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Date :  20070625

Dossier :  IMM-6155-06

Référence :  2007 CF 670

Ottawa (Ontario), le 25 juin 2007

En présence de Monsieur le juge Beaudry 

 

ENTRE :

OSIRIS GOMEZ GARRO

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la Loi), à la suite d’une décision rendue le 26 octobre 2006, par Jérôme Lapierre, Agent d’Immigration (l’Agent), qui a rejeté la demande de permis de travail pour le demandeur et de statut de visiteur pour sa famille. Le demandeur ne rencontrait pas les conditions nécessaires pour obtenir le statut d’investisseur selon l’Accord de libre-échange nord-américain (l’ALÉNA).

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

[2]               Est-ce que l'Agent a respecté les principes de l'équité procédurale en l'espèce :

a)      en rendant une décision non motivée?

b)        en n'offrant pas un interprète au demandeur lors de l'entrevue?

c)         en ne prévenant pas le demandeur de ses préoccupations à l’égard des renseignements qu'il avait fournis?

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

CONTEXTE FACTUEL

[4]               Homme d’affaires et citoyen du Mexique, le demandeur incorpore une maison d’édition de livres éducatifs sous le nom d’Éditions Gnostiques Canada Inc., à Ottawa, le 21 avril 2001. Par la suite, il se rend chaque année au Canada pour s’assurer du bon fonctionnement de l’entreprise dans laquelle il a investi une somme initiale de 20 000 $.

 

[5]               En juillet 2005,  il s’installe à Gatineau, Québec avec son épouse et ses quatre enfants. Le 12 septembre 2005, il dépose une demande de statut de négociant ou d’investisseur (permis de travail) en vertu de l’ALÉNA.

 

[6]               Ne parlant ni l’anglais, ni le français, il dépose sa demande avec le formulaire IMM 5476, intitulé « Use of a Representative », et désigne Me Pablo Fernandez-Davila comme son représentant (représentant) auprès du Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration.

 

[7]               Selon le demandeur, l'entrevue avec l'Agent se déroule en présence de son représentant le 23 novembre 2006 sans interprète. Toujours selon le demandeur, l'entrevue ne dure que 30 minutes et toutes les questions sont posées seulement à son représentant. Il comprend que par la suite, la discussion porte sur son entreprise au Mexique, l’Antonio Rosales 165-167, Jalisco, Mexico, acheté en 2000 pour 175 000 $ qui n'est grevé d'aucune hypothèque.

 

[8]               Selon le demandeur, l’Agent ne lui pose aucune question directe sur sa vie personnelle ni sur ses investissements au Canada. Or, selon la preuve au dossier les investissements du demandeur au Canada sont importants : outre la maison d’édition à Ottawa, voici la liste de ses propriétés au Québec et en Ontario :

1)      maison familiale au 129, rue de la Galène, Gatineau, Québec, achetée en 2005 pour 313 000 $ avec un prêt hypothécaire de 150 000 $;

 

2)      un immeuble à revenu au 7722, rue St-Denis, Montréal, Québec, acheté en 2001 pour 175 000 $,  valeur actuelle de 250 000 $;

 

3)      terrain vacant à Aylmer, Québec, acheté en 2004 pour 73 000 $, valeur actuelle de 80 000 $;

 

4)      terrain vacant à Peterborough, Ontario, acheté en 2000 pour 37 500 $,  valeur actuelle de 50 000 $;

 

5)      une propriété au 50, rue Noël, Gatineau, Québec, acheté en 2002 pour 78 000 $,  valeur actuelle de 200 000 $ et avec un prêt hypothécaire de 55 000 $.

 

Valeur totale de la propriété au Mexique                       200 000 $

Valeur totale des propriétés au Canada                         893 000 $

Valeur totale des propriétés                                        1 093 000 $

Prêts hypothécaires                                                        205 000 $

 

Valeur nette des propriétés                                            888 000 $

 

 

[9]               Le 26 octobre 2006, la demande de permis de travail en tant qu’investisseur est rejetée ce qui donne lieu à la présente demande de contrôle judicaire.

 

DÉCISION CONTESTÉE

[10]           La décision est brève. Voici les passages pertinents :

[. . .]

This letter refers to your application for a work permit and visitor documents for your accompanying family members received on January 11th 2006.

 

After a careful review of your file, we have determined that you do not meet the requirements to be considered as an investor under the North American Free Trade Agreement (NAFTA).

 

The application for visitor records for your accompanying family members have been refused as well.

[. . .]

 

 

Législations pertinentes

[11]           Le Guide des travailleurs étrangers contient de l’information sur l’admission temporaire en vertu de l’ALÉNA. La section 6.1 de l’Appendice G prévoit ce qui suit :

6 INVESTISSEURS

6.1 Quelles exigences s’appliquent à l’investisseur?

Les exigences suivantes s’appliquent :

 

• le demandeur a la citoyenneté américaine ou mexicaine;

• l’entreprise est de nationalité américaine ou mexicaine;

 

• un investissement important a été fait ou est en voie d’être fait;

[. . .]

 

6 INVESTORS

6.1 What requirements apply to investors?

The following requirements apply:

 

• applicant has American or Mexican citizenship;

• enterprise has American or Mexican nationality;

 

• substantial investment has been made, or is actively being made;

[. . .]

 

[12]           Les facteurs nécessaires à l’octroi d’un permis temporaire dans la catégorie d’investisseur sont désignés à la section 6.3 de l’Appendice G:

6.3 Quels critères faut-il respecter?

[. . .]

Aucun montant minimal n’a été fixé relativement à l’importance de l’investissement. Celle-ci est

normalement déterminée par l’application d’un « critère de proportionnalité ». Il s’agit de

comparer la somme investie à l’une des sommes suivantes :

 

• la valeur totale de l’entreprise en question [pour déterminer la valeur totale, il suffira de

comparer une preuve de la valeur réelle d’une entreprise établie (soit le prix d’achat ou

l’évaluation fiscale) avec celle de la somme investie par le demandeur];

 

 

• le montant qui serait normalement jugé nécessaire pour lancer une entreprise viable du genre envisagé. (Dans ce cas-ci, la comparaison peut se révéler plus délicate. L’agent devra fonder sa décision quant au caractère raisonnable de l’investissement projeté sur des

renseignements sûrs touchant les entreprises du même genre au Canada. Des lettres de

chambres de commerce ou des statistiques provenant d’associations commerciales

pourraient constituer des sources sûres.)

6.3 What criteria must be met?

[. . .]

There is no minimum dollar figure established for meeting the requirement of “substantial”

investment. Substantiality is normally determined by using a “proportionality test” in which the mount invested is weighed against one of the following factors:

• the total value of the particular enterprise in question (determining proportion is a largely straightforward calculation involving the weighing of evidence of the actual value of an established business, i.e., purchase price or tax valuation, against the evidence of the amount

invested by the applicant); or

• the amount normally considered necessary to establish a viable enterprise of the nature contemplated. (This may be a less straightforward calculation. Officers will have to base the decision on reliable information on the Canadian business scene to determine whether the amount of the intended investment is reasonable for the type of business involved. Letters

from chambers of commerce or statistics from trade associations may be reliable for this purpose.)

 

Analyse

[13]           Puisque la question en litige est de savoir s'il y a eu manquement aux principes d'équité procédurale, il n'est pas nécessaire de procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle (Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia), [2003] 1 R.C.S. 226.

 

[14]           Si la Cour conclut qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, la demande de contrôle judiciaire sera accordée (Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 49, [2004] 3 R.C.F. 195 (C.A.F.); Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235).

 

a)        Absence de motifs

[15]           Tel que le souligne le demandeur, la lettre de refus envoyée par l’Agent ne contient aucun motif qui puisse permettre au demandeur de comprendre la raison pour le rejet de sa demande. Il faut donc se fier aux notes de l'agent au dossier pour essayer de comprendre les raisons qui l’ont motivé à rendre sa décision (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] R.C.S. 817).

 

[16]           Les notes dans le système informatisé (FOSS) mentionnent ceci :

23OCT2006. WORK PERMIT REFUSED AFTER CONSULTATION WITH FOREIGN WORKER UNIT AT CIC MONTREAL. CLIENT WAS APPLYING AS AN INVESTOR UNDER NAFTA (EXEMPTION T22). CLIENT IS REQUESTING A WORK PERMIT IN ORDER TO ESTABLISH A BUSINESS NAMED “LES EDITIONS GNOSTIQUES”. AS PER INFORMATION CLIENT PROVIDED ON FILE, CLIENT ONLY INVESTED 20 000$ IN THE BUSINESS. CLIENT CAME FOR AN INTERVIEW ON 19SEP2006 ACCOMPANIED BY HIS LAWYER PABLO FERNANDEZ DAVILA WHO WAS ALSO ACTING AS TRANSLATOR. CLIENT CONFIRMED DURING THE INTERVIEW THAT HE DID NOT INVEST MORE MONEY IN THE COMPANY AS HE IS WAITING FOR US TO ISSUE HIM A WORK PERMIT BEFORE HE DECIDES TO INVEST MORE MONEY IN THE COMPANY. CLIENT HAS ALMOST 1 000 00$ IN REAL ESTATE IN CANADA BUT NONE OF IT IS RELATED TO THE COMPANY HE IS PLANNING TO START. NOt satisfied client meets the requirement of an investor under nafta.  appendix g section 6.1 of the foreign worker manual states that one of the requirEment to be considered an investOR under nafta is to have made a “substantial investment or is actively being made”. 20 000$ does not constitute a substantial investment. application refused. refusal letter and volontary departure order given to client.

 

[17]           Selon ces notes, il semble que l'Agent a considéré que la somme initiale de 20 000 $ ne constitue pas un investissement substantiel pour octroyer le permis au demandeur. Cependant la preuve au dossier démontre que le demandeur a investi 166 000 $ dans un local commercial pour la compagnie, 67 000 $ dans des stocks de livres à vendre et des milliers de dollars pour l'équipement (affidavit du demandeur, paras. 28 et 29).

 

[18]           L'Agent n'a pas déposé d'affidavit. La Cour a aussi pris connaissance des notes de l'entrevue avec le demandeur et son représentant (pages 12 à 14 du dossier du tribunal), mais il est impossible de comprendre le résultat de cette décision contestée en jumelant les notes au dossier de l'agent et ses notes à l'entrevue.

 

[19]           En présence d'une preuve aussi évidente de la part du demandeur, la Cour ne peut en venir à d'autres conclusions que la décision de l'Agent n'est absolument pas motivée. Pour cette seule raison, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

ii)        droit à un interprète

[20]           Le demandeur se plaint du fait que l’Agent ne l’a pas informé de son droit d'avoir un interprète durant l'entrevue.

 

[21]           S’appuyant sur la décision du juge Pierre Blais dans l’arrêt Lasin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 1655 (QL), le défendeur soutient que l’équité procédurale n’impose pas à l’Agent l'obligation d’informer le demandeur du droit à l’interprète. Le défendeur attire l’attention de la Cour aux paragraphes 11 et 12 de cette décision:

Le demandeur prétend aussi que le fait que l'agente d'immigration ne l'a pas informé de son droit à l'assistance d'un interprète qualifié au cours de l'entrevue constitue une atteinte à l'équité procédurale. Je conviens avec le défendeur que, en l'espèce, l'agente d'immigration n'était pas soumise à l'obligation catégorique d'informer le demandeur de ce droit, surtout si l'on tient compte du fait qu'elle a montré que celui-ci n'avait pas eu de problèmes de compréhension au cours de l'entrevue. À l'appui de sa position, le défendeur invoque les conclusions du juge Blanchard dans la décision Umba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2001 CFPI 582, [2001] A.C.F. no 870, au paragraphe 19 :

 

•     En ce qui concerne l'argument selon lequel l'agent d'immigration principal avait l'obligation d'aviser le demandeur de son droit à l'interprète et aux conséquences éventuelles de l'entrevue avant le début de cette dernière, j'ai conclu, après avoir réfléchi à la question, que les demandeurs ne peuvent tout simplement pas faire valoir ces arguments. Une analyse des notes prises par l'agent principal le 9 mai 2000 démontre que les demandeurs ont bien compris l'ensemble des événements et n'ont pas manifesté de signe d'incompréhension.

 

Dans son affidavit, l'agente d'immigration a clairement signalé que le demandeur comprenait les questions qui lui étaient posées et qu'il donnait des réponses cohérentes. En outre, le demandeur n'a pas demandé les services d'un interprète et, quelque temps auparavant, il avait demandé que les procédures d'immigration se déroulent en anglais, et il a été représenté par un avocat à l'entrevue et celui-ci n'a alors pas fait valoir qu'un interprète était nécessaire. La preuve montre que le demandeur a compris le déroulement de l'entrevue; le fait que l'agente d'immigration n'a pas mentionné le droit à l'assistance d'un interprète ne constitue donc pas une atteinte au principe d'équité procédurale.

 

[22]           Dans la cause qui nous occupe, je considère que l'Agent n'avait pas l'obligation d'informer le demandeur qu'il avait droit à un interprète parce que d’une part, il était représenté par un procureur qui selon les notes au dossier agissait à titre d'interprète. D'autre part, en aucun temps durant l'entrevue le demandeur ou son représentant ont démontré quelques préoccupations du fait que l'entrevue se déroulait en anglais sans l'aide d'un interprète (Khan c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1778 (QL)).

 

iii)        droit d’être informé des préoccupations de l’Agent

[23]           Il n'est pas nécessaire de traiter de cette question étant donné ma conclusion au sujet de l'absence de motifs dans la décision.

 

[24]           Aucune question à certifier n'a été proposée et ce dossier n'en contient aucune.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que

1.      La présente demande de contrôle judiciaire soit accordée et que le dossier soit renvoyé pour être reconsidéré par un agent différent.

2.      Aucune question n’est certifiée.

 

«  Michel Beaudry »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6155-06

 

INTITULÉ :                                       OSIRIS GOMEZ GARRO et

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE                                                                                 L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 14 juin 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      le 25 juin 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :                       

 

Angelica Pantiru                                                            POUR LE DEMANDEUR

 

 

Michel Pépin                                                                POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Angelica Pantiru                                                            POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

 

John Sims, c.r.                                                              POUR LA DÉFENDERESSE 

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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