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Date : 20070601

Dossier : T-1005-05

Référence : 2007 CF 580

Ottawa (Ontario), le 1er juin 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

 

ENTRE :

CROSS-CANADA AUTO BODY SUPPLY

(WINDSOR) LIMITED, CROSS-CANADA

AUTO BODY SUPPLY (WEST) LIMITED et

AT PAC WEST AUTO PARTS ENTERPRISE LTD.

demanderesses

-et-

 

HYUNDAI AUTO CANADA,

UNE DIVISION DE HYUNDAI MOTOR AMERICA

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

 

[1]                Les demanderesses, invoquant l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi), voudraient faire radier du Registre canadien des marques de commerce les cinq enregistrements suivants de marques de commerce canadiennes :

 

N° d’enregistrement

Marque de commerce

314,286

HD Design

315,465

HD & Hyundai Design

346,818

HMC Design

302,619

Hyundai

356,597

Sonata

 

[2]                Les demanderesses sont des revendeuses de pièces et accessoires d’automobile, notamment de pièces destinées aux automobiles Hyundai et portant la marque de commerce HYUNDAI. La défenderesse est le propriétaire enregistré des cinq marques de commerce en cause. Les demanderesses sont également défenderesses dans une procédure introduite devant la Cour par Hyundai Auto Canada pour contrefaçon de marques de commerce (T-898-05).

 

[3]                Les marques de commerce en cause appartenaient à l’origine à la société Hyundai Motor Company, dont le siège est à Séoul, en Corée, et avaient été enregistrées par elle. La défenderesse, Hyundai Auto Canada (HAC), est une division de Hyundai Motor America, une société de Californie. Hyundai Motor America est une filiale en propriété exclusive de Hyundai Motor Company. Le siège social de HAC est à Markham (Ontario).

 

[4]                Hyundai Motor Company n’exporte pas d’automobiles, de pièces ou d’accessoires, pour vente au Canada, vers des entités autres que HAC; HAC importe des automobiles et pièces Hyundai depuis la Corée et les États-Unis. Tous les véhicules neufs sont vendus au Canada en association avec la marque de commerce HYUNDAI, tandis que le modèle Sonata est vendu en association avec les marques de commerce HYUNDAI et SONATA; tous sont vendus exclusivement par l’entremise du réseau de concessionnaires de HAC au Canada. Ces concessionnaires sont également pourvus de départements de service qui vendent des pièces et accessoires portant les marques de commerce de HAC.

 

[5]                Le 7 décembre 1985, Hyundai Motor Company avait cédé à Hyundai Auto Canada Inc. (HACI), le prédécesseur de la défenderesse, trois des marques de commerce, à savoir HYUNDAI (302,619), HD & HYUNDAI DESIGN (315,465) et HD DESIGN (314,286). Ces marques de commerce ont été cédées par HACI à la défenderesse en décembre 1996, mais elles n’ont été enregistrées auprès du Bureau canadien des marques de commerce que le 24 août 2004.

 

[6]                Les deux autres marques de commerce en cause dans la présente demande, à savoir SONATA (356,597) et HMC DESIGN (346,818), ont été cédées par Hyundai Motor Company à la défenderesse le 23 septembre 2004.

 

[7]                La position des demanderesses dans la présente requête est essentiellement que les marques de commerce sont invalides parce qu’elles ne caractérisent pas, ni ne caractérisaient, HAC à l’époque où l’avis de demande a été déposé, et que trois des marques ont été abandonnées.

 

Les points  en litige

[8]                Les questions soulevées dans la présente demande sont les suivants :

            i)    Les demanderesses sont-elles des « personnes intéressées » dans la marque de commerce, au sens de la Loi?

            ii)    L’enregistrement des marques de commerce est-il invalide parce que les marques n’étaient pas des marques distinctives lorsque la présente demande a été déposée?

a)      Quel est l’effet, s’il en est, du délai qui s’est écoulé entre les cessions des marques HYUNDAI, HD & DESIGN et HD & HYUNDAI DESIGN et leur enregistrement?

b)      Les marques SONATA et HMC DESIGN distinguaient-elles réellement, avant leur cession de septembre 2004, les marchandises de la défenderesse des marchandises d’autres personnes?

            iii)   L’enregistrement des marques HD & DESIGN, HD & HYUNDAI DESIGN et HMC DESIGN est-il invalide parce que ces marques ont été abandonnées?

 

Analyse

1.    Les demanderesses sont-elles des « personnes intéressées » dans la marque de commerce, au sens de la Loi?

 

[9]                Le paragraphe 57(1) de la Loi prévoit que seule une « personne intéressée » peut introduire une procédure de radiation d’enregistrement. Une « personne intéressée » comprend toute personne dont le droit peut être limité par un enregistrement. Au vu de l’action en contrefaçon et en commercialisation trompeuse engagée par la défenderesse contre les demanderesses, les demanderesses sont des « personnes intéressées » puisqu’elles sont concernées par l’enregistrement.

 

2.    L’enregistrement des marques de commerce est-il invalide parce que les marques n’étaient pas des marques distinctives au moment où la présente demande a été déposée?

 

 

[10]            Le titulaire de l’enregistrement bénéficie de la présomption selon laquelle l’enregistrement de sa marque de commerce est valide (Nature’s Path Foods Inc. c. Quaker Oats Co. of Canada, [2001] A.C.F. n° 646 (QL), paragraphe 20; Mr. P’s Mastertune Ignition Services Ltd. c. Tune Masters (1984), 82 C.P.R. (2d) 128, page 134 (C.F. 1re inst.)). C’est à la partie qui conteste qu’il appartient de prouver que l’enregistrement devrait être radié (Golden Happiness Bakery Ltd. c. Goldstone Bakery & Restaurant Ltd. (1994), 76 F.T.R. 52, paragraphe 12). La date à retenir pour l’examen de la radiation des marques de commerce en raison d’une prétendue absence de caractère distinctif ou d’un prétendu abandon est la date de la demande de radiation, en l’occurrence le 8 juin 2005 (voir par exemple Remo Imports Ltd. c. Jaguar Cars Ltd. (exploitant une entreprise sous la raison sociale Jaguar Canada), 2006 CF 21, [2006] A.C.F. n° 47 (QL), paragraphe 321).

 

Le caractère distinctif

 

 

[11]            Les demanderesses disent que les marques de commerce sont invalides parce que, jusqu’à l’introduction de la présente instance, elles ne distinguaient pas les produits de la défenderesse de ceux d’autres personnes.

 

[12]            Elles contestent le caractère distinctif des marques de commerce parce qu’elles ont été cédées par la société coréenne Hyundai Motor Company à la défenderesse et au prédécesseur de celle-ci, HACI. Plus précisément, bien que la cession des marques HYUNDAI, HD & DESIGN et HD & HYUNDAI DESIGN ait été signée le 7 décembre 1985, elle n’a été déposée au Bureau canadien des marques de commerce que le 24 août 2004, près de 20 ans avoir été signée. Le public consommateur n’était donc nullement informé du changement de propriété des marques de commerce visées par la cession.

 

[13]            Aucun accord de licence ne semble avoir été conclu entre la défenderesse et les concessionnaires à propos des marques de commerce, et cette négligence de la défenderesse à garantir des normes de qualité régissant l’utilisation des marques par les concessionnaires dans la vente de leurs produits et services est à l’origine de l’absence de caractère distinctif des marques.

 

[14]            Jusqu’en septembre 2004, date à laquelle la marque SONATA fut cédée à HAC par Hyundai Motor Company, les marques HYUNDAI et SONATA appartenaient à différentes entités, en dépit du fait qu’elles apparaissaient ensemble sur des produits vendus au Canada. Le public n’a pas été informé de cette propriété partagée.

 

[15]            Cette négligence de la défenderesse à informer le public du changement de propriété des marques de commerce a entraîné dans le public une confusion sur la source des produits, ce qui permet de conclure à l’absence de caractère distinctif de ces marques de commerce.

 

[16]            S’agissant du caractère distinctif, l’alinéa 18(1)b) de la Loi prévoit ce qui suit :

Quand l’enregistrement est invalide

18. (1) L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide dans les cas suivants: […]

b) la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement; […]

When registration invalid

18. (1) The registration of a trade-mark is invalid if […]

(b) the trade-mark is not distinctive at the time proceedings bringing the validity of the registration into question are commenced, […]

 

L’article 2 de la Loi définit ainsi le terme « distinctive » :

Définitions

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi. […]

«distinctive » Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.

Definitions

2. In this Act, […]

"distinctive" , in relation to a trade-mark, means a trade-mark that actually distinguishes the wares or services in association with which it is used by its owner from the wares or services of others or is adapted so to distinguish them;

 

[17]            Comme le déclarait récemment la Cour suprême dans l’arrêt Mattel Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772, au paragraphe 75, et comme l’avait expliqué à l’origine le juge Audette, dans l’arrêt Western Clock Co. c. Oris Watch Co., [1931] R.C. de l’É. 64, page 67 (C. Éch. C.) « le caractère distinctif d’une marque de commerce est essentiel et constitue une exigence fondamentale. Le caractère distinctif est une question de fait. La question à se poser est celle de savoir si l’on a bien indiqué au public que les marchandises auxquelles la marque de commerce est associée et est utilisée sont les marchandises du propriétaire de la marque de commerce et non celles de quelqu’un d’autre (Tommy Hilfiger Licensing Inc. c. Produits de Qualité I.M.D. Inc., [2005] A.C.F. n° 17 (QL), paragraphe 58 (1re inst.); White Consolidated Industries, Inc. c. Beam of Canada Inc. (1991), 39 C.P.R. (3d) 94 (C.F. 1re inst.)).

 

[18]            S’agissant du caractère distinctif, la confusion s’entend de la confusion à propos de la source de produits associés à des marques de commerce.

 

[19]            Les demanderesses font valoir que le message transmis par les marques de commerce au public acheteur canadien est le message selon lequel la source des produits associés aux marques de commerce était la société coréenne Hyundai Motor Company, le fabricant, entraînant ainsi la confusion.

 

[20]            La défenderesse dit qu’elle est la « source » exclusive des produits au Canada, par l’entremise de son réseau de concessionnaires, et qu’il n’existe sur ce point aucune confusion dans l’esprit du public. La référence constante à HAC et à Hyundai Canada, au point de livraison au consommateur, chez les concessionnaires, en rapport avec les produits et les marques de commerce, identifie clairement la défenderesse comme source des produits. Par ailleurs, la défenderesse conserve un droit de regard sur l’emploi que font les concessionnaires de ses marques de commerce, et cela par l’entremise d’accords de licences, et elle s’est lancée dans un vaste programme de publicité pour établir la marque Hyundai dans tout le Canada et faire en sorte que HAC soit reconnue par le public. S’agissant de la marque SONATA, HAC s’est posée comme source de tous les produits vendus au Canada en association avec cette marque.

 

[21]            La défenderesse est d’avis que l’emploi, par une société intérieure, d’une marque de commerce acquise auprès d’un fabricant étranger signale que les produits en question viennent du titulaire intérieur de la marque. Les produits ne sont pas fabriqués par elle, mais la réputation de l’entité intérieure dépend néanmoins du caractère des produits qu’elle vend; une marque de commerce peut être la marque d’un vendeur, comme c’est le cas ici, où les marques distinguent les produits et services utilisés par HAC et son réseau de concessionnaires. Finalement, la marque de commerce est portée à l’attention du consommateur directement au moment de la livraison, qui est l’instant critique.

 

[22]            Pour leur part, au soutien de leur position selon laquelle il y a confusion quant à la source associée aux marques de commerce, les demanderesses ont produit des affidavits où l’on peut lire que les véhicules vendus chez les concessionnaires de la défenderesse portent des étiquettes dans les montants de porte et les compartiments moteur qu’elles ont inspectés indiquant que la source de l’équipement est la société coréenne Hyundai Motor Company.

 

[23]            Les difficultés que pose la preuve par affidavit sur laquelle se fondent les demanderesses, c’est-à-dire essentiellement un témoignage d’opinion produit par quatre personnes employées par l’ancien cabinet d’avocats qui les représentait, ont été amplement examinées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Cross-Canada Auto Body Supply (Windsor) Ltd. c. Hyundai Auto Canada, 2006 CAF 133, [2006] A.C.F. n° 539 (QL), au paragraphe 4, où la Cour d’appel s’exprime ainsi :

(…) Un témoignage d’opinion est censé être objectif. Faire en sorte que des employés d’un cabinet d’avocats fournissent un témoignage d’opinion crucial ne permet pas d’atteindre l’objectivité recherchée. Il est possible qu’en faisant un tel témoignage, les employés en question soient motivés par leur loyauté envers leur employeur, ou par la crainte de subir des représailles ou le manque de possibilités d’avancement.

 

 

[24]            Par ailleurs, la preuve montre clairement que les auteurs des affidavits ont été expressément priés par l’ancien avocat des demanderesses d’examiner les montants de porte et les compartiments moteur de véhicules chez un concessionnaire Hyundai, pour vérifier la présence d’étiquettes indiquant le fabricant.

 

[25]            Je suis d’avis que cette preuve est peu convaincante, sinon pas du tout, en raison de son manque d’objectivité. De plus, c’est un échantillon trop restreint pour qu’il soit jugé représentatif de l’idée que peut avoir le public de la source des produits associés aux marques de commerce en cause.

 

[26]            Selon moi, l’unique preuve objective portant sur la question de la confusion du public à propos de la source des produits associés aux marques de commerce est l’enquête menée par M. Heeler.

 

[27]            M. Heeler arrive à la conclusion qu’il n’y a dans l’esprit du public aucune confusion quant à la source des produits associés aux marques de commerce. La croyance générale du public est que c’est au concessionnaire qu’il incombe de vendre et louer les produits, ainsi que de répondre aux préoccupations du consommateur, et donc que les concessionnaires de HAC sont considérés comme la « source » des produits.

 

[28]            Les demanderesses contestent la méthode d’enquête employée par M. Heeler, de même que ses conclusions, sur lesquelles se fonde la défenderesse, sur le plan de leur recevabilité et celui de l’importance à leur accorder, en particulier quant au déroulement de l’enquête, aux questions précises qui ont été posées et à la manière dont elles étaient structurées.

 

[29]            Je relève que M. Heeler est professeur de marketing à la Schulich School of Business, à l’université York, qu’il détient un MBA et un doctorat en marketing, et qu’il a 40 ans d’expérience de la conception, de l’exécution et de l’analyse des enquêtes de marketing et des travaux de recherche. Il a conduit l’analyse et tiré des conclusions des données de l’enquête.

 

[30]            Je ne suis pas convaincue que les données sur lesquelles s’est fondé M. Heeler pour tirer ses conclusions étaient déficientes. L’enquête a été conduite par un cabinet établi et de bonne réputation, spécialisé dans le marketing et les sondages d’opinion publique. Je conclus aussi que les questions n’étaient pas suggestives et que les réponses mot pour mot ont été remises à M. Heeler. Je suis également d’avis que l’enquête était une enquête pancanadienne représentative, car sa présentation en tableaux était correctement pondérée pour correspondre à la distribution réelle de la population, selon l’âge et le sexe, dans chaque région du Canada.

 

[31]            Comme l’a conclu la Cour dans le jugement McDonald’s c. Coffee Hut Stores Ltd. (1994), 55 C.P.R. (3d) 463 (C.F. 1re inst.), ce n’est pas l’opinion de la « personne moyenne » qui est pertinente, mais plutôt l’opinion du consommateur. Je suis d’avis que c’est le bon consommateur qui a été sondé, puisque l’enquête se limitait aux personnes qui connaissaient la marque Hyundai et qui étaient susceptibles d’acheter les produits concernés, à l’époque où fut déposée la demande de radiation des enregistrements.

 

[32]            Les demanderesses ne m’ont pas convaincue que les moyens invoqués par elles suffisent à mettre en doute l’enquête de M. Heeler. Après examen de l’enquête en cause et de ses données, et aussi compte tenu des titres et de l’expérience de M. Heeler, je suis convaincue que cette enquête, sur laquelle la défenderesse s’appuie, est pertinente et digne de foi.

 

[33]            Les demanderesses disent que la présente affaire est pour ainsi dire identique au litige dont était saisie la Cour de l’Échiquier dans l’affaire Wilkinson Sword (Canada) Ltd. c. Juda (1966), 51 C.P.R. 55(C. Écl. C.). Dans cette affaire, une société mère étrangère avait cédé des marques à sa filiale canadienne, et une tierce partie avait, au Canada, vendu des produits achetés à l’étranger à la société mère. Le résultat avait été que les marques de commerce en cause ne présentaient pas de caractère distinctif.

 

[34]            Les demanderesses se fondent aussi sur un arrêt de la Cour suprême du Canada, Breck’s Sporting Goods Co. c. Magder, [1976] 1 R.C.S. 527, où le juge en chef Laskin décrivait ainsi l’obligation d’un cessionnaire :

Il ne suffit pas pour l’appelante de compter sur son enregistrement et sur le fait qu’elle a fait la promotion, par un travail assidu sur le marché canadien, de la vente sur une grande échelle des leurres Mepps, si la situation est telle qu’aux époques en cause, ces marchandises, ainsi estampillées par le fournisseur français, n’ont pas été identifiées comme étant celles que l’appelante aurait fabriquées ou vendues.

 

 

[35]            Une marque de commerce a pour fonction et objet d’indiquer la provenance des marchandises et, par définition, elle doit être distinctive, c’est-à-dire qu’elle ne peut être associée qu’à une seule source (Tommy Hilfiger, précité, paragraphe 52; Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd. c. Skyway Cigar Store (1998), 81 C.P.R. (3d) 203, 147 F.T.R. 54 (C.F. 1re inst.), paragraphe 63, jugement modifié pour d’autres motifs, (1998), 147 F.T.R. 54, [1999] A.C.F. n° 1749 (QL) (C.A.F.).

 

[36]            En l’espèce, la défenderesse et son prédécesseur sont propriétaires des marques de commerce depuis leur cession en 1985, même si ces marques n’ont été officiellement enregistrées que beaucoup plus tard auprès du Bureau canadien des marques de commerce. HAC et son prédécesseur, HACI, ont disposé d’une longue période pour établir leur clientèle depuis la date de cette cession jusqu’à la date de la présente demande de radiation des enregistrements. Les circonstances de la présente affaire doivent donc être distinguées des espèces Wilkinson Sword et Breck’s Sporting Goods, invoquées par les demanderesses.

 

[37]            Il ressort de la preuve que HAC a dépensé plus de 220 millions de dollars en publicité nationale entre 2000 et juillet 2005, sous la forme de publicité presse, d’annonces télévisées, d’affichages Internet, de documents promotionnels distribués chez les concessionnaires, de publipostages et de salons de l’auto. De plus, tous les dépliants et « passeports de service » de HAC remis aux acheteurs dirigeaient le lecteur vers le site web de HAC. Ce site web mentionne, au bas de chaque page web, que le droit d’auteur appartient à HAC.

 

[38]            La défenderesse a déposé des exemplaires de ces « passeports de service » pour divers véhicules Hyundai, pour les années 1997 à 2005, passeports qui sont remis à tous les acheteurs de ces véhicules. Ils mentionnent expressément la défenderesse comme auteur des politiques de garantie, ainsi que comme recours secondaire, après le concessionnaire, en cas de différend avec le consommateur. Ils précisent également que les renseignements relatifs aux propriétaires peuvent être enregistrés auprès de HAC. La version 2005 mentionne HAC à propos d’un Programme d’assistance routière et précise clairement que c’est la défenderesse qui offre ce service et le réglemente.

 

[39]            Ce genre de situation permet de faire la distinction entre la présente affaire et d’autres affaires où les produits en cause peuvent être commercialisés par une foule de vendeurs. Les concessionnaires de HAC sont la source exclusive des véhicules neufs Hyundai et ce sont eux qui prennent en charge les garanties, le service et les rappels. HAC exerce un contrôle sur ses concessionnaires dans la manière dont ils utilisent les marques de commerce de HAC. Il n’est pas établi que la mention de la société coréenne Hyundai Motor Company, quant aux automobiles Hyundai, apparaît ailleurs que sur le montant de porte ou sur le compartiment moteur du véhicule, qui ne sont pas visibles par le public au cours de l’utilisation ordinaire du véhicule.

 

[40]            De plus, comme je l’ai dit plus haut, M. Heeler arrive à la conclusion que le public sait parfaitement que l’entité à qui s’adresser pour acheter ou louer un véhicule Hyundai est le concessionnaire, et il sait aussi que l’entité chargée de régler les problèmes que suscite un véhicule Hyundai acheté ou loué est le concessionnaire. Je suis persuadée que le public concerné croit que c’est le concessionnaire qui est responsable des produits Hyundai.

 

[41]            Il est bien établi que, pour être effectivement cédée, la marque de commerce doit être distinctive et que son utilisation ultérieure ne doit pas tromper ou confondre le public quant à la source des produits auxquels elle se rapporte (Wilkinson Sword, précité).

 

[42]            Un long délai s’est écoulé avant que ne soit enregistrée la cession des marques de commerce, mais je ne suis pas persuadée qu’il existe une preuve suffisante et digne de foi montrant que ce délai a causé une confusion quant à la source des produits parmi le public susceptible de les acheter (McDonald’s, précité). Je suis convaincue que la preuve montre que la défenderesse, grâce à son réseau de concessionnaires liés par des accords de licence conclus avec elle, et grâce à sa publicité considérable, est pour le public l’interlocuteur ininterrompu, celui que le public tient pour comptable de ses produits, et qu’elle est donc la véritable « source » aux fins de la présente affaire.

 

[43]            En l’espèce, la source des produits associés aux marques de commerce n’a pas changé. Selon moi, et compte tenu de toutes les circonstances de la présente affaire, il s’ensuit que la réputation acquise par ces produits, en tant que produits venant d’une source particulière, n’a pas été amoindrie par le fait que la cession des marques de commerce à la défenderesse n’a été enregistrée que relativement récemment.

 

[44]            Au vu de ce qui précède, je ne suis pas convaincue que les demanderesses ont établi l’existence d’une confusion quant à la source des produits dans la présente affaire. Par conséquent, leur contestation fondée sur l’absence d’un caractère distinctif n’est pas fondée.

 

 

2.  L’enregistrement des marques est-il invalide parce que les marques ont été abandonnées?

 

 

[45]            Les demanderesses font valoir que trois des marques de commerce ont été abandonnées et que leur enregistrement est donc invalide en application de l’alinéa 18(1)c) de la Loi, qui prévoit ce qui suit :

Quand l’enregistrement est invalide

18. (1) L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide dans les cas suivants: […]

c) la marque de commerce a été abandonnée. […]

When registration invalid

18. (1) The registration of a trade-mark is invalid if (…)

(c) the trade-mark has been abandoned, (…)

 

[46]            Plus précisément, les demanderesses soutiennent que les marques HD DESIGN (314,286), HD & HYUNDAI DESIGN (315,465) et HMC DESIGN (346,818) n’ont pas été utilisées durant au moins 15 ans en association avec les produits pour lesquels elles sont enregistrées.

 

[47]            En tant que partie qui allègue l’abandon, c’est aux demanderesses qu’il appartient de prouver que la défenderesse a abandonné ses marques (Gordon A. MacEachern Ltd. c. National Rubber Co., [1964] R.C. de l’É. 135, 41 C.P.R. 149; Jean Patou Inc. c. Luxo Laboratories Ltd., [1998] 158 F.T.R. 16, A.C.F. n° 1910 (QL), paragraphe 32 (1re inst.)).

 

[48]            Pour établir l’abandon d’une marque, les demanderesses doivent prouver deux éléments : la cessation d’utilisation de la marque au Canada et l’intention d’abandonner la marque (J.A. & M. Cote Ltée c. B.F. Goodrich Co. (1949), 14 C.P.R. 33, page 58 (C. de l’Éch.); Promafil Canada Ltée c. Munsingwear Inc. (1992), 44 C.P.R. (3d) 59, page 64 (C.A.F.)). L’abandon d’une marque de commerce est une question de fait qui doit être décidée en fonction des circonstances particulières de chaque cas; la non-utilisation ne suffit pas à établir l’abandon, encore qu’une intention d’abandonner la marque puisse être déduite d’une longue période de non-utilisation (Tommy Hilfiger, précité, paragraphe 45; Omega Engineering, Inc. c. Omega SA, 2006 CF 1472, [2006] A.C.F. n° 1855 (QL), paragraphe 43.).

 

[49]            L’enregistrement de marques de commerce et ses renouvellements sont la preuve d’une intention de ne pas abandonner la marque (Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (No. 1) (1987), 17 C.P.R. (3d) 289, paragraphe 31 (C.A.F.)), et une partie défenderesse pourra avec succès réfuter une allégation d’abandon en prouvant un emploi de la marque, si minime soit-il (Omega, précité, paragraphe 42).

 

La marque de commerce HMC DESIGN (346,818)

[50]            L’affidavit de Arthur Bode, souscrit le 7 septembre 2005, mentionne, en son paragraphe 12, que la défenderesse a continué de vendre des couvre-pare-chocs, des courroies de ventilateur et des absorbeurs d’énergie pour les pare-chocs en association avec la marque HMC DESIGN. La défenderesse a aussi produit des photographies pour prouver son utilisation constante de cette marque.

 

[51]            Eu égard à cette preuve, j’admets que la marque de commerce HMC DESIGN est encore utilisée au Canada et que son titulaire n’a pas l’intention de l’abandonner, et j’arrive à la conclusion que la défenderesse ne l’a donc pas abandonnée.

 

La marque de commerce HD & HYUNDAI DESIGN (315,465)

[52]            Selon la preuve, la marque de commerce HD & HYUNDAI DESIGN est actuellement utilisée sur des boîtes dans lesquelles la défenderesse range des pièces, dans son entrepôt. La défenderesse fait valoir qu’elle n’a pas pris la décision délibérée d’abandonner la marque et qu’elle a régulièrement renouvelé son enregistrement. Je suis d’avis que l’enregistrement de la marque, et les renouvellements de l’enregistrement, sont la preuve d’une intention de ne pas abandonner la marque, et que l’emploi de la marque sur des boîtes atteint le faible niveau de preuve qui est requis pour prouver l’emploi, « si minime soit-il »; cette marque n’a pas été abandonnée.

 

La marque HD DESIGN (314,286)

[53]            La défenderesse concède que la marque HD DESIGN n’est pas actuellement utilisée, mais elle dit m’avoir pris aucune décision délibérée de l’abandonner et qu’elle a régulièrement renouvelé son enregistrement. Il n’est pas contesté que cette marque n’a pas été utilisée durant une longue période, si tant est qu’elle l’ait jamais été, et la preuve n’a pas été apportée qu’elle le sera. Je suis d’avis que la défenderesse a abandonné la marque HD DESIGN et que cette marque devrait donc être radiée du Registre canadien des marques de commerce.

 

[54]            Pour les motifs qui précèdent, il est ordonné que la marque HD DESIGN (314,286) soit radiée du Registre canadien des marques de commerce. Pour le reste, la demande est rejetée, avec dépens en faveur de la défenderesse.

 


JUGEMENT

IL EST ORDONNÉ que la marque de commerce HD DESIGN (314,286) soit radiée du Registre canadien des marques de commerce. Pour le reste, la demande est rejetée, avec dépens en faveur de la défenderesse.

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, trad. a., LL.L.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-1005-06

 

INTITULÉ :                                      

 

CROSS-CANADA AUTO BODY SUPPLY (WINDSOR) LIMITED,

CROSS-CANADA AUTO BODY SUPPLY (WEST) LIMITED et

AT PAC WEST AUTO PARTS ENTERPRISE LTD.

demanderesses

-et-

 

HYUNDAI AUTO CANADA, UNE DIVISION DE HYUNDAI MOTOR AMERICA

défenderesse

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 24 AVRIL 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 1er JUIN 2007

 

COMPARUTIONS :

 

François M. Grenier

 

POUR LES DEMANDERESSES

Jeffrey Brown

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

François M. Grenier

Leger Robic Richard, LLP

Centre CDP Capital

1001 Square Victoria – Bloc E

8e étage

Montréal (Québec) H2Z 2B7

 

 

 

 

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Jeffrey Brown

THEALL GROUP LLP

Avocats

4, rue King ouest, bureau 1410

Toronto (Ontario) M5H 1B6

 

 

 

 

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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