou de l’annulation de l’ordonnance.

8.     (1) If an application made under subsection 6(1) is withdrawn or discontinued by the first person or is dismissed by the court hearing the application or if an order preventing the Minister from issuing a notice of compliance, made pursuant to that subsection, is reversed on appeal, the first person is liable to the second person for any loss suffered during the period

 

 

(a) beginning on the date, as certified by the Minister, on which a notice of compliance would have been issued in the absence of these Regulations, unless the court concludes that

 

 

(b) ending on the date of the withdrawal, the discontinuance, the dismissal or the reversal.

 

(Apotex Inc. c. Laboratoires Fournier S.A., précité, paragraphes 10 et 11)

 

[34]           Le libellé du paragraphe et l’objet du droit d’action ainsi conféré indiquent qu’un élément important de toute action engagée au titre de l’article 8 est que la demande présentée en vertu du paragraphe 6(1) ait été retirée, ait fait l’objet d’un désistement par la première personne ou ait été rejetée par le tribunal qui en était saisi.

 

[35]           La fin du paragraphe 8(1) sert à déterminer le préjudice subi par la seconde personne qui sollicite l’indemnisation prévue à l’article 8. (Règlement, paragraphe 8(2))

 

[36]           Comme l’a conclu la protonotaire, [traduction] « Apotex a présenté suffisamment de faits pour fonder une cause d’action en vertu de l’article 8 ». Dans le cadre de la présente procédure, AstraZeneca n’a établi l’existence d’aucune erreur, de droit ou autre, de nature à ébranler cette décision. (Ordonnance rejetant la requête en radiation, page 3) (On ne peut actuellement prédire la suite des choses; on verra cette suite en temps et lieu; renvoi aux paragraphes [53] et [54])

 

[37]           Premièrement, le paragraphe 16 de la déclaration indique qu’AstraZeneca avait déposé une demande d’interdiction qui a été rejetée par la Cour.

[traduction] [...] Par ordonnance en date du 30 décembre 2003, le juge O’Keefe a rejeté une demande d’interdiction présentée dans le cadre du dossier no T‑2311‑01 par la défenderesse concernant le brevet 762.

 

[38]           Deuxièmement, les paragraphes 15, 16 et 17 de la déclaration font état de la date à laquelle Apotex se serait vu délivrer un avis de conformité s’il n’y avait pas eu la demande d’interdiction qui a eu une incidence sur la date du rejet de la demande et celle à laquelle Apotex a reçu son avis de conformité.

 

[39]           Troisièmement, au paragraphe 18 de sa déclaration, Apotex fait état des pertes subies :

[traduction] En raison du Règlement sur les médicaments brevetés, la délivrance à Apotex d’un avis de conformité pour les gélules Apo‑oméprazole de 20 mg a été reportée du 3 janvier 2002 au 27 janvier 2004.

 

 

[40]           Quatrièmement, Apotex demande à être indemnisée pour les pertes qu’elle a subies, sollicitant subsidiairement une reddition de compte relativement aux profits avec, en outre, la restitution des revenus d’AstraZeneca. Apotex a en outre allégué des faits précis à l’appui de sa demande de dommages‑intérêts et de restitution. (Déclaration, paragraphes 19 et 20; Renseignements supplémentaires relatifs à la déclaration, 13 juin 2007, dossier d’Apotex de réponse à la requête), onglet 1)

 

[41]           De plus, comme AstraZeneca était une partie dans la demande d’interdiction, les faits de cette demande sont pertinents. (AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 43, [2005] A.C.F. no 74; 2005 (C.F.) (QL), paragraphes 17 et 18)

 

[42]           AstraZeneca n’est pas parvenue à établir que la déclaration déposée par Apotex comporte un vice susceptible de l’empêcher de plaider sa cause.

 

[43]           Par « seconde personne », le Règlement entend la personne visée aux paragraphes 5(1) ou (2) qui dépose une présentation ou un supplément visé par ces paragraphes. (Règlement, article 2)

 

[44]           En faisant valoir, premièrement, que le brevet canadien no 2,133,762 (le brevet 762) était inscrit au registre des brevets et l’empêchait d’obtenir un avis de conformité et, deuxièmement, qu’AstraZeneca a déposé à son encontre une demande d’interdiction au regard du brevet 762, Apotex invoque des faits importants à l’appui de son argument suivant lequel elle était une « seconde personne ». Comme elle l’a plaidé, elle a dû, aux fins du paragraphe 5(1) du Règlement, faire état du brevet 762, ce qu’elle a fait au moyen de l’avis d’allégation qui est à l’origine de la demande d’interdiction. Rappelons que c’est AstraZeneca qui a introduit la demande d’interdiction.

 

[45]           Dans ses motifs, la protonotaire Aronovitch revient sur l’argument développé par AstraZeneca au sujet de la « seconde personne » :

[traduction] La défenderesse a, à l’audience, développé son argumentation et a demandé à la Cour d’exiger d’Apotex qu’elle fasse état des éléments qui, selon la jurisprudence, identifient la « seconde personne » aux fins du paragraphe 5(1) du Règlement (Ferring Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) [2007] A.C.F. no 420, paragraphe 59).

 

 

[46]           Dans la décision Ferring Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 300, [2007] A.C.F. no 420 (QL), la Cour s’est exprimée en ces termes :

[59]         Il est important de noter que la Cour suprême, au paragraphe 40, a indiqué très spécifiquement le motif de la référence, soit l’établissement de la bioéquivalence. Le paragraphe 5(1) du Règlement AC prévoit expressément qu’une personne est tenue de prendre des mesures en vue de signifier un avis d’allégation à l’innovateur qui a soumis une liste de brevets (et de devenir ainsi une « seconde personne ») seulement si les conditions suivantes sont réunies :

‑               la personne a déposé une demande d’avis de conformité;

‑               la personne a comparé sa drogue à une autre drogue ou a fait référence à une autre drogue;

‑               pour démontrer la bioéquivalence entre les deux;

‑               l’autre drogue a été commercialisée au Canada aux termes d’un avis de conformité;

‑               il existe une liste de brevets pertinente à l’égard de cet avis de conformité.

 

[47]           Précisons qu’étant donné le flou qui entoure actuellement la jurisprudence citée relative à l’article 8, qu’AstraZeneca ait ou non ultimement gain de cause, la question devra être tranchée après procès au vu de l’ensemble des éléments versés au dossier.

 

[48]           L’interprétation des dispositions de l’article 8 du Règlement est encore « embryonnaire ». Ainsi, la Cour hésite à ordonner, au stade du dépôt des actes de procédure, la radiation d’une action intentée en vertu de l’article 8. (Apotex Inc. c. Eli Lilly and Co. et al., précité; Apotex Inc. c. Laboratoires Fournier S.A., précité; Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals International Ltd., précité; Apotex Inc. c. Merck & Co., précité)

 

[49]           La Cour a statué que les questions concernant l’interprétation de l’article 8 devraient être tranchées dans le cadre d’un procès :

[15]         [...] il n’existe toujours pas d’exposé clair de la véritable signification de l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés.

[18]         [...] les points en litige sont d’une nature complexe et qu’il est préférable de les régler à l’instruction. [...]

 

(Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals International Ltd., précité)

 

[17]         La Cour a à plusieurs occasions été appelée à examiner l’article 8, sans jamais statuer sur son sens. Au total, notre Cour et la Cour d’appel fédérale ont conclu au moins à 11 reprises que les questions relatives à l’interprétation de l’article 8 devraient être examinées dans le cadre du procès [...]

 

(Apotex Inc. c. Merck & Co., précité)

 

 

 

[50]           En l’espèce, les arguments d’AstraZeneca concernent l’interprétation de l’article 8. La protonotaire a rejeté l’affirmation d’AstraZeneca selon laquelle elle ne sollicitait pas et ne préconisait pas une interprétation de l’article 8. (Ordonnance rejetant la requête en radiation, page 3)

 

[51]           La présence du terme « seconde personne » à l’article 8 permet d’invoquer la jurisprudence concernant le paragraphe 5(1), laquelle doit être analysée eu égard aux facteurs dégagés dans la décision Ferring, afin d’en déterminer la pertinence par rapport à l’article 8; or, une telle exigence ne peut naître que d’une interprétation de l’article 8.

 

[52]           Ajoutons qu’il reste tout de même à décider si l’interprétation proposée par AstraZeneca à la Cour est appropriée compte tenu des circonstances particulières de la présente affaire.

 

[53]           Il est possible qu’une interprétation téléologique de l’article 8 du Règlement porte à nuancer différemment ce qu’il convient d’entendre par « seconde personne » dans le contexte de l’article 8.

 

[54]           Il reste à décider quels recours le Règlement offre à la seconde personne, une fois tranchée la question de savoir laquelle des parties est effectivement la seconde personne.

 

[55]           Or, pour se prononcer sur ce point, il faut procéder à une analyse approfondie de la question, d’où la nécessité d’instruire l’affaire.

 

c)         La protonotaire a‑t‑elle inversé le fardeau de la preuve?

[56]           La première erreur qu’AstraZeneca reproche à la protonotaire est d’avoir indûment inversé le fardeau de la preuve en n’obligeant pas Apotex à faire état des éléments fondant une cause d’action en vertu de l’article 8.

 

[57]           Selon AstraZeneca, la décision de la protonotaire lui ordonnant de faire valoir ses prétentions équivalait, dans le cadre de la requête, à un renversement indu du fardeau de la preuve :

[traduction] La décision de la protonotaire ne tient pas compte du fait qu’il appartient à Apotex de faire valoir qu’elle a la qualité de « seconde personne » pour solliciter la réparation prévue à l’article 8 du Règlement. En imposant à Astra d’alléguer qu’Apotex a omis de faire valoir que celle‑ci est effectivement une « seconde personne » au sens de l’article 8, on a abusivement reporté sur Apotex le fardeau de la preuve.

 

(Observations écrites d’AstraZeneca, paragraphe 37).

 

 

[58]           La protonotaire n’a pas décidé qu’AstraZeneca pouvait faire valoir en défense qu’Apotex [traduction]« a omis de faire valoir qu’elle est effectivement une “seconde personne” ». L’ordonnance de la protonotaire a tout simplement conclu que la déclaration était suffisante et qu’AstraZeneca pouvait présenter ses propres faits pertinents.

 

[59]           Comme nous l’avons vu, Apotex a invoqué les faits pertinents à l’appui de sa demande fondée sur l’article 8, y compris ceux qui établissent qu’elle est une seconde personne au regard du Règlement. AstraZeneca a donc été informée de la position d’Apotex et elle était donc en mesure de répliquer à cette version des faits dans sa réponse. Selon la protonotaire, les arguments d’AstraZeneca imposaient à Apotex de présenter, par anticipation, une réponse à la défense qui pourrait lui être opposée.

[traduction] À mon avis, il ne s’agit pas d’arguments susceptibles de mettre en cause le caractère suffisant des actes de procédure. Au contraire, ils font état de moyens de défense pour l’action qui doivent être plaidés. Il n’appartient pas à Apotex de répondre à un moyen de défense avant que celui‑ci ne soit présenté, ni de réfuter dans sa déclaration l’argument voulant qu’Apotex ne soit peut‑être pas une « seconde personne ».

 

(Ordonnance rejetant la requête en radiation, page 2)

            d)         La protonotaire a-t-elle interprété erronément le Règlement?

 

[60]           Selon les motifs d’ordonnance de la protonotaire, la question de savoir si l’interprétation de l’article 8 prônée par AstraZeneca est la bonne et, par conséquent, la question de savoir si d’autres interprétations proposées pourraient elles aussi être exactes, [traduction] « exige que l’on interprète l’article 8 et soulève une question mixte de fait et de droit à trancher qui, selon la jurisprudence, ne peut être tranchée que dans le cadre d’un procès ». (Ordonnance rejetant la requête en radiation, page 3)

 

[61]           Comme nous l’avons vu, la décision de la protonotaire voulant qu’il serait inapproprié, à l’étape du dépôt des actes de procédure, de parvenir à une conclusion concernant l’interprétation de l’article 8 du Règlement, est conforme à la jurisprudence.

 

[62]           À partir du moment où la protonotaire a décidé que l’interprétation prônée par AstraZeneca ne pouvait pas être retenue à cette étape précoce de la procédure, elle pouvait à bon droit décider que les faits que faisait valoir Apotex permettaient effectivement à celle‑ci de présenter une demande fondée sur l’article 8. Ajoutons que, comme nous l’avons vu, Apotex faisait en outre état de faits appuyant la conclusion de droit qu’elle était une seconde personne.

 

[63]           Pour l’ensemble des motifs susmentionnés, la décision de la protonotaire se justifie entièrement au stade actuel de la procédure puisqu’elle reconnaît que toutes les autres questions qui se posent en l’espèce seront tranchées dans le cadre d’un procès.

 


CONCLUSION

[64]      Pour l’ensemble de ces motifs, la Cour rejette la requête d’AstraZeneca avec dépens et ordonne à AstraZeneca de déposer sa défense dans les 45 jours (et non dans les15 jours), compte tenu des renseignements supplémentaires récemment communiqués à AstraZeneca par Apotex, pour clarifier davantage l’affaire en préparation du procès.

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.         La requête présentée par AstraZeneca Canada Inc. en radiation de l’ordonnance de la protonotaire Aronovitch, en date du 6 juin 2007, est rejetée avec dépens;

2.         AstraZeneca Canada Inc. doit déposer sa déclaration dans les 45 jours (et non dans les 15 jours), compte tenu des renseignements supplémentaires récemment communiqués à AstraZeneca par Apotex, pour clarifier davantage l’affaire en préparation du procès.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑2300‑05

 

INTITULÉ :                                       APOTEX INC.

                                                            c.

                                                            ASTRAZENECA CANADA INC.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 28 JUIN 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE 

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS ET                 

DE L’ORDONNANCE:                    LE 10 JUILLET 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gunars A. Gaikis

Mark G. Biernacki

 

POUR LA DEMANDERESSE

Benjamin Hackett

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

SMART & BIGGAR

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

GOODMANS, s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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