Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Date : 20070611

Dossier : T‑389‑07

Référence : 2007 CF 618

Ottawa (Ontario), le 11 juin 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

KARLHEINZ SCHREIBER

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

ET LE COMMISSAIRE DE LA GRC

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Karlheinz Schreiber sollicite le contrôle judiciaire de divers actes accomplis et mesures prises par la GRC, des fonctionnaires du ministère de la Justice du Canada et les ministres en cause (ou leurs délégués) depuis 1995 dans le cadre de l’enquête qui a mené à la décision de l’extrader vers l’Allemagne. Le demandeur, par les diverses mesures de redressement qu’il demande à la Cour, espère empêcher son extradition. Il a pratiquement épuisé tous les recours dont il disposait.

 

[2]               Les questions relatives à l’extradition de M. Schreiber ont été examinées par la Cour supérieure de l’Ontario exerçant les attributions d’un juge d’extradition, par la Cour d’appel de l’Ontario à trois reprises – une fois en appel et deux fois dans le cadre d’un contrôle judiciaire – et par la Cour suprême du Canada à deux reprises (la dernière demande d’autorisation de pourvoi étant en instance).

 

[3]               Les principales questions juridiques en litige sont : 1) la Cour fédérale a‑t‑elle compétence pour connaître de la présente demande de contrôle judiciaire? 2) dans l’affirmative, devrait‑elle exercer sa compétence relativement aux questions qu’ont examinées les cours ontariennes? et 3) si la Cour exerce sa compétence, devrait‑elle accueillir la demande de contrôle judiciaire?

 

[4]               Pour les motifs dont l’exposé suit, la présente demande, qui constitue l’ultime effort du demandeur en vue d’empêcher l’exécution d’un arrêté d’extradition et qui revêt la forme d’une contestation des actes de fonctionnaires du gouvernement du Canada mais qui a en réalité pour objet la révision d’arrêts de la Cour d’appel de l’Ontario, ne peut pas être accueillie. L’article 57 de la Loi sur l’extradition (la Loi) confère aux cours d’appel provinciales la compétence pour connaître des questions que le demandeur met ici en en litige, ce qui a été fait en l’occurrence. La Cour fédérale ne peut pas, ou subsidiairement ne devrait pas, remettre en cause les arrêts ainsi rendus.

40. (1) Dans les quatre‑vingt‑dix jours qui suivent l’ordonnance d’incarcération, le ministre peut, par un arrêté signé de sa main, ordonner l’extradition vers le partenaire.

 

 (2) Si l’intéressé demande l’asile au titre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, le ministre consulte le ministre responsable de l’application de cette loi avant de prendre l’arrêté.

 

 

 (3) Avant d’extrader, le ministre peut demander au partenaire de lui fournir les assurances qu’il estime indiquées ou poser les conditions qui lui paraissent appropriées, y compris celle voulant que l’intéressé ne soit poursuivi, se fasse infliger une peine ou la purge qu’en rapport avec les infractions pour lesquelles l’extradition est accordée.

 

 

 

 (4) Le cas échéant, l’extradition est retardée jusqu’à ce que le ministre soit satisfait des assurances reçues ou qu’il estime que les conditions sont acceptées.

 

 

 

 

 (5) Le ministre, s’il est d’avis qu’un délai supplémentaire est nécessaire pour rendre une décision par suite des observations que lui présente l’intéressé en vertu de l’article 43, peut proroger le délai qui lui est imparti au paragraphe (1) :

 

a) dans le cas où l’intéressé fait l’objet d’une demande de remise par la Cour pénale internationale et qu’il doit se pencher sur une question de recevabilité ou de compétence, d’au maximum quarante-cinq jours après que la Cour pénale internationale a rendu une décision sur la remise;

 

b) dans les autres cas, d’au maximum soixante jours.

 

 

 (6) En cas d’appel interjeté conformément à l’article 50 et de prorogation du délai de quatre-vingt-dix jours, le ministre dépose un avis de prorogation à la cour d’appel avant l’expiration de ce délai.

 

 

57. (1) Malgré la Loi sur les Cours fédérales, la cour d’appel de la province où l’incarcération a été ordonnée a compétence exclusive pour connaître, conformément au présent article, de la demande de révision judiciaire de l’arrêté d’extradition pris au titre de l’article 40.

 

40. (1) The Minister may, within a period of 90 days after the date of a person’s committal to await surrender, personally order that the person be surrendered to the extradition partner.

 

 (2) Before making an order under subsection (1) with respect to a person who has made a claim for refugee protection under the Immigration and Refugee Protection Act, the Minister shall consult with the minister responsible for that Act.

 

 (3) The Minister may seek any assurances that the Minister considers appropriate from the extradition partner, or may subject the surrender to any conditions that the Minister considers appropriate, including a condition that the person not be prosecuted, nor that a sentence be imposed on or enforced against the person, in respect of any offence or conduct other than that referred to in the order of surrender.

 

 (4) If the Minister subjects surrender of a person to assurances or conditions, the order of surrender shall not be executed until the Minister is satisfied that the assurances are given or the conditions agreed to by the extradition partner.

 

 

 (5) If the person has made submissions to the Minister under section 43 and the Minister is of the opinion that further time is needed to act on those submissions, the Minister may extend the period referred to in subsection (1) as follows:

 

(a) if the person is the subject of a request for surrender by the International Criminal Court, and an issue has been raised as to the admissibility of the case or the jurisdiction of that Court, for a period ending not more than 45 days after the Court’s ruling on the issue; or

 

(b) in any other case, for one additional period that does not exceed 60 days.

 

 (6) If an appeal has been filed under section 50 and the Minister has extended the period referred to in subsection (1), the Minister shall file with the court of appeal a notice of extension of time before the expiry of that period.

 

57. (1) Despite the Federal Courts Act, the court of appeal of the province in which the committal of the person was ordered has exclusive original jurisdiction to hear and determine applications for judicial review under this Act, made in respect of the decision of the Minister under section 40.

 

II.         LES FAITS

[5]               Karlheinz Schreiber est né en Allemagne et est devenu citoyen canadien en 1982. Il fait l’objet d’une demande d’extradition présentée par l’Allemagne.

 

[6]               Le demandeur a été arrêté en 1999 en vertu d’un mandat décerné par la Cour supérieure de justice de l’Ontario sous le régime de la Loi. Il est recherché en Allemagne pour des infractions équivalentes à celles de fraude fiscale, fraude, faux, corruption et paiement de commissions secrètes.

 

[7]               Après avoir formé des requêtes, produit des éléments de preuve et présenté des observations pendant cinq ans devant le juge Watt de la Cour supérieure de l’Ontario, le demandeur a été incarcéré le 27 mai 2004 en vue de son extradition. Une ordonnance d’incarcération a été signée le 3 juin 2004 et le demandeur l’a contestée devant la Cour d’appel de l’Ontario.

 

[8]               Après que le demandeur lui eut présenté 300 pages de conclusions et 21 volumes de pièces en opposition à sa remise aux autorités allemandes, le ministre de la Justice a pris le 31 octobre 2004 un arrêté d’extradition, qu’il a appuyé d’un exposé des motifs.

 

[9]               Les motifs du ministre sont pertinents pour la présente demande de contrôle judiciaire. Le ministre a examiné, entre autres, les questions suivantes :

·                    les articles 6 et 7 de la Charte;

·                    l’abus de procédure, notamment l’utilisation d’éléments de preuve douteux découlant d’un différend entre les autorités allemandes et helvétiques;

·                    la mauvaise foi, notamment les interrogatoires illégaux de témoins effectués par la GRC en Allemagne;

·                    le refus de communiquer des documents d’importance cruciale;

·                    la question de savoir si l’extradition pour délits fiscaux et autres enfreint le Traité d’extradition entre le Canada et la République fédérale d’Allemagne et d’autres lois, et l’absence de traitement réciproque en matière d’extradition;

·                    la partialité et la crainte raisonnable de partialité;

·                    l’inconduite dans le cadre de l’arrestation en vue de l’extradition;

·                    d’autres irrégularités de la part de la GRC, notamment le fait de considérer Stevie Cameron comme un informateur.

 

[10]           M. Schreiber s’est adressé à la Cour d’appel de l’Ontario, en vertu du paragraphe 57(2) de la Loi, pour obtenir la révision judiciaire de l’arrêté d’extradition du 31 octobre 2004.

 

[11]           Le 1er mars 2006, la Cour d’appel de l’Ontario a rejeté l’appel interjeté de l’ordonnance d’incarcération ainsi que la demande de révision judiciaire de l’arrêté d’extradition. Elle a statué que le ministre n’avait pas commis d’erreur en décidant de remettre M. Schreiber aux autorités allemandes. La Cour suprême du Canada a rejeté, le 1er février 2007, la demande d’autorisation de pourvoi contre l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario en date du 1er mars 2006.

 

[12]           Pendant que sa demande d’autorisation de pourvoi était encore en instance devant la Cour suprême du Canada, M. Schreiber a présenté au ministre une demande de réexamen de la décision de prendre l’arrêté d’extradition, demande que le ministre a rejetée le 14 décembre 2006.

 

[13]           Ce rejet a donné lieu à l’introduction d’une autre demande de révision judiciaire devant la Cour d’appel de l’Ontario en vertu du paragraphe 57(2) de la Loi.

 

[14]           La Cour d’appel de l’Ontario a rejeté cette demande de révision judiciaire le 9 mai 2007. Elle a statué que l’extradition du demandeur vers l’Allemagne n’irait pas à l’encontre des conceptions canadiennes de la justice et de l’équité. La demande d’autorisation de pourvoi contre cette dernière décision est en instance devant la Cour suprême du Canada.

 

[15]           Le 7 mars 2007, le demandeur a introduit devant la Cour fédérale la présente instance, qui revêt la forme d’une demande de contrôle judiciaire des mesures prises et des actes accomplis par les défendeurs [TRADUCTION] « de janvier 1995 à aujourd’hui eu égard aux droits et libertés fondamentaux du demandeur ».

 

[16]           Les mesures de redressement demandées sont les suivantes :

 

[TRADUCTION]

 

a)         une ordonnance sursoyant à l’exécution de l’arrêté d’extradition pris par le ministre de la Justice le 14 décembre 2006 et encore en vigueur, jusqu’à l’issue de la procédure engagée par le demandeur en Alberta;

 

b)         une ordonnance sursoyant à l’exécution de l’arrêté d’extradition du ministre de la Justice en raison de la conduite particulièrement répréhensible et des abus de procédure des défendeurs, de leurs agents et de leurs employés;

 

c)         une ordonnance de certiorari annulant ou infirmant la décision du ministre de la Justice de remettre le demandeur aux autorités allemandes;

 

d)         un jugement déclaratoire portant que les défendeurs ont manqué aux obligations que leur imposent l’équité procédurale et la justice naturelle relativement à la manière dont ceux‑ci, agissant aussi bien pour le gouvernement du Canada que pour le gouvernement de l’Allemagne, ont traité le demandeur;

 

e)         un jugement déclaratoire portant qu’il y a eu atteinte aux droits que la Charte canadienne des droits et libertés garantit au demandeur;

 

f)          un jugement déclaratoire portant que les défendeurs ont, par leur conduite, violé les principes fondamentaux du droit canadien, que leurs actes et mesures étaient et restent entachés de conflits d’intérêts et de partialité réelle ou apparente, et que, d’une façon générale, ils étaient et restent déraisonnables et contraires aux lois canadiennes;

 

g)         une ordonnance d’habeas corpus;

 

h)         les dépens avocat‑client.

 

La présente demande de contrôle judiciaire vise à obtenir l’annulation de l’arrêté d’extradition ou l’obtention d’un sursis à son exécution.

 

[17]           M. Schreiber a produit à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire un affidavit où il dresse une longue liste de griefs touchant la conduite des fonctionnaires et ministres canadiens dans le cadre de la procédure d’extradition. Les questions de fait et de droit abordées dans cet affidavit et débattues devant la Cour sont semblables, sinon identiques, à celles qui ont été soulevées devant le ministre et dont j’ai dressé plus haut la liste au paragraphe 9.

 

[18]           À certains égards, le demandeur enrichit dans la présente espèce la liste de ses griefs contre les fonctionnaires canadiens. C’est ainsi qu’il fait entrer le Groupe d’entraide internationale (GEI), service du ministère de la Justice chargé de tâches techniques en matière d’extradition, parmi les auteurs des abus de procédure et des violations de la Charte dont il se déclare victime.

 

[19]           Le demandeur invoque le pouvoir général de surveillance de la conduite des instances de décision fédérales (et de leurs délégués) que l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales confère à la Cour, ainsi que les attributions de cette dernière en matière de protection des droits garantis par la Charte.

 

III.       ANALYSE

A.        Question préliminaire

[20]           Le défendeur a demandé la radiation de la présente demande de contrôle judiciaire parce qu’elle n’avait aucune chance d’être accueillie. L’élément central de sa thèse est que la Cour fédérale n’a pas compétence pour contrôler la décision prise par le ministre, en vertu de l’article 40 de la Loi, d’ordonner l’extradition du demandeur.

 

[21]           Comme la présente affaire a été plaidée intégralement, il n’y a pas lieu d’examiner le contenu de ce qui aurait été une requête préliminaire.

 

[22]           Le défendeur demande à la Cour de radier comme défendeurs le solliciteur général du Canada aussi bien que le commissaire de la GRC. Dans l’hypothèse où la Cour aurait compétence et serait disposée à exercer celle‑ci, il n’est pas évident que l’une ou l’autre de ces parties devrait être radiée.

 

[23]           Le défendeur demande aussi la radiation de divers passages de l’affidavit de M. Schreiber au motif qu’ils présenteraient un ou plusieurs des défauts suivants : ouï‑dire, argumentation, expression d’opinions, exposé de faits non substantiels et non-pertinence.

 

[24]           S’il est vrai que le demandeur qui conteste la « conduite » de l’État peut avoir besoin d’une certaine liberté d’action pour plaider, étant donné qu’une partie notable des éléments de preuve dont il a besoin ne peut être obtenue du gouvernement défendeur que par contre-interrogatoire, M. Schreiber a dépassé de loin en l’espèce la limite qui sépare la « liberté » de la « licence ».

 

[25]           Cependant, plutôt que de radier les passages défectueux de l’affidavit, la Cour peut relever les défauts en question et s’abstenir de prendre en considération lesdits passages. Une grande partie des éléments de preuve défectueux est de nature contextuelle, et la Cour n’a accordé à ces éléments que le poids qu’ils méritent.

 

B.         La compétence

[26]           Le défendeur soutient que la Cour fédérale n’a pas compétence pour connaître de la présente demande de contrôle judiciaire au motif que c’est à la cour d’appel de la province intéressée que le paragraphe 57(1) de la Loi confère le pouvoir de révision judiciaire.

57. (1) Malgré la Loi sur les Cours fédérales, la cour d’appel de la province où l’incarcération a été ordonnée a compétence exclusive pour connaître, conformément au présent article, de la demande de révision judiciaire de l’arrêté d’extradition pris au titre de l’article 40.

 

 

[Non souligné dans l’original.]

57. (1) Despite the Federal Courts Act, the court of appeal of the province in which the committal of the person was ordered has exclusive original jurisdiction to hear and determine applications for judicial review under this Act, made in respect of the decision of the Minister under section 40.

 

(Court’s underlining)

 

[27]           Le demandeur fait valoir que le paragraphe 57(1) ne s’applique qu’à la « décision » du ministre et non à l’« objet de la demande », au sens que donnent à cette expression les décisions judiciaires telles que l’arrêt Krause c. Canada, [1999] A.C.F. no 179 (QL), où les comportements et les lignes de conduite entrent dans sa définition. Le demandeur affirme que la présente instance porte sur une conduite, et que la conduite n’entre pas dans le champ d’application du paragraphe 57(1).

 

[28]           Le demandeur fait remarquer que le paragraphe 17(6) de la Loi sur les Cours fédérales prévoit que la Cour fédérale n’a pas compétence pour connaître de tout « cas » (matter) sur lequel une loi fédérale donne compétence à un tribunal constitué ou maintenu sous le régime d’une loi provinciale.

17. (6) Elle n’a pas compétence dans les cas où une loi fédérale donne compétence à un tribunal constitué ou maintenu sous le régime d’une loi provinciale sans prévoir expressément la compétence de la Cour fédérale.

17. (6) If an Act of Parliament confers jurisdiction in respect of a matter on a court constituted or established by or under a law of a province, the Federal Court has no jurisdiction to entertain any proceeding in respect of the same matter unless the Act expressly confers that jurisdiction on that court.

 

[29]           Selon mon interprétation, le demandeur fait valoir que, puisque seules les « décisions » ressortissent aux cours d’appel provinciales, la Cour fédérale n’est pas privée de compétence sur les « cas » (matters), que ce soit sous le régime de la Loi sur l’extradition ou de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[30]           Même si le demandeur avait raison sur ce point – encore qu’il y ait lieu de se demander si le terme matter au paragraphe 17(6) ne revêt pas plutôt le sens de « sujet » que de « conduite » –, son intention réelle est ici de s’opposer à l’effet de la décision du ministre de prendre un arrêté d’extradition, comme il ressort clairement de la nature des mesures de redressement qu’il sollicite.

 

[31]           Accueillir cet argument du demandeur reviendrait à conclure que le législateur avait l’intention de diviser la compétence sur la procédure d’extradition, de telle sorte que la révision des décisions appartiendrait aux cours d’appel provinciales, mais que la manière dont on arrive aux décisions et les mesures prises à cette fin resteraient du ressort de la Cour fédérale.

 

[32]           Or l’article 57 de la Loi n’établit pas l’existence d’une telle intention. Le paragraphe 57(1), qui commence par « Malgré la Loi sur les Cours fédérales [...] », exclut explicitement la Cour fédérale. Ce paragraphe confère ensuite la « compétence exclusive » aux cours d’appel provinciales. Le paragraphe 57(6) attribue à ces cours des pouvoirs étendus, qui englobent précisément ce que veut obtenir le demandeur et sont semblables à ceux dont le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales investit la Cour fédérale.

18.1 (3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

 

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

 

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

 

18.1 (3) On an application for judicial review, the Federal Court may

 

 

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

 

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

 

[33]           En outre, le paragraphe 57(7) donne aux cours d’appel provinciales le pouvoir de prendre des mesures de redressement pour les mêmes motifs que la Cour fédérale peut le faire en application du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales.

18.1 (4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :

 

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l’exercer;

 

 

b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;

 

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

 

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

 

 

e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;

 

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

18.1 (4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

 

(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

 

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

 

 

(c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

 

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

 

 

 

(e) acted, or failed to act, by reason of fraud or perjured evidence; or

 

(f) acted in any other way that was contrary to law.

 

[34]           Il me paraît que, si l’on considère les dispositions applicables dans leur ensemble, l’intention du législateur était de conférer aux cours d’appel provinciales des pouvoirs analogues à ceux de la Cour fédérale. Le législateur voulait réunir en un seul tribunal les attributions de juge d’extradition et la compétence de révision judiciaire des décisions ministérielles afin d’assurer la cohérence du processus d’extradition. Les termes qu’il a employés suffisent à remplir cette intention.

 

[35]           Le demandeur admet qu’il a saisi la Cour parce qu’elle est la gardienne de la Charte, que le juge d’extradition a des attributions trop restreintes pour examiner les questions qu’il met en litige, que la Cour d’appel de l’Ontario l’a débouté de tous ses appels et qu’on est maintenant sur le point de le livrer aux autorités allemandes. Il [TRADUCTION] « n’a plus d’autre recours ».

 

[36]           Les cours d’appel provinciales sont aussi des gardiennes de la Charte dans leurs ressorts respectifs, et elles disposent de pouvoirs de révision aussi étendus que la Cour fédérale. Les autres motifs invoqués par le demandeur n’ont rien à voir avec la compétence de la Cour fédérale. Cette dernière n’est pas une cour de juridiction supérieure à celle des cours d’appel provinciales, par rapport auxquelles elle jouerait le rôle d’instance de dernier recours, pas plus que lesdites cours d’appel ne peuvent jouer ce rôle par rapport à la Cour fédérale.

 

[37]           À mon avis, les conclusions formulées par la Cour d’appel fédérale dans Froom c. Canada (Ministre de la Justice), 2004 CAF 352, bien que portant sur l’« arrêté introductif d’instance » et les pouvoirs du juge d’extradition, s’appliquent tout aussi bien à la décision d’extradition et aux pouvoirs des cours d’appel provinciales. Selon la Cour d’appel fédérale, les cours provinciales disposent du pouvoir nécessaire pour accorder réparation dans le cas où la décision du ministre est entachée d’arbitraire ou de mauvaise foi, ou fondée sur des motifs illégitimes ou des facteurs non pertinents :

19.              Cependant, je ne puis souscrire à l’avis de la juge selon lequel il s’ensuit nécessairement que le juge d’extradition n’a pas compétence pour accorder une réparation adéquate lorsque la délivrance de l’arrêté introductif d’instance est entachée d’une irrégularité importante de la part du ministre. Bien au contraire, j’estime que le juge d’extradition qui a devant lui des éléments de preuve indiquant que le ministre a agi de manière arbitraire ou de mauvaise foi lorsqu’il a délivré l’arrêté introductif d’instance ou qu’il a été motivé par des raisons inappropriées ou des facteurs non pertinents possède la compétence nécessaire pour accorder une réparation adéquate en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés ou en vertu de la compétence inhérente dont disposent les cours supérieures pour contrôler leurs propres procédures et empêcher l’utilisation abusive de celles‑ci : États-Unis d’Amérique c. Cobb, [2001] 1 R.C.S. 587, United States of America c. Gillingham (2004), 239 D.L.R. (4th) 320 (C.A. C.‑B.).

 

[38]           La Cour s’est déjà déclarée incompétente pour connaître de la demande de contrôle judiciaire d’une décision ministérielle d’extradition; voir Waldman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1326 :

24.              Le jugement du juge Teitelbaum dans Garcia c. Canada (Ministre de la Justice) [1997] A.C.F. no 453, au paragraphe 25, bien qu’il soit antérieur à notre régime législatif actuel sur ces questions, me semble faire clairement jurisprudence quant au principe selon lequel notre Cour n’a pas compétence pour connaître d’un recours en contrôle judiciaire contre une décision d’extrader du ministre de la Justice en application de la Loi sur l’extradition « ou de la requête accessoire en mesure de redressement provisoire ». Il semble manifeste, de par le libellé du paragraphe 57(1) de l’actuelle Loi sur l’extradition, que telle est toujours la règle de droit applicable.

[Non souligné dans l’original.]

 

[39]           M. Schreiber, s’il a voulu donner à la présente demande de contrôle judiciaire la forme d’une contestation de la conduite des intéressés, ne demande pas de mesures de réparation contre ceux à qui il reproche d’avoir enfreint les lois (mis à part le ministre de la Justice). En réalité, il essaie d’empêcher l’exécution de la décision ministérielle d’extradition, et tous ses moyens de fait et de droit sont indissociablement liés à cette décision.

 

[40]           En conséquence, je conclus que la Cour n’a pas compétence pour accorder les mesures de redressement demandées. Cependant, dans l’hypothèse où la Cour aurait compétence sur la présente affaire d’un point de vue quelconque, elle doit maintenant se demander si elle devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de redressement.

 

C.        Le pouvoir discrétionnaire de la Cour

[41]           Il se pourrait que certains aspects de la procédure d’extradition ou de la conduite attaquée ressortissent à la Cour, soit du fait d’une lacune du régime de l’article 57 de la Loi, soit en vertu d’une forme ou une autre de compétence concurrente.

 

[42]           En supposant – sans l’affirmer – qu’elle ait compétence sur certains aspects ou sur l’ensemble du recours en contrôle judiciaire du demandeur, la Cour doit examiner si elle doit ou non refuser d’exercer cette compétence compte tenu des conclusions de la Cour d’appel de l’Ontario.

 

[43]           La Cour d’appel fédérale a aussi examiné explicitement cette question dans Froom, même si c’est dans le contexte d’une autre étape de la procédure d’extradition, soit celle de la remise de l’extradé :

17.              Je conviens avec la juge qu’en principe, la Cour fédérale devrait dans tous les cas refuser d’exercer sa compétence pour statuer sur une demande de contrôle judiciaire relative à un arrêté introductif d’instance lorsque la demande est fondée sur des arguments qui relèvent carrément de la compétence du juge d’extradition car, en pareil cas, une réparation subsidiaire adéquate pourrait être obtenue de celui‑ci. Il en va de même de toute question qui relève de la compétence du ministre à l’étape de la remise de la personne visée ou de la compétence de la cour d’appel provinciale lors du contrôle judiciaire de ladite remise ou encore de toute question qui, en vertu du traité d’extradition applicable ou de la Loi sur l’extradition, doit être déférée au tribunal étranger dans les cas où la personne en cause est remise entre les mains de l’État concerné.

 

[44]           Le demandeur attaque la conduite des défendeurs en se fondant sur des faits qu’il a invoqués, ou aurait pu invoquer, devant la Cour d’appel de l’Ontario. Cette dernière a déjà examiné la plupart des questions mises en litige dans la présente espèce, et le demandeur a de toute évidence reconnu sa compétence sur ces questions.

 

[45]           Il ne conviendrait pas que la Cour décide de ne pas tenir compte des conclusions des cours ontariennes. Une telle décision soulèverait des problèmes de recherche du tribunal le plus favorable, de manque d’uniformité et de multiplicité des procédures, problèmes dont la Cour suprême, dans Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394, a noté la pertinence pour la déclaration d’incompétence.

 

[46]           Il existe un autre recours approprié que l’exercice de la compétence que la Cour pourrait avoir. Cet autre recours approprié n’a pas à être identique ni parfait, pourvu qu’il soit adéquat. Voir Froom, au paragraphe 12 :

12.                               Il est bien reconnu que la Cour fédérale possède le pouvoir discrétionnaire de refuser d’exercer sa compétence en matière de contrôle judiciaire lorsque le demandeur dispose d’un autre recours approprié : Fast c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2001), 288 N.R. 8, (2001) 41 Admin. L.R. (3d) 200 (C.A.F.); Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3. Pour décider s’il y a lieu de refuser d’exercer sa compétence, la Cour doit se demander si le recours subsidiaire est adéquat et non s’il est parfait. La décision d’exercer ou de refuser d’exercer sa compétence est une décision discrétionnaire qui ne peut être infirmée en appel, à moins que le juge n’ait tenu compte de facteurs non pertinents, qu’il n’ait omis de prendre en considération des facteurs pertinents ou qu’il n’ait tiré une conclusion déraisonnable : Canadien Pacifique c. Bande indienne de Matsqui, au paragraphe 39 (motifs du juge en chef Lamer, qui a rédigé le jugement de la majorité sur cet aspect).

 

[47]                          Ainsi qu’il est indiqué au paragraphe 44, la Cour d’appel de l’Ontario a compétence pour connaître de tous les motifs invoqués par le demandeur. Dans l’hypothèse où serait tant soit peu fondé l’argument selon lequel on n’a pas communiqué des faits pertinents à la Cour, M. Schreiber n’a pas demandé le réexamen de cette question ni essayé de la faire régler autrement part elle.

 

[48]                          Selon Froom et Coffey c. Canada (Ministre de la Justice), 2005 CF 554, même le juge d’extradition, dont les attributions en matière d’extradition sont bien déterminées, dispose du pouvoir d’examiner les actes supposés irréguliers de l’État et les violations éventuelles de la Charte.

 

[49]                          Le demandeur invoque avec insistance le rôle de la Cour fédérale dans la protection des droits que garantit la Charte, mais il ne soutient pas que le juge d’extradition ou les cours d’appel provinciales ne sont pas habilités à examiner ses moyens fondés sur les atteintes supposées à ces droits.

[50]                          Un autre facteur qui incite la Cour à exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas examiner sur le fond la présente demande de contrôle judiciaire est le retard mis par le demandeur à l’introduire. Les actes de procédure du demandeur s’appliquent en effet à des actions et mesures qui remontent jusqu’à 1995.

 

[51]           Non seulement la présente demande de contrôle judiciaire vise en réalité « une décision ou une ordonnance », auquel cas s’applique le délai de 30 jours imparti pour l’introduction d’une telle demande devant la Cour fédérale, mais, même s’il s’agissait plutôt d’un « cas » (matter), la demande de contrôle judiciaire y afférente devrait être formée dans un « délai raisonnable ». Il n’y a pas d’explication raisonnable au retard : le demandeur connaissait tous les faits importants et il a eu recours aux tribunaux ontariens. Il aurait pu déposer la présente demande il y a plusieurs années.

 

[52]           Comme elle a conclu a) que le tribunal compétent pour connaître du présent « cas » (matter) était et est la Cour d’appel de l’Ontario et b) que, dans l’hypothèse où elle aurait elle‑même compétence, elle n’exercerait pas son pouvoir discrétionnaire pour accorder le contrôle judiciaire demandé, la Cour n’examinera pas ladite demande sur le fond.

 

IV.       CONCLUSION

[53]           Force est à la Cour de conclure qu’elle a ici affaire à une ultime tentative d’empêcher l’exécution de l’arrêté d’extradition pris par le ministre. La présente demande de contrôle judiciaire est un moyen déguisé d’obtenir la révision des arrêts de la Cour d’appel de l’Ontario, détour que la Cour fédérale ne sanctionnera pas.

 

[54]      Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée avec dépens.

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée avec dépens.

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                          T‑389‑07

 

INTITULÉ :                                                         KARLHEINZ SCHREIBER

                                                                              c.

                                                                              LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                   HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                 LE 6 JUIN 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                                        LE 11 JUIN 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert Hladun, c.r.

 

POUR LE DEMANDEUR

 

James Shaw

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hladun & Company

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.