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Date : 20070620

 

Dossier : T-1502-00

Référence : 2007 CF 659

Ottawa (Ontario), le 20 juin 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

ENTRE :

MICROSOFT CORPORATION

 

demanderesse

et

 

 

9038-3746 QUÉBEC INC., 9014-5731 QUÉBEC INC.,

ADAM CERRELLI et CARMELO CERRELLI

 

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE RELATIVE AUX DÉPENS

 

[1]               Microsoft a obtenu jugement contre les défendeurs et sollicite maintenant une ordonnance relative aux dépens. Elle demande l’adjudication d’une somme globale établie sur une base avocat-client et s’élevant à près de 2 500 000 $.

 

[2]               Les défendeurs reconnaissent que Microsoft a droit aux dépens, mais ils sont d’avis que ceux-ci devraient être calculés conformément au tarif des Règles des Cours fédérales. Ils s’opposent à l’octroi d’une somme globale parce que l’instance s’est poursuivie pendant plus de six ans. Ils prétendent avoir le droit d’exiger un affidavit, d’effectuer un contre-interrogatoire et de débattre devant un officier taxateur des articles qu’ils estiment opportun de contester.

 

[3]               Les défendeurs soutiennent en outre que certains autres facteurs devraient entrer en ligne de compte. À leur avis, le temps consacré au dossier et le nombre d’avocats qui y ont pris part sont excessifs compte tenu des questions en litige. Ils font également valoir que Microsoft n’a pas eu pleinement gain de cause dans la mesure où l’injonction permanente qu’elle a obtenue n’était pas aussi étendue que celle demandée. Par ailleurs, certaines offres de règlement, si elles ne sont pas plus avantageuses que le jugement obtenu, sont pertinentes.

 

LE JUGEMENT

[4]               La Cour a conclu que les défendeurs, à l’exception d’Adam Cerrelli, ont violé le droit d’auteur et les marques de commerces rattachés à certains programmes informatiques et produits connexes. Elle a accordé à Microsoft des dommages-intérêts préétablis de 500 000 $ ainsi que 200 000 $ additionnels à titre de dommages-intérêts punitifs, condamnant solidairement les deux sociétés défenderesses à verser 100 000 $, et Carmelo Cerrelli à payer 100 000 $. Elle a aussi adjugé les intérêts avant jugement et après jugement sur les dommages‑intérêts et accordé une injonction permanente.

 

[5]               Aux termes d’un règlement conclu avec Adam Cerrelli, la demanderesse n’a sollicité aucune conclusion contre ce dernier, sauf qu’il était entendu qu’en cas d’injonction permanente prononcée contre Carmelo Cerrelli, l’injonction s’adresserait aussi à lui. Microsoft a aussi accepté de ne pas demander de dépens contre lui.

LE DROIT RELATIF AU DÉPENS

[6]               Les dépens sont régis par les articles 400 et suivants des Règles des Cours fédérales. En règle générale, ils suivent l’issue de l’instance, de sorte qu’en l’espèce, Microsoft, qui a eu gain de cause, a droit aux dépens. La Cour jouit d’un pouvoir discrétionnaire et peut, dans les circonstances appropriées, à la fois adjuger des dépens sur une base avocat-client et accorder une somme globale en remplacement de la taxation formelle par un officier taxateur.

 

[7]               Les Règles énumèrent certains facteurs dont la Cour peut tenir compte, comme les sommes réclamées et les sommes recouvrées, l’importance et la complexité des questions en litige, le résultat des requêtes interlocutoires et les offres de règlement. La prémisse de la plupart de ces facteurs est que, sauf ordonnance contraire de la Cour, les dépens entre parties sont taxés conformément au tarif B des Règles.

 

[8]               L’adjudication de dépens partie-partie suppose une indemnisation partielle, non une indemnisation complète. Des dépens avocat-client sont adjugés dans les cas où il convient d’indemniser complètement, ou à tout le moins très substantiellement, la partie qui a eu gain de cause. En général, les dépens ne sont pas adjugés sur une base avocat‑client. Aussi la première question consiste-t-elle à se demander si la conduite des défendeurs justifie d’être sanctionnée par l’imposition de ce genre d’ordonnance.

 

[9]               La deuxième question est de savoir s’il y a lieu d’adjuger les dépens sous forme de somme globale. Bien que l’adjudication d’une somme globale soit souhaitable et simplifie certainement les choses, la présente instance s’est déroulée en plusieurs étapes qui se sont échelonnées sur un certain nombre d’années. En outre, Microsoft soutient – ce que les défendeurs contestent – que le témoignage après jugement de M. Cerrelli est pertinent.

 

[10]           Enfin, il convient de tenir compte des autres facteurs soulevés par les défendeurs ainsi que de certains éléments qu’ils contestent plus particulièrement.

 

DÉPENS AVOCAT-CLIENT

[11]           Les dépens avocat-client sont réservés aux cas où une partie s’est conduite de manière répréhensible, scandaleuse ou outrageante (voir : Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3, aux pages 134-135; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, à la page 864; Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (2000), 9 C.P.R. (4th) 289 (C.A.F.)).

 

[12]           Les dépens doivent être adjugés contre Carmelo Cerrelli et les deux sociétés à dénomination numérique, solidairement. En effet, non seulement M. Cerrelli a-t-il été jugé personnellement responsable, mais il était aussi l’âme dirigeante des deux sociétés. C’est sa conduite qu’il y a lieu d’examiner.

 

[13]           J’ai déjà conclu que les trois défendeurs ont agi de mauvaise foi, un facteur qui a joué dans l’octroi du montant maximal de dommages-intérêts préétablis, soit 20 000 $ pour chacune des 25 violations du droit d’auteur. J’ai fait remarquer au paragraphe 113 des motifs du jugement que « [l]eur comportement avant l’instance et au cours de celle-ci faisait fi de l’ordre public et le défaut de produire les documents appropriés, malgré l’ordonnance de la Cour, démontre la nécessité de créer un effet dissuasif à l’égard de violations éventuelles du droit d’auteur en question ».

 

[14]           J’ai aussi accordé des dommages-intérêts punitifs, lesquels ne sont attribués qu’exceptionnellement contre des défendeurs, lorsqu’une conduite malveillante, opprimante et abusive choque le sens de la dignité de la Cour (voir : Whiten c. Pilot Insurance Co., [2002] 1 R.C.S. 595, 2002 CSC 18, au paragraphe 36).

 

[15]           Toutefois, l’attribution des dommages-intérêts n’empêche pas d’adjuger les dépens sur une base avocat-client. En effet, dans certains cas où la Cour a accordé des dommages‑intérêts préétablis et a aussi adjugé des dépens avocat-client. À cet égard, voir la décision du juge Nadon dans Wing c. Van Velthuizen (opérant sous la raison sociale Gratitude Press Canada) (2000), 9 C.P.R. (4th) 449, et celle du juge Lemieux dans Telewizja Polsat S.A. c. Radiopol Inc. (2006), 52 C.P.R. (4th) 445, 2006 CF 137.

 

[16]           Constitue une conduite « répréhensible » celle qui mérite une réprimande, un blâme. Le mot « scandaleux » est dérivé de scandale, un terme pouvant désigner une personne, un objet, un événement ou une situation qui suscite la colère ou l’indignation publique. Le mot « outrageant » décrit notamment une conduite profondément choquante, inacceptable, immorale et injurieuse (voir le Oxford Canadian Dictionary [relativement aux termes « reprehensible », « scandalous » et « outrageous »]).

 

[17]           La conduite de M. Cerrelli mérite tous ces qualificatifs, comme je l’ai indiqué tout au long des motifs du jugement et plus particulièrement aux paragraphes 26, 34, 56 à 64, 70, 72, 84e), 111, 113 et 114.

 

[18]           M. Cerrelli ne s’est guère soucié de la vérité à l’étape de la communication préalable et à l’instruction, et il a omis de produire des documents malgré une ordonnance de la Cour. Le cas présent ressemble dans une certaine mesure à l’affaire Logiudice c. Sa Majesté la Reine (1997), 97 D.T.C. 1462, dans laquelle le juge Bowie de la Cour canadienne de l’impôt a adjugé des dépens avocat-client. À la page 1466, il a dit, au sujet de la demanderesse :

 

À l’audience, l’appelante a donné à plusieurs reprises des réponses contradictoires, et elle a répondu à un certain nombre de questions sur des points cruciaux d’une façon différente de la façon dont elle avait répondu lors de l’interrogatoire préalable. En témoignant, elle a fréquemment déclaré qu’elle avait oublié ce qui s’était passé ou qu’elle n’en avait qu’un souvenir vague. Il est tout à fait clair que l’appelante ne respectait pas le serment qu’elle avait prêté, et qu’elle n’était pas tant animée par le désir de dire la vérité que par l’idée de raconter l’histoire qui servirait le mieux les intérêts de son fils et ses propres intérêts.

 

 

[19]           C’est la conduite de M. Cerrelli qui doit être examinée dans son ensemble. Sans revenir sur la prétention première des défendeurs, à savoir que les dépens devraient être adjugés exclusivement sur une base partie‑partie, l’avocat des défendeurs a soulevé deux points subsidiaires. L’un de ceux-ci est que, si des dépens procureur‑client devaient être attribués, ils ne devraient être calculés qu’à partir de la date, en 2002, à laquelle les défendeurs ont reçu le premier affidavit de Robert Friedman. M. Friedman avait été assigné comme témoin expert par Microsoft et il a établi de façon claire et convaincante que 394 des 397 CD qu’il avait examinés constituaient une contrefaçon. Aucune preuve d’expert n’a été présentée pour tenter de réfuter cette conclusion.

 

[20]           Le dossier n’indique pas quel avis d’expert, le cas échéant, les défendeurs ont tenté d’obtenir après avoir reçu l’avis de M. Friedman. Il révèle par contre qu’après que la police de Montréal eut retourné d’autres CD et produits connexes qui avaient été saisis, Microsoft a demandé que ces articles soient mis à la disposition de M. Friedman pour inspection. Les paragraphes 55 et suivants des motifs du jugement décrivent ce qui s’est passé. D’abord, le défendeur a dit à ses avocats que ces articles n’étaient pas disponibles pour inspection parce qu’il les avait vendus. Puis, il a affirmé qu’il les avait jetés. Plus tard, et après que la Cour eut ordonné leur production, il a déclaré s’être rendu compte que ses instructions n’avaient pas été suivies et avoir chargé un nouvel employé de mettre au rebut le matériel en question. Or, comme j’ai fait remarquer au paragraphe 64, « [c]ependant, peu importe comment cette situation est analysée, les articles n’avaient pas été détruits lorsque l’avocat a affirmé qu’ils l’avaient été et, à la connaissance de M. Cerrelli, ils étaient disponibles pour inspection à la suite de l’ordonnance rendue par le protonotaire Lafrenière ».

 

[21]           Plutôt que d’admettre que les articles étaient une contrefaçon, ce qui aurait quand même nécessité la détermination de sa responsabilité personnelle puisqu’il n’était pas l’importateur des œuvres protégées par le droit d’auteur, le défendeur a tenté de dissimuler.

 

[22]           Il est inutile en l’espèce de faire valoir qu’à certains moments, la conduite de M. Cerrelli a été moins scandaleuse qu’à d’autres. De même, la collaboration entre les avocats est sans pertinence. Il ne s’agit pas ici d’un cas où la Cour doit examiner la responsabilité d’un avocat à l’égard des frais engagés, en application de l’article 404 des Règles.

 

[23]           Le second point découle de la décision rendue par le juge O’Keefe dans Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 50, actuellement en appel. Abbott a obtenu une ordonnance pour les dépens contre Pharmascience Inc. relativement à une demande présentée en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). La décision du juge O’Keefe est fondée sur la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, un volet du principe de la chose jugée. Bien qu’il ait adjugé des dépens partie‑partie plutôt que des dépens avocat‑client, le juge a néanmoins accordé une somme globale dépassant de loin le tarif. Il a accordé environ 52 % des dépens avocat‑client.

 

[24]           Le juge O’Keefe a fait état de l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., [2003] 2 C.F. 451, 2002 CAF 417, dans lequel le juge Rothstein a souligné qu’en vertu du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré, la Cour peut fixer les dépens en se reportant au tarif tout comme elle peut y déroger, et a déclaré que l’objectif des dépens partie-partie est d’accorder une contribution appropriée aux dépens avocat‑client.

 

[25]           Dans le cas présent, il convient d’adjuger non pas une contribution aux dépens avocat‑client, mais bien plutôt les véritables dépens avocat‑client, desquels doivent être déduits certains montants que je préciserai.

 

[26]           Pour conclure sur ce point, Microsoft a droit aux dépens sur une base avocat‑client.

 

SOMME GLOBALE POUR LES DÉPENS

[27]           Dans les cas qui le permettent, une somme globale devrait être adjugée pour les dépens. Cette mesure permet d’éviter une reddition de compte et une taxation qui peuvent s’avérer longues et coûteuses. L’administration de la justice est mieux servie si le temps des officiers désignés n’est pas inutilement accaparé (voir Barzelex Inc. c. « EBN Al Waleed » (Le), [1999] A.C.F. no 2002 (1re inst.) (QL), Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd. (1998), 83 C.P.R. (3d) 31 (C.F. 1re inst.), et Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Foods Inc., précité). Je souscris au point de vue formulé par le juge Winn de la Cour d’appel d’Angleterre dans l’arrêt Doyle c. Olby (Ironmongers) Ltd., [1969] 2 All E.R. 119, à la page 124, bien qu’il porte sur l’attribution de dommages-intérêts et non de dépens :

[traduction] Je crois que la Cour dispose déjà d’éléments de preuve suffisants pour lui permettre de faire une évaluation en chiffres ronds. Il serait inopportun de s’engager dans un examen minutieux d’articles particuliers à l’égard desquels il faut trouver un juste équilibre, et cet exercice constituerait un emploi inacceptable du temps du tribunal et de l’argent des parties.

 

[28]           Au cours d’une conférence de mise au rôle, j’ai exprimé certaines préoccupations quant à la pertinence d’accorder une somme globale pour les dépens, compte tenu de tout ce qui s’est passé pendant six ans. Pour étayer sa position, Microsoft a demandé à la Cour de tenir compte de l’interrogatoire de Carmelo Cerrelli à l’appui de l’exécution du jugement. L’avocat des défendeurs s’y est opposé au motif que la conduite postérieure au jugement ne devrait pas entrer en ligne de compte pour l’attribution de dépens avocat‑client portant sur la période antérieure à l’instruction et sur l’instruction.

 

[29]           J’ai néanmoins accepté la transcription, Microsoft m’ayant assuré que son seul but était de mettre en preuve la déclaration de M. Cerrelli selon laquelle ni lui ni les deux sociétés à dénomination numérique n’étaient en mesure d’exécuter le jugement ni, partant, d’acquitter des dépens. Une taxation fastidieuse risquerait d’être une perte de temps et d’efforts et de retarder les choses.

 

[30]           L’adjudication d’une somme globale pour les dépens priverait les défendeurs de la possibilité de vérifier les montants réclamés. Cependant, l’ébauche du mémoire de frais annexée à la requête est fort bien détaillée, et le déroulement de l’instance, y compris les interrogatoires préalables, les objections, les décisions et l’instruction, figure déjà au dossier. Microsoft fait valoir que c’est le principe qui compte en l’occurrence. Elle demande à la Cour de laisser clairement comprendre qu’elle n’acceptera pas le mépris désinvolte des droits de propriété intellectuelle. L’attribution de dépens avocat‑client sous forme d’une somme globale est utile « pour encourager les autres », comme dirait Voltaire.

 

[31]           De plus, afin d’éviter toute apparence que les défendeurs étaient privés de leurs droits, Microsoft s’est dit prête à réduire les honoraires de 25 %.

 

[32]           Vu les faits de l’espèce, je suis d’avis qu’il convient de tenir compte de cette situation et j’accorderai une somme globale pour les dépens.


 

DÉDUCTIONS

[33]           La réclamation relative aux honoraires d’avocat s’élève à 1 950 947,55 $. Elle comprend les honoraires afférents à certaines requêtes interlocutoires pour lesquelles des dépens ont déjà été accordés. Microsoft soutient qu’il est important de rajouter aux montants déjà attribués, de façon à assurer une pleine indemnisation. À son avis, cette mesure est maintenant indiquée, puisque ce n’est que maintenant qu’apparaît toute l’étendue de l’inconduite des défendeurs. La demanderesse invoque plus particulièrement la décision rendue par le juge Muldoon dans Maison des Pâtes Pasta Bella Inc. c. Olivieri Foods Ltd. (1999) 163 F.T.R. 252, [1999] A.C.F. no 213 (QL). Si je comprends bien, le juge Muldoon parlait de dépens adjugés sur une base partie‑partie. Je conviens qu’en l’espèce, il serait injuste de priver Microsoft du reste des dépens afférents à ces ordonnances interlocutoires. Cependant, des montants précis ont déjà été adjugés relativement à quatre requêtes. Ces montants dépassent le tarif et témoignent du mécontentement de la Cour. Il a été pleinement satisfait à l’une au moins de ces ordonnances.

 

[34]           Il me semble que, lorsqu’une partie demande et obtient une ordonnance attribuant des dépens plus élevés que ne le prévoit le tarif relativement à une requête interlocutoire, il n’y a pas lieu de réexaminer plus tard cette ordonnance.

 

[35]           Les honoraires afférents à ces requêtes totalisaient environ 150 000 $. Pour faire un chiffre rond, les honoraires sont en conséquence réduits à 1 800 000 $. Il convient de mentionner que, dans le cadre de la réduction offerte par Microsoft pour obtenir rapidement une ordonnance adjugeant une somme globale pour les dépens, celle-ci s’est aussi dite prête à renoncer à ce montant de 150 000 $, indépendamment de la réduction de 25 % proposée. Toutefois, je tiens à préciser que je n’aurais pas accepté de rajouter aux montants déjà adjugés.

 

[36]           Bien qu’une réduction de 25 % semble raisonnable, les défendeurs prétendent que la demanderesse a fait preuve d’un excès de zèle dans le temps total consacré au dossier ainsi que dans le nombre d’avocats et le personnel juridique qu’elle y a affectés. Il ne fait aucun doute que Microsoft tenait à bien défendre le dossier. Certaines des questions en litige étaient de droit nouveau. Étant donné que l’examen mené dans le cadre d’une taxation aurait peut‑être pu donner certains résultats, je conclus qu’il convient de réduire de 30 %, plutôt que de 25 %, les honoraires de 1 8000 000 $.

 

[37]           Il ne faut pas croire que le montant réclamé ou celui accordé à titre de dommages‑intérêts constitue un plafond pour ce qui est des dépens. Le montant en litige n’est qu’un des nombreux facteurs à examiner, indépendamment du fait que Microsoft a aussi demandé et obtenu un redressement en equity.

 

[38]           Les débours réclamés, exclusion faite des honoraires et débours de M. Friedman, s’élèvent à 198 143,61 $ plus le coût des photocopies, qui n’a pas encore été calculé. Un total de 37 194 photocopies ont été faites.

 

[39]           Les défendeurs ont fait part de préoccupations particulières quant à certains des frais engagés. Par exemple, la demanderesse a dépensé quelque 40 000 $ pour l’indemnité versée aux témoins et les débours de témoins non‑experts qui auraient pu être assignés par subpoena et qui n’auraient reçu qu’une petite indemnité, s’il en est. Elle a aussi versé plus de 22 000 $ à un preneur de notes durant l’instruction, même si la preuve était consignée par un sténographe judiciaire officiel. En outre, Microsoft n’a pas encore reçu la facture pour les photocopies.

 

[40]           Plutôt que d’ordonner une taxation, j’estime qu’il est juste et raisonnable de fixer à 150 000 $ les débours autres que le compte de M. Friedman.

 

[41]           Les honoraires et débours de M. Friedman s’élèvent à 175 715,23 $US. Je les accorde en totalité. Cette somme doit être convertie en dollars canadiens, calculés à la date à laquelle l’obligation est née, que je présumerai être la date des diverses factures (voir : Capitol Life Insurance Co. c. Canada (1988), 87 N.R. 153, [1988] A.C.F. no 579 (C.A.F.) (QL); N.V. Bocimar S.A. c. Century Insurance Co. of Canada (1984), 53 N.R. 383, infirmée pour d’autres motifs, [1987] 1 R.C.S. 1247).

 

AUTRES FACTEURS

[42]           Les défendeurs ont fait état de trois offres de règlement, dont deux de leur part et une de Microsoft. Les offres des défendeurs ne sont pas pertinentes parce qu’elles ne comprenaient pas d’injonction permanente. L’offre de Microsoft est plus pertinente en ce qui touche les dommages‑intérêts; toutefois, l’injonction permanente qu’elle sollicitait avait une plus grande portée que celle qui a été accordée. Je suis d’avis que les offres de règlement ne sont pas pertinentes pour l’adjudication des dépens.

 

[43]           Les défendeurs font valoir que Microsoft n’a obtenu que partiellement gain de cause, puisque l’injonction décernée est moins étendue que celle qu’elle sollicitait. Toutefois, il est bien établi que, pour autant qu’une partie obtienne jugement, elle a droit aux dépens. Dans l’affaire Liquilassie Shipping Ltd. c. M.V. « Nipigon Bay » (Le), [1975] 2 Lloyd’s Rep. 279, [1975] A.C.F. no 209 (QL), le navire de la demanderesse s’est fait frôler dans une voie maritime et s’est échoué. Le juge Walsh a statué que le navire de la demanderesse était responsable dans une proportion de 20% et le navire défendeur, qui n’avait subi aucune avarie, de 80 %. Se prononçant sur la question de savoir si les dépens devaient être adjugés en proportion de la faute, le juge Walsh a fait remarquer que la jurisprudence invoquée par la défenderesse se rapportait à des collisions dans lesquelles les deux bateaux avaient subi des avaries. Le procès a eu pour seul effet de réduire le montant de la réclamation de la demanderesse, sans mener à une exonération complète, de sorte qu’il n’y avait pas lieu de réduire les dépens proportionnellement.

 

[44]           Dans l’arrêt Sunrise Co. c. « Lake Winnipeg » (Le), [1988] A.C.F. no 1009 (C.A.F.) (QL), le juge Hughessen a dit :

      Bien qu’il soit exact que l’appel sur la question de la responsabilité, même s’il n’a pas été accueilli, a pris la majeure partie de l’audience, je ne crois pas que ce soit là une raison pour dévier de la règle générale et priver de leurs dépens les appelants qui ont eu gain de cause. Ce serait là établir un fâcheux précédent, qui pourrait contraindre la Cour à perdre beaucoup de temps à faire de subtiles distinctions. À moins qu’il n’y ait eu emploi abusif des procédures de la Cour, l’heureux appelant, tout comme le demandeur qui a obtenu gain de cause, ne devrait pas être puni simplement parce que ses arguments n’ont pas tous été accueillis favorablement par le tribunal. J’accorderais en conséquence aux appelants les dépens de leur appel de la façon ordinaire, sous réserve seulement de l’exception qui suit.

 

      Le point sur lequel les appelants ont obtenu gain de cause était, comme on l’a indiqué, une pure question de droit. Puisque les faits avaient été reconnus, cette Cour n’avait besoin d’aucune partie des éléments de preuve présentés en première instance pour statuer sur la question en litige. La transcription et la reproduction de ces éléments de preuve était entièrement inutile, et il serait injuste de forcer les intimées à en subir le coût. En conséquence, il devrait y avoir inscription du jugement selon le libellé sur lequel les parties se sont entendues, avec une ordonnance sur les dépens adjugeant aux appelants les dépens de l’appel (exclusion faite des frais de transcription et de reproduction des éléments de preuve soumis en première instance). Je ne rendrais aucune ordonnance concernant les dépens de la présente requête.

 

 

[45]           En l’espèce, les prétentions que la Cour n’a pas retenues, comme les activités de marché gris et la demande d’étendre l’injonction permanente à des droits d’auteur qui n’avaient pas été allégués, constituaient de pures questions de droit et n’ont pas ajouté de façon importante au temps de l’instruction ni aux éléments soumis à la Cour.

 

 

RÉSUMÉ

[46]           Les dépens sont adjugés contre 9038-3746 QUÉBEC INC., 9014-5731 QUÉBEC INC. et Carmelo Cerrelli solidairement, en faveur de la demanderesse; ils comprennent des honoraires d’avocat de 1 260 000 $, des débours ordinaires de 150 000 $ ainsi que l’équivalent en dollars canadiens de 175 715,23 $US pour les honoraires et les débours de Robert Friedman. Ces dépens comprennent la requête pour directives concernant les dépens, les conférences préparatoires et l’audience. Ils incluent aussi l’adjudication des dépens afférents à toutes les requêtes interlocutoires, à l’exception des dépens accordés dans les ordonnances du protonotaire Lafrenière en date du 23 novembre 2004, du 19 juillet 2005 et du 7 novembre 2005 respectivement, ainsi que dans l’ordonnance rendue par le juge Kelen le 23 août 2005. Ils ne comprennent pas les frais de location de la salle d’audience ni les mesures visant l’exécution du jugement.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1502-00

 

INTITULÉ :                                       MICROSOFT CORPORATION

                                                            c.

                                                            9038-3746 QUÉBEC INC., 9014-5731 QUÉBEC INC., ADAM CERRELLI et CARMELO CERRELLI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 11 JUIN 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

RELATIVE AUX DÉPENS :            LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 20 JUIN 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

John C. Cotter

Tara James

 

POUR LA DEMANDERESSE

Dany S. Perras

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Osler, Hoskin & Harcourt s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Michelin & Associates

Avocats

Montréal (Québec)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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