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Date : 20070628

Dossier : T‑985‑05

Référence : 2007 CF 688

Ottawa (Ontario), le 28 juin 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

 

ENTRE :

ASTRAZENECA AB,

AB HASSLE

et ASTRAZENECA CANADA INC.

 

demanderesse(s)

et

 

APOTEX INC.

et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

défenderesse (défendeurs)

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande formée par AstraZeneca AB, AB Hassle et Astrazeneca Canada Inc, en vue d'obtenir, sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, une ordonnance interdisant au défendeur le ministre de la Santé (le ministre) de délivrer un avis de conformité (AC) à la défenderesse Apotex Inc. (Apotex) relativement à la production d'oméprazole pour usage en polythérapie des infections à Helicobacter pylori (Hp). La présente instance vient s'ajouter à la longue liste des affaires canadiennes concernant les brevets sur l'oméprazole; voir par exemple : AB Hassle c. Apotex Inc. (2006), 47 C.P.R. (4th) 329, 2006 CAF 51, conf. (2005), 38 C.P.R. (4th) 216 (C.F.); AstraZeneca AB c. Apotex Inc. (2006), 46 C.P.R. (4th) 418, 2006 CF 7; AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc. (2005), 40 C.P.R. (4th) 449, 2005 CAF 216, conf. (2004), 34 C.P.R. (4th) 450, 2004 CF 647; AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2005), 40 C.P.R. (4th) 353, 2005 CAF 189, inf. (2004), 36 C.P.R. (4th) 519, 2004 CF 1277, inf. par (2006), 52 C.P.R. (4th) 145, 2006 CSC 49; AstraZeneca AB c. Apotex (2005), 335 N.R. 1, 2005 CAF 183, conf. (2004), 33 C.P.R. (4th) 125, 2004 CF 44; AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2005), 38 C.P.R. (4th) 212, 2005 CAF 58, conf. (2004), 36 C.P.R. (4th) 141, 2004 CF 1278, autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée, [2005] C.S.C.R. no 255; AB Hassle c. Apotex Inc. (2003), 29 C.P.R. (4th) 23, 312 N.R. 288 (C.A.F.), conf. (2002), 223 F.T.R. 43, 21 C.P.R. (4th) 173 (C.F.), autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée le 25 mars 2004, Bulletin de la C.S.C., 2004, page 471; AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2002), 22 C.P.R. (4th) 1, 2002 CAF 421, conf. (2001), 16 C.P.R. (4th) 21, 2001 CFPI 1264, autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée, [2002] C.S.C.R. no 531.

 

[2]               Les demanderesses (ci‑après collectivement désignées « AstraZeneca ») sont les titulaires des brevets canadiens 2025668 (le brevet 668) et 2133762 (le brevet 762). AstraZeneca a introduit la présente instance en réponse à un avis d'allégation (AA) d'Apotex en date du 8 février 2005, qui invoquait à la fois l'absence de contrefaçon et l'invalidité relativement aux brevets 668 et 762. AstraZeneca résume sa position dans le passage suivant de son exposé des faits et du droit :

[traduction]

5.         Apotex a déjà obtenu un avis de conformité pour la mise en marché et la vente de ses gélules d’Apo‑oméprazole pour des indications autres que l’infection à Hp, c’est‑à‑dire pour traiter les ulcères en réduisant simplement la sécrétion d’acide gastrique et, donc, pour guérir l’ulcère, plutôt que de tuer la bactérie qui cause l’ulcère. Apotex tente maintenant d’obtenir une autorisation pour vendre ses gélules d’oméprazole pour la trithérapie actuellement approuvée par Santé Canada aux fins d’éradication de Hp. Cette trithérapie consiste en une association d’oméprazole, inhibiteur de la sécrétion d’acide gastrique, et de deux antibiotiques : la clarithromycine, d’une part, et l’amoxicilline ou le métronidazole, d’autre part. L’oméprazole employé seul est approuvé par Santé Canada pour le traitement des ulcères (par guérison de l’ulcère), mais il n’est pas approuvé en monothérapie pour l’éradication de la bactérie.

 

6.         Apotex a déposé un avis d’allégation (AA) daté du 8 février 2005 portant que ses gélules d’Apo‑oméprazole ne contreferaient aucune des revendications du brevet 668, étant donné qu’elles ne seront pas mises en marché pour être utilisées en monothérapie (plutôt qu’en polythérapie) pour l’éradication de Hp ni n’auront d’indication à cet égard. Dans l’AA, Apotex prétend de plus que le brevet 668 est invalide pour causes d’antériorité, d’inutilité, d’absence de base valable pour la prédiction et d’ambiguïté. Par ailleurs, Apotex soutient que ses gélules d’Apo‑oméprazole ne contreferont pas certaines revendications du brevet 762, car sa trithérapie prévoit l’utilisation d’oméprazole comme inhibiteur de la sécrétion acide, de clarithromycine comme agent antibactérien dégradable en milieu acide et d’un composé antibactérien autre qu’un antibactérien dégradable en milieu acide, soit l’amoxicilline ou le métronidazole. En outre, dans son AA, Apotex prétend que le brevet 762 est invalide pour causes d’antériorité, d’ambiguïté, d’évidence, d’inutilité et d’absence de prédiction valable et en vertu du paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets. En réponse, AstraZeneca a introduit la présente instance.

 

 

Les questions en litige

[3]               Les parties ont soulevé de nombreuses questions touchant l'interprétation et la validité, mais, étant donné mes conclusions que le brevet 668 est invalide pour cause d'antériorité et que le brevet 762 est invalide aux motifs de l'antériorité et de l'évidence, il ne sera pas nécessaire d'examiner les autres allégations d'invalidité avancées par Apotex. Les questions que j'ai tranchées sont les suivantes :

1.                  Apotex est-elle empêchée de contester les brevets en cause au motif de l'abus de procédure?

2.                  Quelles sont les charges de preuve respectives pesant sur les parties, et celles‑ci s'en sont-elles acquittées?

3.                  Convient‑il d'interpréter le brevet 668 comme proposant l'utilisation de l'oméprazole en monothérapie ou en polythérapie?

4.                  Le brevet 668 se heurtait-il à des antériorités et, le cas échéant, celles‑ci peuvent‑elles être invoquées?

5.                  Comment convient‑il d'interpréter le terme [traduction] « biodisponibilité » dans le brevet 762?

6.                  Le brevet 762 se heurtait-il à des antériorités et, le cas échéant, celles‑ci peuvent‑elles être invoquées?

7.                  Le brevet 762 est‑il invalide pour cause d'évidence?

8.                  Le brevet 762 est‑il admissible à l'inscription au registre des brevets?

9.                  Les dépens.

 

Analyse

L'abus de procédure

[4]               À titre préliminaire, AstraZeneca excipe de l'abus de procédure de la part d’Apotex, soutenant que la Cour devrait accueillir sa demande en ordonnance d'interdiction qui prive Apotex de tout droit de contester les brevets en cause en raison de son comportement judiciaire antérieur. Il faut donc examiner cette exception avant d'aborder les questions de fond, c'est‑à‑dire celles de l'absence de contrefaçon et de l'invalidité.

 

[5]               L'argumentation d'AstraZeneca est fondée sur les instances antérieures qui ont opposé les mêmes parties à propos des mêmes brevets qui font l'objet de la présente demande. AstraZeneca soutient qu'il ne devrait pas être permis à Apotex de mettre en litige dans la présente espèce des questions relatives à l'absence de contrefaçon et à l'invalidité qu'elle aurait pu soulever dans ces instances antérieures. Elle fait valoir que les questions de fond de la présente demande sont nécessairement liées à l'allégation antérieure d'absence de contrefaçon, de sorte qu'Apotex, en ne contestant pas globalement les brevets en cause dans ces instances antérieures, en a implicitement reconnu la validité.

 

[6]               Il y a certes des cas où la mise en litige ultérieure ou la remise en litige de questions dans le cadre d'instances telles que la présente constitue un abus de procédure, mais ce principe n'est pas applicable aux faits de l’espèce. En effet, on ne saurait à bon droit attaquer la conduite d’Apotex aux fins de la promotion de ses intérêts juridiques, que ce soit dans la présente espèce ou dans les instances antérieures.

 

[7]               Dans les deux instances précédentes, Apotex soutenait seulement qu’elle ne contreferait aucun des deux brevets d’AstraZeneca parce qu’elle ne mettrait pas en marché ni ne vendrait son oméprazole pour traiter l’infection à Hp et ne l’utiliserait pas en traitement d’association : voir AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (2001), 16 C.P.R. (4th) 21 (C.F. 1re inst.) conf. par (2002), 22 C. P. R. (4th) 1 (C.A.F.) (AB Hassle #1) et AstraZeneca AB c. Apotex Inc. (2003), 33 C.P.R. (4th) 97 (C.F.) (AstraZeneca AB). À cette époque, Apotex était satisfaite de n’entrer sur le marché que de façon limitée en fournissant de l’oméprazole comme traitement anti‑acide, cet usage du médicament étant connu et autorisé depuis longtemps. Apotex n’a tenté de contester la validité d’aucun des deux brevets ni de présenter d’arguments relatifs à l’absence de contrefaçon sur le fondement de points en litige concernant l’interprétation du brevet. Elle a plutôt fait savoir à AstraZeneca que ce qu’elle entendait faire ne se traduirait pas par la contrefaçon de l’un ou l’autre de ses deux brevets. AstraZeneca s’est par la suite opposée à la délivrance d’un AC à Apotex, faisant valoir qu’il fallait s’attendre à de la contrefaçon par des tierces parties si Apotex pénétrait le marché de l’oméprazole, même d’une façon limitée et ostensiblement acceptable. Dans l’appel de la décision AB Hassle #1, le juge Edgar Sexton a confirmé que le brevet 668 ne serait pas contrefait. Il a aussi souligné la portée limitée du brevet et la revendication étroite d’Apotex à l’égard de l’usage de l’oméprazole dans les passages suivants, aux paragraphes 6 et 7 :

[6]        L'oméprazole était un composé connu ou existant. Le brevet dont Hassle est titulaire ne vise que la nouvelle utilisation de l'oméprazole. Par conséquent, le brevet 668 ne confère des droits exclusifs d'utilisation de l'oméprazole qu'à l'égard du traitement des infections à Campylobacter; il ne contient aucune revendication à l'égard du composé chimique même de l'oméprazole.

 

[7]        Les appelantes ont reçu l'avis d'allégation d'Apotex par lettre datée du 4 octobre 1999. L'avis d'allégation déclarait, notamment :

 

[traduction]

S'agissant du brevet 2,025,668, nous alléguons qu'aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites par la fabrication, la construction, l'utilisation ou la vente par nous de gélules d'oméprazole administrées par voie orale en doses de 10 mg, 20 mg et 40 mg.

 

Cette allégation est fondée sur le droit et les faits suivants :

 

Les revendications du brevet concernent l'utilisation du médicament dans le traitement des infections à Campylobacter. Notre produit ne sera pas fabriqué, utilisé ou vendu pour le traitement des infections à Campylobacter et, plus précisément, nous ne cherchons pas à obtenir d'autorisation pour cet usage et cet usage ne sera pas inclus dans notre monographie de produit.

 

 

La Cour a ensuite affirmé que, sans incitation, la probabilité de contrefaçon ultérieure du brevet par une tierce partie (patients, médecins et pharmaciens) n’était pas suffisante sur le plan juridique pour soutenir qu’il y aurait contrefaçon par Apotex d’un nouvel usage. Selon la Cour, une telle revendication permettrait au titulaire du brevet de contrôler non seulement les nouvelles utilisations d’un composé existant non protégé, mais également le composé lui‑même (voir le paragraphe 57).

 

[8]               Le même résultat a été obtenu dans la décision AstraZeneca AB, précitée, où l’objet du litige était le brevet 762 et où AstraZeneca a de la même façon contesté l’allégation de non‑contrefaçon d’Apotex. En donnant gain de cause à Apotex, le juge John O’Keefe a défini comme suit la question en litige :

[74]      Compte tenu des faits de la présente espèce, AstraZeneca ne peut obtenir gain de cause que si les références à l'utilisation concomitante et à l'accroissement de la biodisponibilité et les autres références contestées de la monographie de produit (pages 16 et 17) établissent qu'Apotex cherche à obtenir l'autorisation d'utiliser l'Apo‑oméprazole en même temps que des substances antibiotiques pour accroître la biodisponibilité, c'est-à-dire utiliser l'Apo‑oméprazole avec un antibiotique comme la clarithromycine pour obtenir un meilleur traitement.

 

[9]               Le juge O’Keefe a ensuite conclu en disant que l’utilisation qu’Apotex tentait de faire approuver se limitait à l’ancien usage approuvé pour la réduction de la sécrétion acide gastrique, et que, par conséquent, AstraZeneca n’avait pas réussi à établir la contrefaçon du brevet 762.

 

[10]           Lorsqu’on l’examine dans le contexte de l’historique judiciaire susmentionné, l’abus de procédure dont se plaint AstraZeneca s’avère incongru. Les arguments d’AstraZeneca portant qu’Apotex « attendait son heure » et qu’en présentant un nouvel AA, elle avait « de façon commode » repris sa position antérieure selon laquelle il n’y aurait pas contrefaçon, étaient également injustifiés.

 

[11]           Il n'est nullement répréhensible en soi pour un fabricant de génériques d'essayer de mettre sur le marché un produit qui n'est plus protégé par un brevet. Apotex avait le droit de limiter la portée de ses allégations à une question d'absence de contrefaçon tant qu'elle était disposée à accepter en contrepartie de n'entrer que partiellement sur le marché de l'oméprazole. La stratégie en deux étapes adoptée par Apotex relativement à l’usage de l'oméprazole avait pour elle cet autre inconvénient évident de l'obliger à subir deux sursis réglementaires à la délivrance d'un AC.

 

[12]           En faisant valoir qu'Apotex gaspille les ressources judiciaires en contestant ses brevets par étapes, AstraZeneca oublie qu'elle est elle-même à l'origine de l'instance antérieure et qu'elle y a succombé. Il était loisible à AstraZeneca de ne pas faire obstacle à la délivrance d'un AC à Apotex pour l'usage limité qu'elle demandait. En choisissant la voie contraire, AstraZeneca s'est assuré l'avantage, que certains diraient injustifié, d'un sursis de deux ans à la délivrance d'un AC à Apotex. Il se pourrait que ce soit là une stratégie judiciaire acceptable, mais AstraZeneca, l'ayant appliquée, ne peut ensuite baser sur sa propre contestation infondée une argumentation invoquant le gaspillage des ressources judiciaires pour faire admettre l'existence d'un abus de procédure.

 

[13]           Apotex n'essaie pas ici de diviser sa cause touchant une question de validité de brevet ou de contourner une décision judiciaire défavorable déjà rendue contre elle en avançant de nouvelles allégations. Il y a des situations où l'on attend du plaideur qu'il présente ses meilleurs moyens dès le départ et où on ne lui permettra pas de revenir à la charge. On trouve un bon exemple de ce cas dans AB Hassle et al. c. Apotex Inc. et al. (2005), 38 C.P.R. (4th) 216, [2005] 4 R.C.F. 229, 271 F.T.R. 30, 137 A.C.W.S. (3d) 613, 2005 CF 234, conf. par (2006), 47 C.P.R. (4th) 329 (AB Hassle no 2) – décision sur laquelle AstraZeneca a beaucoup misé dans la présente espèce. Or les faits de cette affaire sont sensiblement différents de ceux de la présente instance. Dans AB Hassle, Apotex essayait de remettre en litige une question qui avait déjà été tranchée dans une instance antérieure. La juge Carolyn Layden‑Stevenson a défini dans les termes suivants le problème qui lui était soumis :

[80]      Il me semble que l'argument d'Apotex élude la question. Lors de l'instance précédente, Apotex a allégué la non-contrefaçon. Elle a donc mis en jeu la question de la contrefaçon. Elle ne fournit aucune explication au regard de son incapacité à présenter ses meilleurs arguments lors de l'instance précédente. Selon moi, accepter l'argument présenté par Apotex équivaut à lui donner l'occasion de plaider sa cause de deux façons différentes. Cela lui permet de prendre le pouls de la situation en ce qui concerne l'interprétation du brevet, et si cela s'avère infructueux (comme ce fut le cas), elle peut remanier ses arguments et avoir une seconde chance. Je n'irais pas jusqu'à affirmer (comme le juge Evans dans l'arrêt P&G) qu'Apotex a caché ses intentions en conservant une défense pour un litige subséquent, mais elle a certainement mis tous ses œufs dans le même panier. Cette omission de sa part n'est pas une lacune de pure forme; c'est une question de fond. Apotex ne m'a pas persuadée que les conditions d'application du principe de préclusion n'étaient pas réunies en ce qui concerne la question de la « contrefaçon ».

 

 

La juge Layden‑Stevenson a ensuite expliqué que, en limitant ses allégations dans la première instance, Apotex avait implicitement accepté la validité du brevet et se trouvait donc empêchée par préclusion de faire valoir ultérieurement l'invalidité.

 

[14]           En appel, la juge Karen Sharlow a confirmé la conclusion d'abus de procédure, mais en précisant qu'elle se justifiait « dans les circonstances particulières de l'espèce ». La Cour d'appel a ensuite fait observer qu'il peut se présenter des cas où le fabricant de génériques sera autorisé à signifier plus d'un AA relativement à un brevet donné et à un même produit générique proposé (paragraphe 24), ce dont elle a donné quelques exemples (paragraphe 25). 

 

[15]           Dans le récent arrêt Pharmascience c. Abbott, 2007 CAF 140, conf. [2006] A.C.F. no 492, 2006 CF 341, la Cour d'appel fédérale a examiné de près une jurisprudence considérable touchant la préclusion pour même question en litige et l'abus de procédure dans le contexte d'instances relatives à des AA multiples. Elle a confirmé dans cet arrêt la décision du juge O'Keefe, qui avait appliqué le principe de la préclusion pour même question en litige pour interdire au fabricant de génériques de présenter un deuxième AA contenant de nouvelles allégations d'invalidité du brevet. En appel, le juge Sexton a fait observer que l'on interdira en général au fabricant de génériques de présenter plusieurs AA concernant le même produit et affirmant l'invalidité d'un brevet déterminé, même s'il fait valoir des motifs différents d'invalidité (paragraphe 41). Cependant, la Cour d'appel a aussi reconnu qu'on peut à bon droit distinguer les affaires qui soulèvent des questions de validité de celles qui ne mettent en litige que l'absence de contrefaçon. Par exemple, le fabricant de génériques qui présente un AA invoquant l'absence de contrefaçon a le droit de proposer de nouvelles allégations fondées sur de nouvelles formulations du produit proposé. La Cour d’appel a résumé la question de cette distinction dans le passage suivant du paragraphe 47 :

Or comme je l'ai déjà dit, on peut distinguer les cas où les avis d'allégation ont trait à l'absence de contrefaçon de ceux où les avis ont trait à l'invalidité du brevet. Puisque la contrefaçon constitue une situation de fait qui varie en fonction de la formulation du médicament produit par le fabricant de génériques et du procédé utilisé par ce fabricant, entre autres choses, la présentation de multiples avis d'allégation alléguant l'absence de contrefaçon pourrait être autorisée. De multiples avis alléguant l'invalidité du brevet, par contre, seront rarement acceptables.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[16]           J'examinerai maintenant une décision touchant une affaire qui ressemble de plus près à celle qui nous occupe : Aventis c. Apotex (2005), 44 C.P.R. (4th) 108, 2005 CF 1504. Là aussi, Apotex avait d'abord allégué dans son AA qu'elle ne contreferait pas le brevet en cause. Le seul argument d'invalidité qu'elle avait avancé dans la première instance était de nature conditionnelle et destiné à contrer par anticipation un argument contradictoire touchant un point d'interprétation des revendications. Aucune des parties n'a poussé plus loin le débat sur cette question d'invalidité. Lorsque Apotex a signifié un deuxième AA soulevant des questions d'invalidité aux motifs de l'antériorité, de l'évidence et du double brevet, la partie adverse a excipé de l'abus de procédure en se fondant sur la conclusion formulée dans AB Hassle no 2, précitée. La juge Danièle Tremblay‑Lamer, tout en faisant observer que la pluralité des contestations d'un même brevet ne va peut-être pas dans le sens de l'économie des ressources judiciaires, a conclu que le régime applicable prévoit la possibilité d'une démarche en plusieurs étapes, à condition que chaque allégation repose sur un fondement juridique et factuel distinct (paragraphe 41). Elle a aussi rejeté l'argument selon lequel le fabricant de génériques devrait être censé avoir accepté la validité du brevet pour n'avoir pas mis la question de la validité en litige dans le cadre d'une instance antérieure n'ayant soulevé que la question de l'absence de contrefaçon (paragraphe 39). Elle a rejeté l'argument de l'abus de procédure, en partie pour les raisons suivantes : 

[47]      Apotex avait donc le droit de signifier le deuxième AA parce que la deuxième allégation est distincte de la première. La première portait sur l'absence de contrefaçon, tandis que la deuxième porte sur l'invalidité des brevets du fait de l'antériorité, de l'évidence et du double brevet. La Cour est donc saisie à bon droit de la question de l'invalidité du brevet 457 et la doctrine d'abus de procédure n'est pas applicable.

 

 

S'il est vrai que la Cour d'appel fédérale, dans l’arrêt Pharmascience c. Abbott, précité, a mis en doute certaines des observations formulées par la juge Tremblay‑Lamer dans la décision Aventis, précitée, elle a souscrit, comme en témoigne le passage suivant (paragraphe 48), à la distinction que cette juge établit entre les instances limitées à des questions d'absence de contrefaçon et celles qui soulèvent des questions de validité :

 

[48] Pharmascience cite également la décision Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1504, dans laquelle la juge Tremblay-Lamer avait refusé de conclure qu'un second avis d'allégation portant sur l'invalidité d'un brevet constituait un abus de procédure au motif qu'un avis précédent portant sur l'absence de contrefaçon avait fait l'objet d'une décision. La décision de la juge Tremblay-Lamer ne saurait nous être utile, toutefois, puisqu'en l'espèce c'est l'invalidité qu'on faisait valoir dans les deux avis concernés.

 

 

[17]           Je souscris moi-même à la conclusion de la juge Tremblay‑Lamer selon laquelle le fabricant de génériques ne devrait pas être censé avoir reconnu la validité d'un brevet pour n'avoir pas mis antérieurement cette question en litige, en particulier lorsque la contrefaçon est la seule question soulevée. Dans les cas qui le permettent, les principes de l'abus de procédure ou de la préclusion pour même question en litige suffisent à résoudre le problème, sans qu'il soit nécessaire de recourir à une présomption de preuve de cette nature.

 

[18]           Dans la présente espèce, Apotex était fondée à limiter ses premières allégations à la seule question de l'absence de contrefaçon. Vraisemblablement, son intérêt commercial à l'époque se limitait à une entrée partielle sur le marché, et c'est sur cette base qu'elle a joint l’instance qui l'a ultérieurement opposée à AstraZeneca. Une telle démarche ne portait pas préjudice aux intérêts commerciaux rivaux d'AstraZeneca, puisque cette dernière continuait à jouir d'un monopole sur les usages de l'oméprazole dont on pouvait soutenir qu'ils étaient protégés par ses nouveaux brevets visant une utilisation. AstraZeneca a depuis bénéficié d'un deuxième sursis réglementaire à la délivrance d'un AC à Apotex par suite de la présente instance. En outre, elle n'a produit aucun élément tendant à prouver l'existence d'un tort réel à ses intérêts juridiques ou commerciaux, de sorte que, aucun préjudice n'ayant été établi, son exception d'abus de procédure doit être rejetée; voir Merck & Co. c. Apotex Inc. (2003), 25 C.P.R. (4th) 289, 2003 CAF 234, au paragraphe 79.

 

La charge de la preuve

[19]           Les parties ont passé beaucoup de temps dans la présente instance à débattre les subtilités de la charge de la preuve, et chacune a pu rassembler une jurisprudence considérable à l'appui de sa position. Qu'il me suffise de dire que la charge ultime, dans la présente espèce, pesait manifestement sur AstraZeneca, à qui il incombait de réfuter, suivant la prépondérance des probabilités, l'allégation d'invalidité avancée par Apotex, et qu'elle ne s'est pas acquittée de cette charge. S'il est vrai que la question de la charge intermédiaire pesant sur la seconde personne reste dans une certaine mesure controversée (voir Abbott Laboratories et al. c. Ministre de la Santé et Apotex Inc., 2007 CAF 153 , aux paragraphes 9 et 10, et Pfizer Canada Inc. et al. c. Ministre de la Santé et Apotex, 2007 CAF 209, aux paragraphes 109 et 110), j'estime que les éléments produits par Apotex suffisent à réfuter la présomption de validité suivant la prépondérance des probabilités et qu'AstraZeneca, quant à elle, ne s'est pas acquittée de la charge qui lui incombait de prouver le caractère infondé des allégations d'invalidité d'Apotex.

 

Les revendications du brevet 668

[20]           Le brevet 668 est intitulé « Utilisation de l’oméprazole comme agent antimicrobien ». Selon les revendications, le brevet, qui vise un nouvel usage, est basé sur la découverte par les inventeurs que l’oméprazole a une action antimicrobienne et peut donc être utilisé efficacement dans le traitement de l’infection à Hp. L’oméprazole avait déjà été utilisé dans le traitement des ulcères causés par Hp, mais uniquement à cause de ses effets anti‑acide ou antisécrétoires connus, et n’était pas reconnu comme un produit curatif.

 

[21]           Le brevet 668 renferme les trois revendications suivantes :

[traduction]

a)      L’utilisation de l’oméprazole ou d’un sel pharmaceutiquement acceptable de l’oméprazole pour la fabrication d’un médicament utilisé dans le traitement des infections à Campylobacter [c.‑à‑d. Hp].

b)            L’utilisation de l’oméprazole ou d’un sel pharmaceutiquement acceptable de l’oméprazole dans le traitement des infections à Campylobacter.

c)            Une préparation pharmaceutique utilisée dans le traitement des infections à Campylobacter et dont l’ingrédient actif est l’oméprazole ou un sel pharmaceutiquement acceptable de l’oméprazole.

 

L'interprétation du brevet 668

[22]           Les parties s'entendent sur le fait que le brevet 668 doit être interprété à la date de sa publication, soit le 19 août 1990. En outre, on ne constate pas de désaccord manifeste entre elles touchant les grands principes de l'interprétation des brevets, notamment la règle voulant que le brevet doive être interprété avant l'examen de toute question d'invalidité. J'ai appliqué à toutes les questions d'interprétation que soulève la présente instance les principes exposés par la Cour suprême du Canada dans Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, 2000 CSC 67, et dans Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] A.C.S. no 67, 2000 CSC 66, principes qu'a bien résumés la juge Layden‑Stevenson, aux paragraphes 30 à 34, dans Wyeth‑Ayerst Canada Inc. c. Faulding (Canada) Inc., [2002] A.C.F. no 1263, 2002 CFPI 969 :

30        L'interprétation des revendications précède l'examen des questions de validité et de contrefaçon. L'interprétation des revendications est une question de droit, mais la question de savoir si les activités de la défenderesse relèvent du monopole est une question de fait. Ce sont les revendications qui définissent la portée du monopole (Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, (2000), 9 C.P.R. (4th) 129 (C.S.C.)).

 

31        La Loi sur les brevets exige que les lettres patentes accordant un monopole au titulaire du brevet renferment un mémoire descriptif qui « divulgue » avec exactitude et exhaustivité l'invention. La divulgation est suivie d'une ou plusieurs revendications exposant distinctement et en termes explicites les choses ou combinaisons que le demandeur considère comme nouvelles et dont il revendique la propriété ou le privilège exclusif. C'est donc pour l'invention ainsi revendiquée que le breveté obtient le droit, la faculté et le privilège exclusifs d'exploitation (Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, (2000), 9 C.P.R. (4th) 168 (C.S.C.)).

 

32        La divulgation est ce que l'inventeur fournit en contrepartie du monopole sur l'exploitation de l'invention. Il importe que le public sache ce qui est interdit et ce qu'il peut faire sans risque lorsque le brevet est encore en vigueur. Les revendications qui concluent le mémoire descriptif servent d'avis public. L'inventeur n'est pas tenu de revendiquer un monopole sur tout élément nouveau, ingénieux et utile qui est divulgué dans le mémoire descriptif. La règle habituelle veut que ce qui n'est pas revendiqué soit considéré comme ayant fait l'objet d'une renonciation (Whirlpool Corp., précité).

 

33        L'incertitude comporte de graves préjudices économiques, et il convient que le droit des brevets s'efforce de réduire le plus possible ces préjudices. La prévisibilité est assurée du fait que les revendications lient le breveté; l'équité résulte de l'interprétation des revendications de façon éclairée et en fonction de l'objet. L'application purement textuelle des revendications permettrait à une personne versée dans l'art d'apporter des modifications légères et sans importance et de s'approprier ainsi l'essentiel de l'invention en copiant l'appareil tout en échappant au monopole. Une interprétation plus large risque par contre de conférer au breveté les avantages d'inventions qui ne lui sont pas attribuables dans les faits, mais qui pourraient être jugées, avec le recul, équivalentes à ce qui a été inventé. Un tel résultat serait injuste pour le public et pour les concurrents (Free World Trust, précité).

 

34        Dans l'arrêt Free World Trust, précité, le juge Binnie a énoncé les principes à appliquer pour résoudre la question de la démarche qui s'impose pour arbitrer « contrefaçon textuelle » et « contrefaçon de l'essentiel du brevet » de façon à obtenir un résultat juste et prévisible. Voici les principes qu'il a retenus :

 

a)         La Loi sur les brevets favorise le respect de la teneur des revendications.

 

b)         Le respect de la teneur des revendications favorise à son tour tant l'équité que la prévisibilité.

 

c)         La teneur d'une revendication doit toutefois être interprétée de façon éclairée et en fonction de l'objet.

 

d)         Ainsi interprétée, la teneur des revendications définit le monopole. On ne peut s'en remettre à des notions imprécises comme « l'esprit de l'invention » pour en accroître l'étendue.

 

e)         Suivant une interprétation téléologique, il ressort de la teneur des revendications que certains éléments de l'invention sont essentiels, alors que d'autres ne le sont pas.

 

f)          Il n'y a pas de contrefaçon lorsqu'un élément essentiel est différent ou omis. Il peut toutefois y avoir contrefaçon lorsque des éléments non essentiels sont substitués ou omis.

 

 

[23]           L’une des questions d’interprétation en litige soulevées par les parties est de savoir si le brevet 668 vise l’utilisation de l’oméprazole en monothérapie pour le traitement de l’infection à Hp ou en association avec des antibiotiques.

 

[24]           Dans son avis d’allégation, Apotex soutient que le brevet 668 devrait être interprété comme s’il revendiquait uniquement l’utilisation de l’oméprazole en monothérapie pour le traitement de l’infection à Hp. Elle affirme ensuite que l’usage qu’elle propose est l’utilisation de l’oméprazole en association avec des antimicrobiens et que, par conséquent, aucune des revendications du brevet 668 ne serait contrefaite. Si Apotex a raison sur ce point, il devient inutile de statuer sur ses arguments relatifs à l’invalidité.

 

[25]           Il est très clair que les revendications du brevet susmentionnées ne renferment aucune mention explicite au sujet de l’utilisation de l’oméprazole en monothérapie ni en tant que produit utilisé en association avec d’autres médicaments. Apotex affirme qu’en l’absence de toute mention relative à l’utilisation de l’oméprazole en association avec d’autres médicaments, il faut présumer que les inventeurs revendiquaient l’utilisation de l’oméprazole en monothérapie dans le traitement de l’infection à Hp. Elle affirme que cette interprétation est corroborée par le libellé des revendications, y compris la mention, à la revendication 3, d’une [traduction] « préparation pharmaceutique utilisée dans le traitement de l’infection [à Hp] et dont l’ingrédient actif est [l’oméprazole] ». Si les revendications visaient l’utilisation de l’oméprazole en association avec d’autres médicaments « actifs », il faut présumer qu’elles l’auraient mentionné et,  comme ce n’est pas précisé, les revendications devraient être interprétées de manière restrictive.

 

[26]           Apotex s’appuie aussi sur le libellé de la divulgation du brevet qui, selon elle, clarifie l’intention des inventeurs. Elle souligne des passages qui semblent indiquer que les inventeurs revendiquaient l’utilisation de l’oméprazole seul pour le traitement de l’infection à Hp. Ces passages renferment des affirmations selon lesquelles l’oméprazole est particulièrement efficace dans le traitement de l’infection à Hp et, [traduction] « de façon surprenante », s’est avéré avoir une [traduction] « excellente action antimicrobienne ». La seule mention relative à d’autres médicaments est une déclaration voulant que des antibiotiques couramment utilisés se sont révélés avoir un [traduction] « effet insuffisant » pour le traitement de l’infection à Hp. Apotex affirme que ces déclarations témoignent de l’utilité de l’oméprazole dans le traitement de l’infection à Hp et du fait qu’il s’agit d’un nouveau traitement de référence ou d’un « médicament miracle » pour la monothérapie.

 

[27]           Apotex s’appuie aussi sur plusieurs passages, dans la divulgation, relatifs à des préparations pharmaceutiques et à des posologies où il n’est pas mentionné d’utilisation d’autres médicaments actifs en association avec l’oméprazole, mais où il est fait état de l’utilisation de substances inertes.

 

[28]           À ce sujet, AstraZeneca s’est appuyée sur la preuve fournie par M. Richard Hunt, professeur de médecine à l’Université McMaster de Hamilton, en Ontario. Ce dernier enseigne la gastro‑entérologie à l’Université McMaster depuis 1982. À son avis, comme le brevet 668 ne renferme aucune limite quant à l’utilisation de l’oméprazole, que ce soit seul ou en association avec d’autres médicaments, il devrait être interprété de façon non restrictive. Autrement dit, tout ce que le brevet indique est que l’oméprazole a une action antibactérienne bénéfique. Selon M. Hunt, une personne versée dans l’art saurait que l’oméprazole devrait être administré en association avec d’autres médicaments, car, dans la plupart des cas, le produit administré seul ne réussit pas à éradiquer l’infection à Hp. Malgré les prétendues excellentes propriétés antibactériennes de l’oméprazole divulguées dans le brevet, le produit serait tout de même considéré comme un complément à un traitement efficace et non pas comme un produit curatif en soi.

 

[29]           Apotex s’est appuyée sur le témoignage du Dr David Graham, professeur de médecine et de virologie et microbiologie moléculaires au Baylor College of Medicine de Houston, au Texas. Le Dr Graham semble d’accord avec M. Hunt pour dire qu’en 1990, l’oméprazole n’aurait pas été considéré comme un produit efficace contre l’infection à Hp lorsqu’il est utilisé seul. Au paragraphe 30 de son affidavit, il déclare :

[traduction]

30.       De plus, en date du 10 août 1990, le lecteur versé dans l’art aurait su que le traitement par l’oméprazole et la polythérapie ne pouvaient donner « essentiellement le même résultat ». Comme il a déjà été mentionné, le traitement par l’oméprazole divulgué dans le résumé de Unge était considéré comme un traitement qui n’entraînait qu’une diminution transitoire de la bactérie sans l’éradiquer et, dans mon article de 1989 susmentionné, qui est intitulé In Vivo Susceptibility of Campylobacter pylori (Sensibilité in vivo de C. pylori) (pièce F), je divulguais que H. pylori n’était pas sensible à l’oméprazole. En revanche, dans l’état antérieur de la technique, il était connu que la polythérapie par l’oméprazole et l’amoxicilline entraînait l’éradication de l’infection chez certains patients. Comme il est mentionné plus loin, l’éradication de l’infection était (et est toujours) considérée comme le seul résultat valable lorsqu’on traite une infection à H. pylori. Ainsi, une personne versée dans l’art aurait compris que l’utilisation d’une polythérapie modifierait la façon dont l’invention revendiquée agit.

 

 

Ce passage semble indiquer que bien que l’oméprazole puisse réduire la quantité de bactérie Hp, il est peu probable qu’elle réussisse à éradiquer l’infection. Néanmoins, le Dr Graham mentionne ailleurs dans son affidavit que [traduction] « le lecteur versé dans l’art comprendrait que le brevet enseigne que l’oméprazole est suffisant en lui‑même pour éradiquer Hp ». Non seulement cette affirmation dépasse la portée de l’AA d’Apotex, dans lequel il est accepté que le terme « traitement » employé dans le brevet 668 peut désigner une réduction du degré d’infection, mais encore elle contredit les connaissances sur l’oméprazole de l’époque.

 

[30]           Comme il était connu que la probabilité d’éradiquer Hp au moyen du traitement par l’oméprazole était faible, il convient de ne pas interpréter le brevet d’une façon qui en limite la portée à la monothérapie. Selon moi, la personne versée dans l’art qui interprète un brevet pharmaceutique doit appliquer les connaissances reconnues dans la science tout en tenant compte du bon sens commercial. Ce point a été soulevé par la Cour d’appel d’Angleterre dans Ranbaxy c. Warner, [2006] EWCA Civ 876, aux paragraphes 19 à 21 :

[traduction]

[19]      Je ne peux pas accepter cela. L’élément le plus important est que le lecteur versé dans l’art saurait que l’énantiomère R,R est la forme qui possède toute l’activité pharmaceutique ou qui en possède de loin la majeure partie. Il s’attendrait à ce que le breveté l’ait su également. Il saurait aussi que la revendication du brevet a été rédigée par une personne qui savait à quoi elle servirait, c’est‑à‑dire à « démarquer l’invention » (Lord Hoffmann, dans Kirin, p. 185). Il n’existe simplement aucun motif raisonnable qui permette de croire que le breveté ait voulu exclure l’énantiomère pur, qui, il le savait, était la substance réellement importante.

 

[20]      Les propositions de M. Waugh concernant les raisons qui auraient incité le breveté à limiter le monopole exclusivement au racémate ne sont pas plausibles : elles expliqueraient plutôt pourquoi le breveté aurait voulu inclure également le racémate. Il est vrai qu’« un brevet peut, pour une raison ou pour une autre, revendiquer moins que ce qu’il enseigne ou qu’il permet » (Lord Hoffmann, p. 186), mais ce n’est pas là une raison pour interpréter la revendication dans le contexte du brevet d’une façon qu’aucun breveté sensé n’aurait prévue.

 

[21]      Lord Diplock a affirmé dans Antaios [1985] A.C. 191, 201 :

 

Je profite de l’occasion pour réaffirmer que si une analyse sémantique détaillée des mots d’un contrat commercial mène à une conclusion qui va à l’encontre du bon sens commercial, alors c’est le bon sens commercial qui l’emportera.

 

Lord Hoffmann a clairement établi dans Kirin, à la page 31, que cela s’applique également à l’interprétation des revendications d’un brevet. Cela s’applique ici.

 

 

[31]           En l’espèce, c’est M. Hunt qui a exprimé la meilleure opinion lorsqu’il a déclaré qu’un praticien versé dans l’art s’attendrait à ce qu’un traitement efficace contre l’infection à Hp nécessite l’utilisation d’oméprazole en association avec d’autres médicaments et non pas d’oméprazole seul. Il a émis cette opinion tant dans sa déposition orale que dans son affidavit, dans lequel il affirme que :

[traduction]

23.       Une personne versée dans l’art aurait compris que le terme « antimicrobien » désigne l’activité inhibitrice dirigée contre la bactérie, que ce soit une activité bactériostatique (qui inhibe la croissance) ou bactéricide (qui tue la bactérie). Un « agent antimicrobien » aurait donc été considéré comme un agent pouvant inhiber ou retarder la croissance ou la multiplication de la bactérie. Par conséquent, je suis d’accord avec l’interprétation d’Apotex selon laquelle le terme « traitement », utilisé dans les revendications du brevet 668 inclut la réduction de l’infection.

 

24.       Je ne suis cependant pas d’accord avec Apotex lorsqu’elle prétend que les revendications se limitent soit à la monothérapie soit à la polythérapie. Comme il a déjà été mentionné, l’invention repose sur la découverte que l’oméprazole est utile comme agent antibactérien. Dans la mesure où l’oméprazole est utilisé à cette fin, seul ou en tant qu’élément d’une polythérapie visant à traiter l’infection à H. pylori, la personne versée dans l’art comprendrait que l’oméprazole est utilisé dans un traitement antibactérien contre H. pylori. De plus, la personne versée dans l’art qui aurait lu le brevet au complet le 10 août 1990, aurait aussi compris qu’il n’excluait pas l’utilisation de l’oméprazole en association avec un autre ingrédient actif, comme un antibiotique, pour traiter l’infection à H. pylori. Au contraire, dans le cas de cette infection, l’expérience passée avait permis d’établir que la polythérapie était nécessaire pour obtenir un meilleur taux d’éradication de la bactérie. Par exemple, trois agents antibactériens, le bismuth, le métronidazole et la tétracycline, étaient utilisés en traitement d’association contre l’infection à H. pylori.

 

 

[32]           Il n’y a aucun doute que le problème d’interprétation du brevet 668 soulevé dans cette affaire aurait pu être évité par une ou deux phrases d’explication simples. Néanmoins, il demeure sujet à interprétation et j’accepte la position d’AstraZeneca, c’est‑à‑dire que le brevet ne se limite pas à l’utilisation de l’oméprazole en monothérapie. Il vise aussi l’utilisation de l’oméprazole comme agent antibactérien dans le traitement de l’infection à Hp, qu’il soit utilisé en association avec d’autres médicaments ou non. C’est l’usage prévu du médicament comme agent antibactérien qui est exposé dans le brevet et non pas le fait de savoir s’il sera utilisé seul ou en association. Le fait que la divulgation du brevet indique que l’oméprazole s’est révélé très efficace dans le traitement de l’infection à Hp ne mène pas logiquement à la conclusion que l’intention était de limiter la portée de l’invention à la monothérapie. J’accepte aussi que le brevet ne promet pas l’éradication et ne devrait pas être interprété comme s’il la promettait.

 

[33]           Sur ce point, le juge Konrad von Finckenstein semble confirmer mon point de vue dans Abbott Laboratories Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé), [2006] A.C.F. no 1766, 2006 CF 1411, affaire où se posait une question d'interprétation des brevets très semblable, qu'il a tranchée comme suit :

25        En ce qui concerne le point b), je ne peux trouver de restriction dans l'une ou l'autre des revendications, à savoir que le lansoprazole doit être utilisé seul. Selon l'arrêt Whirlpool, précité, tel que cité dans Biovail, précité :

 

La partie du mémoire descriptif dans laquelle figurent les revendications prévaut sur la partie dans laquelle la divulgation est effectuée, c'est‑à‑dire que l'on se servira de la divulgation pour comprendre le sens d'un mot utilisé dans les revendications « mais non pour élargir ou restreindre la portée de la revendication telle qu'elle [est] écrite et, ainsi, interprétée » (Whirlpool, par. 52 [61]).

 

26        Par conséquent, même s'il existait une restriction implicite ou explicite dans la divulgation, elle ne pourrait pas s'appliquer aux revendications. Dans bien des cas, les médicaments ne sont pas administrés à l'état pur, mais plutôt sous forme de mélange avec un excipient ou d'autres médicaments et, de ce fait, l'utilisation de tels médicaments serait grandement restreinte si on devait interpréter que la mention de l'utilisation d'un médicament signifie qu'il doit être utilisé seul. À moins que l'utilisation revendiquée ne comporte des termes comme « seul » ou « non mélangé avec d'autres composés », il serait erroné de supposer que la revendication comporte une telle restriction. [...]

 

 

Dans la mesure où elle reposait sur son interprétation suivant laquelle le brevet promettait l'éradication de Hp par l'utilisation de l'oméprazole en monothérapie, l'allégation d'inutilité formulée par Apotex doit aussi être rejetée.

 

Le brevet 668 – la question de l'antériorité

[34]           Concernant la question de l'antériorité, je suis d'avis d'adopter le critère défini par le juge Roger Hugues dans Janssen-Ortho Inc. c. Novopharm Ltd., [2006] A.C.F. no 1535, 2006 CF 1234, où il a appliqué comme suit l'arrêt Free World Trust, précité, de la Cour suprême du Canada : 

105     Dans l'arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, 2000 CSC 66, la Cour suprême du Canada a décrit le critère applicable en matière d'antériorité au Canada. Elle indique au paragraphe 26 :

 

... La question qui se pose sur le plan juridique est de savoir si cet article renferme suffisamment d'information pour permettre à une personne ayant des compétences et des connaissances moyennes dans le domaine de comprendre, sans avoir accès aux deux brevets, « la nature de l'invention et de la rendre utilisable en pratique, sans l'aide du génie inventif, mais uniquement grâce à une habileté d'ordre technique ». En d'autres mots, les renseignements donnés par Solov'eva étaient-ils, « en termes d'utilité pratique, les mêmes que ceux que donnent les brevets contestés »? ... ou, pour reprendre l'exposé mémorable fait dans General Tire & Rubber Co. c. Firestone Tyre & Rubber Co., [1972] R.P.C. 457 (C.A. Angl.), à la p. 486 :

 

Aussi clair qu'il soit, un poteau indicateur placé sur la voie menant à l'invention du breveté ne suffit pas. Il faut prouver clairement que l'inventeur préalable a pris possession de la destination précise en y laissant sa marque avant le breveté.

 

Il est donc difficile de satisfaire au critère applicable en matière d'antériorité :

 

Il faut en effet pouvoir s'en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l'invention revendiquée sans l'exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d'une clarté telle qu'une personne au fait de l'art qui en prend connaissance et s'y conforme arrivera infailliblement à l'invention revendiquée. (Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.), le juge Hugessen, à la p. 297)

 

106     La Chambre des lords a énoncé la question succinctement dans l'arrêt Synthon v. SmithKline Beecham PLC’s Patent, [2005] UKHL 59 au paragraphe 19 (Lexis), [2006] 1 All. E.R. 685, [2006] RPC 10, en déclarant que l'antériorité comporte deux exigences : la mise à la disposition des moyens nécessaires (« enablement ») et la divulgation.

 

107     De l'avis de la défenderesse, l'énoncé [TRADUCTION] « uniquement grâce à une habileté d'ordre technique » et l'extrait « production de l'invention revendiquée sans l'exercice de quelque génie inventif » signifient que si une personne ordinaire versée dans l'art pouvait appliquer à la publication les connaissances actuelles et les techniques courantes à jour et qu'il en résultait l'invention revendiquée, il y aurait antériorité. Il ne s'agit pas là de l'interprétation correcte du critère de l'antériorité formulé par la Cour suprême du Canada.

 

108     Le critère établi par la Cour suprême exige que l'inventeur préalable ait pris possession très précisément de l'invention revendiquée « en y laissant sa marque » et que les instructions contenues pour y parvenir soient d'une clarté telle qu'une personne ordinaire au fait de l'art arrivera infailliblement à l'invention revendiquée. Ni le brevet 840 ni la publication de Daiichi ne laissent une telle « marque » ni ne donnent de telles instructions. Il n'y a pas d'antériorité au regard de l'objet de la revendication 4 du brevet.

 

 

[35]           Dans son AA, Apotex soutient que chacune des revendications du brevet 668 est invalide pour cause d’antériorité. Pour appuyer cette allégation, elle s’appuie sur un résumé intitulé « Does Omeprazole, 40 mg o.m., Improve Antimicrobial Therapy Directed Towards Gastric Campylobacter pylori in Patients with Antral Gastritis? » ([traduction] L’oméprazole, à raison de 40 mg tous les matins, améliore‑t‑il le traitement antimicrobien de l’infection gastrique à Campylobacter pylori chez les patients atteints de gastrite antrale?) (le résumé de Unge), publié en novembre 1988, et sur la demande de brevet canadien 1330759 (la demande 759) déposée au Canada le 12 octobre 1988.

 

[36]           En ce qui concerne le résumé de Unge, Apotex soutient qu’il prévoyait l’utilisation de l’oméprazole, que ce soit seul ou en association avec d’autres antibactériens, dans le traitement de l’infection à Hp. Elle prétend également que la demande 759 prévoyait l’utilisation de l’oméprazole en traitement d’association contre l’infection à Hp. AstraZeneca conteste que le résumé de Unge ou la demande 759 constituaient des antériorités par rapport aux revendications du brevet 668. En ce qui concerne le résumé de Unge, elle affirme que la personne versée dans l’art n’aurait pas compris que l’oméprazole était utilisé par Unge comme agent antimicrobien dans le traitement de l’infection à Hp. Une telle personne aurait plutôt compris que Unge ne s’intéressait à l’oméprazole que pour ses propriétés anti‑acide.

 

[37]           AstraZeneca minimise aussi la valeur de l'étude dont Unge rend compte en la décrivant comme une petite étude pilote aux résultats dénués de portée ou non concluants.

 

[38]           AstraZeneca prétend de plus que le résumé de Unge ne divulguait rien au sujet de l’utilité de l’oméprazole en tant qu’agent antimicrobien et que, par conséquent, il ne renfermait pas assez d’information pour permettre à la personne versée dans l’art de comprendre l’invention.

 

[39]           En ce qui concerne la demande 759, AstraZeneca avance que l’AA d’Apotex est insuffisant pour que cette dernière annonce qu’elle entend s’appuyer sur le document de la demande de brevet 759 pour établir l’antériorité plutôt que sur le brevet 759 lui‑même. Elle affirme que cette distinction est importante parce que le brevet 759 a été publié en 1994, bien après la date d’antériorité pertinente en 1989, et qu’il ne peut donc pas être invoqué à titre d’antériorité. Pour ce qui est du contenu de la demande 759, AstraZeneca affirme que cette dernière ne constitue pas une antériorité par rapport aux revendications du brevet 668 parce qu’elle divulgue seulement l’usage de l’oméprazole en tant qu’inhibiteur de la sécrétion acide dans le traitement des ulcères et non pas des propriétés antimicrobiennes. L’utilisation de l’oméprazole en association avec d’autres médicaments pour le traitement de l’infection à Hp ne sera donc pas une conséquence inévitable du fait de suivre les enseignements de la demande 759.

 

Le résumé de Unge

[40]            Le résumé de Unge est assez bref et je le reproduis ci‑après :

[traduction]

L’oméprazole, à raison de 40 mg tous les matins, améliore‑t‑il le traitement antimicrobien de l’infection gastrique à Campylobacter pylori chez les patients atteints de gastrite antrale?

 

Les infections gastriques à Campylobacter pylori sont difficiles à éliminer par l’antibiothérapie. Cette petite étude pilote à double insu a été menée afin d’évaluer l’effet de l’amoxicilline combinée à une inhibition marquée de la sécrétion acide gastrique contre C. pylori et/ou les bactéries apparentées à Campylobacter (BAC). Chez les 24 patients qui ont participé à l’étude, C. pylori et/ou des BAC avaient été détectés en culture ou au moyen d’un examen histologique dans les deux semaines avant le début du traitement. Les patients, qui ont été répartis de façon aléatoire dans l’un des trois groupes suivants, ont été traités pendant 14 jours : groupe 1, oméprazole, 40 mg tous les matins, plus amoxicilline, 750 mg deux fois par jour (9 patients); groupe 2, oméprazole, 40 mg tous les matins (8 patients); groupe 3, amoxicilline, 750 mg deux fois par jour (7 patients). Une gastroscopie avec biopsie pour la culture et l’examen histologique a été pratiquée avant le début de l’étude, après 2 semaines de traitement et 4 semaines après la fin du traitement.

 

Immédiatement après le traitement, la culture et/ou l’examen histologique étaient négatifs chez 7 (7/8), 1 (1/8) et 5 (5/7) patients des groupes 1, 2 et 3, respectivement. Quatre semaines après la fin du traitement, 5 des 8 patients du groupe qui recevait de l’oméprazole et de l’amoxicilline en association ont de nouveau obtenu un résultat négatif à la culture et/ou à l’examen histologique. Par contre, dans le groupe ayant reçu de l’amoxicilline et celui ayant reçu de l’oméprazole, respectivement 1 (1/7) et 0 (0/8) patient, ont obtenu un résultat négatif. À l’exception d’un patient (groupe 1) qui a été exclu de l’étude le jour 5 en raison d’une diarrhée importante, seuls quelques inconvénients mineurs sont survenus. Il ressort de l’étude que l’antibiothérapie pourrait être améliorée par une inhibition efficace de la sécrétion acide gastrique. Il semble justifié de mener d’autres études plus poussées.

 

 

[41]           M. Hunt était d’avis que Unge utilisait, dans son expérience, l’oméprazole en tant que substance témoin et qu’il ne cherchait pas à évaluer son utilité en tant qu’agent antimicrobien. C’est sur ce point qu’il a cherché à établir une distinction avec les travaux de Unge. Son opinion à ce sujet est la suivante :

[traduction] L’objectif de l’étude était d’évaluer l’effet des deux médicaments combinés (oméprazole et amoxicilline). Les sujets des deux autres bras étaient des témoins, et Unge ne s’attendait pas à ce que l’oméprazole ait un quelconque effet dans le groupe auquel il a été administré.

 

 

[42]           Que Unge se soit attendu ou non au résultat qu’il a obtenu n’est pas, à mon avis, la question. Ce qui importe, c’est ce que Unge a découvert, et il a clairement découvert que l’oméprazole avait des propriétés antibactériennes lorsqu’il était utilisé seul chez des patients infectés par Hp. Les résultats de Unge ont établi que l’oméprazole, utilisé seul, avait un effet suppressif important sur Hp qui, selon l’affidavit de M. Hunt, correspondrait à sa définition d’un agent antimicrobien utilisé dans le traitement de l’infection à Hp. Au paragraphe 23 de son affidavit, M. Hunt décrit comme suit les revendications du brevet :

 

[traduction] 23.  Une personne versée dans l’art aurait compris que le terme « antimicrobien » désigne l’activité inhibitrice dirigée contre la bactérie, que ce soit une activité bactériostatique (qui inhibe la croissance) ou bactéricide (qui tue la bactérie). Un « agent antimicrobien » aurait donc été considéré comme un agent pouvant inhiber ou retarder la croissance ou la multiplication de la bactérie. Par conséquent, je suis d’accord avec l’interprétation d’Apotex selon laquelle le terme « traitement » utilisé dans les revendications du brevet 668 inclut la réduction des infections.

 

 

[43]           Il faut souligner que l’affidavit de M. Hunt s’attarde sur les résultats à long terme du traitement par l’oméprazole (après quatre semaines) obtenus par Unge, mais qu’il fait abstraction de l’évidente suppression à court terme de Hp qui résulte de ce traitement. Ces premiers résultats contredisent la conclusion de M. Hunt selon laquelle une personne versée dans l’art comprendrait, en lisant le résumé de Unge, que ce document ne s’intéresse qu’aux propriétés anti-acides de l’oméprazole.

 

[44]           Sur ce point, je préfère le témoignage du Dr Graham, résumé dans le passage suivant de son affidavit :

[traduction]

66.                    Comme il a déjà été dit, une personne versée dans l’art qui lirait et suivrait les directives présentées dans le résumé de Unge répéterait les travaux de Unge et, par conséquent, son schéma thérapeutique. Elle administrerait donc, en association, 750 mg d’amoxicilline (deux fois par jour) et 40 mg d’oméprazole (tous les matins) pendant 14 jours à des patients infectés par H. pylori. Après les 14 jours de traitement, la personne versée dans l’art examinerait le patient pour voir si l’infection à H. pylori est toujours présente. Elle examinerait de nouveau le patient 4 semaines plus tard.

 

67.                    En suivant ces directives, la personne versée dans l’art ferait inévitablement ce que le brevet 668 revendique de façon générale : l’utilisation de l’oméprazole (notamment dans le cadre d’une polythérapie) pour traiter les infections à H. pylori.

 

68.                    Par conséquent, si l’on interprète les revendications dans le sens de la polythérapie, le résumé de Unge constituerait une divulgation antérieure de chacune des revendications.

 

69.                    Bien que M. Hunt prétende que le brevet 668 se distingue du résumé de Unge en ce sens que les résultats de la mesure in vitro de la concentration minimale inhibitrice (la CMI) ont permis aux inventeurs d’élaborer une théorie relative au mode d’action de l’oméprazole contre l’infection à H. pylori, aux fins pratiques de la réalisation de l’invention revendiquée, une telle théorie n’ajoute rien aux directives ni aux résultats contenus dans le résumé de Unge, directives qui, lorsqu’elles sont suivies, se traduisent inévitablement par ce que les inventeurs revendiquent comme leur invention.

 

70.                    À mon sens, le résumé enseigne à la personne versée dans l’art que l’oméprazole a une action antimicrobienne directe ou indirecte contre H. pylori puisque Unge a observé une réduction transitoire de l’infection à H. pylori.

 

71.                    Bien que la CMI d’oméprazole contre H. pylori 8005 ne soit pas mesurée dans le résumé de Unge – la CMI a été mesurée par les inventeurs –, cette donnée in vitro n’a aucune conséquence pratique sur l’utilisation in vivo de l’oméprazole contre l’infection à H. pylori. Elle sert tout au plus à vérifier l’observation de Unge selon laquelle le traitement par l’oméprazole entraîne une réduction transitoire de l’infection. L’activité in vivo de l’oméprazole contre l’infection à H. pylori, lorsque le produit est utilisé conformément aux directives du brevet 668, avait déjà été divulguée par Unge. La mesure ultérieure de l’activité in vitro de l’oméprazole contre H. pylori 8005 n’a aucune incidence sur la manière dont l’invention revendiquée est utilisée.

 

72.                    Par ailleurs, au paragraphe 71 de son affidavit, M. Hunt reconnaît que les théories qui expliquent la façon ou la raison pour lesquelles l’oméprazole est efficace contre l’infection à H. pylori n’ont pas de conséquence pratique lorsqu’on suit les enseignements antérieurs décrivant l’utilisation de l’oméprazole dans le traitement d’une infection à H. pylori. M. Hunt affirme qu’après le dépôt de la demande de brevet 668, les opinions concernant la raison ou la façon dont l’oméprazole exerce son action contre H. pylori in vivo ont fait l’objet de débats, les uns étant d’avis que l’oméprazole avait une activité antibactérienne in vivo, et les autres, qu’il modifiait le milieu gastrique. Les théories étiologiques peuvent changer avec le temps, mais pas les applications pratiques des enseignements de l’état antérieur de la technique.

 

73.                    Par conséquent, d’après l’une ou l’autre des interprétations des revendications, le résumé de Unge constitue une antériorité par rapport à chacune des revendications du brevet 668.

 

 

Je suis, par conséquent, convaincu que le résumé de Unge constitue une antériorité par rapport aux revendications du brevet 668 selon lesquelles l’oméprazole possède des propriétés antibactériennes.

 

[45]           Cette conclusion est corroborée par la décision Astra Aktiebolag et a. c. Andrx Pharmaceuticals Inc. et al., 222 F. Supp. 2d 423 (S.D.N.Y. 2002), conf. par 84 Fed. App’x. 76 (Fed. Cir. 2003) (in  re Omeprazole litigation) (ci‑après Astra Aktiebolag) de la Cour de district des États‑Unis, rendue en 2002 aux termes d’un procès en contrefaçon de brevet de 52 jours à New York. L’une des questions relatives à la contrefaçon dans cette affaire était de savoir si le brevet américain 342 d’Astra Aktiebolag, qui revendiquait aussi l’utilisation de l’oméprazole comme agent antimicrobien dans le traitement de l’infection à Hp, se heurtait à une antériorité, à savoir l’étude de Unge. La Cour a conclu qu’il l’était. La décision portait sur l’argument invoqué en l’espèce par AstraZeneca voulant que Unge était intéressé par les effets antisécrétoires de l’oméprazole et non pas par son utilité potentielle en tant qu’agent antimicrobien. Cet argument a été à juste titre rejeté dans le passage suivant :

[traduction]… Bien que M. Czinn ait beaucoup insisté pour dire que M. Unge n’était intéressé que par les effets de l’oméprazole sur la sécrétion acide (voir, p. ex. Czinn Tr. 6065:14‑18, 6066:25‑6067:5), il n’a pas expliqué pourquoi M. Unge, si c’est ce qui l’intéressait, n’a jamais évalué l’efficacité de l’oméprazole en tant qu’inhibiteur de la sécrétion acide, mais n’a plutôt évalué que ses effets sur l’infection à H. pylori des patients du groupe 2.

 

 

[46]           En l’espèce, AstraZeneca n’a pas invoqué l’argument non fondé soulevé dans Astra Aktiebolag selon lequel Unge avait utilisé l’oméprazole en tant que placebo. Il est clair que l’oméprazole n’est pas une substance inerte et n’aurait jamais pu raisonnablement être considéré comme un placebo à des fins expérimentales. AstraZeneca affirme cependant que Unge utilisait l’oméprazole comme substance témoin pour comparer l’efficacité du traitement d’association. C’est peut‑être vrai, mais cela n’enlève rien au fait que Unge utilisait l’oméprazole seul pour le traitement de l’infection à Hp et a découvert que ce produit avait un effet suppressif. Les découvertes du brevet 668 n’ajoutent rien d’important à ce que Unge avait déjà établi au sujet de l’utilité potentielle de l’oméprazole en tant qu’agent antimicrobien, particulièrement en traitement d’association.

 

[47]           Dans la décision Astra Aktiebolag, précitée, la Cour a conclu sa décision sur la question de l’antériorité dans le passage suivant :

[traduction]… Dans le traitement décrit dans le résumé de Unge, il ne fait aucun doute que tous les médicaments sont utilisés pour le traitement de l’infection à H. pylori. La question de savoir si l’hypothèse de Unge était que l’oméprazole pourrait traiter l’infection à H. pylori ou faciliter le traitement grâce à son effet sur la biodisponibilité de l’antibiotique découlant de son pouvoir d’inhibition de la sécrétion acide n’est pas pertinente. Unge traitait l’infection à H. pylori, et la divulgation du traitement du groupe 2 dans son résumé démontre l’action antimicrobienne de l’oméprazole même. Pour ces motifs, la Cour déclare que les défenderesses ont prouvé, au moyen d’une preuve claire et convaincante, que la revendication 1 du brevet 342 est invalide pour cause d’antériorité.

 

 

[48]           Même si je ne suis pas contraint de suivre la décision Astra Aktiebolag, précitée, le raisonnement qui y est formulé sur la question de l'antériorité me paraît convaincant et de nature à étayer solidement mon propre point de vue.

 

La demande du brevet 759

[49]           Pour ce qui concerne la question préliminaire du caractère suffisant de l'AA d'Apotex, AstraZeneca soutient que celui‑ci invoquait le brevet 759, et non la demande de ce brevet, comme antériorité, et que, n'ayant été publié qu'en 1994, ce brevet n'est pas opposable. Cet argument d'AstraZeneca n’est pas fondé. L'AA indique très clairement que c'est bien la demande du brevet 759 qu'Apotex invoque comme antériorité :

[TRADUCTION] Le brevet 759 a été déposé au Canada le 12 octobre 1988 sous la forme de la demande no 580114. Cette date de dépôt est antérieure à la date de la revendication du brevet 668 (le 9 février 1989). Le brevet 759 cite comme déposants de la demande de celui‑ci Exomed Australia Pty. Ltd, Ostapat Pty Limited, Gastro Services Pty Limited et Capability Services Pty. Limited.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

 

Ce passage ne pouvait laisser aucun doute à AstraZeneca sur le document invoqué, de sorte que l'AA lui permettait « de bien comprendre la preuve [qu'elle avait] à réfuter » sur cette question; voir Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc. et al. (2006), 46 C.P.R. (4th) 401 (C.A.F.), au paragraphe 14.

 

[50]           AstraZeneca affirme en outre que la demande 759 n’est pas une antériorité parce qu’elle ne décrit pas l’utilisation d’agents antisécrétoires tel que l’oméprazole dans un traitement d’association pour d’autre raison que son effet tampon. Comme la demande 759 n’attribue aucune utilité antimicrobienne à l’oméprazole, elle n’est pas une antériorité.

 

[51]            Le problème en ce qui concerne la position d’AstraZeneca sur cette question est que la demande 759 proposait l’utilisation de l’oméprazole comme complément efficace au traitement de l’infection à Hp par des antibiotiques. L’état antérieur de la technique reconnaissait donc l’oméprazole comme un médicament utilisé dans un traitement synergique de l’infection à Hp, et sa présumée action antimicrobienne était inhérente dans cette utilisation. Si la position d’AstraZeneca était correcte, Apotex ne pourrait pas utiliser l’oméprazole en traitement d’association contre l’infection à Hp en raison de son utilité évidente et antérieurement connue comme inhibiteur de la sécrétion acide, conformément aux enseignements de la demande 759, parce qu’elle contreferait inévitablement au brevet 668.

 

[52]           Sur cette question, je souscris entièrement au mémoire du droit d’Apotex, où cette dernière affirme que :

[traduction] Lorsque le mode d’action est inhérent, il n’est pas pertinent de savoir s’il était divulgué de façon précise dans l’état antérieur de la technique.

 

 

Cette même question est abordée de façon convaincante dans l’affidavit du Dr Graham, où il est écrit :

[traduction]   81.            En pratique, pour appliquer les directives du brevet 759 qui concernent l’utilisation de l’oméprazole en polythérapie contre l’infection à H. pylori, un hypothétique lecteur versé dans l’art sans imagination n’a pas besoin de savoir comment ni pourquoi le traitement fonctionne pour l’appliquer lorsqu’on lui dit que ce traitement est utile contre cette infection. Le fait de savoir que l’oméprazole possède une action antimicrobienne contre H. pylori in vitro n’a aucune conséquence pratique s’il suit les directives du brevet 759 ou du brevet 668 afin d’utiliser l’oméprazole en polythérapie contre l’infection à H. pylori. Cela ne changera rien au but du traitement ni à la façon dont le traitement fonctionne ou sera administré. Ainsi, le brevet 759 « donne des directives qui ne conduisent qu’au résultat revendiqué »; « donne des directives claires et explicites »; et « donne des renseignements qui, à toutes fins pratiques, valent ceux que donnent le brevet en cause. »

 

 

[53]           Ce qu’enseigne la demande 759 est précisément la forme de traitement qu’Apotex propose maintenant d’utiliser, et on ne peut empêcher cet usage proposé simplement parce qu’AstraZeneca a identifié une propriété auparavant inconnue d’un des constituants du médicament. Bref, aucun usage nouveau de l’oméprazole n’est proposé dans le brevet 668 autre que l’usage déjà reconnu. Si l’oméprazole était réellement un excellent agent antimicrobien, on peut présumer qu’il serait utilisé seul pour cet effet, mais même M. Hunt a admis qu’aucun clinicien rationnel ne l’utiliserait de cette façon. Sa véritable utilité était et demeure son pouvoir d’inhibition de la sécrétion acide, qui augmente les effets des antibiotiques administrés en concomitance. AstraZeneca entend probablement continuer d’utiliser l’oméprazole de la façon habituelle pour ses effets thérapeutiques bien connus dans les cas d’infection à Hp, mais elle ne peut pas élargir son monopole en faisant maintenant valoir l’utilité douteuse de l’oméprazole en tant qu’agent antimicrobien. À mon sens, le brevet 668 est un cas classique de renouvellement à perpétuité et est invalide.

 

Les revendications du brevet 762

[54]           Le brevet 762 est intitulé « Association synergique d’une substance ayant pour effet d’inhiber la sécrétion d’acide gastrique et d’un antibiotique dégradable en milieu acide ». L’abrégé du brevet décrit l’invention comme suit :

[traduction] L’invention consiste en l’association d’une substance qui augmente le pH intragastrique et d’un composé antibactérien dégradable en milieu acide. Cette association de produits permettra d’obtenir un effet antibactérien local maximal des antibiotiques dégradables en milieu acide et d’augmenter la biodisponibilité de l’antibiotique actif, ce qui entraînera une augmentation de la quantité de composé actif dans la muqueuse gastrique à cause de la sécrétion de bases faibles. Les deux effets pharmacologiques aident à augmenter de façon draconienne l’action antimicrobienne des antibiotiques dégradables en milieu acide qui seront utilisés pour traiter les infections locales du tube digestif à l’origine d’une gastrite et/ou d’un ulcère gastro‑duodénal. L’invention vise aussi l’utilisation dudit produit d’association et un procédé de préparation de ce produit.

 

[Non souligné dans l’original]

 

 

[55]            Dans l’analyse de l’état antérieur de la technique pertinent, le brevet reconnaît ce qui suit :

[traduction] Les inhibiteurs de la pompe à protons (p. ex. l’oméprazole et ses sels pharmaceutiquement acceptables), qui sont utilisés conformément à l’invention, sont des composés connus (p. ex. EP 5129 et EP 124495) et peuvent être produits au moyen de procédés connus. Le brevet américain 5093342 indique également que l’oméprazole peut être utilisé dans le traitement des infections à Helicobacter. De plus, il a déjà été proposé dans WO 92/04898 d’utiliser un antibiotique précis, l’amoxicilline, qui est stable dans l’acide gastrique, en association avec le pantoprazole dans le traitement des ulcères duodénaux. Aucune donnée précise sur des tests n’est incluse dans ce document. De plus, la demanderesse a déjà décrit l’utilisation de l’amoxicilline en association avec l’oméprazole dans le traitement des ulcères duodénaux.

 

La revue Science, numéro du 22 mars 1946, p. 359 à 361, a révélé que, lorsque des pénicillines dégradables en milieu acide sont administrées par voie orale, elles sont détruites par le contenu acide de l’estomac.

 

De plus, la revue Eur. J. Clin. Microbiol. Infect. Dis, numéro d’août 1988, p. 566 à 569, a révélé que certains antibiotiques dégradables en milieu acide étaient actifs in vitro contre Helicobacter pylori.

 

 

[56]           La découverte « inattendue » des inventeurs était prétendument que l’usage combiné de composés inhibiteurs de la sécrétion acide, tel l’oméprazole, et d’un antibiotique dégradable en milieu acide entraînait une augmentation de la biodisponibilité de l’antibiotique.

 

[57]           Les parties s’entendent pour dire que seules les revendications 68 à 77 du brevet 762 sont en litige en l’espèce. Ces revendications concernent la question de la biodisponibilité accrue d’antibiotiques dégradables en milieu acide lorsqu’ils sont utilisés en association avec un inhibiteur des récepteurs H2 de l’histamine ou un inhibiteur de la pompe à protons (les deux étant des inhibiteurs de la sécrétion acide). Ces revendications sont rédigées comme suit :

[traduction]

68.       L’utilisation d’un inhibiteur des récepteurs H2 de l’histamine ou d’un inhibiteur de la pompe à protons pour accroître la biodisponibilité d’un composé antibactérien dégradable en milieu acide.

 

69.       L’utilisation, conformément à la revendication 68, de l’oméprazole ou d’un sel pharmaceutiquement acceptable de l’oméprazole.

 

70.       L’utilisation, conformément à la revendication 68, du lansoprazole ou d’un sel pharmaceutiquement acceptable du lansoprazole.

 

71.       L’utilisation conforme aux revendications 68, 69 ou 70 pour l’augmentation de la biodisponibilité d’un antibiotique faiblement basique.

 

72.       L’utilisation conforme aux revendications 68, 69 ou 70 pour l’augmentation de la biodisponibilité d’un microlide.

 

73.       L’utilisation conforme aux revendications 68, 69 ou 70 pour l’augmentation de la biodisponibilité d’une pénicilline.

 

74.              L’utilisation conforme aux revendications 68, 69 ou 70 pour l’augmentation de la biodisponibilité de la benzylpénicilline.

 

75.       L’utilisation conforme aux revendications 68, 69 ou 70 pour l’augmentation de la biodisponibilité de l’érythromycine.

 

76.       L’utilisation conforme aux revendications 68, 69 ou 70 pour l’augmentation de la biodisponibilité de la clarithromycine.

 

77.       L’utilisation de l’oméprazole pour accroître la biodisponibilité de l’érythromycine.

 

 

[58]           Apotex affirme que son schéma thérapeutique proposé associera l’oméprazole (inhibiteur de la pompe à protons), la clarithromycine (antibiotique dégradable en milieu acide ) et soit l’amoxicilline soit le métronidazole (aucun n’étant un antibiotique dégradable en milieu acide). Ainsi, à ses dires, seules les revendications 68, 69, 71, 72 et 76 pourraient être contrefaites par le produit médicamenteux qu’elle propose.

 

[59]           L’AA d’Apotex conteste la validité du brevet 762 pour cause d’antériorité, d’évidence, d’ambiguïté, de déclaration inexacte, de déclaration trompeuse et d’omission de divulguer. Il va sans dire qu’AstraZeneca conteste toutes les affirmations d’Apotex à l’égard de l’invalidité.

 

[60]           En ce qui concerne la question de l’antériorité, Apotex s’appuie sur deux publications de l’état antérieur de la technique, la première étant un résumé rédigé par Petrino et coll. ayant pour titre « Omeprazole and Clarithromycine, Treatment of Helicobacter pylori Associated Duodenal Ulcer » (Petrino) et le deuxième, une lettre de Logan et coll. publiée le 25 juillet 1992 dans The Lancet intitulée « Clarithromycine and Omeprazole for Helicobacter pylori » (Logan).

 

La lettre de Logan peut-elle être invoquée comme antériorité?

[61]           Comme la lettre de Logan a été publiée entre deux dates de dépôt potentiellement pertinentes pour le brevet 762, il convient de trancher la question préliminaire de savoir laquelle de ces dates de dépôt est effective avant d'établir si cette lettre peut être invoquée comme antériorité. Selon Apotex, la date de dépôt effective est le 8 juin 1993, de sorte que la lettre de Logan peut être invoquée. AstraZeneca affirme quant à elle que la date de dépôt effective est le 24 avril 1992 et que, par conséquent, cette lettre ne peut pas être invoquée. La lettre de Logan est potentiellement importante parce qu'elle divulguait les résultats d'un essai clinique comportant l'association de l'oméprazole et de la clarithromycine pour le traitement des infections à Hp

 

[62]           Sur ce point, Apotex invoque l'article 28.1 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4, qui établit la présomption que la date de la revendication d'une demande de brevet est la date de dépôt au Canada, à moins que l'objet défini par la revendication n'ait été divulgué antérieurement. Le juge Hugues a conclu dans G. D. Searle & Co. c. Novopharm Limited, [2007] A.C.F. no 120, 2007 CF 81, que la demande prioritaire doit divulguer « la même invention que celle revendiquée dans le brevet en fin de compte délivré »[1]. AstraZeneca fait valoir de son côté que l'« objet » de son brevet pouvait raisonnablement être inféré de la première demande de priorité déposée en Suède le 24 avril 1992, de sorte que la même invention avait été divulguée.

 

[63]           La question précise est de savoir si la première demande de priorité suédoise divulguait l’utilisation de l’oméprazole et de la clarithromycine comme traitement d’association. Si ce n’est pas le cas, la lettre de Logan peut clairement être invoquée à titre d’antériorité.

 

[64]           La première demande de priorité suédoise ne renferme aucune mention précise de la clarithromycine. Elle indique plutôt que [traduction] « l’antibiotique utilisé dans l’association est un antibiotique à spectre très étroit tel que la benzylpénicilline ou un antimicrobien faiblement basique tel que l’érythromycine ». Il convient de noter que la deuxième demande de priorité suédoise mentionne de façon très explicite la clarithromycine, tant dans l’exposé de l’invention qu’à la revendication 7.

 

[65]           Il est donc nécessaire de déterminer si le libellé de la première demande de priorité suédoise était suffisant pour qu’il soit possible d’inférer qu’il incluait la clarithromycine. Selon moi, il ne l’était pas.

 

[66]           L’enseignement du brevet en cause est l’utilisation d’un inhibiteur de la sécrétion acide avec un antibiotique dégradable en milieu acide. L’érythromycine, qui est expressément mentionnée dans la première demande de priorité suédoise, est plus instable en milieu acide que la clarithromycine. J’accepte l’argument d’Apotex qu’en mentionnant l’érythromycine comme exemple d’antibiotique, il ne s’ensuit pas de façon évidente qu’il était prévu d’inclure un antibiotique plus stable en milieu acide (tel que la clarithromycine) dans la revendication du brevet. Le fait que les inventeurs aient expressément inclus la clarithromycine dans la deuxième demande de priorité suédoise vient appuyer cette interprétation; autrement, cette mention dans la deuxième demande ne serait qu’une redondance.

 

[67]           Bien qu’Apotex ait présenté en preuve des avis d’experts sur cette question d’interprétation, je ne suis pas disposé à en tenir compte parce que ces avis se fondent sur une analyse grammaticale. Il s’agit là d’une tâche que la Cour est parfaitement en mesure de mener sans recourir à l’avis d’experts. Je crois cependant significatif le fait que l’avocat d’Apotex n’ait pas pu interroger Mme Piquette-Miller, témoin expert d’AstraZeneca, sur les questions d’interprétation qui avaient un aspect scientifique. Je ne trouve aucune raison valable dans la transcription qui explique le refus de répondre, et j’en conclus donc que les réponses de Mme Piquette‑Miller sur cette question auraient été défavorables à AstraZeneca.

 

[68]           Pour les motifs susmentionnés, j’accepte l’argument d’Apotex selon lequel la date de dépôt pertinente est celle de la deuxième demande de priorité suédoise et que, par conséquent, la lettre de Logan peut être invoquée à titre d’antériorité.

 

Qu’est‑ce que la « biodisponibilité »?

[69]           Maintenant que nous avons établi que la lettre de Logan pouvait être invoquée, il nous faut déterminer si cet article et le résumé de Petrino constituent des antériorités par rapport au brevet 762. Toutefois, avant de nous lancer dans cet exercice, il est nécessaire de résoudre une question d’interprétation, soit la signification du mot « biodisponibilité » utilisé dans le brevet. AstraZeneca soutient que le mot était utilisé par les inventeurs dans un sens étroit, celui de l’augmentation de la concentration sanguine de l’antibiotique de référence. Apotex affirme qu’il désigne une augmentation de la concentration de l’antibiotique n’importe où dans le corps (particulièrement au lieu d’action, dans la muqueuse gastrique). On peut affirmer que cette question est importante parce que certaines publications de l’état antérieur de la technique qui concernent les questions d’antériorité et d’évidence font mention, du moins implicitement, d’effets sur la biodisponibilité. Il faut donc évaluer l’équivalence de ces mentions par rapport au libellé du brevet.

 

[70]           Mme Piquette‑Miller, experte témoignant pour AstraZeneca, a offert une définition de la biodisponibilité dans son affidavit.

 

[71]           Mme Piquette‑Miller est professeure agrégée de pharmacocinétique à l’Université de Toronto et mène des recherches en pharmacocinétique et en pharmacologie moléculaire. En 1994, elle a obtenu un doctorat en sciences pharmaceutiques (pharmacocinétique). La pharmacocinétique est l’étude de l’absorption, de la distribution, du métabolisme et de l’excrétion des composés chimiques dans le corps humain. Mme Piquette‑Miller n’est pas médecin et, au moment de son témoignage, elle n’avait pas travaillé avec l’oméprazole.

 

[72]           AstraZeneca a demandé à Mme Piquette‑Miller de revoir les revendications 68 à 77 du brevet 762 et de répondre aux trois questions suivantes :

a)                  si les revendications 68 à 77 auraient été comprises par la personne versée dans l’art comme visant l’utilisation d’un inhibiteur de la sécrétion acide gastrique, tel l’oméprazole, pour accroître la concentration sanguine (biodisponibilité) d’un composé antibactérien dégradable en milieu acide;

b)                  si les documents sur lesquels s’appuie Apotex ne seraient pas compris par la personne versée dans l’art comme des documents qui enseignent comment utiliser un inhibiteur de la sécrétion acide gastrique, tel l’oméprazole, pour accroître la biodisponibilité d’un composé antibactérien dégradable en milieu acide;

c)                  si la personne versée dans l’art n’aurait pas appris, directement et sans difficulté, à utiliser un inhibiteur de la sécrétion acide gastrique, tel l’oméprazole, pour accroître la biodisponibilité d’un composé antibactérien dégradable en milieu acide.

 

[73]           Mme Piquette‑Miller a défini la biodisponibilité comme étant la vitesse et le degré auxquels un médicament pénètre dans la circulation sanguine, de sorte qu’un accroissement de la biodisponibilité est généralement décrit comme étant une augmentation de la quantité du médicament dans le sang du patient mesurée dans le temps. Elle a toutefois affirmé que la biodisponibilité n’entraînait pas d’augmentation de l’effet local du médicament. Elle a aussi émis l’avis que la biodisponibilité d’un composé après administration orale pouvait être difficile à prévoir parce qu’elle peut être influencée par un certain nombre de variables. Par exemple, l’association de composés visant à obtenir des effets locaux ou des synergies pharmaceutiques et à les accroître peut en fait entraîner une diminution de la biodisponibilité à cause de l’interaction des composés. En conséquence, on ne peut pas présumer que l’efficacité accrue d’une telle association se traduit nécessairement par un accroissement de la biodisponibilité. Mme Piquette‑Miller a formulé la conclusion suivante concernant la portée des revendications du brevet en litige aux paragraphes 29 et 30 de son affidavit :

[traduction]

29.       À mon avis, en date du 11 novembre 1993, la personne versée dans l’art aurait compris que les revendications 68 à 77 visaient l’utilisation d’un inhibiteur de la sécrétion acide gastrique, tel que l’oméprazole, pour augmenter les concentrations sanguines de l’antibiotique mentionné. Les revendications concernent expressément l’accroissement de la biodisponibilité et n’auraient pas été interprétées comme pouvant entraîner les effets décrits ci‑dessus, soit un effet local accru [en (i)] ou une efficacité accrue de l’antibiotique (en (iii)), distincts de ceux qui pourraient être attribués à la biodisponibilité accrue.

 

30.       En effet, selon moi, une personne versée dans l’art aurait compris que le brevet 762 divulguait une nouvelle découverte, soit que l’utilisation d’un inhibiteur de la sécrétion acide gastrique pour élever le pH gastrique augmente la quantité d’antibiotique disponible pour absorption dans la circulation générale. La biodisponibilité de l’antibiotique est donc accrue, ce qui entraîne des avantages liés à l’optimisation du traitement. Le brevet revendique donc un tel usage (revendications 68 à 77) et une association optimisée pour le traitement de la gastrite et de l’ulcère gastro‑duodénal, y compris ceux qui sont causés par l’infection à H. pylori.

 

[Non souligné dans l’original]

 

[74]           M. Mayersohn a présenté des éléments de preuve au nom d’Apotex. À son avis, le terme « biodisponibilité » désigne la vitesse et le degré auxquels un médicament devient disponible au lieu d’action. Il a souligné que les médicaments n’atteignent pas tous le lieu d’action par la circulation sanguine, bien que la concentration sanguine soit souvent utilisée comme une variable de substitution pour la mesure de la biodisponibilité. Il a aussi affirmé qu’une personne versée dans l’art saurait que les antibiotiques administrés par voie orale ont des effets locaux et généraux. Au paragraphe 26 de son affidavit, il étaye cette interprétation plus large en se servant du libellé du brevet 762 :

[traduction] En réduisant l’acidité dans l’estomac, il est possible d’accroître de façon marquée la biodisponibilité des antibiotiques dégradables en milieu acide, ce qui se traduit par une plus forte dose de composé disponible pour l’action antibactérienne locale et l’absorption.

 

 

[75]           Dans son affidavit, le Dr Graham a abordé la question de la biodisponibilité en des termes semblables à ceux de M. Mayersohn. Les paragraphes de son affidavit sur cette question sont les suivants :

[traduction]

142.     Le terme « biodisponibilité », tel qu’il figure aux revendications 68 à 77 du brevet 762, serait compris par la personne versée dans l’art comme étant le degré auquel un médicament (dans le cas présent l’antibiotique) devient disponible au lieu d’action physiologique (dans le cas présent, la paroi de l’estomac, où H. pylori vit) après l’administration. Dans le contexte des revendications du brevet 762, dans lequel l’antibiotique a une action topique ou locale aussi bien qu’une action générale, le terme « biodisponibilité » ne se limite pas au degré auquel un médicament (dans le cas présent l’antibiotique) est absorbé dans le sang.

 

143.     Le brevet décrit trois mécanismes par lesquels la disponibilité de l’antibiotique augmente au site actif : (i) un effet local résultant d’une diminution de la dégradation de l’antibiotique dans l’estomac; (ii) l’absorption accrue dans le sang par suite de la diminution de la dégradation, ce qui implique une libération accrue de l’antibiotique au niveau de la paroi de l’estomac; et (iii) dans le cas des antibiotiques faiblement basiques, l’augmentation du transport desdits antibiotiques vers la muqueuse gastrique, ce qui permet leur accumulation à ce site. On peut lire ce qui suit à la page 4b, ligne 12 :

 

En réduisant l’acidité dans l’estomac, il est possible d’accroître de façon marquée la biodisponibilité des antibiotiques dégradables en milieu acide, ce qui se traduit par une plus forte dose de composé disponible pour l’action antibactérienne locale et l’absorption.

 

 À la page 7, ligne 8 :

 

… Les fortes concentrations plasmatiques des antibiotiques après la réduction de la sécrétion acide gastrique témoignent d’une réduction importante de la dégradation dans l’estomac des antibiotiques utilisés. Il en découle une hausse de la quantité d’antibiotique actif dans la cavité gastrique et, par conséquent, une action antimicrobienne locale accrue. Il en résulte également une hausse de la quantité d’antibiotique disponible pour l’absorption et, par conséquent, une concentration plasmatique et tissulaire accrue de l’antibiotique (biodisponibilité accrue)…

 

À la page 21, troisième paragraphe :

 

La diminution de la sécrétion acide gastrique ou la neutralisation de l’acide dans l’estomac élèvent le pH. Comme le milieu est moins acide, l’antibiotique dégradable en milieu acide administré par voie orale sera moins catabolisé et exercera donc davantage son action antimicrobienne locale. Un autre avantage est qu’une plus grande quantité de l’antibiotique passera dans le petit intestin, où il sera absorbé sous une forme biologiquement active.

 

À la page 4b, ligne 18 :

 

… En raison des propriétés physico‑chimiques généralement connues des bases faibles, comme l’oméprazole, le choix de bases faibles (p. ex. l’érythromycine) favorise une plus grande accumulation de l’antibiotique dans la paroi de l’estomac et les cryptes gastriques où les microbes [sic], c’est‑à‑dire Helicobacter pylori, vit.

 

À la page 21, dernier paragraphe :

 

Ces antibiotiques faiblement basiques (p. ex. les macrolides) seront excrétés par la paroi gastrique à cause de leurs propriétés physico‑chimiques semblables à celles d’autres bases faibles connues, c.‑à‑d. la nicotine, l’aminopurine et l’oméprazole (Larsson et al., Scand. J. Gastroenterol., 1983, 85‑900‑7). Par conséquent, l’antibiotique faiblement basique sera biologiquement concentré dans la paroi de l’estomac, où les bactéries (p. ex. Helicobacter pylori) vivent.

 

144.     En conséquence, à mon avis, les revendications 68 à 77 du brevet 762, qui revendiquent l’utilisation d’un agent réducteur d’acide pour augmenter la biodisponibilité des antibiotiques dégradables en milieu acide, seraient comprises comme visant l’utilisation d’un agent inhibiteur de la sécrétion acide pour augmenter la disponibilité desdits antibiotiques au lieu d’action physiologique (dans ce cas, la paroi de l’estomac, où H. pylori vit) après l’administration. Les revendications viseraient tout moyen par lequel la disponibilité de l’antibiotique serait accrue au niveau de ce site.

 

 

[76]           Malgré un contre‑témoignage poussé tant de M. Mayersohn que de Mme Piquette‑Miller sur le fait que les définitions de la biodisponibilité mentionnées dans la littérature médicale différaient de leur propre utilisation de ce terme, l’impression qui est demeurée est que le sens du mot dépend beaucoup du contexte dans lequel il est utilisé. Autrement dit, le milieu médical et scientifique n’a pas adopté de définition universelle du terme.

 

[77]           Sur cette question, je souscris aux opinions de M. Mayersohn et du Dr Graham. La divulgation du brevet ne vise pas à limiter la portée de la revendication à la biodisponibilité accrue sous l’angle de la concentration générale ou sanguine de l’antibiotique. En effet, le document semble indiquer que le terme est utilisé dans le sens de l’augmentation de la concentration de l’antibiotique au lieu d’action (paroi de l’estomac). C’est évident d’après les passages cités par M. Mayersohn et le Dr Graham dans leur affidavit respectif, comme nous l’avons vu. Il est très clair que le brevet n’établit pas d’équivalence entre la biodisponibilité accrue et la seule augmentation de la concentration plasmatique. Dans la divulgation du brevet, les inventeurs font expressément mention de la concentration plasmatique plus élevée de l’antibiotique, ce qui laisse croire qu’ils utilisent le terme « biodisponibilité » dans un sens différent et plus large.

 

[78]           Étant donné que Mme Piquette‑Miller a reconnu que le terme « biodisponibilité » avait plus d’un sens accepté, et en l’absence de précision dans les revendications du brevet, je partage l’avis d’Apotex selon lequel le terme doit être interprété dans son sens le plus large, c’est‑à‑dire qui inclut la concentration accrue de l’antibiotique au lieu d’action ainsi que dans la circulation sanguine du patient. Si les inventeurs avaient à l’esprit un sens plus restrictif que celui qui est souvent utilisé dans le milieu médical, ils auraient dû le mentionner et on peut présumer qu’ils l’auraient fait.

 

[79]           Par ailleurs, je ne suis pas d’accord avec les affirmations de Mme Piquette‑Miller selon lesquelles la biodisponibilité devrait être définie par la façon dont les concentrations de médicaments sont généralement mesurées. Le fait que la concentration d’un médicament est le plus souvent mesurée par un test sanguin montre simplement que la mesure au lieu d’action est beaucoup plus difficile. On ne peut logiquement en conclure que la hausse de la concentration de l’antibiotique pourrait ne pas survenir ailleurs dans le corps. En effet, Mme Piquette‑Miller a reconnu que [traduction] « nous devons mesurer quelque chose » pour déterminer la biodisponibilité et que le test sanguin est une « méthode de remplacement » pour évaluer la biodisponibilité d’un médicament. Une telle admission va à l’encontre de son interprétation étroite du terme « biodisponibilité ».

 

Le brevet 762 – la question de l’antériorité

[80]           Je vais maintenant me pencher sur les publications de l’état antérieur de la technique sur lesquelles s’appuie Apotex. La lettre de Logan avait antérieurement décrit une expérience menée auprès de 25 patients infectés par Hp qui avaient chacun reçu un traitement d’association par l’oméprazole et la clarithromycine. L’expérience s’est traduite par un taux d’éradication de Hp de 80 %. Les auteurs ont ensuite formulé l’hypothèse que le traitement était efficace pour les raisons suivantes :

[traduction] L’oméprazole, inhibiteur de la pompe à protons, a été proposé comme produit complémentaire convenable dans le traitement de l’infection à H. pylori parce qu’il élimine directement H. pylori et pourrait augmenter l’action antibactérienne d’un antibiotique (p. ex. l’amoxicilline) en abaissant le pH gastrique vers son pK ou en augmentant la concentration dans la muqueuse gastrique.

 

[Non souligné dans l’original]

 

 

L’article s’est terminé par la recommandation suivante :

[traduction] Ces résultats laissent croire que de nouveaux schémas thérapeutiques associant deux médicaments autres que le bismuth et le métronidazole pourraient permettre d’éradiquer H. pylori. D’autres études seront nécessaires pour optimiser les doses et la durée d’administration de la clarithromycine en association avec un antisécrétoire adéquat.

 

 

[81]           Le résumé de Petrino n’a pas abordé la question de la biodisponibilité accrue, mais il a reconnu qu’un traitement par l’oméprazole et la clarithromycine pourrait être efficace et bien toléré et prévoyait clairement l’utilisation de ce traitement d’association contre l’infection à Hp.

 

[82]            AstraZeneca prétend que ni Logan ni Petrino ne constituaient des antériorités en ce qui concerne l’accroissement de la biodisponibilité de la clarithromycine par l’oméprazole, ce qui était l’aspect principal de l’invention revendiquée dans le brevet 762. Apotex affirme que Logan a bel et bien prévu l’accroissement de la biodisponibilité de la clarithromycine, affirmation qui s’appuie sur le segment de phrase [traduction] « augmente la concentration [de l’antibiotique] dans la muqueuse gastrique ». À titre subsidiaire, elle soutient que l’antériorité a été établie dès que Logan et Petrino ont découvert l’effet synergique découlant de l’utilisation en association de ces deux médicaments, et ce, quels qu’en soient les mécanismes. Il s’agit d’un effet inhérent et inévitable de l’utilisation des médicaments en association, et, par conséquent, quiconque suivrait les enseignements de l’état antérieur de la technique pour traiter l’infection à Hp contreferait nécessairement le brevet 762.

 

[83]           Les témoins experts semblent tous d’accord pour dire que les articles de Logan et de Petrino constituaient des antériorités en ce qui concerne l’utilité de la synergie découlant de l’association de l’oméprazole et de la clarithromycine ainsi que le caractère inhérent et inévitable des effets revendiqués de cette association sur la biodisponibilité. Ces points sont abordés de façon convaincante dans les affidavits du Dr Graham et de M. Mayersohn et n’ont pas été sérieusement contestés par l’experte d’AstraZeneca, Mme Piquette‑Miller. Celle‑ci a pour l’essentiel accepté ces points dans les passages suivants de son témoignage, alors qu’elle répondait à des questions sur les enseignements de l’état antérieur de la technique :

[traduction]

Q.        …Le brevet indique qu’avec toute association de ce genre, et vous m’avez dit qu’il s’agit d’une telle association, la biodisponibilité de l’antibiotique sera accrue. Est‑ce exact?

 

R.        Oui.

 

Q.        Il s’agit d’une telle association; donc, avec cette association, la biodisponibilité de l’antibiotique était par définition accrue. Est‑ce exact?

 

R.        C’est ce que je crois. Je m’attendrais à ce que la biodisponibilité ait été accrue.

 

Q.        Vous ne seriez pas la seule à vous attendre à cela.

 

R.        Le brevet --

 

Q.        À moins que le brevet ne soit invalide, il doit y avoir eu accroissement, étant donné qu’il s’agit de la prémisse du brevet. Est‑ce exact?

 

R.        C’est exact.

 

 

Q.        D’accord. Ensuite, ils emploient l’expression « de façon super‑additive », et, d’après votre paragraphe 53, vous avez compris que l’expression « de façon super‑additive » voulait dire - - peut-être l’avez-vous comprise autrement.

 

            Lorsqu’ils emploient l’expression « de façon super‑additive », croyez‑vous qu’ils parlent de synergie, dans le sens que deux plus deux font cinq?

 

R.        Oui, je le crois.

 

Q.        Ce qu’ils expriment dans ce paragraphe revient à dire que, dans le traitement de l’infection à Helicobacter pylori, vous pouvez obtenir une synergie lorsque vous associez un inhibiteur de la pompe à protons à un antibiotique?

 

R.        Oui.

 

 

[84]           La seule différence entre la preuve présentée par Mme Piquette‑Miller et celle présentée par les témoins d’Apotex est que Mme Piquette‑Miller était d’avis que Petrino et Logan avaient omis d’analyser les effets sur la biodisponibilité de l’association oméprazole-clarithromycine et que sa définition de la biodisponibilité était beaucoup plus étroite que celle des autres témoins. Concernant ce dernier point, elle a interprété la biodisponibilité comme se limitant à l’augmentation de la concentration de l’antibiotique dans le sang du patient, ce qui lui a permis d’établir une distinction avec Logan, qui parlait de l’augmentation de la concentration de la clarithromycine dans la muqueuse gastrique.

 

[85]           La question de la biodisponibilité accrue est également importante pour AstraZeneca parce qu’il s’agit du seul aspect contestable du brevet 762 qui ne porte pas sur ce qui était déjà bien connu dans l’art au sujet de l’utilité de la synergie obtenue en associant l’oméprazole à un antibiotique dégradable en milieu acide.

 

[86]           Selon moi, l’article de Logan prévoyait non seulement l’efficacité et les effets synergiques de l’association oméprazole-clarithromycine (comme l’a fait Petrino), mais également l’efficacité de l’association attribuable au fait que l’oméprazole augmente la biodisponibilité de la clarithromycine. En l’espèce, je souscris à l’opinion de M. Mayersohn, exprimée aux paragraphes 66, 75 et 76 de son affidavit :

[traduction]

66.       Selon moi, le passage susmentionné dans l’article de Logan et coll. divulgue donc que l’oméprazole augmente la concentration d’un antibiotique faiblement basique, comme la clarithromycine, dans la muqueuse gastrique (c’est‑à‑dire qu’il augmente la biodisponibilité de la clarithromycine).

 

75.       L’article de Logan et coll. fournit au lecteur versé dans l’art tous les renseignements pratiques dont il a besoin pour réaliser l’invention revendiquée sans avoir à faire montre d’un esprit inventif.

 

76.       L’article de Logan et coll. constituait une antériorité par rapport à la revendication 76 du brevet 762. Comme il a été mentionné au paragraphe 66, ce document fournit une description antérieure exacte de l’utilisation de l’oméprazole pour accroître la biodisponibilité de la clarithromycine en augmentant la concentration de la clarithromycine dans la muqueuse gastrique.

 

 

[87]           Par ailleurs, j’accepte l’argument d’Apotex selon lequel Logan et Petrino ont prévu la valeur thérapeutique de l’association oméprazole‑clarithromycine, et il importe peu de savoir s’ils ont pu ou non déterminer les mécanismes d’action exacts de cette association. Toute personne qui suivrait leurs enseignements obtiendrait inévitablement l’effet sur la biodisponibilité et contreviendrait au principe voulant que [traduction] « ce qui contreferait le brevet s’il venait après lui détruit sa nouveauté quand il le précède ». La juge Karen Sharlow explique clairement ce principe dans Abbott Laboratories Limited c. le ministre de la Santé, 2006 CAF 187, où elle décrit la question de l’antériorité dans le passage suivant :

[24]      La question pertinente, s’agissant de la revendication du brevet 274 qui porte sur la forme 0, est la suivante : la forme 0 est‑elle produite au cours de la fabrication de la forme I ou de la forme II? C’est là une question de fait, à laquelle la réponse – incontestée – est affirmative. La personne versée dans le domaine qui fabriquerait la forme I ou la forme II d’après l’enseignement de l’état de la technique produirait inévitablement la forme 0, même si elle ne prenait pas de mesures pour la stabiliser. La forme 0 passerait peut‑être inaperçue, mais cela n’a pas d’importance, comme en témoignent les observations suivantes formulées par lord Hoffman au paragraphe 22 de Smitkline Beecham PLC’s (Paroxetine Methanefulfonate) Patent, [2005] UKHL 59 :

 

[traduction] [...]le document invoqué comme antériorité doit exposer un objet dont l’exécution entraînerait nécessairement la contrefaçon du brevet. La raison peut en être que la publication antérieure divulgue la même invention. Dans ce cas, il ne fait aucun doute que l’exécution de l’invention antérieure constituerait une contrefaçon, et ce fait est en général manifeste pour la personne qui connaît à la fois la publication antérieure et le brevet. Mais la contrefaçon de brevet n’est pas subordonnée à la condition de la pratique consciente : « le point de savoir si une personne exploite ou non [une] (…) invention est un fait objectif, indépendant de ce qu’elle-même sait ou pense de son action » (Merrell Dow Pharmaceuticals Inc v. N.H. Norton & Co. Ltd. [1996] R.P.C. 76, à la page 90). Il s’ensuit que, indépendamment du point de savoir si quiconque en serait conscient au moment pertinent, lorsque l’objet décrit dans la publication antérieure est exécutable et de nature telle que, s’il est exécuté, la contrefaçon du brevet en résultera nécessairement, la condition de la divulgation antérieure est remplie. Le drapeau a été planté, même si l’auteur de l’antériorité l’a planté à son insu.

 

[25]      Étant donné que la personne qui fabriquerait la forme I ou la forme II d’après l’enseignement de l’état de la technique produirait inévitablement la forme 0, elle contreferait ainsi le brevet 274 aussi sûrement que Ratiopharm le contreferait en fabriquant la forme II pour son produit, comme elle projette de le faire, au moyen d’une méthode entraînant la création de la forme 0. La situation est bien décrite à la page 134 de Hughes and Woodley on Patents (2e édition), où les distingués auteurs écrivent, paraphrasant l’observation formulée par le juge Rinfret à la page 381 de l’arrêt Lightning Fastener Co. c. Colonial Fastener Co., [1933] R.C.S. 377 :

 

[traduction] [...] ce qui contreferait le brevet s’il venait après lui détruit sa nouveauté quand il le précède.

 

Lord Jacob exprime la même idée comme suit au paragraphe 77 de Technic France S.A.’s Patent, [2004] R.P.C. 919 :

 

[traduction] Une autre façon d’aborder le problème est de se demander si l’objet divulgué [dans la ou les publications antérieures] entre dans le champ de la revendication – s’il avait été postérieur à celle‑ci, la contreferait‑il?

 

[26]      À mon sens, la seule conclusion qu’on puisse raisonnablement formuler sur le fondement de la preuve dans la présente espèce est que l’allégation d’invalidité pour cause d’antériorité formulée par Ratiopharm est fondée.

 

 

[88]           Il s'ensuit de tout ce qui précède que le brevet 762 est invalide pour cause d'antériorité.

 

Le brevet 762 – la question de l'évidence

[89]           La Cour d'appel fédérale a exposé de nouveau le critère de l'évidence dans le passage suivant de son récent arrêt Janssen-Ortho Inc. c. Novopharm Ltd., [2007] A.C.F. no 809, 2007 CAF 217 :

23     Le critère juridique admis de l'évidence a été formulé comme suit par le juge Hugessen à la page 294 de l'arrêt-clé Beloit Canada Ltd. et al. c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.) :

 

La pierre de touche classique de l'évidence de l'invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d'intuition; un triomphe de l'hémisphère gauche sur le droit. Il s'agit de se demander si, compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l'invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout‑le‑monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C'est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.

 

24     L'examen que commande le critère Beloit est de nature factuelle et fonctionnelle et doit être guidé par la preuve d'expert touchant les compétences pertinentes de la personne hypothétique normalement versée dans l'art et l'état de la technique à l'époque pertinente. Il convient d'évaluer attentivement la crédibilité et la fiabilité de cette preuve d'expert. Il ne faut en effet jamais oublier la mise en garde classique que fait le juge Hugessen contre la sagesse rétrospective à la page 295 de Beloit :

 

Une fois qu'elles ont été faites, toutes les inventions paraissent évidentes, et spécialement pour un expert du domaine. Lorsque cet expert a été engagé pour témoigner, l'infaillibilité de sa sagesse rétrospective est encore plus suspecte. Il est si facile de dire, une fois que la solution préconisée par le brevet est connue : « j'aurais pu faire cela »; avant d'accorder un poids quelconque à cette affirmation, il faut obtenir une réponse satisfaisante à la question : « Pourquoi ne l'avez-vous pas fait? »

 

25     Il n'existe aucune question factuelle ni aucun ensemble de telles questions qui puisse décider de l'issue de toutes les affaires ou même d'une seule. Le juge Hugues, au paragraphe 113 de son exposé des motifs, propose une liste de facteurs à prendre en considération lorsque la validité d'un brevet est contestée au motif de l'évidence. Cette liste paraît avoir été établie à la suite d'une revue de nombreuses décisions rendues au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni. Malgré le débat incessant sur le point de savoir si le critère juridique de l'évidence est le même dans ces trois pays, la liste de facteurs proposée par le juge Hugues me semble utile pour orienter la recherche nécessaire des faits et en tant que cadre de l'analyse à laquelle ces faits doivent être soumis. Voici une version remaniée de cette liste :

 

Principaux facteurs

 

1.                  L'invention

 

La question porte sur la revendication telle que la Cour l'interprète.

 

2.                  La personne hypothétique versée dans l'art dont parle Beloit

 

Il faut définir le profil de la personne hypothétique normalement versée dans l'art (ou personne du métier).

 

3.                  Les connaissances que possède la personne hypothétique normalement versée dans l'art

 

La somme des connaissances courantes que possède la personne hypothétique normalement versée dans l'art comprend ce qu'on peut légitimement s'attendre à ce qu'elle sache et soit capable de trouver. On suppose que cette personne est raisonnablement diligente dans ses efforts pour se tenir au courant des progrès réalisés dans le domaine dont relève le brevet (Whirlpool, au paragraphe 74). Les connaissances présumées de la personne du métier hypothétique évoluent et s'accroissent constamment. Les connaissances ne sont pas toutes consignées dans des publications. Inversement, toutes les connaissances ainsi consignées ne font pas partie des connaissances que la personne du métier moyenne est censée posséder ou pouvoir trouver.

 

4.                  Le climat régnant dans le domaine en question à l'époque où l'invention supposée a été faite

 

L'état général de la technique comprend non seulement les connaissances et l'information, mais aussi les attitudes, les tendances, les préjugés et les attentes.

 

5.       La motivation qui, à l'époque où l'invention supposée     a été faite, incitait à résoudre un problème             reconnu

 

La « motivation », dans ce contexte, peut signifier la raison pour laquelle l'inventeur supposé a fait l'invention supposée, ou encore la raison pour laquelle on pouvait légitimement s'attendre à ce que la personne hypothétique normalement versée dans l'art associât des éléments de l'état de la technique pour aboutir à l'invention supposée. S'il existe dans le domaine en question un problème déterminé que tous les spécialistes de ce domaine essaient de résoudre (une motivation générale), il peut se révéler plus probable que la solution, une fois trouvée, ait exigé de l'inventivité. Par ailleurs, s'il s'agit d'un problème que seul l'inventeur supposé essayait de résoudre (une motivation particulière ou personnelle) et que personne d'autre ne voyait de raison d'aborder, il peut s'avérer plus probable aussi que la solution ait demandé de l'inventivité. Cependant, si des concepts courants et des techniques éprouvées pouvaient mener à la solution, la possibilité peut se trouver réduite que la solution ait nécessité de l'inventivité.

 

6.         Le temps et les efforts qu'a exigés         l'invention supposée

 

Le temps et les dépenses consacrés à l'invention peuvent être des indicateurs d'inventivité, mais ce ne sont pas des facteurs déterminants, étant donné qu'une invention supposée peut être le fruit de la chance ou de la simple application non inventive de techniques courantes, si grande que soit la dépense de temps et d'argent que cette application ait nécessitée. Si l'on est arrivé à la solution en prenant des décisions peu nombreuses et de nature ordinaire, il se peut que cette solution n'ait pas exigé d'esprit inventif. En revanche, si les décisions à prendre étaient nombreuses, il peut y avoir eu inventivité dans le fait de prendre les bonnes.

 

Facteurs secondaires

 

Ces facteurs peuvent se révéler pertinents, mais on leur accorde en général moins de poids parce qu'ils se rapportent à des faits postérieurs à la date de l'invention supposée.

 

7.                  Le succès commercial

 

L'objet de l'invention a‑t‑il été accueilli rapidement et avec impatience par les consommateurs visés? Dans l'affirmative, on peut penser que beaucoup de gens étaient motivés pour répondre aux besoins du marché, ce qui peut laisser supposer la présence d'inventivité. Cependant, cet accueil peut aussi s'expliquer par d'autres facteurs tels qu'une bonne stratégie de marketing, la puissance commerciale et des caractéristiques étrangères à l'invention.

 

8.                  Les prix et autres récompenses

 

Les prix décernés au titre de l'invention supposée peuvent signifier que la collectivité des personnes versées dans l'art estime méritoire la réalisation en cause, ce qui peut être ou non signe qu'elle a nécessité de l'inventivité.

 

[…]

 

27     J'insiste sur le fait que cette liste est un instrument utile, mais rien de plus. Ce n'est pas une liste de règles juridiques à suivre à la lettre, pas plus qu'une liste exhaustive des facteurs pertinents. Il incombe au juge de première instance d'établir dans chaque affaire, en se fondant sur la preuve, son bon jugement et sa raison, le poids qu'il convient d'attribuer (le cas échéant) aux facteurs de cette liste et à tous autres facteurs qui peuvent être portés à son attention.

 

28     Je voudrais aussi répéter l'avertissement du juge Hugues selon lequel il faut se garder de considérer comme des règles de droit les lieux communs tirés de cette liste ou de la jurisprudence. Je souscris aux observations suivantes qu'il formule au paragraphe 113 de son exposé des motifs :

 

À cet égard, les tribunaux utilisent parfois des expressions comme « valant la peine d'être tenté », « directement et facilement » ou « examens de routine ». Il est inutile d'employer des expressions de ce genre car elles ont tendance à se glisser dans des énoncés de droit ou des déclarations de témoins experts. Le juge Sachs a désapprouvé l'utilisation de telles expressions dans General Tire & Rubber Company c. Firestone Tyre & Rubber Company Limited, [1972] R.P.C. 195 aux pages 211‑212.

 

 

J'ai appliqué les principes susmentionnés pour arriver à la conclusion que le brevet 762 est invalide pour cause d'évidence. 

 

[90]           Les moyens invoqués par Apotex à l'appui de sa thèse de l'évidence sont tout à fait convaincants. La revue complète des publications antérieures proposée par M. Mayersohn dans son affidavit établit indubitablement que l'on savait que l'association avec des suppresseurs d'acide augmentait l'efficacité des antibiotiques dégradables en milieu acide dans le traitement des infections à Hp.

 

[91]           Contrairement à l’opinion de Mme Piquette‑Miller, certaines publications sur l’état antérieur de la technique ont aussi avancé que l’efficacité accrue du traitement d’association s’expliquait par la plus grande biodisponibilité de l’antibiotique. Par exemple, dans un article publié en 1991 et intitulé « Enhancement of Antibiotic Concentrations in Gastric Mucosal by H2 – Receptor Antagonist – Implications for Treatment of Hp Infections », Westblom et ses collaborateurs décrivent une expérience [traduction] « pour vérifier l’hypothèse selon laquelle des modifications locales du pH au niveau de la muqueuse influeraient sur le transport des antibiotiques dans l’estomac si le traitement était combiné à un inhibiteur de la sécrétion acide ». Les auteurs émettent l’opinion que l’oméprazole modifierait probablement la concentration des antibiotiques dans l’estomac.

 

[92]           Le but de la plupart des expériences relevées concernant cette question était vraisemblablement surtout de déterminer si, et dans quelle mesure, ces traitements d’association étaient efficaces et non pas tant de découvrir les mécanismes exacts qui les rendaient efficaces. Quoi qu’il en soit, selon M. McClelland, la question du « pourquoi » était aussi bien comprise, du moins dans le sens général de la biodisponibilité accrue :

[traduction]

57.       Les documents d’Apotex montrent que les inhibiteurs des récepteurs H2 de l’histamine et les inhibiteurs de la pompe à protons élèvent le pH du liquide gastrique. C’est particulièrement vrai des inhibiteurs de la pompe à protons tels que l’oméprazole, qui entraînaient une élévation très importante, de plusieurs unités de pH. Comme le pH est une échelle logarithmique, cela correspond à une diminution de l’acidité de plusieurs ordres de grandeur.

 

58.       Voyant cela, le chimiste médicinal versé dans l’art reconnaîtrait immédiatement que l’association d’un médicament dégradable en milieu acide et d’une substance qui inhibe la sécrétion d’acide gastrique entraîne une dégradation moindre dans le liquide gastrique du médicament dégradable en milieu acide. Vu la stabilité plus grande (et la dégradation moindre), le chimiste médicinal versé dans l’art saurait que la biodisponibilité est accrue. Autrement dit, il serait évident pour le chimiste médicinal versé dans l’art que l’association d’un médicament dégradable en milieu acide et d’une substance qui élève le pH du liquide gastrique aurait pour effet d’accroître la biodisponibilité du premier médicament.

 

 

[93]           Le Dr Graham était également en désaccord avec Mme Piquette‑Miller sur la question de l’évidence et a fait remarquer que le brevet 762 lui‑même reconnaissait les problèmes qui survenaient lorsque des antibiotiques dégradables en milieu acide étaient introduits dans le milieu acide de l’estomac :

[traduction]

213.     Par conséquent, je ne suis pas d’accord avec Mme Piquette‑Miller lorsqu’elle affirme que la personne versée dans l’art ne savait pas que l’administration concomitante d’un inhibiteur de la sécrétion acide, tel l’oméprazole, et d’un antibiotique dégradable en milieu acide entraînerait un accroissement de la biodisponibilité de cet antibiotique.

 

214.     Dans son analyse, Mme Piquette‑Miller n’a pas tenu compte du problème que les inventeurs tentaient de résoudre : comment empêcher la dégradation par l’acide gastrique des antibiotiques dégradables en milieu acide de façon à pouvoir les utiliser contre H. pylori. On peut lire ce qui suit à la page 1, ligne 19 :

 

Certains composés antibiotiques (p. ex. les macrolides et les pénicillines) agissent sur Helicobacter pylori, comme il a été démontré in vitro et in vivo. Toutefois, ces produits sont dégradés en métabolites non antibactériens en présence d’acide gastrique, ce qui réduit de façon draconienne leur pouvoir antibactérien.

 

À la page 2, ligne 19 :

 

Grâce, par exemple, au numéro du 22 mars 1946 de la revue Science, pages 359 à 361, on sait que si des pénicillines dégradables en milieu acide sont administrées par voie orale, elles seront détruites par le contenu acide de l’estomac.

 

À la page 4C, premier paragraphe :

 

La nouvelle association vise spécialement le traitement des gastropathies, p. ex. celles qui sont provoquées par l’infection à Helicobacter pylori. Helicobacter pylori est un bacille Gram négatif spiralé qui colonise la muqueuse gastrique. Le traitement par les antibiotiques dégradables en milieu acide courants employés seuls s’est révélé insuffisant.

 

215.     L’état antérieur de la technique a déjà fait état de ce problème, tout comme de sa solution.

 

 

[94]           M. Mayersohn était lui aussi d’accord avec le Dr Graham et M. McClelland. Son examen exhaustif de la documentation antérieure lui a permis de découvrir un certain nombre de cas dans lesquels la biodisponibilité accrue d’un antibiotique dégradable en milieu acide était reconnue comme un mécanisme d’action de ces traitements d’association. Il a présenté le résumé suivant de ses conclusions :

[traduction]

118.     Pour terminer, j’en suis venu à la conclusion que la présumée invention des revendications 68 à 77 du brevet 762 se heurtait à des antériorités et rendue évidente par la documentation sur l’état antérieur de la technique dont il est question dans le présent affidavit. C’est sur cela que je m’appuie pour juger incroyable la déclaration suivante faite par les inventeurs du brevet 762 :

 

(de la page 2, ligne 27, à la page 3, ligne 5)

 

Il a été découvert de façon inattendue que l’association d’une substance qui inhibe la sécrétion d’acide gastrique, donc une substance qui élève le pH intragastrique (p. ex. inhibiteurs de la pompe à protons, inhibiteurs des récepteurs H2 de l’histamine), et d’un ou plusieurs composés antibactériens dégradables en milieu acide permet d’obtenir une concentration plasmatique élevée de l’antibiotique après administration par voie orale.

 

Cette observation n’est ni inédite, ni nouvelle, ni inattendue. Elle est totalement conforme à ce qu’une personne versée dans l’art savait ou était capable de prédire d’après les principes de base de la chimie et l’état antérieur de la technique.

 

119.     Par conséquent, une personne versée dans l’art aurait été capable de réaliser la présumée invention directement et sans difficulté. Par ailleurs, les inventeurs du brevet 762 n’ont mené aucune expérience inventive; ils ont plutôt eu recours à des tests courants et ordinaires que toute personne versée dans l’art aurait simplement pu effectuer; ce n’est pas faire preuve de génie inventif que d’obtenir des échantillons de plasma et d’effectuer des tests pour mesurer la quantité présente d’un antibiotique. Les auteurs du brevet 762 ont mené des expériences simples et ordinaires qui, au mieux, ont validé ce que la personne versée dans l’art connaissait en raison de l’état antérieur de la technique.

 

 

[95]           Sur la question de l’évidence, Mme Piquette‑Miller avait, bien entendu, une opinion différente de celle des trois experts d’Apotex. Elle a de nouveau insisté sur la question de la biodisponibilité. Elle s’est dite d’avis que les publications antérieures étaient insuffisantes pour établir qu’une personne versée dans l’art aurait pu directement et sans difficulté utiliser l’oméprazole pour accroître la biodisponibilité d’un antibiotique dégradable en milieu acide tel que la clarithromycine. Bien que Mme Piquette‑Miller ait admis dans son témoignage que l’accroissement de la biodisponibilité avec ces associations était inhérente dans les modèles de traitement antérieurs, elle a nié, dans son affidavit, l’importance des enseignements de l’état antérieur de la technique dans les passages suivants :

[traduction]

76.       Tout simplement, les documents ne mentionnent nullement, ni ne proposent, n’analysent ou n’établissent la biodisponibilité. Une personne versée dans l’art n’aurait pas su – et rien ne le laissait croire dans les documents – qu’un inhibiteur de la sécrétion d’acide gastrique pouvait être utilisé pour accroître la biodisponibilité d’un composé antibactérien dégradable en milieu acide.

 

77.       Je suis donc en désaccord avec la déclaration d’Apotex voulant que l’utilisation d’une substance inhibant la sécrétion acide gastrique et élevant donc le pH intragastrique, dans le but d’accroître la biodisponibilité d’un composé antibactérien dégradable en milieu acide, était connue.

 

 

[96]           Un long échange passablement révélateur entre Mme Piquette‑Miller et l’avocat d’Apotex a montré que Mme Piquette‑Miller n’était pas tout à fait objective dans son analyse des revendications du brevet et des divulgations antérieures. À la question plutôt évidente de savoir si une publication de l’état antérieur de la technique divulguait que la stabilité de l’amoxicilline était plus grande en présence d’oméprazole, elle a contesté ce point en avançant que la publication ne mentionnait pas expressément l’oméprazole. Cependant, il était très clair dans cette publication que la stabilité de l’amoxicilline était accrue dans un milieu à pH moins acide. Elle a aussi reconnu que l’oméprazole réduisait la concentration d’acide dans l’estomac et élevait donc le pH. Elle a néanmoins refusé d’admettre l’évidence et a plutôt faiblement soutenu que la publication ne renfermait pas les paramètres nécessaires pour étayer la prétention de l’avocat. Un certain nombre d’échanges de la sorte ont eu lieu.

 

[97]           Sur la question de l’évidence, la définition de la biodisponibilité employée par Mme Piquette‑Miller se limitait toujours à l’augmentation de la concentration plasmatique de l’antibiotique. Cela lui a permis d’établir une distinction avec les publications antérieures, qui parlaient plutôt d’une augmentation de la concentration de l’antibiotique dans la muqueuse gastrique. Pour les motifs déjà mentionnés, je ne crois pas que la définition de la biodisponibilité employée par Mme Piquette‑Miller correspond à celle employée dans le brevet. Par conséquent, je rejette sa preuve dans la mesure où elle s’appuie sur sa définition de ce terme. Je rejette également son interprétation de la publication de Jones, qui faisait état d’une augmentation de la concentration sérique de benzylpénicilline chez un des cinq patients soumis au test que les auteurs ont qualifiée d’« effet secondaire » du traitement d’association. Selon Mme Piquette‑Miller, un lecteur versé dans l’art n’interpréterait pas cet article comme établissant une équivalence entre un effet secondaire et un accroissement de la biodisponibilité. Elle a aussi rejeté la valeur de l’étude parce que sa portée était limitée et qu’il s’agissait d’une étude préliminaire. Elle a contesté l’importance de plusieurs des autres études antérieures pour les mêmes motifs de méthodologie inadéquate ou d’analyse insuffisante. Dans un certain nombre d’échanges avec l’avocat, Mme Piquette‑Miller a nié l’importance d’études antérieures en soutenant que les postulats des auteurs n’étaient pas prouvés sur le plan scientifique. À un certain moment, elle a dit d’une publication qu’elle était sans valeur parce qu’elle ne renfermait pas d’analyse statistique significative. Elle a essentiellement dit la même chose dans un échange ultérieur avec l’avocat :

[traduction]

Q.        N’est‑il pas vrai que l’idée, l’idée d’associer l’oméprazole et un antibactérien comme l’amoxicilline pour augmenter la concentration dans la muqueuse gastrique, cette idée était évoquée par cet article, ce résumé ou cette lettre. Vous ne pouvez qu’être d’accord avec moi là‑dessus. Après avoir lu cela, une personne ne pourrait prétendre que l’idée était sienne, parce que cette idée était déjà évoquée dans la lettre. N’est‑ce pas exact?

 

R.        Ils ont aussi proposé plusieurs choses différentes.

 

Q.        Veuillez répondre à ma question, s’il vous plaît. Une personne qui aurait lu ce résumé ou cette lettre ne pourrait, en conscience, dire : j’ai une nouvelle idée à laquelle personne n’a pensé avant. Je vais administrer de l’oméprazole avec de l’amoxicilline, et cela va faire augmenter la concentration dans la muqueuse gastrique.

 

            Elle ne pourrait pas dire cela, parce que Logan l’a déjà dit. Est‑ce exact?

 

R.        C’est indiqué dans ce résumé.

 

Q.        Donc, une personne qui lirait cela ne pourrait, en conscience dire : j’ai une toute nouvelle idée à laquelle personne n’a pensé avant, parce que Logan y a déjà pensé et peut‑être même que Westblom y a pensé avant lui. Est‑ce exact?

 

R.        Vous dites que cela augmenterait l’efficacité antibactérienne?

 

Q.        Je ne parle pas de la nature de l’effet. Tout ce que je dis c’est qu’après avoir lu cela et lu la lettre de Logan, et vous ne pouvez qu’être d’accord avec moi là‑dessus, une personne ne pourrait pas, en conscience, dire : j’ai une nouvelle idée géniale. Personne n’y a pensé avant et personne n’a jamais écrit là‑dessus. Je vais combiner de l’oméprazole et un antibiotique comme l’amoxicilline et je vais obtenir une augmentation de la concentration dans la muqueuse gastrique. C’est là ma toute nouvelle idée.

 

            Il ne peut pas s’agir d’une toute nouvelle idée, parce que quelqu’un d’autre a déjà écrit là‑dessus. Est‑ce exact?

 

R.        Les chercheurs écrivent toujours beaucoup. Ils proposent tant de choses différentes, et si je disais que tous les problèmes de la science auraient déjà été réglés parce que quelqu’un a déjà mentionné la solution dans un article ou une discussion ou l’a déjà proposée comme mécanisme potentiel; il s’agit d’une chose qu’ils ont proposée et qui n’a pas été prouvée. Elle a été proposée.

 

 

Ce n’est que plus tard qu’elle a reconnu que les publications antérieures en question avaient au moins proposé l’idée que les inventeurs du brevet ont plus tard prétendu avoir mise à l’essai et prouvée. Elle a, d’assez mauvais gré, fini par admettre ce point dans la réponse suivante :

R.        J’imagine que l’idée avait déjà été évoquée. Elle n’a pas été mise à l’essai. Il y a beaucoup d’idées, beaucoup d’associations différentes qui ont été proposées pour bien des raisons différentes, et ils ont affirmé qu’elle avait été proposée.

 

 

[98]           Je ne suis pas d’accord qu’aux fins d’établir l’évidence on aborde ou interprète l’état antérieur de la technique avec la rigueur requise pour prouver une hypothèse scientifique. C’est particulièrement vrai d’un brevet qui cite une propriété présumée nouvelle d’un traitement médicamenteux connu. Le fait que bon nombre de ces études visaient à déterminer l’efficacité sans que les chercheurs ne tentent de découvrir les mécanismes d’action pourrait témoigner de l’absence de tout intérêt scientifique à découvrir une chose qui n’avait aucune utilité apparente ou qui était si évidente qu’elle n’avait pas besoin d’être vérifiée. La question, telle que je la perçois, est de savoir si une personne versée dans l’art en viendrait directement et sans difficulté à la solution que l’association d’un inhibiteur de la sécrétion acide, comme l’oméprazole, et d’un antibiotique dégradable en milieu acide, comme la clarithromycine, accroîtrait la biodisponibilité de l’antibiotique dans le traitement de l’infection à Hp.

 

[99]           Je rejette les arguments avancés par Mme Piquette‑Miller en vue d'établir une distinction d'avec les publications antérieures sur lesquelles se fonde Apotex. Celles‑ci ne sont pas assimilables aux essais expérimentaux « infructueux ou provisoires » que la Cour déclarait insuffisants dans Cie Procter & Gamble Co. c. Bristol-Myers Canada Ltd. (1978), 39 C.P.R. (2d) 145 (C.F. 1re inst.). Je retiens plutôt la preuve du Dr Graham et de MM. Mayersohn et McClelland sur cette question.

 

[100]       De plus, si le seul enseignement du brevet 762 est un mécanisme d’action partiel d’un traitement médicamenteux d’association connu et utilisé, le brevet ne décrit aucune invention. Il ne décrit pas de nouvel usage d’un traitement connu. Il ne fait que décrire une expérience visant à déterminer les propriétés de médicaments bien connus et déjà utilisés. Sur cette question, j’accepte la description de M. Mayersohn de la présumée découverte qu’il mentionne au paragraphe 119 de son affidavit :

[traduction] Par conséquent, une personne versée dans l’art aurait été capable de réaliser la présumée invention directement et sans difficulté. Par ailleurs, les inventeurs du brevet 762 n’ont mené aucune expérience inventive; ils ont plutôt eu recours à des tests courants et ordinaires que toute personne versée dans l’art aurait simplement pu effectuer; ce n’est pas faire preuve de génie inventif que d’obtenir des échantillons de plasma et d’effectuer des tests pour mesurer la quantité présente d’un antibiotique. Les auteurs du brevet 762 ont mené des expériences simples et ordinaires qui, au mieux, ont validé ce dont faisait déjà état la technique et connaissaient les personnes versées dans l’art.

 

 

[101]       Le Dr Graham a lui aussi abordé la question de l’esprit inventif dans le passage suivant de son affidavit :

[traduction]  225.           Le test visant à mesurer la concentration sérique de l’antibiotique effectué par les inventeurs du brevet 762 ne constituait pas une activité inventive, particulièrement en ce qui concerne l’association oméprazole-clarithromycine, étant donné que cette association était déjà connue. Tout ce que les inventeurs ont fait de plus que Petrino et coll. et que Logan et coll. a été de mesurer les concentrations sanguines de la même association de médicaments afin de quantifier une propriété pharmacologique de ladite association.

 

 

[102]       Mme Piquette‑Miller a tenté d’assimiler le nouvel usage inventif aux enseignements du brevet relatifs à la biodisponibilité, et son affidavit décrit le présumé aspect inventif en ces termes. Dans son mémoire, AstraZeneca a aussi tenté d’associer l’effet découvert sur la biodisponibilité à la question du traitement de la façon suivante :

[traduction] 35.  L’avantage de l’association d’un composé qui élève le pH intragastrique, tel l’oméprazole, et d’un antibiotique dégradable en milieu acide est que la biodisponibilité de l’antibiotique augmente et que, par conséquent, les concentrations plasmatiques sont suffisantes pour qu’on observe des effets thérapeutiques. Il semble que les inventeurs croyaient qu’en augmentant la biodisponibilité après administration par voie orale, il serait possible d’obtenir des concentrations plasmatiques plus élevées, ce qui se traduirait par une plus grande distribution ou excrétion du médicament au lieu d’action (comme la paroi de l’estomac).

 

[Non souligné dans l’original]

 

 

Le problème avec l’analyse ci‑dessus est que la hausse des concentrations plasmatiques de l’antibiotique qui a été découverte était une propriété inhérente au traitement antérieur et ne constituait pas un nouvel usage ni une nouvelle forme du traitement. La hausse des concentrations plasmatiques de l’antibiotique avait déjà été obtenue par l’utilisation d’oméprazole dans des traitements d’association. La prétendue distribution accrue de l’antibiotique au site d’action était ce qu’elle était, et le brevet n’enseignait nullement comment obtenir de plus fortes concentrations plasmatiques ou une meilleure distribution de l’antibiotique.

 

[103]       Le problème avec l’analyse de Mme Piquette‑Miller est que la seule chose que cette dernière puisse raisonnablement affirmer est que le prétendu nouvel usage divulgué par le brevet est la découverte d’un mécanisme d’action et non pas d’un nouveau traitement. À mon sens, on ne peut pas parler de nouvel usage en déterminant un effet inhérent à un traitement connu, en l’espèce, un effet sur la biodisponibilité. Mme Piquette‑Miller confond ces principes. Bien que le fait que l’oméprazole accroît la biodisponibilité d’un antibiotique soit intéressant, il n’y a là rien d’inventif et il ne s’agit pas d’une revendication pour l’utilisation d’un médicament aux fins du diagnostic, du traitement, de l’atténuation ou de la prévention d’une maladie, d’un désordre, d’un état physique anormal, ou de leurs symptômes, conformément au paragraphe 7(2) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Dans son affidavit, Mme Piquette‑Miller semble avoir reconnu ce problème inhérent à sa position lorsqu’elle admet que les revendications du brevet en litige ne visent aucune utilisation dans le traitement de l’infection à Hp. Elle mentionne ce qui suit son affidavit :

[traduction] Ces revendications, comme il a été mentionné, ne visent pas l’utilisation dans le traitement de l’infection à H. pylori. Elles visent l’utilisation d’un composé inhibiteur des récepteurs H2 de l’histamine ou d’un inhibiteur de la pompe à protons, par exemple l’oméprazole, pour accroître la biodisponibilité d’un composé antibactérien dégradable en milieu acide.

 

 

[104]       M. Mayersohn a relevé ce point et a déclaré ce qui suit dans son affidavit :

[traduction] 40.  Je suis d’accord avec Mme Piquette‑Miller lorsqu’elle affirme que ces revendications ne visent pas l’utilisation des associations dans le traitement de l’infection à Hp. Les revendications ne visent pas l’utilisation de l’association aux fins du diagnostic, du traitement, de l’atténuation ou de la prévention d’une maladie, d’un désordre, d’un état physique anormal, ou de leurs symptômes.

 

 

[105]       Après avoir examiné la preuve du témoin expert sur la question de l’évidence, j’accepte l’opinion du Dr Graham et de MM. Mayersohn et McClelland et je rejette celle de Mme Piquette‑Miller. Par conséquent, le brevet 762 est également invalide pour cause d’évidence.

 

[106]       Mis à part les questions relatives à l'invalidité examinées plus haut, le fait que les revendications de brevet invoquées par AstraZeneca ne comportent aucun aspect thérapeutique démontre aussi que le brevet 762 n'est pas admissible à l'inscription au registre des brevets; voir Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), [2006] A.C.F. no 1957, 2006 CF 1558, conf. par [2007] A.C.F. no 686, 2007 CAF 187.

 

Conclusion

[107]       La Cour conclut qu'AstraZeneca n'a pas prouvé le caractère infondé des allégations d'invalidité formulées par Apotex. En conséquence, la présente demande est rejetée.

 

[108]       J'adjugerai les dépens à Apotex, mais inviterai les parties à me présenter des observations écrites sur leur montant. Ces observations ne devront pas dépasser cinq pages et devront être présentées dans les quatorze jours suivant la date du jugement. 


 

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée et les dépens sont adjugés à la défenderesse. Les parties présenteront des conclusions écrites sur le montant des dépens dans les quatorze jours suivant la date du présent jugement.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑985‑05

 

INTITULÉ :                                       ASTRAZENECA AB et al.

                                                            c.

                                                            APOTEX INC. et al.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 2 AVRIL 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 28 JUIN 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Kang

Me Ing

Me Gaikis

Tél. : (416) 593‑5514

Téléc. : (416) 591‑1690

POUR LA (LES) DEMANDERESSE(S)

Me Radomski

Me Brodkin

Me Simmons

Me Tuzi

Tél. : (416) 979‑2211

Téléc. : (416) 979‑1234

POUR LA DÉFENDERESSE

(LES DÉFENDEURS)

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Smart & Biggar

 

POUR LA (LES) DEMANDERESSE(S)

Goodmans s.r.l.

 

POUR LA DÉFENDERESSE

(LES DÉFENDEURS)

 



[1]               Cette décision a été infirmée en appel, mais pour des motifs différents.

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