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Date : 20070530

Dossier : IMM-6140-06

Référence : 2007 CF 568

OTTAWA (Ontario), le 30 mai 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MAX M. TEITELBAUM

 

 

ENTRE :

IFTIKHAR SHOAQ JALIL

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’une agente d’immigration (l’agente), en date du 23 octobre 2006, dans laquelle l’agente a conclu que le demandeur était interdit de territoire en application de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

 

CONTEXTE

[2]               Iftikhar Shoaq Jalil, le demandeur, est un citoyen du Pakistan qui est arrivé au Canada en 1996 et s’est vu reconnaître le statut de réfugié le 22 juillet 1997.

 

[3]               En décembre 1997, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente. Après avoir attendu une décision pendant sept ans, il a soumis une demande à la Cour en vue d’obliger Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) à prendre une décision au sujet de sa demande de résidence permanente. Ce que CIC a fait en concluant, dans une décision datée du 17 janvier 2005, que le demandeur était interdit de territoire conformément à l’alinéa 34(1)f) de la Loi, car il existait de motifs raisonnables de croire que l’organisation dont il était membre au Pakistan, le Mouvement Muttahida Quami (MQM-A), était une organisation qui se livrait au terrorisme.

 

[4]               Le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision. Le 24 février 2006, le juge Mosley a accueilli la demande de contrôle judiciaire et a ordonné un réexamen de la demande de résidence permanente du demandeur.

 

[5]               La demande a été examinée par une autre agente d’immigration. Avant de prendre une décision, l’agente a remis au demandeur des copies de trois documents dont elle avait l’intention de se servir dans son appréciation et lui a demandé de présenter des observations sur ces documents. Le premier document, intitulé Muttahida Quomi Mahaz, Terrorist Group of Pakistan (Groupe terroriste pakistanais Muttahida Quomi Mahaz), provenait du site Web d’une organisation, le South Asia Terrorism Portal (SATP). Le deuxième document intitulé Muttahida Qaumi Movement-Altaf (MQM-A) a pour origine le site Web de Jane’s World Insurgency and Terrorism. Le dernier document est un rapport d’Amnistie Internationale intitulé Human Rights Crisis in Karachi. En guise de réponse, l’avocat du demandeur a transmis des observations écrites qui comprenaient des informations sur le MQM et les lettres de deux « experts ».

[6]               La première lettre est une déclaration de Gowher Rizvi, directeur du Ash Institute for Democratic Governance and Innovations à la Kennedy School of Government, Université Harvard. Le domaine de recherche de M Rizvi est l’histoire et la politique de l’Asie du sud. Il déclare que même si certains membres du MQM ont pu se livrer à des actes de violence, le MQM en tant qu’organisation ne prône ni ne tolère la violence. Il explique également que le MQM a souvent recours aux « actions directes » où il appelle à la grève générale pour démontrer la solidarité du peuple et il dit qu’au cours de ces grèves générales les membres du MQM affrontent fréquemment les agents du gouvernement, d’où la violence et des pertes de vie.

 

[7]               La deuxième lettre est un affidavit de Mme Lisa Given, professeure agrégée à la School of Library and Information Studies, Faculté de l’éducation à l’Université de l’Alberta. Son affidavit porte sur l’utilisation des ressources Internet et les critères dont se servent les bibliothécaires pour évaluer les documents sur la toile, il inclut son évaluation des trois documents sur lesquels elle s’est appuyée. L’agente souligne qu’il est difficile d’évaluer la qualité du rapport d’Amnesty International parce que ce dernier manque de preuve corroborée de source indépendante. Elle doute de la fiabilité des documents affichés sur le site Web du SATP parce qu’il n’y a généralement pas de références pour appuyer les assertions qui y sont faites. Enfin, elle souligne qu’elle ne pouvait pas vérifier la fiabilité du rapport Jane’s World étant donné que celui-ci ne contient pas le nom de l’auteur et ne fournit pas de références ou de source autres pour appuyer les affirmations qui s’y trouvent, malgré le fait qu’il s’achève sur la note « © 2004 Jane’s Information Group Paul Burton » (voir page 43 du dossier de demande du demandeur). Elle conclut que le niveau de fiabilité des trois documents est faible à cause du manque de sources, de l’emploi de mots tels [traduction] « suspecté » et « accusé de », de l’absence de paternité et d’autres détails sur le mode de collecte des informations et la confusion entre MQM-A et MQM.

 

décision visée

[8]               L’agente a tracé l’historique du MQM et a souligné qu’en 1992 l’organisation s’est divisée en deux groupes rivaux, le MQM-A et le MQM-H. Elle a fait observer que le fondateur du MQM, Altaf Hussein, devenu par la suite le dirigeant du MQM-A, affirme ne pas croire en la violence, mais qu’ [traduction] « une preuve abondante établit – et tous les observateurs à Karachi le disent ‑ que des membres du parti MQM recourent à la violence pour servir leurs objectifs politiques ».

 

[9]               Elle a ensuite énuméré une série d’actes de violence attribués au MQM, selon le rapport de Jane’s World et le document du SATP. La liste comprend :

-         le mort de 90 personnes dans divers incidents que l’on croit avoir été perpétrés par le MQM après la formation de la coalition entre le MQM et le Parti du peuple pakistanais en 1988;

 

-         le meurtre de deux agents de la paix par des activistes du MQM en 1989;

-         l’attentat à la bombe contre la demeure d’un éminent journaliste par des activistes du MQM en 1991;

-         le meurtre d’un membre de haut rang du MQM-H par une cellule suspectée d’appartenir au MQM-A en 1993;

-         une agression armée contre la police et des civils avec des armes à feu, des roquettes et des bombes commise par les activistes du MQM-A en 1995;

 

-         une attaque à la bombe qui a causé la mort de 16 personnes et que la police a attribuée au MQM-A en 2000;

 

-         la condamnation à mort de deux membres du MQM-A pour activités terroristes en 2001.

 

[10]           L’agente a ensuite fait référence à la définition de terrorisme figurant dans la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et a conclu que les activités attribuées au MQM et au MQM-A constituent des motifs raisonnables de croire que cette organisation se livre au terrorisme.

 

[11]           L’agente a souligné les préoccupations de l’avocat du demandeur quant à la fiabilité des documents sur lesquels elle s’est fondée. Elle a déclaré que Jane’s World Insurgency and Terrorism et Amnistie internationale sont généralement reconnus comme étant des sources fiables par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et les tribunaux. Elle a également conclu que comme les documents portent sur des événements qui ont eu lieu dans un passé lointain et sur des groupes impénétrables, il serait déraisonnable de les soumettre à un examen aussi approfondi que les documents relatifs à des événements plus récents ou à des groupes moins clandestins.

 

[12]           L’agente a expliqué qu’elle se fondait sur trois documents généralement compatibles pour accroître la fiabilité de sa conclusion. Enfin, elle a déclaré qu’elle a aussi examiné et utilisé les éléments de preuve concernant le MQM contenus dans la lettre de M. Rizvi dans son évaluation du MQM, mais qu’elle a préféré accorder plus d’importance au document de Jane’s World et à celui d’Amnistie internationale.

 

LES DISPOSITIONS PERTINENTES

[13]           L’article 34 de la Loi est ainsi rédigé :

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

c) se livrer au terrorisme;

[…]

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

 

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

 (c) engaging in terrorism;

[…]

 (f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

 

 

QUESTION EN LITIGE

[14]           La question dont est saisie la Cour est celle de savoir si la conclusion de l’agente selon laquelle le MQM-A se livre à des actes de terrorisme est raisonnable.

 

ANALYSE

Norme de contrôle

[15]           Dans la décision Jalil c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 246, la Cour a statué que la norme de contrôle applicable à la conclusion de l’agente selon laquelle il existe des motifs raisonnables de croire que le MQM-A est une organisation qui se livre au terrorisme est celle de la décision raisonnable. La Cour a souligné que la question dont était saisie l’agente d’immigration était une question mixte de fait et de droit, qu’il est reconnu que les agents d’immigration ont une certaine expertise lorsqu’il s’agit de se prononcer sur l’interdiction de territoire en fonction des critères exposés à l’article 34 de la Loi et qu’il faut se fonder sur des éléments précis et non sur des affirmations générales pour trancher cette question. Je suis d’accord avec cette analyse et je souligne que cette norme a été appliquée dans un certain nombre d’affaires (voir Omer c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 478, et Naeem c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 123). 

 

La conclusion de l’agente selon laquelle le MQM-A se livre à des actes de terrorisme était-elle raisonnable?

 

[16]           Pour conclure qu’une personne est interdite de territoire conformément à l’alinéa 34(1)f) de la Loi, il faut qu’il y ait des motifs raisonnables de croire que le demandeur est membre d’une organisation qui a été l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c). L’alinéa 34(1)c) vise le terrorisme. La norme de preuve applicable pour établir l’existence de motifs raisonnables est « davantage qu’un léger soupçon, mais elle n’atteint pas le critère civil de la prépondérance des probabilités » (Alemu c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 997).

 

[17]           Dans l’arrêt Mugesera c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CSC 40, la Cour suprême du Canada a examiné la question des motifs raisonnables dans le contexte d’une affaire d’interdiction de territoire pour cause de violation des droits de la personne, en déclarant ce qui suit :

Pour l’application de la norme des « motifs raisonnables [de penser] », il importe de distinguer entre la preuve d’une question de fait et le règlement d’une question de droit. En effet, cette norme de preuve ne s’applique qu’aux questions de fait : Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.), p 311. Dans la présente affaire, elle s’applique pour décider si M. Mugesera a prononcé le discours en cause et pour établir le contenu du message communiqué par celui‑ci et son contexte. Par contre, lorsqu’il s’agit de décider si ces faits satisfont aux exigences d’un crime contre l’humanité, la question devient une question de droit.  Le règlement d’une question de droit n’est pas assujetti à la norme des « motifs raisonnables [de penser] », car l’existence de simples motifs raisonnables de penser que le discours pourrait être considéré comme un crime contre l’humanité ne suffit pas pour satisfaire au critère juridique applicable à la perpétration d’un tel crime. Les faits établis selon la norme des « motifs raisonnables [de penser] » doivent prouver que le discours constituait un crime contre l’humanité. (Par. 116)

 

 

[18]           Si on applique l’arrêt Mugesera à la présente affaire, il faut, pour établir s’il y a des motifs raisonnables de croire que l’organisation se livre à des actes de terrorisme, procéder à une analyse en deux étapes. Premièrement, il faut déterminer s’il y a des motifs raisonnables de croire que l’organisation en question a commis les actes de violence qui lui sont attribués. Dans l’affaire Mugesera, il est évident qu’il s’agit d’une conclusion de fait. Dans la deuxième étape, il faut déterminer si ces actes constituent des actes de terrorisme. Le demandeur a fait valoir que l’agente a commis des erreurs à chacune des étapes de l’analyse et a également contesté la décision au motif que l’agente a omis d’examiner la question de savoir si le MQM-A en tant qu’organisation s’est livré à des actes de terrorisme.

 

a)      La conclusion de l’agente selon laquelle les actes de violence étaient attribuables au MQM-A était-elle raisonnable?

 

 

[19]           Le demandeur affirme qu’il n’y a pas de motifs raisonnables de croire que le MQM-A a commis les actes de violence qui lui sont attribués. Il soutient que les sources sur lesquelles s’est fondée l’agente ne sont pas fiables et que cette dernière a commis une erreur lorsqu’elle a accordé plus d’importance à la preuve documentaire qu’aux éléments qu’il a lui-même versés en preuve. Le demandeur fait valoir qu’il faut être très prudent lorsqu’on s’appuie exclusivement ou uniquement sur des sources d’information non vérifiables tirées de l’Internet, car rien ne permet de croire à l’authenticité ou à l’exactitude inhérentes de l’information qu’elles recèlent.

 

[20]           Faisant spécifiquement référence au rapport d’Amnistie internationale, le demandeur soutient que l’information relative aux actes attribués au MQM-A provenait du gouvernement pakistanais, partie adverse dans le conflit. Le demandeur affirme qu’un lecteur raisonnable conclurait que l’information peut vraisemblablement manquer d’objectivité.

 

[21]           Voici ce que déclare le rapport d’Amnistie internationale sur la façon dont elle a obtenu l’information qui s’y trouve :

 

[traduction] Amnistie Internationale a étroitement surveillé la presse pakistanaise, vérifié le plus possible des rapports avec des avocats et des défenseurs des droits de la personne sur place et a parlé à un grand nombre de victimes et aux familles de victimes pendant une visite au Pakistan en décembre 1995. Beaucoup de résidants de Karachi, inquiets, se sont adressés directement à Amnistie internationale pour parler de leurs expériences, de leurs observations et de leurs craintes.

 

[…]

 

Durant la période où le MQM était au pouvoir, des membres du PPP et de petits partis sindhis ont rapporté à Amnistie internationale que certains de leurs camarades avaient été torturés et tués pendant qu’ils étaient détenus par le MQM(A). Des journalistes, des rédacteurs et des éditeurs ont signalé que des membres du MQM leur ont enjoint de rédiger des rapports favorables ou de « s’attendre à des conséquences ». Plus récemment, la presse nationale et Amnistie internationale ont fait état d’abus à l’encontre d’individus par le MQM(A) et d’autres groupes politiques, ce qui donne fortement à croire que ces groupes d’opposition armés se sont effectivement rendus coupables de bon nombre d’enlèvements, de tortures, de prises d’otages, d’enlèvements et de meurtres délibérés et arbitraires signalés à Karachi. 

 

[22]           En me fondant sur les explications fournies dans le rapport relativement à la collecte des informations qui s’y trouvent ainsi que sur la réputation d’Amnistie internationale, j’estime qu’il était raisonnable pour l’agente de s’appuyer sur ce document. J’ajouterais qu’on ne peut pas tenir pour acquis que tout ce qu’Amnestie internationale déclare dans un rapport est la vérité absolue, mais son rapport en l’espèce me convainc. Tout comme le juge Blais dans la décision Mohammed Kashif Omer, 2007 CF 478, je reconnais, pour les besoins de la présente instance, qu’il est raisonnable ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire que le MQM(A) est une organisation qui soutient les activités terroristes.

 

[23]           On ne peut en dire autant du document tiré du site Web du SATP. Les préoccupations de Mme Given au sujet de ce site Web me semblent fondées. Le document ne contient pas de notes bas de page et ne donne aucune explication sur la manière dont l’information figurant sur le site a été recueillie. En outre, le document n’indique pas qui en est l’auteur. L’agente a souligné dans sa décision que le fait de se fonder sur trois sources différentes qui sont généralement compatibles accroît la fiabilité de la conclusion. Ceci serait vrai si chaque document recueillaient les informations de manière indépendante; toutefois, comme le document du SATP ne contient pas de notes de bas de page, il est tout à fait possible que l’information que s’y trouve ait été tirée du rapport de Jane’s World. Néanmoins, l’agente semble avoir accordé une importance limitée à ce document, car elle déclare à la dernière page de la décision qu’elle a accordé davantage de poids au rapport d’Amnistie internationale et au rapport de Jane’s World plutôt qu’à la déclaration de M. Rizvi.

 

[24]           Plusieurs des préoccupations exprimées par Mme Given au sujet du document de Jane’s World sont fondées particulièrement le fait que le rapport de Jane’s World ne cite pas de références ni d’autres sources pour étayer les assertions qui y sont faites. Contrairement au rapport d’Amnistie internationale, aucune indication relative à la manière dont les informations ont été collectées n’y figure. Mme Given a souligné que ce rapport n’a pas d’auteur, mais comme je l’ai dit, il y a un nom à la dernière page du document qui est sans doute celui de l’auteur ou de l’éditeur.

 

[25]           Vu les problèmes de fiabilité soulevés dans l’affidavit du Mme Given, il était déraisonnable de la part de l’agente d’accorder de l’importance au document du SATP. J’estime qu’il n’était pas déraisonnable de la part de l’agente de conclure, sur la base du rapport d’Amnistie Internationale et du rapport de Jane’s World, qu’il existait des motifs sérieux de croire que le MQM-A était une organisation qui a été l’auteur d’actes de terrorisme.

 

[26]           Enfin, le demandeur a fait valoir que l’agente a commis une erreur lorsqu’elle a accordé plus d’importance à la preuve documentaire plutôt qu’à la déclaration de M. Rizvi qui est un expert, qui est impartial et qui n’a aucun intérêt dans la présente instance. Il est bien établi qu’un décideur administratif a le droit de préférer la preuve documentaire à celle du demandeur, mais il doit expliquer dans des termes clairs et explicites pourquoi il a choisi la preuve documentaire (Okyere-Akosah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. nº 411 (C.A.F.)). En l’espèce, l’agente a précisé qu’elle a pris en compte la déclaration de M Rizvi, mais qu’elle a préféré accorder plus d’importance au rapport d’Amnistie internationale et au rapport de Jane’s World parce qu’elle les estimait plus raisonnables.

 

b)      La conclusion de l’agente selon laquelle les actes attribués au MQM-A étaient des actes de terrorisme était-elle raisonnable?

 

 

[27]           Voici la définition de terrorisme que la Cour suprême du Canada a fournie dans l’arrêt Suresh c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2002 CSC 1 :

 

À notre avis, on peut conclure sans risque d’erreur, suivant la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, que le terme « terrorisme » employé à l’art. 19 de la Loi inclut tout « acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ». Cette définition traduit bien ce que l’on entend essentiellement par « terrorisme » à l’échelle internationale. Des situations particulières, à la limite de l’activité terroriste, susciteront inévitablement des désaccords. Le législateur peut toujours adopter une définition différente ou plus détaillée du terrorisme. La question à trancher en l’espèce consiste à déterminer si le terme utilisé dans la Loi sur l’immigration a un sens suffisamment certain pour être pratique, raisonnable et constitutionnel. Nous estimons que c’est le cas.

(par. 98)

 

[28]           Les parties reconnaissent que le fait qu’un agent d’immigration n’emploie pas la définition de terrorisme énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Suresh est une erreur susceptible de révision (Fuentes c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2003 CFPI 379, voir également Alemu et Ali c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 1174).

 

[29]           L’agente a fait sienne la définition de terrorisme établie à la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme qui a été adoptée dans l’arrêt Suresh. Par conséquent, l’agente a employé la définition appropriée du terme terrorisme.

 

[30]           Le demandeur a fait valoir qu’une conclusion selon laquelle une organisation a été l’auteur d’actes de terrorisme doit reposer sur une base factuelle (Fuentes, Jalil) et qu’un agent d’immigration doit désigner des actes précis posés par le MQM-A susceptibles de satisfaire à la définition de terrorisme énoncée dans l’arrêt Suresh (Ali). Le demandeur affirme qu’en l’espèce la liste d’actes de violence attribués au MQM de l’agente est insuffisante.

 

[31]           Après examen de la première décision rendue sur la demande de résidence permanente de M. Jalil, le juge Mosley a accueilli la demande de contrôle judiciaire au motif que l’agente d’immigration n’avait pas évalué si les actes attribués au MQM-A étaient des actes terroristes. Voici ce qu’il a conclu au paragraphe 31 :

Le défendeur a peut-être raison d’affirmer que les actes attribués au MQM‑A sont visés par la définition établie dans Suresh ou par la définition semblable ajoutée au Code criminel par la Loi antiterroriste, L.C. 2001, ch. 41, mais cela ne ressort pas de la lecture des notes de l’agente ou de sa lettre de décision. Ses notes et sa lettre n’indiquent aucunement ce qu’elle entend exactement lorsqu’elle affirme que le MQM‑A est une organisation qui s’est livrée au « terrorisme » si ce n’est en énumérant ces actes qualifiés de terroristes. Il est donc impossible de savoir comment l’agente a défini ce qu’est le « terrorisme » pour évaluer ses actes. Elle s’est contentée d’affirmer que [TRADUCTION] « il est notoire que le MQM est une organisation qui a commis des actes terroristes » sans expliquer comment elle a compris et appliqué ces termes.

 

[32]           Le demandeur cite l’affaire Naeem dans laquelle la Cour a appliqué la décision Jalil et a statué comme suit au paragraphe 46 :

À mon avis, la décision de l’agente souffre en l’espèce des mêmes failles. On ne sait trop comment l’agente a interprété et appliqué la définition du terme « terrorisme ». Les motifs de sa décision n’exposent pas les détails et les circonstances des actes qualifiés de terroristes. L’enlèvement, l’agression et l’assassinat sont sans aucun doute des actes criminels, mais ne sont pas nécessairement des actes terroristes. Il incombait à l’agente d’expliquer pourquoi, selon elle, il s’agissait d’actes terroristes. Elle ne l’a pas fait, et ses motifs ne résistent donc pas à un examen assez poussé.

 

 

[33]           Le défendeur affirme qu’il ressort des motifs de l’agente que les actes attribués au MQM‑A sont manifestement visés par la définition de terrorisme établie dans l’arrêt Suresh étant donné que toutes les activités énumérées comportent des actes de violence perpétrés par le MQM-A à des fins politiques qui ont causé des décès ou des blessures graves. De plus, le défendeur soutient la présente affaire se distingue des affaires Naeem et Jalil parce que dans ces cas les agents d’immigration n’ont fourni aucune définition du terme « terrorisme » ni n’ont expliqué comment ils sont arrivés la conclusion que les actes de violence attribués au MQM-A étaient de nature terroriste.

 

[34]           Je suis d’accord avec le défendeur. Contrairement aux affaires Jalil et Naeem, l’agente a inclu une définition du terme terrorisme dans sa décision. Bien qu’elle n’aie pas explicitement expliqué ce qu’elle a compris de ce terme ni la façon dont elle l’a appliqué, elle l’a implicitement fait lorsqu’elle a soutenu qu’[traduction] « une preuve abondante établit – et tous les observateurs à Karachi le disent – que des membres du parti MQM recourent à la violence pour servir leurs objectifs politiques » [non souligné dans l’original]. A mon avis, cela semble indiquer que l’agente a considéré les actes attribués au MQM-A comme davantage que des actes criminels.

 

[35]           Bien qu’il eût été souhaitable que l’agente fournisse une analyse plus détaillée sur la façon dont les actes attribués au MQM-A satisfont à la définition de terrorisme donnée dans l’arrêt Suresh, je suis convaincu que ses motifs résistent à un « examen assez poussé » (Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748).

 

c)      L’agente a-t-elle examiné la question de savoir si le MQM-A en tant qu’organisation a été l’auteur d’actes de terrorisme?

 

 

[36]           Le demandeur a également prétendu que la décision de l’agente était déraisonnable parce qu’elle n’a pas déterminé si le MQM-A en tant qu’organisation a commis des actes de terrorisme. Le demandeur fait valoir que cette question est particulièrement importante en l'espèce, car le MQM-A a à maintes reprises nié qu’il fomente, promeut ou qu’il a recours à des actes de violence. Le demandeur soutient que tous les actes attribués au MQM-A dans la décision de l’agente ont été commis par les membres du MQM.

 

[37]           Le défendeur soutient que l’argument du demandeur selon lequel il faut établir qu’une organisation a elle-même fomenté, sanctionné et approuvé les actes terroristes perpétrés par ses membres pour être visée par l’alinéa 34(1)c) ne repose sur aucun fondement juridique.

 

[38]           Bien que la loi n’exige pas d’établir qu’une organisation a sanctionné ou approuvé les actes terroristes, l’agent d’immigration doit dans son appréciation sous le régime de l’alinéa 34(1)f) de la Loi, déterminer s’il existe assez d’éléments de preuve établissant que l’organisation sanctionne ces actes. L’agente a procédé à cette appréciation en comparant la preuve selon laquelle le dirigeant du MQM-A a déclaré que le MQM-A ne prône pas la violence à la preuve tirée du rapport d’Amnistie internationale et de celui de Jane’s World, selon laquelle une preuve abondante et l’avis général des observateurs à Karachi établissent que des membres du parti MQM recourent à la violence pour servir leurs objectifs politiques. J’estime que la décision de l’agente à cet égard est raisonnable.

 

 


 

JUGEMENT

 

            La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge suppléant

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Aude Megouo

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-6140-06

 

INTITULÉ :                                                               IFTIKHAR SHOAQ JALIL c. M.C.I.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 23 MAI 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE SUPPLÉANT TEITELBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                                               LE 30 MAI 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

 

POUR LE DEMANDEUR

Alexander Kaufman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman et Associés

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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