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Date :  20070607

Dossier :  T-1536-06

Référence :  2007 CF 608

Ottawa (Ontario), le 7 juin 2007

En présence de Monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

JEAN-CLAUDE BOUCHARD

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               [94]      Toute autorité publique qui rend des décisions touchant les droits, privilèges ou biens d'une personne est assujettie à une obligation d'équité procédurale...

 

(Tel qu’énoncé dans l’arrêt May c. Établissement Ferndale, 2005 CSC 82, en référence à Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311.)

 

 

PROCÉDURE JUDICAIRE

[2]               Monsieur Jean-Claude Bouchard est un détenu présentement incarcéré au Centre fédéral de formation de Laval, un pénitencier de sécurité minimum renforcée. Il demande à la Cour de contrôler la légalité de la décision du commissaire adjoint du Service Correctionnel du Canada (SCC), rejetant au troisième palier le grief dans lequel le demandeur conteste sa mise en isolement involontaire, la hausse de sa cote de sécurité de faible à modérée et son transfèrement non sollicitée vers un établissement à sécurité moyenne.

 

FAITS

[3]               Le 23 juillet 2003, monsieur Bouchard dépose un grief au troisième palier pour contester la hausse de sa cote de sécurité de minimale à moyenne de même que la décision de la transférer de l’Établissement Sainte-Anne-des-Plaines (ESAP) (sécurité minimale) à l’Établissement Cowansville (sécurité moyenne).

 

[4]               Le 25 août 2003, la commissaire adjointe du SCC, en réponse au grief de troisième palier, conclu que le placement en isolement du demandeur, la hausse de sa sécurité de même que la décision de transfert, sont justifiés et refuse le grief de troisième palier du demandeur.

 

[5]               Le 16 juin 2006, la Cour fédérale casse la décision de la commissaire adjointe du SCC et ordonne à celle-ci de revoir, en tenant compte des motifs de sa décision, le grief du troisième palier. Pour en arriver à cette décision, la Cour conclu que :

  • la décision de la commissaire adjointe était entachée d’erreurs au niveau de l’équité procédurale puisqu’elle n’avait pas en sa possession divers rapports d’observation, des rapports de renseignements de sécurité, une lettre du demandeur envoyée à la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC) de même que le document du 21 février 2003 relativement au placement en isolement du demandeur;
  • la commissaire adjointe n’avait pas répondu à la question du retard au deuxième palier pour répondre au grief;
  • lors du réexamen du grief, les questions de la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U) (Charte), relativement à une violation des articles 7 et 12 devront être répondues, plus particulièrement sur la notion de la suffisance du partage d’informations communiquées au demandeur lors de la hausse de sa cote de sécurité et de son transfèrement involontaire.

(Bouchard c. Canada (Procureur général), 2006 CF 775, [2006] A.C.F. no 963 (QL).)

 

[6]               Le 19 juillet 2006, un nouveau commissaire adjoint réexamine, à la lumière des motifs de la Cour fédérale, le grief du troisième palier du demandeur.

 

[7]               Le commissaire adjoint conclu que le grief du demandeur ne vise pas la contestation du placement en isolement, que le délai au deuxième palier de grief est conforme à la Directive du commissaire et, qu’autrement, le léger retard à répondre, n’a pas causé de préjudice au demandeur. Le commissaire adjoint conclu que la hausse de la cote de sécurité du demandeur de même que son transfèrement involontaire sont conformes aux dispositions législatives pertinentes et sont justifiés.

[8]               C’est cette dernière décision qui fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire du demandeur dans le présent dossier.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[9]               (1)        Le commissaire adjoint a-t-il erré en refusant d’exercer sa juridiction sur la question du bien-fondé de l’isolement préventif ?

(2)        Le commissaire adjoint a-t-il commis une erreur manifestement déraisonnable en concluant que le délai pour répondre au grief du demandeur au deuxième palier n’était pas préjudiciable au demandeur ?

(3)        Y a-t-il eu violation en matière d’équité procédurale en ce qui concerne la suffisance de l’information partagée avec le demandeur lors de la hausse de sa cote de sécurité et de son transfèrement involontaire ?

(4)        Le décideur a-t-il commis une erreur manifestement déraisonnable en venant à la conclusion que les motifs à la base de la hausse de cote de sécurité du demandeur, de même que son transfèrement involontaire, étaient justifiés ?

 

NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[10]           En ce qui a trait au possible manquement au devoir d’agir équitablement du commissaire adjoint, il n’y a pas lieu de procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle judiciaire. En effet, s’il y a manquement à l’équité procédurale ou à un principe de justice naturelle, outre certains cas exceptionnels, la Cour doit intervenir et annuler la décision.

 

[11]           Quant à la question à savoir si la décision contestée est mal fondée eu égard à la preuve au dossier, tel qu’indiqué par la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Boucher, 2005 CAF 77, [2005] A.C.F. no 352 (QL), au paragraphe 16, il s’agit là essentiellement d’une question de faits et la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable.

 

ANALYSE

(1)        Le commissaire adjoint a-t-il erré en refusant d’exercer sa juridiction

sur la question du bien-fondé de l’isolement préventif ?

 

[12]           L’un des motifs de cette Cour dans sa décision du 16 juin 2006 est à l’effet que la commissaire adjointe n’avait pas devant elle, lors de la réponse au grief du troisième palier, le rapport du 21 février 2003, soit la décision du directeur de placer le demandeur en isolement. Par contre, il est important de souligner que celle-ci avait, devant elle, le rapport du 24 avril 2003, un document cumulatif comprenant les rapports précédents relativement au placement en isolement dont celui du 21 février 2003.

 

[13]           Cependant, le commissaire adjoint, dans la décision faisant l’objet de la demande de contrôle judiciaire dans le présent dossier, s’exprime ainsi quant à la question de l’isolement préventif :

Le rapport du 21 février 2003 mentionné par la Cour comme pièce essentielle à être considérée par le décideur du troisième palier, concerne votre placement en isolement préventif le 21 février 2003. Or, la consultation de votre dossier révèle que vous avez soumis un autre grief sur ce sujet spécifique. En effet, le grief V30A00010309 a été enregistré au troisième palier en date du 6 mai 2003, et une décision avait été rendue sur ce sujet par Mme Fraser (CAPPC) le 21 mai 2003 (refusé). C’est donc dire que cette décision avait été rendue par la CAPPC près de trois mois avant que le grief concernant le transfèrement involontaire n’atteigne le troisième palier.

 

Tel qu’indiqué dans le paragraphe 19 de la directive du Commissaire 081 (2002-03-04), Plaintes et griefs des délinquants : « La décision du CAPPC constitue l’étape finale du processus de plaintes et griefs des délinquants. »  Par conséquent, Mme Fraser n’avait techniquement parlant, pas à prendre ces facteurs en considération dans l’analyse du grief V30A00010878 (transfèrement involontaire). 

 

(La Cour souligne.)

 

(Décision du commissaire adjoint, à la page 3.)

 

[14]           Il appert que le commissaire adjoint ne s’est pas prononcé sur la question de l’isolement préventif parce que cette dernière avait déjà fait l’objet d’une réponse dans le cadre d’un autre grief au troisième palier. À ce titre, le grief de troisième palier, auquel le demandeur conteste dans le présent cas, vise la contestation de la hausse de sa cote de sécurité et du transfèrement et non de l’isolement préventif. Par conséquent, le commissaire adjoint n’a pas commis d’erreur en refusant d’examiner la question de l’isolement préventif.

 

(2)        Le commissaire adjoint a-t-il commis une erreur manifestement déraisonnable en concluant que le délai pour répondre au grief du demandeur au deuxième palier n’était pas préjudiciable au demandeur ?

 

[15]           En ce qui a trait au délai requis au deuxième palier pour répondre au grief du demandeur, le commissaire adjoint se prononce ainsi :

En ce qui concerne les délais, il a été noté qu’une réponse vous a été fournie par le Sous-commissaire régional, Richard Watkins, en date du 2003-07-03, concernant le grief V30A00010878. Cette réponse dépassait par conséquent de quelques jours, le délai imparti aux griefs prioritaires, tel qu’indiqué au paragraphe 7 de la Directive du Commissaire (DC) 081, Plaintes et griefs des délinquants (15 jours ouvrables suivant sa réception par le répondant), soit le 2003-06-26 dans ce cas-ci. Un avis de délai vous a été acheminé le 2003-06-13, en conformité avec le paragraphe 8 de la DC 081. Je suis par conséquent d’avis que ce léger retard n’a eu aucun impact significatif sur une quelconque privation de liberté.

 

(Décision du commissaire adjoint, à la page 1.)

 

[16]           Au deuxième palier de grief, une réponse aurait dû être donnée au demandeur, au plus tard, le 26 juin 2003, en application du paragraphe 7 de la Directive du commissaire 081, soit dans les 15 jours ouvrables suivant la réception du grief.

 

[17]           Il appert qu’un avis avait été envoyé au demandeur, le 13 juin 2003, pour aviser monsieur Bouchard qu’un délai supplémentaire serait requis pour répondre à son grief de deuxième palier, conformément au paragraphe 8 de la Directive.

 

[18]           À ce titre, la réponse au grief du deuxième palier, le 3 juillet 2003, était donc en conformité avec la Directive et n’a pas causé de préjudice au demandeur.

 

(3)        Y a-t-il eu violation en matière d’équité procédurale en ce qui concerne la suffisance de l’information partagée avec le demandeur lors de la hausse de sa cote de sécurité et de son transfèrement involontaire ?

 

i) Équité procédurale – suffisance du partage d’information avec le demandeur lors de la hausse de sa cote de sécurité et de son transfèrement involontaire vers l’établissement Cowansville

 

[19]           Il est important de souligner que la question d’équité procédurale n’est pas du même ordre que la décision précédente de la commissaire adjointe, puisque les documents qui n’étaient pas devant elle, l’étaient pour le commissaire adjoint dans la décision qui fait l’objet du présent litige (lettre de monsieur Bouchard à la CNLC, rapport de placement en isolement du 21 février 2003 et rapports d’observation et de renseignement de sécurité).

 

[20]           En l’espèce, la question d’équité procédurale vise donc la suffisance du partage d’information avec le demandeur lors des prises de décisions de hausser sa cote de sécurité et de son transfèrement involontaire vers l’établissement Cowansville.

 

[21]           La Cour est d’avis qu’il n’y a pas eu de manquement au niveau de l’équité procédurale. À ce titre, il convient de rappeler la portée de la notion de la suffisance du partage d’information envers le demandeur dans le cadre de la hausse de sa cote de sécurité et de son transfèrement involontaire. Tel qu’énoncé dans l’arrêt May, ci-dessus :

[90]      ... Il faut toujours examiner les exigences de l'équité procédurale en contexte : Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3, 2002 CSC 75, par. 39; Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, p. 682; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 21; Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, p. 743; Therrien (Re), [2001] 2 R.C.S. 3, 2001 CSC 35, par. 82.

[...]

[92]      Par ailleurs, l'obligation d'équité procédurale exige généralement, en matière administrative, que le décideur communique les renseignements sur lesquels il se fonde. Elle exige que l'administré connaisse les faits qu'on entend lui opposer. Si le décideur ne lui fournit pas l'information suffisante, sa décision est frappée de nullité pour défaut de compétence. Comme la juge Arbour l'a conclu dans Ruby, par. 40 :

En règle générale, le droit d'une partie à une audience équitable emporte celui de prendre connaissance de la preuve de la partie adverse afin de pouvoir répondre à tout élément préjudiciable à sa cause et apporter des éléments de preuve au soutien de celle-ci ...

 

 

[22]           En l’espèce, il s’agit de déterminer si le SCC a communiqué à monsieur Bouchard suffisamment d’information pour lui permettre de participer d’une manière significative au processus devant décider de l’opportunité de hausser sa cote de sécurité, d’opérer son transfèrement, et de s’y opposer. À cet égard, il est opportun de rappeler les distinctions soulevées dans l’affaire Gallant c. Canada (Sous-commissaire, service correctionnel Canada), [1989] 3 C.F. 329, [1989] A.C.F. no 70 (QL), et reprises dans l’arrêt Cartier c. Canada (Procureur général), [1998] ACF no 1211 (QL) :

[21]      ...

1. ...

Le principe audi alteram partem qui porte tout simplement que la personne dont les droits ou intérêts peuvent être touchés doit pouvoir participer au processus décisionnel, est fondé sur la prémisse suivante: la personne doit toujours avoir la possibilité de soumettre de l'information, sous forme de faits ou d'arguments, afin de permettre à l'instance décisionnelle de rendre une décision équitable et raisonnable. Il est reconnu depuis longtemps qu'en toute logique et en pratique, la portée et la nature de cette participation dépendent des circonstances de l'espèce et de la nature de la décision à rendre. Cette interprétation de l'application pratique du principe doit être la même, peu importe que l'obligation d'agir équitablement soit fondée sur le devoir d'agir équitablement établi par la jurisprudence ou sur les principes de justice naturelle reconnus en common law ou sur le concept de justice fondamentale auquel se réfère l'article 7 de la Charte. Le principe demeure évidemment le même, partout où il s'applique.

Tel que je le vois, le problème ici est de déterminer si, en vertu du principe audi alteram partem il aurait fallu, dans les circonstances qui prévalaient, donner au détenu plus de renseignements avant de l'inviter à présenter ses observations. J'estime que, compte tenu de la nature du problème dont l'appelant était saisi et de sa responsabilité envers les personnes qui lui sont confiées, il ne le fallait pas.

2. Il me semble que pour apprécier les conséquences pratiques du principe audi alteram partem il ne faut pas traiter de la même façon toutes les décision administratives portant sur les détenus en milieu carcéral, qu'elles soient rendues par la Commission nationale des libérations conditionnelles en matière de révocation de libération conditionnelle ou par les comités de discipline à la suite d'infractions pénales pouvant entraîner différentes peines, jusqu'à la ségrégation, ou par les autorités carcérales approuvant, comme en l'espèce, le transfèrement des détenus d'un établissement à un autre pour des motifs d'ordre administratif et de sécurité. Ces décisions sont non seulement différentes en ce qui a trait aux droits, privilèges ou intérêts personnels visés, ce qui peut entraîner différentes normes en matière de garanties procédurales, mais également, et c'est encore plus important, quant à leurs objectifs et à leur raison d'être, ce qui ne peut qu'influer sur le genre de renseignements que le détenu doit connaître afin que sa participation au processus décisionnel ait une portée réelle. Dans le cas d'une décision visant à imposer une sanction ou une punition à la suite d'une infraction, les règles d'équité exigent que la personne accusée dispose de tous les détails connus de l'infraction. Il n'en est pas de même dans le cas d'une décision de transfèrement rendue pour le bon fonctionnement de l'établissement et fondée sur la croyance que le détenu ne devrait pas rester où il est, compte tenu des questions que soulève son comportement. Dans un tel cas, il n'y a pas de raison d'exiger que le détenu dispose d'autant de détails relatifs aux actes répréhensibles dont on le soupçonne. En effet, dans le premier cas, ce qu'il faut vérifier est la commission même de l'infraction et la personne visée devrait avoir la possibilité d'établir son innocence; dans le second cas, c'est uniquement le caractère raisonnable et sérieux des motifs sur lesquels la décision est fondée, et la participation de la personne visée doit être rendue pleinement significative pour cela, mais rien de plus. En l'occurrence, il ne s'agissait pas d'établir la culpabilité du détenu, mais de savoir si les renseignements reçus des six sources différentes représentaient des préoccupations assez importantes pour justifier son transfèrement.

 

Tel qu’il appert de cette décision, il s’agit de déterminer si monsieur Bouchard a reçu une information qui lui permet une participation pleinement significative au processus décisionnel relatif à la hausse de sa cote de sécurité et de son transfèrement non sollicité vers l’établissement Cowansville.

 

ii) Encadrement législatif

 

[23]           Tel qu’énoncé dans l’arrêt May, ci-dessus :

 

[94]      Toute autorité publique qui rend des décisions touchant les droits, privilèges ou biens d'une personne est assujettie à une obligation d'équité procédurale : Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Cardinal; Baker, par. 20. Les exigences en matière de communication imposées par la LSCMLC reflètent et renforcent ces privilèges.

 

 

[24]           Ainsi, afin d’assurer l’équité des décisions touchant les détenus, les paragraphes 27(1), (2) et (3) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (LSCMLC) crée l’obligation de communiquer, dans un délai avant la prise de la décision, « tous les renseignements entrant en ligne de compte dans celle-ci, ou un sommaire de ceux-ci » :

 

27.  (1) Sous réserve du paragraphe (3), la personne ou l’organisme chargé de rendre, au nom du Service, une décision au sujet d’un délinquant doit, lorsque celui-ci a le droit en vertu de la présente partie ou des règlements de présenter des observations, lui communiquer, dans un délai raisonnable avant la prise de décision, tous les renseignements entrant en ligne de compte dans celle-ci, ou un sommaire de ceux-ci.

 

(2) Sous réserve du paragraphe (3), cette personne ou cet organisme doit, dès que sa décision est rendue, faire connaître au délinquant qui y a droit au titre de la présente partie ou des règlements les renseignements pris en compte dans la décision, ou un sommaire de ceux-ci.

 

 

 

 

 

(3) Sauf dans le cas des infractions disciplinaires, le commissaire peut autoriser, dans la mesure jugée strictement nécessaire toutefois, le refus de communiquer des renseignements au délinquant s’il a des motifs raisonnables de croire que cette communication mettrait en danger la sécurité d’une personne ou du pénitencier ou compromettrait la tenue d’une enquête licite.

 

27.     (1) Where an offender is entitled by this Part or the regulations to make representations in relation to a decision to be taken by the Service about the offender, the person or body that is to take the decision shall, subject to subsection (3), give the offender, a reasonable period before the decision is to be taken, all the information to be considered in the taking of the decision or a summary of that information.

 

 

(2) Where an offender is entitled by this Part or the regulations to be given reasons for a decision taken by the Service about the offender, the person or body that takes the decision shall, subject to subsection (3), give the offender, forthwith after the decision is taken, all the information that was considered in the taking of the decision or a summary of that information.

 

(3) Except in relation to decisions on disciplinary offences, where the Commissioner has reasonable grounds to believe that disclosure of information under subsection (1) or (2) would jeopardize

 

(a) the safety of any person,

 

(b) the security of a penitentiary, or

 

(c) the conduct of any lawful investigation,

 

the Commissioner may authorize the withholding from the offender of as much information as is strictly necessary in order to protect the interest identified in paragraph (a), (b) or (c).

 

 

[97]      Le Règlement pris sous le régime de la LSCMLC précise les obligations imposées aux autorités carcérales. L'article 13 du Règlement, qui s'applique aux transfèrements non sollicités, en cas d'urgence, donne aux détenus le droit d'être informés après leur transfèrement à un autre établissement. Le directeur de l'établissement où est transféré le détenu doit rencontrer ce dernier dans les deux jours suivant le transfèrement pour lui en expliquer les raisons. Le détenu doit avoir la possibilité de présenter des observations. Enfin, le directeur doit informer par écrit le détenu de la décision définitive.

[98]      D'autres dispositions particulières des Instructions permanentes (les "IP") précisent l'obligation de communication. Les instructions relatives à la cote de sécurité des délinquants, IP 700-14, énoncent le processus d'établissement de la cote de sécurité des détenus. Toutes les fois qu'une cote de sécurité est assignée ou modifiée, le délinquant doit en être avisé par écrit. L'avis comprend les motifs à l'appui de la décision ainsi que toute autre information considérée dans la prise de décision (par. 26).

[99]      Les instructions relatives au transfèrement de délinquants, IP 700-15, énoncent les critères applicables au transfèrement et précisent l'étendue de l'obligation de communication. Le plus tôt possible mais, au plus tard, deux jours suivant un transfèrement d'urgence, il faut remplir le formulaire d'évaluation en vue d'une décision. Il faut remettre au délinquant l'avis écrit de recommandation de transfèrement. Les instructions sont très précises à cet égard :

L'Avis de recommandation d'un transfèrement non sollicité [...] doit contenir suffisamment de renseignements pour lui permettre de savoir ce qu'on lui reproche. Le délinquant doit être en mesure de faire connaître son point de vue sur la recommandation. Pour respecter cette norme, il faut lui communiquer le plus de précisions possible sur le ou les incidents à l'origine de la recommandation de transfèrement. Ces précisions peuvent comprendre notamment : l'endroit et le moment où l'incident s'est produit, la ou les personnes qui en ont subi les conséquences, l'ampleur des blessures ou des dégâts, les éléments de preuve confirmant qu'il a bien eu lieu, et tout autre renseignement pertinent pouvant apporter des précisions sur l'incident. S'il existe des renseignements de nature délicate qui ne peuvent être divulgués intégralement au délinquant, il faut lui en communiquer l'essentiel.

[100]    Après avoir établi que l'obligation légale de communication relative aux décisions de transfèrement est substantielle et de grande portée, il nous faut examiner si elle a été respectée en l'espèce...

 

(May, ci-dessus.)

 

 

iii) Informations communiquées à monsieur Bouchard

 

[25]           En l’espèce, il appert que monsieur Bouchard a reçu suffisamment d’information dans divers rapports pour connaître les préoccupations des autorités correctionnelles justifiant ainsi la recommandation de hausser sa cote de sécurité et de le transférer dans un autre établissement, et qu’il a eu l’opportunité de faire ses représentations à ce sujet.

 

[26]           En outre, il appert que monsieur Bouchard a non seulement reçu de la documentation écrite mais a, à plusieurs reprises, rencontré les membres du personnel du SCC en ce qui concerne la hausse de sa cote de sécurité et de son transfèrement vers l’établissement Cowansville:

a) le 28 février 2003 : une enquête concernant les allégations que monsieur Bouchard a fait dans une lettre envoyée à la CNLC concernant deux autres détenus de l’établissement (complot de meurtre) fut vérifiées et jugées non crédibles. L’enquêteur recommande que monsieur Bouchard soit évalué pour un transfert hors de l’ESAP. Un rapport de renseignements de sécurité est signé par le directeur de l’établissement le même jour.

 

b) le 13 mars 2003 : calcul informatisé de la cote de sécurité du demandeur confirme une cote moyenne. Monsieur Bouchard allègue qu’il a reçu un rapport de discipline le même jour.

 

c) le 21 mars 2003 : rencontre entre monsieur Bouchard et le comité d’isolement sur la possibilité de transfert à Cowansville, un établissement à sécurité moyenne.

 

d) le 27 mars 2003 : monsieur Bouchard allègue qu’il a reçu une lettre de l’enquêteur correctionnel à l’effet que les décisions en rapport avec la hausse de sa cote de sécurité et le transfert vers l’établissement Cowansville avaient déjà été prises.

 

e) le 11 avril 2003 : un rapport d’évaluation en vue d’une modification officielle de la cote de sécurité du demandeur, et de son transfèrement involontaire vers un établissement approprié à sécurité accrue est complété.

 

La rédaction du suivi du plan correctionnel de monsieur Bouchard en vue de la recommandation de transfèrement et étude de semi-liberté et de libération conditionnelle totale (recommandation négative) est aussi complétée.

 

f) le  15 avril 2003 : le suivi du plan correctionnel de monsieur Bouchard en vue de la recommandation de transfèrement et étude de semi-liberté et de libération conditionnelle totale est remis à monsieur Bouchard. Avis de recommandation d’un transfèrement non sollicité est aussi remis à monsieur Bouchard.

 

g) le 18 avril 2003 : dépôt d’une plainte par monsieur Bouchard contestant son transfert et la hausse de sa cote de sécurité.

 

h) le 22 avril 2003 : rencontre sollicité par le comité d’isolement. Monsieur Bouchard refuse de rencontrer le comité d’isolement.

 

Le rapport est signé par madame Savard, directrice intérimaire de l’ESAP. Dans le rapport, on note que monsieur Bouchard a reçu un document intitulé « Évaluation en vue d’une décision ». On y résume, diverses informations au dossier de monsieur Bouchard pour l’année 2002-2003. On traite, plus particulièrement, de deux rapports de renseignement datés du 30 juillet et du 5 août 2002 concernant un incident entre monsieur Bouchard et un codétenu, douze rapports d’observation datant de mai, juin, juillet, août et septembre 2002, quatre rapports datés en janvier 2003 mentionnant des altercations verbales et menaces de mort entre demandeur et un autre détenu. )

 

i) le 24 avril 2003 : la décision pour niveau de sécurité du détenue et l’avis de décision d’un transfèrement non sollicité est remis à monsieur Bouchard.

 

 

[27]           Par conséquent, il n’y a pas de manquement au niveau de l’équité procédurale ni violation des droits du demandeur en vertu de l’article 7 de la Charte.

 

(4)        Le décideur a-t-il commis une erreur manifestement déraisonnable en venant à la conclusion que les motifs à la base de la hausse de cote de sécurité du demandeur de même que son transfèrement involontaire étaient justifiés ?

 

i) La cote de sécurité

[28]           L’établissement d’une cote de sécurité est régi par l’article 30 de la LSCMLC et les articles 17 et 18 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 (Règlement) et le maintien en incarcération qui se lisent comme suit :

Loi :

30.      (1) Le Service assigne une cote de sécurité selon les catégories dites maximale, moyenne et minimale à chaque détenu conformément aux règlements d’application de l’alinéa 96z.6).

30.    (1) The Service shall assign a security classification of maximum, medium or minimum to each inmate in accordance with the regulations made under paragraph 96(z.6).

 

(2) Le Service doit donner, par écrit, à chaque détenu les motifs à l’appui de l’assignation d’une cote de sécurité ou du changement de celle-ci.

(2) The Service shall give each inmate reasons, in writing, for assigning a particular security classification or for changing that classification.

 

Règlement :

17.     Le Service détermine la cote de sécurité à assigner à chaque détenu conformément à l'article 30 de la Loi en tenant compte des facteurs suivants :

 

 

a) la gravité de l'infraction commise par le détenu;

 

 

b) toute accusation en instance contre lui;

 

c) son rendement et sa conduite pendant qu'il purge sa peine;

 

d) ses antécédents sociaux et criminels, y compris ses antécédents comme jeune contrevenant s'ils sont disponibles;

 

e) toute maladie physique ou mentale ou tout trouble mental dont il souffre;

 

f) sa propension à la violence;

 

g) son implication continue dans des activités criminelles.

 

18.     Pour l'application de l'article 30 de la Loi, le détenu reçoit, selon le cas :

 

a) la cote de sécurité maximale, si l'évaluation du Service montre que le détenu :

 

(i) soit présente un risque élevé d'évasion et, en cas d'évasion, constituerait une grande menace pour la sécurité du public,

 

(ii) soit exige un degré élevé de surveillance et de contrôle à l'intérieur du pénitencier;

 

b) la cote de sécurité moyenne, si l'évaluation du Service montre que le détenu :

 

(i) soit présente un risque d'évasion de faible à moyen et, en cas d'évasion, constituerait une menace moyenne pour la sécurité du public,

 

(ii) soit exige un degré moyen de surveillance et de contrôle à l'intérieur du pénitencier;

 

c) la cote de sécurité minimale, si l'évaluation du Service montre que le détenu :

 

(i) soit présente un faible risque d'évasion et, en cas d'évasion, constituerait une faible menace pour la sécurité du public,

 

(ii) soit exige un faible degré de surveillance et de contrôle à l'intérieur du pénitencier.

17.      The Service shall take the following factors into consideration in determining the security classification to be assigned to an inmate pursuant to section 30 of the Act:

 

(a) the seriousness of the offence committed by the inmate;

 

(b) any outstanding charges against the inmate;

 

(c) the inmate's performance and behaviour while under sentence;

 

(d) the inmate's social, criminal and, where available, young-offender history;

 

 

(e) any physical or mental illness or disorder suffered by the inmate;

 

(f) the inmate's potential for violent behaviour; and

 

(g) the inmate's continued involvement in criminal activities.

 

18.     For the purposes of section 30 of the Act, an inmate shall be classified as

 

(a) maximum security where the inmate is assessed by the Service as

 

 

(i) presenting a high probability of escape and a high risk to the safety of the public in the event of escape, or

 

(ii) requiring a high degree of supervision and control within the penitentiary;

 

(b) medium security where the inmate is assessed by the Service as

 

 

(i) presenting a low to moderate probability of escape and a moderate risk to the safety of the public in the event of escape, or

 

 

(ii) requiring a moderate degree of supervision and control within the penitentiary; and

 

(c) minimum security where the inmate is assessed by the Service as

 

 

(i) presenting a low probability of escape and a low risk to the safety of the public in the event of escape, and

 

(ii) requiring a low degree of supervision and control within the penitentiary.

 

[29]           Les motifs à la base de la hausse de la cote de sécurité du demandeur de minimale à moyenne se retrouvent dans la preuve documentaire notamment dans l’Évaluation en vue d’une décision - Transf. Inst. Involontaire – Modif. Cote de sécurité et dans la Décision pour niveau de sécurité du détenu.

 

[30]           Par conséquent, il n’est pas manifestement déraisonnable que le commissaire adjoint conclut qu’il y avait des éléments pouvant justifier la hausse de la cote de sécurité et, plus particulièrement, quant aux critères devant être rencontrés aux termes de l’article 18 du Règlement pour déterminer qu’une cote de sécurité soit moyenne.

 

ii) Le transfèrement involontaire

[31]           En l’espèce, le transfèrement involontaire du demandeur devait être conforme à l’article 28 de la LSCMLC et l’article 12 du Règlement qui se lisent comme suit :

Loi :

29.     Le commissaire peut autoriser le transfèrement d’une personne condamnée ou transférée au pénitencier, soit à un autre pénitencier, conformément aux règlements pris en vertu de l’alinéa 96d), mais sous réserve de l’article 28, soit à un établissement correctionnel provincial ou un hôpital dans le cadre d’un accord conclu au titre du paragraphe 16(1), conformément aux règlements applicables

 

 

 

 

 

28.      Le Service doit s’assurer, dans la mesure du possible, que le pénitencier dans lequel est incarcéré le détenu constitue le milieu le moins restrictif possible, compte tenu des éléments suivants :

 

 

a) le degré de garde et de surveillance nécessaire à la sécurité du public, à celle du pénitencier, des personnes qui s’y trouvent et du détenu;

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

b) la facilité d’accès à la collectivité à laquelle il appartient, à sa famille et à un milieu culturel et linguistique compatible;

 

 

 

 

 

 

 

 

 

c) l’existence de programmes et services qui lui conviennent et sa volonté d’y participer.

 

 

29.     The Commissioner may authorize the transfer of a person who is sentenced, transferred or committed to a penitentiary to

 

(a) another penitentiary in accordance with the regulations made under paragraph 96(d), subject to section 28; or

 

(b) a provincial correctional facility or hospital in accordance with an agreement entered into under paragraph 16(1)(a) and any applicable regulations.

 

28.      Where a person is, or is to be, confined in a penitentiary, the Service shall take all reasonable steps to ensure that the penitentiary in which the person is confined is one that provides the least restrictive environment for that person, taking into account 

 

(a) the degree and kind of custody and control necessary for

 

(i) the safety of the public,

 

(ii) the safety of that person and other persons in the penitentiary, and

 

(iii) the security of the penitentiary;

 

(b) accessibility to 

 

 

(i) the person’s home community and family,

 

(ii) a compatible cultural environment, and

 

(iii) a compatible linguistic environment; and

 

(c) the availability of appropriate programs and services and the person’s willingness to participate in those programs.

 

Règlement :

12.    Sauf dans le cas du transfèrement demandé par le détenu, le directeur du pénitencier ou l'agent désigné par lui doit, avant le transfèrement du détenu en application de l'article 29 de la Loi :

 

a) l'aviser par écrit du transfèrement projeté, des motifs de cette mesure et de la destination;

 

 

 

b) après lui avoir donné la possibilité de préparer ses observations à ce sujet, le rencontrer pour lui expliquer les motifs du transfèrement projeté et lui donner la possibilité de présenter ses observations à ce sujet, en personne ou par écrit, au choix du détenu;

 

 

 

 

c) transmettre les observations du détenu au commissaire ou à l'agent désigné selon l'alinéa 5(1)b);

 

 

d) l'aviser par écrit de la décision définitive prise au sujet du transfèrement et des motifs de celle-ci :

 

 

(i) au moins deux jours avant le transfèrement, sauf s'il consent à un délai plus bref lorsque la décision définitive est de le transférer,

 

(ii) dans les cinq jours ouvrables suivant la décision, lorsque la décision définitive est de ne pas le transférer.

12.     Before the transfer of an inmate pursuant to section 29 of the Act, other than a transfer at the request of the inmate, an institutional head or a staff member designated by the institutional head shall

 

 

(a) give the inmate written notice of the proposed transfer, including the reasons for the proposed transfer and the proposed destination;

 

(b) after giving the inmate a reasonable opportunity to prepare representations with respect to the proposed transfer, meet with the inmate to explain the reasons for the proposed transfer and give the inmate an opportunity to make representations with respect to the proposed transfer in person or, if the inmate prefers, in writing;

 

(c) forward the inmate's representations to the Commissioner or to a staff member designated in accordance with paragraph 5(1)(b); and

 

(d) give the inmate written notice of the final decision respecting the transfer, and the reasons for the decision,

 

(i) at least two days before the transfer if the final decision is to transfer the inmate, unless the inmate consents to a shorter period; and

 

(ii) within five working days after the decision if the final decision is not to transfer the inmate.

 

[32]           Les motifs à la base du transfèrement involontaire du demandeur se retrouvent dans la preuve documentaire notamment dans l’Évaluation en vue d’une décision- Transf. Inst. Involontaire – Modif. Cote de sécurité, Suivi du plan correctionnel, l’Avis de recommandation d’un transfèrement non sollicité, la Décision pour niveau de sécurité du détenu et l’Avis de décision d’un transfèrement non sollicité.

 

[33]           Par conséquent, il n’est pas manifestement déraisonnable que le commissaire adjoint conclut qu’il y avait des éléments pouvant justifier le transfèrement involontaire du demandeur et que ces motifs constituaient des préoccupations assez importantes pour laisser à croire aux autorités correctionnelles que le demandeur « devait être transféré en vue d’assurer l’administration ordonnée et efficace de l’établissement ».

 

CONCLUSION

[34]           Compte tenu de ce qui précède, la Cour rejette la demande de contrôle judiciaire.

 


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

 

OBITER

 

La longueur de la peine déjà purgée peut être l'une des circonstances dont il faut tenir compte en appliquant, aux circonstances de chaque détenu, les critères établis par la Loi. Il se peut qu'elle ne justifie pas à elle seule la libération conditionnelle, mais elle peut bien servir d'indication que le détenu n'est plus dangereux. De même, un long emprisonnement et l'effet concomitant d'habitude de vie en prison qu'il a sur un détenu peut expliquer et même excuser certains manquements à la discipline.

 

(Steele c. Établissement Mountain, [1990] 2 R.C.S. 1385.)

 

Le désespoir engendre souvent la frustration. Monsieur Bouchard a passé près de 25 ans de sa vie en prison. Pendant 17 ans, ce dernier a eu un comportement exemplaire. En 2002, la décision réduisant ainsi le délai fixé pour son admissibilité à la libération conditionnelle totale crée, chez monsieur Bouchard, une attente d’une sortie imminente du milieu incarcéral vers un retour à la collectivité. Par contre, depuis les incidents reportés par le SCC en 2002-2003, monsieur Bouchard perd espoir et sa situation se détériore. Le refus de sa libération conditionnelle en 2003 le projette dans un cycle de frustration comme spécifié au dessus. En effet, le refus de monsieur Bouchard de coopérer avec la Commission des libérations conditionnelles (Commission) datent, presque uniquement, des dernières années de son incarcération. Depuis lors, ce comportement procède de sa frustration et il concentre son attention sur les autres recours juridiques susceptibles de lui procurer sa mise en liberté.

 

En tenant compte de tout ce qui précède, monsieur Bouchard se doit de recevoir, lors de son examen pour libération conditionnelle prévu en 2008, une décision qui repose sur les critères tel qu’énoncés par le juge Peter deCarteret Cory dans l’arrêt  Steele, ci-dessus, au paragraphe 65, à savoir que la Commission accorde la libération conditionnelle (i) si l’effet positif maximal de l’emprisonnement a été atteint par le détenu; (ii) si la libération conditionnelle facilitera l’amendement et la réadaptation du détenu, et (iii) si la mise en liberté du détenu ne constitue pas un trop grand risque pour la société. À ce titre, le juge Gérard V. La Forest dans l’arrêt R. c. Lyons, [1987], 2 R.C.S. 309, aux pages 340-341 décrit en ces termes, l’importance fondamentale que la Commission tienne compte de ces critères lors de l’examen des peines d’une durée déterminée imposées aux individus incarcérés :

 

[48]      ... dans un régime de peines d'une durée déterminée, la possibilité d'obtenir une libération conditionnelle représente une mesure surajoutée de protection des intérêts du délinquant en matière de liberté. Dans le présent contexte, cependant, une fois la peine imposée, elle constitue la seule mesure de protection des intérêts du délinquant dangereux en matière de liberté. [...] Par conséquent, vu sous cet angle, le processus de libération conditionnelle revêt une importance capitale, car seul ce processus permet vraiment d'adapter la peine à la situation de chaque délinquant.

 

Par conséquent, ces critères vont servir la Commission comme lignes directrices de tenir compte du cheminement de monsieur Bouchard, non seulement depuis les incidents survenus en 2002, mais également, pour les 17 années antérieures.

 

 

i) Est-ce que l’effet positif maximal de l’emprisonnement a été atteint par le détenu?

 

Pendant toute la durée de son emprisonnement, des rapports des spécialistes ont spécifié que monsieur Bouchard a tiré le bénéfice maximal de son incarcération. Premièrement, le jugement favorable de libération conditionnelle de 2002, était fondé sur une preuve abondante de bonne conduite et sur le fait qu’après avoir cessé de consommer de l’alcool et de la drogue depuis 1984-85, il a participé à plusieurs programmes de réhabilitation et a complété plus de quatre-vingt-dix (90) sorties avec escorte. À ce titre, il est important de noter que tous les rapports de sortie avec escorte, datés de 2000 à 2001 sont positifs et tous les rapports d’évaluation à la suite d’une permission de sortir ou d’un placement extérieur, daté de 2001 à 2003 sont positifs, à l’exception de celui du 7 août 2001. (Pièce D-9)

 

Deuxièmement, il appert, selon le rapport criminologique daté du 3 février 2002 (Pièce D-5), que monsieur Bouchard progressait de façon significative vers un retour à la collectivité. Ainsi, il est important de noter certains extraits de ce rapport pour mieux saisir le cheminement évolutif de monsieur Bouchard depuis le début de son incarcération :

 

Au sujet de son comportement :

 

[Monsieur Bouchard] se présente en entrevue de manière relativement à l’aise. Nous avons obtenu de sa part une excellente collaboration. Rapidement, le climat devient propice à un échange productif. Le discours est franc, direct, et le sujet fait preuve d’ouverture et d’authenticité. La pensée est cohérente et le vocabulaire y est bien adapté. C’est un individu sociable, simple de contact, assez loquace, modeste, humble dans la présentation et la description de ce qu’il est, qui apprécie échanger avec autrui et qui se montre intéressé à s’améliorer comme personne.

 

Il nous parle de sa vie passée, actuelle et future sans ambages, avec transparence malgré des pensées et des agirs d’antan qui pourraient le mettre en mauvaise lumière parfois. Il nous raconte ses croyances, sa vérité avec courage et se risque dans la révélation de ce qu’il est jusque dans son intimité psychologique avec une franchise qui étonne mais qui apparaît le caractériser actuellement.

 

Nous n’avons pu mettre en évidence aucune technique manipulatoire telle que la diversion, l’obstruction systématique, l’intimidation directe ou voilée, le mensonge, la flatterie, la séduction ou la victimisation à outrance. Le récit de son histoire de vie reste conforme en tout point aux différents rapports déjà versés au dossier par les autres évaluateurs.

 

Monsieur Bouchard apparaît doté d’un bon potentiel introspectif qui l’amène à se soucier de l’autre et à s’adapter, tout en développant des habilités personnelles et sociales efficaces pour y puiser un sentiment de réalisation personnelle.

 

L’autocritique est assez articulée. Il reconnaît son orientation délinquante de l’époque, ses comportements inconséquents et égocentriques, son approche rigide, ses manques d’empathie sociale, son jugement moral « étroitisé » et perverti par des objectifs criminalisés. Il reconnaît avoir hypothéqué la vie de plusieurs membres de sa famille et celle d’autres gens (ses victimes) ainsi que sa propre vie. Il perçoit bien ses inadéquations personnelles d’antan et est parvenu, avec le temps, à identifier assez clairement les ancrages dynamiques qui l’animaient à cette époque de sa vie.

 

L’affect est modulé au discours. Il est capable de sensibilité interpersonnelle et d’émotivité bien adaptée. Il devient plus triste lorsqu’il aborde les différentes pertes dans sa vie (parents, fratrie) et se montre optimiste pour l’avenir. Il est capable d’attachement affectif et nous notons une bonne réceptivité au point de vu de l’autre et une excellente capacité d’interagir avec celui-ci. L’attitude paraît naturelle, authentique, non superficielle, ni forcée : monsieur Bouchard ne témoigne pas de manœuvre quelconque visant à créer une image favorable de soi. Nous nous retrouvons face à un individu communicatif et expressif. Monsieur possède de bonnes ressources adaptatives et les forces de contrôle semblent efficaces.

 

L’allure générale est confiante et assurée, sans être présomptueuse ou téméraire. C’est dire qu’il ne s’agit pas ici d’un sujet craintif et appréhensif face aux obstacles, mais plutôt déterminé et vaillant, impérieux à s’accomplir.

 

            (Pièce D-5, aux pages 3-4)

 

Au sujet de son évolution en cours de sentence :

 

[...] Le décès de ses frères et d’une sœur à la fin des années 80 [...] semble avoir douloureusement ébranlé et affecté le sujet pour qu’on remarque graduellement, à partir de ce moment, un assouplissement appréciable des mécanismes adaptifs. Il a commencé à se montrer plus raisonnable et interactif envers l’autorité et son entourage, adoptant une approche plus constructive, moins arrogante ou réfractaire, avec une écoute à la hausse (auparavant inexistante) et une implication non négligeable au niveau institutionnel. Bref, depuis 1990, nous relevons une volonté certaine de se démarquer des attitudes et comportements déviants et antisociaux.

 

 [...] Depuis 1990 donc, on remarque une accalmie dans ses comportements. Les changements de départ ne sont pas fulgurants, mais se font en solo et en sourdine et passent surtout par une longue période de réflexion. Cette période sera suivie d’une légère ouverture à ce qui pourrait l’aider dans son projet de changement. Il s’implique dans le programme Toast Master. Suivront les programmes de Connaissance de soi et d’Apprentissage cognitif des compétences. Il fera beaucoup de lectures à ce moment et il se mettra aussi à écrire. Écrire sur lui, sa vie, sa famille, ce qui permettra graduellement l’exploration plus attentive de son vécu intérieur et qui l’amènera à réaliser son besoin d’être aidé.

 

En 1995, il demandera à rencontrer un psychologue et il entamera un suivi psychothérapeutique régulier pendant environ un an [...]

 

Il s’est inscrit à l’ensemble des programmes thérapeutiques qui étaient mis à sa disposition au Service correctionnel et s’y est impliqué qualitativement et authentiquement. Il s’occupera aussi de projets plus altruistes comme : Vision mondiale, le groupe Vie-Espoir (dont il sera aussi président pendant un an) et s’impliquera aussi aux ateliers liturgiques. Il sera aussi président du Comité de détenus pendant près de deux ans et s’acquittera adéquatement de ces mandats.

 

Tout cela l’amènera graduellement à des évaluations sécuritaires à la baisse jusqu’à ce qu’en juin 1998, il soit transféré à l’Établissement de Ste-Anne-des-Plaines pour amorcer un programme de réinsertion sociale et se joindre au programme des unités d’habitations.

 

Depuis avril 2000, monsieur Bouchard a obtenu une soixantaine de sorties, accompagné, pour rapports familiaux, développement personnel et services à la communauté et il n’a posé aucun problème d’ordre sécuritaire. À l’occasion de deux sorties sur une soixantaine, les commentaires de l’escorte (la même pour les deux sorties) ont été négatifs. Toutes les autres sorties se sont actualisées sans aucune difficulté et les rapports sur les sorties ont été rédigés par quelque dix-huit escortes différents, selon les informations que nous possédons à date.

 

(Pièce D-5, aux pages 6-8)

 

Évaluation criminologique :

 

[...] Il y travaille depuis plus de onze ans maintenant et cet acharnement est remarqué et bénéfique de l’avis de l’ensemble des intervenants et nous partageons ces avis. À travers toutes ces années, à travers sa participation à l’ensemble des programmes thérapeutiques offerts par le Service correctionnel et à travers un suivi psychologique qui semble l’avoir littéralement projeté vers la reconstruction de sa dynamique de personnalité, on voit apparaître graduellement le développement d’une meilleure prise de conscience de soi et des autres qui a amené monsieur Bouchard a « mûrir » sur le plan relationnel, affectif et émotif.

 

[...] La longue réclusion (plus de dix-neuf ans) aura, semble-t-il, fini par éroder ses traits antisociaux, favorisant à ce moment, enfin, un retour sur lui-même. Il comprend que sa trajectoire de vie de l’époque ne le menait nulle part, sinon dans une impasse. Depuis plus de dix-sept ans, monsieur Bouchard n’aurait plus consommé ni drogues, ni alcool.

 

[...] Nous relevons chez monsieur Bouchard une grande capacité et une bonne volonté pour se rapprocher fort adéquatement des normes sociales actuelles. Par contre, ce rapprochement semble connaître présentement un plafonnement évolutif dans ses conditions actuelles de vie. En début d’incarcération surtout, le milieu fermé peut rester plutôt riche de moyens pour s’arrêter et apprendre à se faire face; mais en même temps, ce milieu finit par s’appauvrir de stimulations plus proches des réalités de la vie en société, ce qui amène une forme de stagnation de l’évolution du sujet en ce moment.

 

La stagnation et le cul-de-sac évolutif qu’il rencontre à travers un plafonnement et une saturation du milieu carcéral doivent être transcendés, dépassés. Son évolution carcérale et personnelle nous dévoile un individu en bon contrôle par une meilleure connaissance de lui-même, de ses limites et de ses forces [...] (La Cour souligne.)

 

(Pièce D-5, aux pages 9-13)

 

Finalement, il appert de la preuve documentaire que depuis l’incident de 2003, monsieur Bouchard est présentement incarcéré au Centre fédéral de formation de Laval, un pénitencier de sécurité minimum renforcée. En outre, le demandeur poursuit ses études secondaires dans le but de rehausser son niveau de scolarité et tente de s’impliquer dans des groupes tel la Santé et Sécurité au travail.

 

 

ii) Est-ce que  la libération conditionnelle facilitera l’amendement et la réadaptation du détenu

 

La situation de monsieur Bouchard depuis les incidents de 2002-2003 fait preuve d’une détérioration en milieu carcéral. Depuis lors, le désespoir et la frustration mène la vie de monsieur Bouchard et l’empêche de progresser dans un milieu carcéral. Or, il appert de la preuve documentaire que la libération conditionnelle de monsieur Bouchard mérite une considération profonde et entière :

 

Ce retour progressif vers l’extérieur paraît sans risque indu pour la société actuellement. Il permettra au sujet de poursuivre son évolution, bien amorcée et intégrée à l’intérieur de nos institutions, pour l’ajuster aux réalités extérieures et, en ce sens, se retrouver et se rebâtir une place contributive et adéquate sur l’échiquier social et ainsi continuer de s’amender convenablement et fructueusement. L’incarcération cette fois et la perte de certains membres de sa famille semblent avoir marqué profondément et douloureusement monsieur Bouchard et ont atteint, avec assurance, un objectif dissuasif puissant qui devrait porter dans le futur pour soutenir sa trajectoire de vie qu’il souhaite aujourd’hui adaptée et responsable. Il en possède les capacités et la volonté. D’autre part, monsieur Bouchard est parvenu à se créer un réseau de support social sain et adéquat à travers les membres de sa famille et leurs amis et particulièrement, avec son frère Marcel et les amis de ce dernier. Monsieur Bouchard a aujourd’hui 48 and et souhaite vivre ses dernières années à l’extérieur des murs d’un pénitencier et nous croyons qu’il peut y parvenir avec l’aide qu’il continuera de recevoir des Services correctionnels pour le restant de sa vie.

 

(Rapport criminologique, Pièce D-5, à la pages 13 et 14.)

 

iii) Est-ce que la mise en liberté du détenu ne constitue pas un trop grand risque pour la société?

 

Le système carcéral se doit d’assurer la sécurité des citoyens. Ainsi, si la mise en liberté d’un détenu continu de constituer un trop grand risque pour la société, la prolongation de sa détention à perpétuité peut être justifiée. (Steele, ci-dessus, au paragraphe 71.)

 

Cependant, en plus, il appert de la preuve documentaire du 3 janvier 2002, qu’à l’époque, monsieur Bouchard ne présentait pas un danger pour la société :

 

Ce retour progressif vers l’extérieur paraît sans risque indu pour la société actuellement...

 

(Rapport criminologique, Pièce D-5, à la page 12.)

 

En outre, il a participé à plusieurs programmes de réhabilitation et a complété plus de quatre-vingt-dix (90) sorties avec escorte. À ce titre, il est important de noter que tous les rapports de sortie avec escorte, datés de 2000 à 2001 sont positifs et tous les rapports d’évaluation à la suite d’une permission de sortir ou d’un placement extérieur, daté de 2001 à 2003 sont positifs, à l’exception de celui du 7 août 2001.

 

À ce titre, la longueur de la peine déjà purgée peut être l’un des éléments d’évaluation, en appliquant, aux circonstances de chaque détenu, les critères établis par la Loi. Il se peut qu’elle ne justifie pas à elle seule la libération conditionnelle, mais, également, elle peut bien servir d’indication à l’intérieur d’un ensemble des éléments que le détenu n’est plus dangereux et pourrait être libérer.

 

Finalement, depuis les incidents survenus en 2002-2003, monsieur Bouchard est présentement incarcéré au Centre fédéral de formation de Laval, un pénitencier de sécurité minimum renforcée.

 

Sur ce point, une analyse tiendra compte des incidents survenus en 2002-2003 et des explications quant aux motifs qui l’ont provoqué. Un long emprisonnement et l’effet concomitant d’habitude de vie de prison qu’il a sur un détenu peut expliquer et même démontrer en partie certains manquements à la discipline. Plutôt que de considérer que des manquements à la discipline, l’analyse se penche sur des critères pour savoir si la libération conditionnelle constituera un risque trop grand pour la société. (Steele, ci-dessus, aux paragraphes 77-79.)

 

En somme, afin de briser le cycle perpétuel de désespoir et de frustration et pour évaluer le risque potentiel à la société, il est primordial que monsieur Bouchard et le SCC renouent contact significatif; c’est afin d’en arriver à une compréhension qui pourra prendre les préoccupations des deux parties en considération sans minimiser la raison pour l’incarcération prolongée à date.

 

Le bien-être de la société et ce de monsieur Bouchard est un but qui nécessite, non seulement un examen des actes mais également, une analyse des attitudes qui mènent vers des gestes pour un résultat en commun découlant d’une coopération et d’une volonté unies qui représentent ensemble le symbole en soi de ce que le milieu carcéral prône.

 

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1536-06

 

INTITULÉ :                                       JEAN-CLAUDE BOUCHARD c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 16 mai 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 7 juin 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Jean-Claude Bouchard

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Éric Lafrenière

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

M. Jean Claude Bouchard

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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