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Date : 20070625

Dossier : IMM-3381-06

Référence : 2007 CF 676

Ottawa, Ontario, le 25 juin 2007

En présence de Monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

VARGAS BARRIENTOS ALFREDO

FUENTES LOEZA PATRICIA

VARGAS FUENTES LUIS ENRIQUE

VARGAS FUENTES IVAN ALFONSO

VARGAS FUENTES CESAR ALFREDO

Demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

Défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit en l’espèce d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rendue le 31 mai 2006, statuant que le demandeur principal (demandeur), M. Alfredo Vargas Barrientos, son épouse et ses enfants n’ont pas la qualité de « réfugiés » au sens de la Convention, ni de « personnes à protéger » au sens du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

LES FAITS

[2]               M. Vargas a mis sur pied une manufacture de céramique florissante qui employait lors de son départ une quarantaine d’employés. L’entreprise avait deux succursales au Mexique et exportait ses produits à l’extérieur du pays.

 

[3]               Le demandeur allègue avoir commencé à recevoir des appels téléphoniques anonymes à partir de la mi-septembre 2005, lui demandant de verser certaines sommes d’argent s’il voulait bénéficier de protection. Suite à son refus, il aurait été enlevé et séquestré par cinq policiers le 6 octobre de la même année, alors qu’il quittait son travail. Il aurait ainsi été gardé en détention pendant deux semaines, jusqu’à ce que sa famille paie la rançon demandée.

 

[4]               En dépit du versement de cette somme, les menaces continuèrent et on lui demanda à nouveau de l’argent. C’est alors qu’il décida d’aller se cacher avec sa famille chez sa belle-sœur, dans une autre ville du Mexique. Trois jours plus tard, son nouveau lieu de résidence aurait été découvert et on lui aurait de nouveau demandé de verser une somme importante. M. Vargas s’empressa de fuir de nouveau et de trouver refuge chez un autre membre de la famille ailleurs au Mexique. Rien n’y fit. Il fut à nouveau retracé, et les menaces d’extorsion s’intensifièrent. Sa dénonciation aux autorités policières n’ayant donné aucun résultat, il décida de se réfugier au Canada.

 


LA DÉCISION CONTESTÉE

[5]               Dans un premier temps, le tribunal en arriva à la conclusion que l’extorsion dont prétend avoir été victime M. Vargas ne se rapporte d’aucune façon à l’un des cinq motifs de la Convention. Cette détermination n’a pas été contestée dans le cadre de la présente instance.

 

[6]               D’autre part, le tribunal constata un certain nombre de contradictions, incohérences et omissions dans le récit du demandeur :

·                    Lors de sa toute première déclaration à son arrivée au Canada, le demandeur allègue craindre la violence organisée dans son pays. Il ne mentionne nulle part que la police serait impliquée dans son enlèvement. Puis, dans des déclarations ultérieures, il précise avoir été séquestré par des policiers corrompus qui n’étaient pas en devoir. Il s’est cependant montré incapable de préciser à quel corps de police ces policiers appartenaient, disant d’abord avoir vu les lettres « P.J. », puis « P.E.J. », pour ensuite conclure qu’il ne faisait pas la distinction entre la police fédérale et la police d’état et qu’il n’avait pu lire les lettres sur les uniformes parce qu’il était toujours enfermé dans une chambre.

·                    Le tribunal note par ailleurs que le demandeur et sa famille n’ont pas fourni aux autorités du Mexique des informations crédibles pour que ces dernières puissent offrir la protection au demandeur, n’ayant pu identifier ses agresseurs et n’ayant pas demandé l’aide de l’unité spéciale d’enquête sur les enlèvements.

·                    Lors de l’audition, le demandeur a prétendu avoir porté plainte deux fois auprès des autorités. Pourtant, son Formulaire de renseignements personnels (FRP) ne fait allusion qu’à une seule de ces dénonciations. Confronté à cet oubli, le demandeur a déclaré que c’était une erreur, qu’il ne se sentait pas bien et qu’il avait oublié de le mentionner.

·                    Le demandeur s’est également contredit relativement à la date où ses problèmes ont commencé. Il a d’abord déclaré à l’agent d’immigration que ses problèmes avaient commencé en août 2005, pour ensuite écrire dans son FRP que c’était plutôt le 11 septembre 2005.

 

[7]               Le tribunal a donc conclu qu’il ne croyait aucunement l’histoire de persécution du demandeur. Pour ce motif, et parce que l’absence de protection de l’État n’avait pas été démontrée, le tribunal a rejeté la demande d’asile du demandeur principal et, par voie de conséquence, celle de son épouse et de ses enfants.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[8]               Les demandeurs ont soumis les deux questions suivantes :

·                    La SPR a-t-elle commis une erreur en examinant la question de la protection de l’État?

·                    La SPR a-t-elle erré en concluant que le demandeur n’était pas crédible?

 

L’ANALYSE

[9]               Il ne fait aucun doute que la norme de contrôle judiciaire applicable à une décision portant sur l’appréciation de la crédibilité d’un demandeur est celle de la décision manifestement déraisonnable. Il s’agit là d’une question de fait dans la détermination de laquelle la SPR a un net avantage sur cette Cour. La décision du tribunal à cet égard doit donc faire l’objet d’une très grande déférence, et ne pourra être remise en question que si elle est abusive, arbitraire ou rendue sans tenir compte des éléments de preuve : Aguebor c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.). Les demandeurs ne contestent d’ailleurs pas l’application de cette norme de contrôle en l’instance.

 

[10]           Après examen du dossier ainsi que des représentations écrites et orales des parties, j’en suis arrivé à la conclusion que le tribunal pouvait raisonnablement conclure que les incohérences, contradictions et omissions du demandeur minaient irrémédiablement sa crédibilité. Même si certains des motifs avancés par le tribunal pour douter de la crédibilité du récit du demandeur peuvent apparaître moins convaincants que d’autres, il n’en demeure pas moins qu’il faut considérer l’ensemble de la preuve : Sylla c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994], A.C.F. no 793 (C.A.F.) (QL); Wen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 907 (C.A.F.) (QL); Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1272. Considérée dans cette perspective, la décision du tribunal est tout à fait défendable et n’est certainement pas manifestement déraisonnable.

 

[11]           Il m’apparaît tout particulièrement invraisemblable que le demandeur, en captivité pendant deux semaines, n’ait pu identifier ses ravisseurs. Les différentes versions qu’il a données à cet égard ne peuvent d’ailleurs que semer le doute quant à la véracité de son récit. D’abord, il est difficile d’imaginer que des policiers se livrant à ce genre d’actes illégaux aient pu garder leur véhicule de service et leur uniforme pour perpétrer leur méfait. En supposant cependant qu’ils n’aient pas eu la présence d’esprit de mieux camoufler leur identité, on voit mal comment le demandeur pouvait ne pas reconnaître leur uniforme et le corps de police auquel ces individus appartenaient.

 

[12]           Les différentes dates fournies par le demandeur relativement au début de ses problèmes, ainsi que l’ambiguïté entourant le nombre de dénonciations qu’il aurait faites aux autorités de son pays, me semblent également pour le moins suspectes. Ce sont tous là des éléments importants de sa revendication, et il a été incapable d’en donner une version claire et convaincante; pire encore, il a modifié son récit au gré des questions qui lui étaient posées. Il a même tenté d’imputer à une erreur de traduction le fait que la deuxième dénonciation n’était pas mentionnée dans son FRP, alors qu’il s’agissait clairement d’un oubli de sa part.

 

[13]           Bref, la décision du tribunal n’est pas manifestement déraisonnable dans les circonstances, même si elle aurait assurément pu être plus étoffée et mieux motivée. Les raisons invoquées pour rejeter la revendication du demandeur n’ont pas toutes le même poids, et il s’en trouve même certaines qui, prises isolément, peuvent sembler exagérément tatillonnes et dénuées d’importance. Mais considérées dans leur ensemble, elles pouvaient fonder la décision du tribunal de ne pas prêter foi à l’histoire des demandeurs.

 

[14]           Dans ces circonstances, il ne m’est pas nécessaire d’examiner la question de la protection de l’état.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

            - La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

            - Aucune question n’est certifiée.

 

« Yves de Montigny »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3381-06

 

INTITULÉ :                                       VARGAS BARRIENTOS ALFREDO ET AL.

 

                                                           

                                                                                                            Demandeurs

                                                            c.

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                                                            Défendeur

                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal

 

DATE DE L’AUDIENCE :               19 juin 2007

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       L’Honorable juge de Montigny

 

DATE DES MOTIFS :                      25 juin 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Jorge Colasurdo

 

POUR LES DEMANDEURS

Me Patricia Deslauriers

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Jorge Colasudo

502, rue Bélanger Est, Suite 202

Montréal, Québec  H2S 1G4

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, QC

Montréal, Québec

POUR LE DÉFENDEUR

 

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