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Date : 20070625

 

Dossier : IMM-6139-06

Référence : 2007 CF 675

 

ENTRE :

MARIE DIMONEKENE

 

Partie demanderesse

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

Partie défenderesse

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LE JUGE HARRINGTON

[1]               La question posée dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire se résume à savoir si le fils de madame Marie Dimonekene, Canthe Carlosenhe Carlite, est un étudiant qui, empruntant le texte de la définition d’ « enfant à charge » énoncé à l’article 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, :

b) (ii) […] n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l’âge de vingt-deux ans ou est devenu, avant cet âge, un époux ou conjoint de fait et qui, à la fois :

 

 

(A) n’a pas cessé d’être inscrit à un établissement d’enseignement postsecondaire accrédité par les autorités gouvernementales compétentes et de fréquenter celui-ci,

(B) y suit activement à temps plein des cours de formation générale, théorique ou professionnelle,

 

[nos soulignés]

(b) (ii) has depended substantially on the financial support of the parent since before the age of 22 — or if the child became a spouse or common-law partner before the age of 22, since becoming a spouse or common-law partner — and, since before the age of 22 or since becoming a spouse or common-law partner, as the case may be, has been a student

(A) continuously enrolled in and attending a post-secondary institution that is accredited by the relevant government authority, and

 

(B) actively pursuing a course of academic, professional or vocational training on a full-time basis

 

[emphasis added]

Dans l’affirmative, la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. Dans le cas contraire, elle doit être rejetée.

 

LES FAITS

[2]               Marie Dimonekene est une réfugiée originaire de la République populaire du Congo. Après avoir obtenu des autorités canadiennes sa résidence permanente au pays, elle a tenté de parrainer ses enfants. Pour ce faire, elle a entamé des procédures administratives dont le traitement a accusé certains délais dû aux impératifs qu’imposent de telles procédures tant de la part du requérant que des autorités en charge du dossier. En l’instance, les délais observés sont sans incidence.

 

[3]               Après avoir été rejetée, la demande de parrainage mettant en cause les enfants de madame Dimonekene a finalement été partiellement accueillie par la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ne rejetant la demande qu’envers l’un des requérants. Il s’agit de Canthe, le fils aîné.

 

[4]               En fait, selon le texte réglementaire reproduit plus haut en ces lignes et considérant que ce dernier est aujourd’hui âgé de 31 ans, il lui est impossible d’appartenir à la catégorie « enfant à charge » à moins de démontrer qu’il n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l’âge de vingt-deux ans et qui, à la fois, n’a pas cessé d’être inscrit à un établissement d’enseignement postsecondaire accrédité par les autorités gouvernementales compétentes et de fréquenter celui-ci et qu’il y suit activement à temps complet des cours de formation générale, théorique ou professionnelle.

 

[5]               Lorsque la SAI exerce sa compétence et décide d’accueillir un appel comme en l’espèce, elle doit pour ce faire agir conformément à ce que prévoit l’article 67 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Voici ce qu’il énonce :

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

 

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

[6]               Il n’est pas inutile de mentionner que, bien que Canthe ait été directement touché par la première décision ayant conclu que sa mère n’était pas en mesure de le parrainer, il n’était pas possible pour la SAI lors de son examen de cette décision et ce, conformément à l’article 65 de la LIPR, de prendre en considération les motifs d’ordre humanitaires à son égard puisqu’elle a déterminé que ce dernier ne faisait pas partie de la catégorie du regroupement familial ne jouissant pas de façon effective de la qualité réglementaire d’ « enfant à charge ».

 

[7]               En bref, reprenant les exigences légales découlant du droit en vigueur au pays, Canthe peut être considéré comme faisant partie de la catégorie du regroupement familial que s’il satisfait aux conditions relatives aux études postsecondaires découlant de la définition « enfant à charge » du sous-alinéa 2b)(ii) du Règlement.

[8]               En l’instance, un fait demeure. D’avril 1998 à février 1999, alors qu’il était âgé de 22 ans, Canthe n’allait pas à l’école. En fait, il est important de souligner que durant cette période, toutes les écoles du Congo avaient alors cessé leurs activités dû à la guerre civile qui sévissait et à l’instabilité qu’elle avait provoquée. Considérant qu’il s’agissait là d’un des motifs pour lesquels la demande de parrainage a premièrement été rejetée, soit pour cause d’absence de Canthe en classe durant ces quelques mois ayant eu pour conséquence d’interrompre ses études postsecondaires et l’ayant ainsi dépouillé de sa qualité d’ « enfant à charge », madame Dimonekene en a appelé de cette décision à la SAI. Une fois de plus, réitérant ce motif, la SAI concluait que l’enfant aîné n’était pas un « enfant à charge » et qu’en conséquence, il était donc exclu de la catégorie du regroupement familial. De plus, la SAI ajoutait que l’appartenance à ce regroupement était une condition préalable essentielle pour que les motifs d’ordre humanitaires puissent être pris en compte.

 

[9]               Il s’agit en l’espèce du contrôle judiciaire de cette décision.

 

[10]           Les motifs de cette décision reposent principalement sur le fait que le texte de la LIPR ici en cause ne prévoit pas de façon explicite comme le faisait l’ancien règlement que le requérant puisse bénéficier d’une période de grâce suite à une interruption des études poursuivies pour une cause de force majeure telle que la guerre et ce, malgré le fait que le requérant ait démontré de façon satisfaisante que, suite à son retour en classe depuis, il a complètement rattrapé le temps perdu. Pour en décider comme elle l’a fait, la SAI a eu recours à la jurisprudence.

 


L’ANALYSE

[11]           Il serait beaucoup trop simple de conclure que la question qui se pose ici en est une mixte, de fait et de droit. Premièrement, la question portant sur le sens à donner au texte de la définition « enfant à charge » est purement une question de droit, alors que la seconde s’intéresse à l’appréciation des faits propres au récit de Canthe et par conséquent, en est une de fait. En observant l’approche pragmatique et fonctionnelle permettant de déterminer la norme de contrôle judiciaire applicable en l’espèce, j’en viens à la conclusion que la première question doit être examinée en application de la norme de la décision correcte. Subsidiairement, à la lumière des conclusions auxquelles j’en arrive relativement à cette question, il ne m’est pas nécessaire de déterminer la norme de contrôle judiciaire à appliquer à la seconde question en litige, soit celle de la décision raisonnable simpliciter ou manifestement déraisonnable.

 

[12]           Au soutien de ses motifs, comme il en a été discuté plus haut en ces lignes, la SAI réfère à la jurisprudence, incluant des décisions qu’elle a elle-même rendues par le passé. Par exemple, suivant Casinathan v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [1994] I.A.D.D. No. 938 (QL), il a été décidé que « le requérant n’a pas pu poursuivre ses études au Sri Lanka suite à la fermeture des écoles pendant la guerre civile. Le tribunal a conclu qu’il n’était pas un « fils à charge » ». Faut-il le rappeler, cette Cour n’est aucunement liée par une telle décision.

 

[13]           De plus, l’opinion de la SAI repose sur une décision de monsieur le juge Wetston dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Nikolova, [1995] A.C.F. no 1337 (QL). Dans cette affaire, la Cour a conclu que l’enfant en cause n’était plus un enfant à charge, bien qu’il ait été « empêché de poursuivre ses études parce qu’il [avait] été appelé à faire son service militaire obligatoire. » Toutefois, il est important de mettre en lumière que dans cette décision, le principal motif ayant mené à la non reconnaissance de la qualité d’ « enfant à charge » est le fait que le requérant était trop âgé lorsque la demande de parrainage avait été introduite.

 

[14]           La décision de monsieur le juge Pinard, Avci c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1412 (QL), aussi citée par la SAI dans la décision ici contestée, est très similaire à l’affaire Nikolova ci-dessus, bien que la règlementation applicable diffère. Brièvement, une fois de plus dans cette affaire décidée par monsieur le juge Pinard, le requérant ne pouvait pas se voir reconnaître la qualité d’ « enfant à charge » puisqu’il était trop âgé au moment où la demande de parrainage avait été introduite.

 

[15]           À plusieurs occasions, la Cour suprême du Canada a réitéré les principes d’interprétation des lois qui doivent guider le sens à donner aux textes législatifs lorsqu’une ambiguïté se pose. L’arrêt Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559 en est un bel exemple :

[26] Voici comment, à la p. 87 de son ouvrage Construction of Statutes (2e éd. 1983), Elmer Driedger a énoncé le principe applicable, de la manière qui fait maintenant autorité :

 

[traduction]  Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

 

Notre Cour a à maintes reprises privilégié la méthode moderne d’interprétation législative proposée par Driedger, et ce dans divers contextes : voir, par exemple, Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, p. 578, le juge Estey; Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre‑Dame de Bon‑Secours, [1994] 3 R.C.S. 3, p. 17; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21; R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688, par. 25; R. c. Araujo, [2000] 2 R.C.S. 992, 2000 CSC 65, par. 26; R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, 2001 CSC 2, par. 33, le juge en chef McLachlin; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, 2002 CSC 3, par. 27. Je tiens également à souligner que, pour ce qui est de la législation fédérale, le bien-fondé de la méthode privilégiée par notre Cour est renforcé par l’art. 12 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I‑21, qui dispose que tout texte « est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet ».

 

[nos soulignés]

 

 

[16]           Par conséquent, il est primordial de s’interroger sur les objectifs véhiculés par la LIPR. À la lecture du texte qu’elle énonce, il ressort expressément que l’un de ses objectifs premiers est celui-ci :

3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

 

(…)

 

d) de veiller à la réunification des familles au Canada[,]

3. (1) The objectives of this Act with respect to immigration are

 

 

(…)

 

(d) to see that families are reunited in Canada;

 

Dès lors, il m’apparaît que le sens que donne la SAI au texte du Règlement ici en cause est tout simplement incorrect, voire même déraisonnable.

 

[17]           À titre comparatif, la Loi sur la citoyenneté en vigueur au Canada oblige un résident permanent à résider au pays pour une période de trois ans durant les quatre ans précédent l’introduction de sa demande de citoyenneté. Cette condition préalable à la reconnaissance de la citoyenneté canadienne a eu et a toujours pour conséquence d’exclure un grand nombre de demandes. Il ne reste pas moins que dans quelques affaires, incluant Koo (Re), [1992] F.C.J. No 1107 (QL), cette Cour a établi que l’ensemble des circonstances particulières à une telle demande devait être examinées, y compris les motifs au soutien de l’absence du demandeur au pays durant la période de référence prescrite.

 

[18]           Peut-il être inféré qu’un étudiant ne fréquente pas un établissement d’enseignement de façon continue du fait qu’il est malade une journée, du fait qu’il s’absente une journée pour cause de grève du corps enseignant, du fait que l’école ferme ses portes quelques jours suite aux coups de feu échangés par des élèves lunatiques ou du fait, par exemple, que l’ensemble des écoles d’une région sont fermées en raison de la guerre civile qui y fait rage?

 

[19]           Si le fait de manquer une journée d’école n’équivaut pas véritablement à une interruption des cours, combien de journées scolaires doivent-elles être manquées pour en venir à une telle conclusion? Il m’apparaît pour ce faire que l’ensemble des circonstances particulières à une affaire donnée doivent être considérées comme, par exemple, les raisons expliquant les absences en classe, les opportunités de rattraper le temps perdu et si celles-ci ont été saisies ou non, etc.

 

[20]           En l’instance, l’examen de la SAI ne devait pas s’arrêter comme elle l’a fait, soit en concluant strictement que l’absence physique de Canthe à son établissement d’enseignement durant les mois de guerre civile au Congo avait eu à elle seule pour conséquence d’interrompre ses études postsecondaires. Elle devait aussi se demander pourquoi et s’interroger sur ce qui avait été fait par la suite pour palier aux conséquences propre à une telle absence. Ce qu’elle n’a pas fait.

 

[21]           Bien que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, le Ministre a jusqu’au 9 juillet 2007 pour soumettre une question grave de portée générale pour les fins d’un appel potentiel, alors que selon les circonstances, le demandeur aura jusqu’au 19 juillet 2007 pour y répondre.

 

 

 

« Sean Harrington »

 

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 25 juin 2007


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6139-06

 

INTITULÉ :                                       Marie Dimonekene c.

                                                            Le Ministre de la citoyenneté et de l’immigration

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 6 juin 2007

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 25 juin 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Lia Cristinariu

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Thi My Dung Tran

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lia Cristinariu

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

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