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Date : 20070601

Dossier : T-892-06

Référence : 2007 CF 581

Ottawa (Ontario), le 1er juin 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

EDNA BRASS, MARLENE BRASS, MAVIS BRASS,

NICOLE BRASS, WANDA BREMNER, CAROL O’SOUP,

FERNIE O’SOUP, GLEN O’SOUP, LUCY O’SOUP,

LYNN O’SOUP, PERCY O’SOUP, PETER O’SOUP,

SELWYN O’SOUP et GERALDINE WARDMAN,

chacun en son propre nom et au nom de tous les membres

de la Première nation de Key

demandeurs

et

 

LA PREMIÈRE NATION DE KEY,

LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA

PREMIÈRE NATION DE KEY et SA MAJESTÉ LA REINE

(au nom du MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET

DU NORD), représentée par

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Les demandeurs, tous membres de la Première nation de Key, sollicitent le contrôle judiciaire d’un référendum organisé par la bande en vue de ratifier un accord de transaction conclu avec le gouvernement du Canada. Les demandeurs se plaignent pour l’essentiel que le référendum se soit déroulé dans des conditions irrégulières au point qu’il n’était pas véritablement conforme aux règles régissant les élections et les référendums.

 

II.         LE CONTEXTE

[2]               En 1891, le Canada avait établi une réserve autochtone sur les Pelly Highlands de la Saskatchewan, pour les Premières nations de Key, de Keeseekoose et de Cote. Le Canada a aliéné la réserve en 1899 et 1905, sans l’avoir cédée comme le requiert la Loi sur les Indiens.

 

[3]               En 1997, ces mêmes Premières nations ont présenté, en vertu de la Politique du Canada relative aux revendications particulières, une revendication se rapportant à l’aliénation illicite des Pelly Highlands.

 

[4]               Un accord de transaction fut négocié et paraphé le 4 octobre 2005. Le Canada s’engageait à verser à ces Premières nations, à titre de compensation et en règlement final et complet de la revendication, la somme de 78 287 330 $. Chacune des Premières nations devait ratifier l’accord de transaction ainsi qu’un accord de fiducie.

 

[5]               L’article 9.5 de l’accord de transaction prévoyait que les ratifications devaient, pour chaque Première nation, se faire par scrutin organisé conformément au Règlement sur les référendums des Indiens (le Règlement).

 

[6]               L’article 9.1 de l’accord de transaction prévoyait que, pour qu’il y ait ratification, il fallait que la majorité absolue des électeurs admissibles de chaque Première nation participe au scrutin et que la majorité absolue des voix exprimées par les électeurs admissibles de chaque Première nation soit favorable à l’accord de transaction et à l’accord de fiducie.

 

[7]               L’article 9.2 de l’accord de transaction prévoyait que le ministre pouvait, à la requête de la Première nation, organiser un second scrutin si la majorité absolue des électeurs admissibles n’avait pas participé au premier scrutin, mais que la majorité absolue de ceux qui y avaient participé avait voté en faveur de l’accord de transaction et de l’accord de fiducie.

 

[8]               Si un second scrutin avait lieu, la simple majorité des voix exprimées trancherait la question.

 

[9]               Au premier scrutin de ratification organisé en février 2006 (le scrutin de février), une forte majorité des voix exprimées était en faveur de l’accord de transaction, mais les voix exprimées ne représentaient pas la majorité absolue des électeurs admissibles.

 

[10]           Un second scrutin a donc eu lieu en avril 2006 (le scrutin d’avril). Encore une fois, le nombre de voix exprimées était inférieur à la majorité absolue des électeurs admissibles, mais une majorité appréciable des voix exprimées (192 contre 64) était favorable à l’accord de transaction.

 

[11]           Il n’est pas véritablement contesté que la liste électorale était douteuse, tout comme certains des suffrages exprimés. Il reste à savoir si ces irrégularités ont été déterminantes.

 

[12]           En raison d’une certaine confusion entre une liste des électeurs et une liste des membres de la bande (qui comprend des mineurs), le scrutin de février a eu lieu alors que l’on comptait 688 électeurs, mais 84 d’entre eux n’étaient pas membres de la bande (10 voix), 14 étaient décédés, et une personne avait été omise de la liste. Il y a eu 13 suffrages erronés au scrutin de février, mais cela ne changeait rien au fait que la majorité des suffrages validement exprimés avait été favorable à l’accord de transaction.

 

[13]           Lors du scrutin d’avril, qui est le scrutin en cause ici, il y a eu beaucoup moins d’erreurs. On a constaté que la liste électorale aurait dû indiquer 592 électeurs admissibles. Au scrutin d’avril, le problème des électeurs décédés et celui de l’électeur omis de la liste avaient été corrigés. Seuls six personnes non membres de la bande ont voté. Il y a eu 192 voix pour, et 64 contre.

 

[14]           Les demandeurs ont introduit cette procédure de contrôle judiciaire pour contester plusieurs aspects de la tenue du référendum, sans déposer une plainte auprès du ministre des Affaires indiennes et du Nord, comme le prévoit le Règlement.

 

[15]           Les demandeurs disent que l’effet cumulatif des fautes commises dans la tenue du référendum, notamment le fait de ne pas avoir localisé 200 électeurs admissibles, les erreurs contenues dans la liste électorale, les bulletins de vote postaux, les voix exprimées qui n’auraient pas dû l’être, et le fait de ne pas avoir prié les électeurs de s’identifier, tout cela a eu pour effet d’invalider le référendum. Les demandeurs ne soutiennent pas qu’il y a eu manquement au Règlement lui-même.

 

III.       ANALYSE

[16]           Cette demande de contrôle judiciaire soulève deux points principaux. Le premier est celui de savoir si la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et décider de ne pas juger cette demande, compte tenu du recours subsidiaire prévu par le Règlement. Le deuxième (à supposer que la Cour accepte de juger la demande) est celui de savoir si le référendum s’est déroulé irrégulièrement au point qu’il faille déclarer invalide le scrutin d’avril et ordonner la tenue d’un nouveau scrutin.

 

A.        Le pouvoir discrétionnaire de la Cour

[17]           L’article 22 du Règlement prévoit un recours pour l’électeur qui souhaite contester les résultats d’un référendum. Le mode de contestation est une plainte, déposée auprès du ministre dans les sept jours qui suivent le scrutin. Le ministre décide alors, après avoir reçu les réponses à la plainte, si la validité du référendum doit être mise en doute. Dans l’affirmative, le ministre communique sa conclusion au gouverneur en conseil.

 

 

[18]           Les articles 22 et 23 du Règlement sont ainsi formulés :

22. (1) L’électeur peut, de la manière indiquée au paragraphe (2), demander une révision du référendum par le ministre pour l’un des motifs suivants :

 

a) violation du règlement pouvant porter atteinte au résultat du référendum;

 

 

 

b) manœuvre corruptrice à l’égard du référendum.

 

 

  (2) La demande de révision de référendum doit être envoyée au ministre par courrier recommandé, à l’adresse du sous-ministre adjoint, dans les sept jours suivant le référendum, et comprendre une déclaration signée en présence d’un témoin âgé d’au moins dix-huit ans et indiquant les motifs de révision et tous les renseignements pertinents.


  (3) Dans les vingt et un jours suivant la réception de la demande de révision de référendum, le ministre envoie par la poste une copie de la demande au président d’élection qui a dirigé le référendum en cause.

  (4) Dans les dix jours suivant la réception de la demande visée au paragraphe (3), le président d’élection envoie au ministre par courrier recommandé, à l’adresse du sous-ministre adjoint, une déclaration signée en présence d’un témoin âgé d’au moins dix-huit ans et répondant aux motifs énoncés dans la demande.

 

23. Si les documents déposés sous le régime de l’article 22 ou les renseignements qui sont en la possession du ministre sont suffisants pour mettre en doute la validité d’un référendum, le ministre en avise le gouverneur en conseil.

22. (1) An elector may, in the manner set out in subsection (2), request a review of the referendum by the Minister where the elector believes that

 

 

(a) there was a contravention of these Regulations that may affect the results of the referendum; or

 

(b) there was corrupt practice in connection with the referendum.

 

  (2) A request for a review of a referendum shall be made by forwarding the request to the Minister, by registered mail addressed to the Assistant Deputy Minister, within seven days after the day of the referendum, accompanied by a declaration, containing the grounds for requesting the review and any other relevant information, signed in the presence of a witness who is at least 18 years of age.

  (3) Within 21 days after the receipt of a request for a review of a referendum, the Minister shall mail a copy of the request to the electoral officer who conducted the referendum.


  (4) Within 10 days after the receipt of a request under subsection (3), the electoral officer shall forward to the Minister, by registered mail addressed to the Assistant Deputy Minister, a declaration responding to the grounds stated in the request, signed in the presence of a witness who is at least 18 years of age.

 

 

23. Where the material referred to in section 22 or any other information in the possession of the Minister is sufficient to call into question the validity of the referendum, the Minister shall advise the Governor in Council accordingly.

 

[19]           Les défendeurs ne prétendent pas que la Cour n’a pas compétence pour statuer sur cette affaire, mais ils invitent la Cour à s’abstenir de le faire. Je reconnais que la Cour a compétence pour statuer sur cette affaire – un règlement ne saurait se substituer aux droits conférés en vertu de la Loi sur les Cours fédérales. Je ne partage pas l’avis des défendeurs pour qui, dans la présente affaire, la Cour devrait s’abstenir de juger l’affaire au motif qu’il existe un recours subsidiaire suffisant.

 

[20]           La position des défendeurs est que le recours subsidiaire que constitue la plainte au ministre est suffisant et que la Cour devrait refuser de juger cette affaire. Ne s’étant pas prévalus de ce recours, les demandeurs ont laissé expirer le délai qui s’y applique. L’effet d’un refus de la Cour de juger l’affaire est que les demandeurs seraient privés de tout recours. C’est là, de dire les défendeurs, un résultat dont la responsabilité incombe entièrement aux demandeurs, qui, dès le début de la procédure, étaient représentés par un avocat.

 

[21]           L’arrêt de principe sur la question de l’existence d’un recours subsidiaire suffisant est Harelkin c. University of Regina, [1979] 2 R.C.S. 561, dans lequel la Cour suprême avait examiné plusieurs facteurs, dont le caractère suffisant de la procédure, la composition et le pouvoir du décideur, la célérité de la procédure et son coût, pour finalement conclure que l’appelant aurait dû se prévaloir du mécanisme interne d’appel établi par l’université.

 

[22]           Cependant, en l’espèce, la procédure est sensiblement différente de celle dont il était question dans l’arrêt Harelkin et dans d’autres précédents où la Cour a refusé d’exercer sa compétence. En l’espèce, un demandeur dispose d’un délai extrêmement bref (sept jours) pour déposer une plainte. Par ailleurs, la plainte requiert une déclaration indiquant non seulement les motifs de la plainte, mais également tous les renseignements pertinents. La brièveté du délai suscite de sérieux doutes quant à l’aptitude du plaignant à préparer une contestation et à recueillir rapidement les preuves requises. Le Règlement ne prévoit aucune prorogation de délai.

 

[23]           Ce point de procédure doit être mis en contraste avec le droit, conféré par l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, de solliciter un contrôle judiciaire dans un délai de 30 jours, sans que la preuve doive même être produite à l’intérieur de ce délai.

 

[24]           Outre ce point de procédure, la personne qui en l’espèce doit se prononcer sur la validité de la plainte – le ministre – est directement intéressé dans le résultat du référendum. Non pas que le ministre soit nécessairement de parti pris ou que son intervention suscite une crainte raisonnable de partialité (un argument invoqué, puis rejeté, dans l’arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3), mais il a un intérêt financier direct dans le résultat. Le ministre a également plusieurs autres intérêts, notamment ses obligations fiduciaires envers les Premières nations, son désir d’obtenir un résultat qui reflète véritablement la volonté de la Première nation, enfin son intérêt à voir l’affaire menée à terme.

 

[25]           Il se pourrait (et je n’ai pas à trancher la question) que la procédure de dépôt de la plainte constitue un recours suffisant dans d’autres types de référendums, mais, vu l’importance de ce référendum, la nature des allégations et la nature des erreurs admises, les contraintes de procédure telles que la brièveté du délai de dépôt de la plainte et les intérêts variés et antagonistes du ministre, il ne s’agit pas d’un recours subsidiaire suffisant au point de pouvoir supplanter le droit à un contrôle judiciaire.

 

[26]           La Cour a eu l’occasion d’examiner des recours subsidiaires semblables à propos de résultats électoraux. Les précédents sur la question sont largement tributaires des circonstances qui leur sont propres. Dans la décision Jock c. Canada (1re inst.), [1991] 2 C.F. 355, la Cour avait refusé de statuer sur la demande de contrôle judiciaire parce que le recours subsidiaire était suffisant. Ce jugement fut aussi influencé par le dépôt très tardif de la demande de contrôle judiciaire (deux années après le fait), par le préjudice qui en résulterait et par le fait que l’instance était une contestation incidente du processus suivi. C’était là ce qui avait motivé la décision de la Cour de ne pas juger la demande de contrôle judiciaire.

 

[27]           Dans l’affaire qui nous concerne, aucun de ces éléments n’est présent. En fait, cette demande de contrôle judiciaire est une contestation plus directe et plus claire du référendum que ne l’aurait été le dépôt d’une plainte auprès du ministre, elle-même suivie du contrôle judiciaire de la décision du ministre. Comme le faisait remarquer le juge O’Keefe dans la décision Nation Siksika c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [2004] A.C.F. n° 1637 (Q.L.) (où il ne s’est pas demandé si le recours subsidiaire était suffisant), la décision prise par le ministre à la suite d’une plainte est sujette à contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable simpliciter. L’objet d’un tel contrôle judiciaire est la décision du ministre, tandis que l’objet du présent contrôle judiciaire est la conduite de la bande et la tenue du référendum, sans que le ministre soit intervenu dans l’intervalle.

 

[28]           Les principes juridiques régissant la norme de contrôle à appliquer, de même que leur importance, se sont développés considérablement par rapport à ceux qui existaient lorsque la Cour a rendu son jugement dans l’affaire Jock c. Canada. Le juge Blais, dans la décision Balfour c. Nation crie de Norway House, 2006 CF 213, affirmait très énergiquement que le contrôle judiciaire est la procédure privilégiée pour la contestation de l’élection d’un conseil de bande. Le même principe est applicable aux référendums tenus au sein des bandes.

 

[29]           Pour franchir ce point, il suffit que j’arrive à la conclusion que, vu les circonstances de cette affaire, il est opportun pour la Cour de statuer sur la demande de contrôle judiciaire et de ne pas s’en dispenser au motif qu’il existe un recours subsidiaire, qui n’est d’ailleurs pas exclusif.

 

[30]           Ayant décidé que la Cour examinera la demande de contrôle judiciaire, je me demanderai maintenant si le référendum devrait être annulé en raison de la manière dont il s’est déroulé.

 

B.         La validité du référendum

[31]           Le critère à appliquer pour savoir si un référendum (ou une élection) devrait être annulé est celui qui consiste à dire s’il existe une preuve suffisante « pour mettre en doute la validité du référendum » (article 23 du Règlement); « suffisamment d’irrégularités susceptibles d’influencer sensiblement le résultat du référendum » (Nation Siksika); [traduction] « pas fondamentalement conforme aux règles électorales » (Morgan v. Simpson, [1975] 1 Q.B. 151 (C.A.), lord Denning, M.R.).

 

[32]           Les diverses formulations renvoient à diverses dispositions législatives, mais le principe est le même : les irrégularités suffisent-elles à faire douter une personne raisonnable que les résultats électoraux reflètent la volonté des électeurs?

 

[33]           Il est évident que le critère ne requiert pas la perfection dans la tenue du référendum. Il est assez simple à appliquer lorsque les erreurs ont pour effet d’invalider un ou plusieurs bulletins et que le nombre de bulletins invalidés modifie ou peut modifier le résultat du scrutin. L’application du critère est plus difficile quand le résultat du scrutin ne serait pas modifié; cependant, selon une certaine jurisprudence, dont l’arrêt Morgan rendu par lord Denning, même si le résultat du scrutin ne change pas, une élection irrégulière peut être annulée :

[traduction] Si l’élection s’est déroulée d’une manière irrégulière au point de n’être pas fondamentalement conforme aux règles électorales, l’élection est annulée, quand bien même son résultat ne changerait pas.

 

[34]           S’agissant des cas où le résultat électoral ne sera pas différent, l’analyse de la Cour est quelque peu analogue à celle qu’elle effectuerait dans un cas soulevant une « crainte raisonnable de partialité ». Dans le contexte d’un référendum, la Cour se demande si une personne bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, conclurait qu’il existe un risque raisonnable que les résultats ne reflètent pas la volonté de la majorité requise des électeurs.

 

[35]           Il appartenait aux demandeurs d’établir que le référendum était entaché d’irrégularités. Ils ont fait valoir que, une fois les irrégularités établies, la charge de prouver que le scrutin demeure valide incombe alors à ceux qui préconisent la confirmation du scrutin. Les défendeurs disent qu’il n’y a jamais inversion du fardeau de la preuve (voir l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, page 394)

 

[36]           L’issue de la présente affaire ne dépend pas de l’inversion du fardeau de la preuve. Cependant, il est logique de penser que, une fois qu’il est prouvé que le scrutin a été entaché d’importantes irrégularités, la partie en possession de la preuve qui permet d’expliquer l’effet ou l’absence d’effet de telles irrégularités sur le référendum aura la charge de prouver que le résultat du référendum reste valide.

 

[37]           En l’espèce, les demandeurs font valoir plusieurs incidents, dont aucun, admettent-ils, ne suffirait à lui seul à compromettre la validité du référendum, mais qui, considérés ensemble, justifient l’annulation du référendum. Les demandeurs affirment cela alors même que numériquement, le nombre de voix en cause ne modifierait pas le résultat. Les prétendues irrégularités sont examinées dans les paragraphes suivants.

 

C.        La liste électorale et la majorité

[38]           Il ne fait aucun doute que l’établissement de la liste électorale suscite des doutes, ainsi que les voix exprimées, surtout lors du scrutin de février. Cependant, le scrutin dont il s’agit ici est le scrutin d’avril, pour lequel plusieurs des failles du scrutin de février avaient été corrigées. Ce qui n’a pas été corrigé, c’était l’inscription, sur la liste électorale, de certains électeurs qui n’étaient pas membres de la bande.

 

[39]           Lors du scrutin d’avril, six électeurs non membres de la bande ont voté, sur 592 électeurs inscrits. Lors de ce scrutin, 192 électeurs ont voté pour, et 64 contre, soit un écart de 128. Les six bulletins non admissibles n’aurait aucunement modifié le résultat du scrutin. Aucun électeur admissible n’était omis de la liste, et aucune preuve de comptages doubles n’a été apportée.

 

[40]           C’est un fait que la grande majorité de ceux qui ont voté se sont exprimés en faveur de l’accord de transaction. Nul ne prétend qu’il y a eu fraude ou méfait de la part des électeurs. Les erreurs commises l’ont été par inadvertance, et l’idée confuse selon laquelle le conseil de la bande se serait d’une certaine manière accommodé des lacunes de la liste électorale n’est pas étayée.

 

D.        Les adresses des électeurs

[41]           Les demandeurs mettent un accent particulier sur l’allégation selon laquelle 200 personnes (30 pour 100 de l’électorat potentiel) qui figuraient sur la liste électorale n’ont pas reçu de bulletins. La bande n’aurait pas cherché outre mesure à trouver les adresses de ces personnes pour leur envoyer des bulletins.

 

[42]           Cette prétendue inertie de la bande n’est pas confirmée par les témoignages du chef O’Soup, de Crane et de Hicks, où chacun a décrit les efforts faits par la bande pour diffuser l’information concernant le scrutin à venir.

 

[43]           Les demandeurs voudraient imposer à la bande l’obligation de trouver ceux de ses membres qui n’ont pas communiqué à ses bureaux une adresse valide. Aucune obligation du genre n’existe.

 

[44]           Le Règlement prévoit simplement que la bande doit communiquer au président des élections la dernière adresse connue, s’il en est, des électeurs (article 4.1). Des bulletins de vote postaux devaient être envoyés aux électeurs dont une adresse avait été fournie (alinéa 4.2(1)b)). Aucune disposition n’a été signalée qui obligerait la bande à trouver ceux de ses membres qui à l’évidence vivent en dehors de la réserve.

 

[45]           S’agissant de la validité générale du processus électoral, le fait que les membres en question n’ont pas communiqué à la bande leur adresse (ou une adresse actuelle) signale de leur part une absence d’intérêt dans les affaires de la bande. Cependant, un membre de la bande n’est nullement obligé de donner son adresse à la bande et la bande ne saurait être tenue pour responsable de l’oubli ou du refus d’un membre de faire savoir à la bande l’endroit où il se trouve.

 

[46]           Il n’y a sur ce point, dans la conduite de la bande, rien qui compromette la validité du processus de vote. Les demandeurs ne sauraient imposer à la bande une norme ou règle impossible l’obligeant à localiser ses membres. La bande a agi raisonnablement en s’efforçant de diffuser l’information et de consigner les adresses de ceux qui avaient communiqué avec elle.

 

E.         L’identification

[47]           Les demandeurs se plaignent que les électeurs n’aient pas été priés de s’identifier au moment de voter, mais il n’est pas établi que le scrutin a été irrégulier, sauf pour les six électeurs non membres de la bande.

 

[48]           Il n’y a aucune obligation pour un électeur de s’identifier à moins qu’on le lui demande (article 9 du Règlement). C’est une obligation semblable à celle que l’on trouve dans la Loi électorale du Canada, laquelle prévoit simplement qu’un électeur peut être prié de s’identifier.

 

[49]           En l’absence d’une preuve tangible que l’identité des électeurs a été source de difficultés, il est déraisonnable de prétendre que le fait de ne pas avoir demandé aux électeurs de s’identifier a pu compromettre la validité du référendum.

 

F.         La perte de la confiance des électeurs

[50]           Les demandeurs disent que les failles du scrutin de février ont tellement miné la confiance dans le processus qu’elles ont entraîné une diminution de la participation au scrutin d’avril. Il en aurait résulté, affirment-ils, une considérable perte de confiance des électeurs dans le processus référendaire. Au second référendum, il y a eu 24 suffrages exprimés de moins qu’au premier. Ce n’est pas là une diminution appréciable, qui ne permet pas non plus de dire si ceux qui n’ont pas voté étaient favorables ou opposés à l’accord de transaction.

 

[51]           L’unique preuve d’après laquelle les difficultés antérieures ont pu entraîner une perte de confiance des électeurs dans le processus et les inciter à ne pas voter était l’affidavit de Myrna O’Soup, dans lequel elle fait état de sa propre perte de confiance. On peut dire que les 14 demandeurs n’avaient pas eux non plus confiance dans le processus référendaire, mais cela ne permet pas de conclure à une perte de confiance chez tous les électeurs.

 

[52]           Les demandeurs font état aussi d’environ 41 électeurs qui semble-t-il ont changé d’avis par rapport au scrutin de février et ont voté en faveur de l’accord de transaction. Les demandeurs disent que cela atteste une perte de confiance, mais ils n’en ont pas apporté la preuve. Il est également plausible que ces personnes, après réflexion, ou connaissant le résultat du scrutin de février, sont arrivées à la conclusion que l’accord de transaction était soit une « bonne chose », soit une chose inévitable.

 

G.        Une voix par électeur

[53]           Les demandeurs disent que les mesures prises pour s’assurer qu’un électeur ne votait qu’une fois n’ont pas été suffisantes, mais il n’est pas établi que des électeurs ont voté plus d’une fois ou auraient pu voter plus d’une fois.

 

[54]           Il se trouve qu’un préposé faisait en réalité le compte des électeurs en cochant leurs noms après qu’ils avaient voté. Chaque électeur a été comptabilisé.

 

H.        Le corps électoral vérifiable

[55]           L’affirmation des demandeurs selon laquelle les défendeurs n’ont pas été en mesure de dénombrer avec certitude les électeurs admissibles n’a pas été prouvée. C’est l’inverse qui a été prouvé en ce qui concerne le scrutin d’avril. Il y avait 592 électeurs admissibles, comme l’a confirmé le chef O’Soup.

 

IV.       DISPOSITIF

[56]           Les affirmations des demandeurs, examinées séparément ou toutes ensemble, ne permettent pas de croire qu’il est probable que le référendum n’ait pas exprimé la volonté des électeurs, ni que des électeurs aient été en réalité inhabiles à voter.

 

[57]           Les erreurs qui ont été commises n’ont pas modifié les résultats, numériques ou autres, du référendum, ni n’ont jeté le doute sur la validité du scrutin.

 

[58]           La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée, avec dépens.

 

 


JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-892-06

 

INTITULÉ :                                       EDNA BRASS et al

 

                                                            et

 

                                                            LA PREMIÈRE NATION DE KEY et al

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Saskatoon (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 28 mai 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 1er JUIN 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Steven L. Cooper

Keith Macey

 

POUR LES DEMANDEURS

 

James D. Jodouin

Dawn D. Cheecham

POUR LES DÉFENDEURS,

LA PREMIÈRE NATION DE KEY ET

LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA PREMIÈRE NATION DE KEY

 

Karen Jones

Scott MacDonald

 

POUR LE DÉFENDEUR,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

AHLSTROM WRIGHT

     OLIVER & COOPER LLP

Avocats

Sherwood Park (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

BAINBRIDGE JODOUIN HINDS

Avocats

Saskatoon (Saskatchewan)

POUR LES DÉFENDEURS,

LA PREMIÈRE NATION DE KEY ET

LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA PREMIÈRE NATION DE KEY

 

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

POUR LE DÉFENDEUR,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

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