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Date : 20070528

 

Référence : 2007 CF 532

Ottawa (Ontario), le 28 mai 2007

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

Dossier : T-1384-04

 

ENTRE :

SANOFI-AVENTIS INC. et

SANOFI-AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH

demanderesses

et

 

LABORATOIRE RIVA INC. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

et

 

SCHERING CORPORATION

défenderesse/brevetée

 

 

 

Dossier : T-1888-04

 

ET ENTRE :

 

SANOFI-AVENTIS INC. et

AVENTIS PHARMA DEUTSCHLAND GmbH

demanderesses

et

 

LABORATOIRE RIVA INC. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

défendeurs

 

MOTIFS MODIFIÉS DE L’ORDONNANCE


[1]               Les deux présentes demandes ont été introduites sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)(Règlement MB (AC)). Sanofi-Aventis sollicite une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité (AC) portant sur la version du Rampiril de Laboratoire Riva utilisé pour le traitement de l’hypertension artérielle.

 

[2]               Sanofi-Aventis a été la première à obtenir l’autorisation du ministre et a commercialisé avec succès le Ramipril sous le nom d’Altace pendant de nombreuses années. En réalité, elle est titulaire du brevet canadien immatriculé 1,187,087 (087) visant le procédé de préparation du Ramipril et autres composés ainsi que leur utilisation dans le traitement de l’hypertension artérielle. Le monopole conféré par le brevet a expiré en 2002.

 

[3]               Laboratoire Riva a convaincu le ministre que sa version du Rampiril était à la fois bioéquivalente et équivalente sur le plan pharmaceutique à Altace. Cependant, le ministre a placé Riva-Rampiril en « attente de brevet » du fait que Sanofi-Aventis a présenté au ministre quatre brevets qui sont conservés dans sa liste de brevets. Riva est empêchée de commercialiser le « Riva-Ramipril » jusqu’à l’expiration du dernier des quatre brevets en 2018, à moins qu’elle n’exerce les recours prévus par le Règlement MB (AC) ou qu’elle ne cède ses droits attachés à ses brevets par une action en contrefaçon de brevet.

 

[4]               Le Règlement MB (AC) a été longuement débattu et a été pris en considération par la Cour suprême dans les arrêts suivants : Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 533, 39 C.P.R. (4th) 449 [Biolyse] et Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1998] 2 R.C.S. 193, 80 C.P.R. (3d) 368. Plus récemment, le juge Hughes a fait un résumé de l’historique du Règlement MB (AC)dans l’arrêt Ferring Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 300, [2007] A.C.F. 420 (QL).

 

[5]               Mécontente d’avoir à attendre jusqu’à ce que les brevets expirent, Riva a signifié un avis d’allégation à Sanofi-Aventis. En ce qui concerne le brevet 1,341,206 (206) (qui appartient à la défenderesse Schering Corporation mais est inscrit par Sanofi-Aventis, avec son consentement), Riva a fait valoir qu’il est invalide pour plusieurs raisons, notamment parce qu’il n’y avait aucun motif valable pour penser que cela puisse effectivement fonctionner, c.-à-d. respecter son engagement au moment du dépôt de la demande de brevet.

 

[6]               Les trois autres brevets, tous détenus par Sanofi-Aventis, concernent d’autres utilisations du Ramipril, à savoir :

a.                   Insuffisance cardiaque – brevet 1,246,457 (457);

b.                  Hypertrophie et hyperplasie cardiaque et vasculaire – brevet 2,023,089 (089);

c.                   Prévention et thérapie par la protéinurie pour les affections du rein – brevet 2,055,948 (948).

 

Riva a fait valoir qu’elle ne contrefera pas ces brevets puisqu’elle ne fait que solliciter une autorisation et ne concentrera ses efforts de commercialisation qu’au traitement de l’hypertension artérielle.

 

[7]               Sanofi-Aventis a relevé le défi en demandant les ordonnances d’interdiction dont je suis saisi. Elle prétend que les allégations selon lesquelles le brevet 206 est invalide pour absence de prédiction valable et autres motifs ne sont pas fondées. Relativement aux trois brevets « d’utilisation », elle soutient que les avis d’allégation ne sont pas suffisamment détaillés ou que Riva contrefera les brevets en incitant ou en amenant des tiers à le faire, sur son ordre.

 

[8]               Sanofi-Aventis (connue antérieurement comme Aventis-Pharma) soutient également que Riva est un ayant droit de Pharmascience Inc. Celle-ci a plaidé sans succès, dans des instances antérieures relatives à des AC, que le brevet 206 était invalide pour cause de double brevet (Aventis Pharma Inc. c. Pharmascience Inc., 2005 CF 340, [2005] 4 R.C.F. 301, 38 C.P.R. (4th) 441, la juge Snider [Aventis]; appel rejeté, 2006 CAF 229, [2007] 2 R.C.F. 103, 53 C.P.R. (4th) 453, demande d’autorisation rejetée, [2006] C.S.C.R. 362 (QL)). Puisque Pharmascience ne pouvait pas remettre en cause la question tranchée en ajoutant un nouveau motif d’invalidité, c.-à-d. l’absence de prédiction valable, Riva ne le peut non plus.

 

[9]               Riva a lié contestation avec les allégations énoncées aux demandes et a nié qu’elle était un ayant droit de Pharmascience. Dans ses documents en réponse et, pour faire bonne mesure, au moyen d’une requête distincte, elle a aussi fait valoir que comme un nouveau fabricant de médicaments génériques, Apotex Inc., a affirmé dans le cadre de ses instances relatives à des AC que le brevet 206 était invalide pour absence de prédiction valable, et que cette allégation avait été déclarée fondée, remettre en cause la question tranchée dans ces instances, même si les parties ne sont pas les mêmes, constituerait un abus de procédure pour Sanofi-Aventis (Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1283, 278 F.T.R. 1, 43 C.P.R. (4th) 161, la juge Mactavish [Apotex]; appel rejeté, 2006 CAF 64, 265 D.L.R. (4th) 308, 46 C.P.R. (4th) 401 demande d’autorisation rejetée [2006] C.S.C.R.136 (QL)).

 

[10]           Après cinq jours d’audience sur les brevets, de même que sur les questions concernant l’ayant droit et l’abus de procédure, et après avoir passé en revue le dossier ainsi que les observations écrites et celles faites de vive voix des avocats, je conclus ce qui suit :

a.                   Riva n’est pas un ayant droit de Pharmascience et pouvait faire valoir que le brevet 206 était invalide pour absence de prédiction valable;

b.                  L’allégation selon laquelle le brevet 206 est invalide pour absence de prédiction valable ou pour tout autre motif n’est pas fondée;

c.                   Les avis d’allégation concernant la non-contrefaçon sont suffisamment détaillés pour que les exigences relatives au Règlement MB (AC) soient respectées;

d.                  Les allégations relatives à la non-contrefaçon des brevets portant sur l’hypertrophie et hyperplasie cardiaque et vasculaire et sur la prévention et la thérapie par la protéinurie pour les affections du rein sont fondées;

e.                   La demande, eu égard à l’insuffisance cardiaque, comme le brevet est expiré et ne peut servir de fondement pour interdire au ministre de délivrer un AC à Riva, est purement théorique.

 

[11]           J’aurais rejeté la requête pour abus de procédure de Riva. Il s’ensuit que j’aurais accueilli l’ordonnance interdisant au ministre de délivrer à Laboratoire Riva un AC jusqu’à l’expiration du brevet 206, en 2018.

 

[12]           Cependant, après que j’ai pris ces affaires en délibéré, la Cour d’appel fédérale a rendu sa décision dans l’arrêt Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2007 CAF 163 [Novopharm]. Le juge Sexton a conclu que lorsqu’un titulaire de brevet remet en cause une allégation d’invalidité à l’encontre d’un génériqueur, s’il a été statué dans une instance antérieure à l’encontre d’un génériqueur différent que l’allégation était bien fondée, il s’agissait d’un abus de procédure aux termes du Règlement MB (AC). La juge Sharlow partage cette opinion mais le juge Nadon est dissident. Le brevet en question était identique à celui qui fait l’objet de la présente affaire – le brevet 206.

 

[13]           Je suis lié par cette décision et à la lumière de celle-ci, j’accueillerai la requête de Riva et je rejetterai les demandes de Sanofi-Aventis sans rendre d’ordonnances d’interdiction.

 

[14]           Par contre, puisque la demande d’autorisation d’en appeler de la décision du juge Sexton à la Cour suprême est encore en instance, ou que je peux avoir mal interprété la décision ou exercé de façon indue mon pouvoir discrétionnaire, j’exposerai mon raisonnement à l’égard de toutes les questions sous les rubriques suivantes :

 

Paragraphes

a.      Historique des instances                                                         

15-20

b.      Pharmascience et Riva sont-elles des ayants droit?                  

21-30

c.      Brevet 206 – Allégations d’invalidité                                       

31-65

i.    Traitement de l’hypertension artérielle                  

34-37

 

ii.    Principes d'interprétation applicables en matière de revendications___________________________________

 

38-39

 

iii.   Destinataire versé dans l’art                                

40-46

 

iv.   Prédiction valable et absence d’utilité                  

47-59

 

v.   « Renouvellement à perpétuité »                          

60-65

 

d.      Abus de procédure                                                                

66-86

e.      Allégations de non-contrefaçon                                               

87-104

f.       Expiration du brevet 457                                                        

105-106

g.      Dépens                                                                                  

107

h.      Par la suite                                                                             

108

 

HISTORIQUE DES INSTANCES

[15]           En juin 2004, Riva a signifié un avis d’allégation à Sanofi-Aventis à l’égard des brevets 457, 206 et 089. Le mois suivant, Sanofi-Aventis a répliqué en déposant devant la Cour fédérale la demande T-1384-04. L’avis d’allégation de Laboratoire Riva à l’égard du brevet 948 n’a été signifié qu’en septembre 2004. L’avis de demande donné en réponse par Sanofi-Aventis a été déposé le mois suivant, sous le numéro T-1884-04. Par la suite, il a été ordonné que les affaires soient entendues l’une après l’autre.

 

[16]           En vertu du Règlement MB (AC), il est interdit au ministre de délivrer un AC pour une durée de 24 mois ou moins, selon le temps que prendra à Cour à rendre une décision. Les affaires ont été inscrites pour audition en mai 2006 devant le juge von Finckenstein. Toutefois, de consentement, comme en témoignent les ordonnances du 5 juin 2006, l’audience a été ajournée sine die. L’interdiction légale de 24 mois a été prolongée [traduction] « jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur le fond de la présente instance ou que la Cour prononce une autre ordonnance ». La Cour a ajourné les instances pour que les parties puissent attendre la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’appel de Pharmascience de la décision de la juge Snider dans Aventis, précitée. Après que cette décision a été rendue, une conférence de gestion d’instance a été tenue le 14 juillet 2006. Par conséquent, les demandes ont été acheminées au bureau de l’administrateur judiciaire pour l’établissement d’une nouvelle date. Le procès-verbal révèle que Riva a également été autorisée à présenter une requête pour abus de procédure.

 

[17]           Les deux demandes ont été inscrites pour audition, l’une à la suite de l’autre, pour une durée de cinq jours, à Toronto, du 16 au 20 avril 2007.

 

[18]           Dans la semaine précédant l’audition, Riva, selon ce qu’elle qualifie d’« excès de prudence », a déposé sa requête pour abus de procédure relativement à l’allégation de Sanofi-Aventis selon laquelle le brevet 206 était valide parce qu’il y avait un motif valable qui lui permettait de faire une prédiction. Puisque, de toute façon, la même question avait été soulevée dans les documents en réponse de Riva, je n’ai pas tenu compte de l’objection timide de Sanofi-Aventis.

 

[19]           L’avocat a fait remarquer que je pourrais traiter des demandes et de la requête sans avoir à tenir compte du bien fondé de l’invalidité, de l’absence d’avis détaillé et des allégations de non-contrefaçon. Si j’étais convaincu que Riva était l’ayant droit de Pharmascience, alors Riva ne pouvait justifier d’un quelconque intérêt. Les demandes seraient accueillies et la requête pour abus de procédure serait rejetée. En revanche, une décision acceuillant la requête pour abus de procédure me permettrait, à tout le moins, de ne pas tenir compte de la question épineuse de la prédiction valable.

 

[20]           Il m’apparaissait à ce moment et il m’apparaît encore aujourd’hui que je n’aurais pas pu entendre la question portant sur les ayants droit puis rendre immédiatement une décision sur le banc, ou de la même façon, traiter de la question de l’abus de procédure. J’aurais eu à prendre le jugement en délibéré sur les deux questions, le résultat final étant que les trois ou quatre jours réservés pour l’audience auraient été perdus. J’ai donc décidé d’entendre toutes les questions à la fois.

 

PHARMASCIENCE ET RIVA SONT-ELLES DES AYANTS DROIT?

[21]           Le concept des parties ayant des liens de droit, l’une avec l’autre, est une ramification du principe de la chose jugée. Les précédents, à ce moment précis, ont été examinés par le juge Richard, lorsqu’il siégeait encore dans l’arrêt Hoffman-La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1997] 2 C.F. 681, 72 C.P.R. (3d) 362. Le juge Richard, appelé à décider dans le contexte du Règlement MB (AC) renvoie au jugement rendu par le juge Dickson, alors juge puiné, dans l’arrêt Angle c. Ministre du Revenu national, [1975] 2 R.C.S. 248, 47 D.L.R. (3d) 544, une affaire fiscale, où le juge Dickson a dit que « cette forme de fin de non-recevoir est de deux genres. Le premier, soit la préclusion résultant de l’identité des causes d’action, empêche une personne d'intenter une action contre une autre lorsque la même cause d'action a déjà été décidée.  La seconde, préclusion découlant d’une question déjà tranchée, s’applique, même si la cause d’action est différente, lorsque le même point ou la même question de fait a déjà été tranché.

 

[22]           Trois éléments doivent être présents pour l’application du principe de la chose jugée : l’objet, l’action et les parties. La notion d’ayant droit s’attache à l’identité des parties. La question est de savoir si deux personnes juridiquement distinctes devraient être considérées comme une seule personne. Que l’une soit désignée l’alter ego ou le « prête-nom » de l’autre ou qu’il s’agisse de lever le voile corporatif, pour que les deux sociétés soient considérées comme une seule personne, il doit y avoir une communauté ou une connexité d’intérêts significative entre elles.

 

[23]           Riva a déposé sa présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) auprès de Santé Canada au printemps 2004. Elle renvoie sa présentation réglementaire à une autre qui avait été antérieurement présentée par Pharmascience, laquelle, ni à ce moment, ni même maintenant, n’a reçu d’AC (voir la décision de la juge Snider dans Aventis, précitée). Comme Pharmascience n’avait pas reçu d’AC, il s’ensuit que sa version du Ramipril et la monographie du produit n’étaient pas accessibles au public. En d’autres termes, tel qu’il a été admis lors du contre-interrogatoire, Riva et Pharmascience avaient des relations commerciales.

 

[24]           Mostafa Akbarieh, vice-président Recherche, Développement et Affaires réglementaires de Riva a admis que sa PADN portant sur le Ramipril n’était pas la première présentation déposée qui renvoyait aux présentations de Pharmascience. Riva fait référence aux renseignements contenus dans la présentation de Pharmascience et sa monographie de produit était et devait être identique.

 

[25]           Même si Riva a de toute évidence dû obtenir l’autorisation de Pharmascience, M. Akbarieh n’était pas partie aux négociations. Il ignorait si la référence faisait l’objet d’une entente écrite. Même s’il savait que les deux sociétés n’avaient pas d’employés communs, il n’était pas au courant s’il y avait possession commune d’actions ou s’il y avait un autre fait pouvant mener à la conclusion que les sociétés étaient liées. Le procureur de Riva a refusé de s’engager à communiquer les renseignements.

 

[26]           Il est clair qu’eu égard aux présentes demandes, si la défenderesse était Pharmascience, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée l’empêcherait de se fonder sur les allégations de son avis d’allégation. En réalité, Pharmascience a sollicité sans succès une ordonnance soutenant qu’il y aurait abus de procédure de la part de Sanofi-Aventis si elle continuait à prétendre que le brevet 206 était valide eu égard à la décision de la juge Mactavish dans Apotex, précitée. Dans Pharmascience Inc. c. Sanofi-Aventis Canada Inc., 2006 CAF 210, [2006] A.C.F. no 933 (QL), la juge Sharlow n’a pas tardé à rejeter cet argument. Elle a fait remarquer que tout ce que la juge Mactavish avait fait était de rejeter la demande visant une ordonnance d’interdiction présentée par Sanofi-Aventis. Cela ne constituait pas un jugement définitif sur la validité du brevet 206. Pharmascience n’a pas formulé d’allégation d’invalidité fondée sur l’absence de prédiction valable et Sanofi-Aventis pouvait donc difficilement être blâmée de ne pas avoir répondu à une allégation qui n’avait pas été formulée. Voir également le jugement récent de la Cour d’appel fédérale dans Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 140.

 

[27]           Je ne suis toutefois pas convaincu que les faits précités et le fait que l’expert de Riva, M.  Christensen, d’abord contacté par Pharmascience, démontrent que les deux parties avaient des ayants droit. Il a uniquement été établi qu’elles ont des relations commerciales et c’est insuffisant (Hoffman-La Roche, précité).

 

[28]           Sanofi-Aventis a invité la Cour à tirer une conclusion défavorable du fait que M. Akbarieh, qui a signé un affidavit pour Riva, n’était pas bien renseigné dans ce domaine et que des engagements n’avaient pas été fournis. M. Akbarieh ne connaissait pas tout mais était sûrement au courant des questions réglementaires et de celles portant sur la non-contrefaçon. Un contre-interrogatoire sur affidavit ne crée pas d’engagements. Cela ne constituait pas de la communication de documents et un interrogatoire préalable d’une personne morale au sens des articles 222 et suivants des Règles de la Cour fédérale.

 

[29]           Il semblerait qu’on ait perdu de vue que les demandes, contrairement aux actions, sont censées être de nature sommaire. Il n’y a rien de sommaire dans des procédures dont les plaidoiries peuvent durer jusqu’à cinq jours! Le plaidoyer de désespoir et de détresse de Sanofi-Aventis est mal venu. Même dans les demandes, l’article 313 des Règles prévoit que si la Cour estime que le dossier d’une partie est incomplet, elle peut ordonner le dépôt de documents ou d'éléments matériels supplémentaires. S’il avait vraiment été pertinent de le faire et si elle avait été attentive, Sanofi-Aventis aurait pu demander une ordonnance enjoignant Riva de produire les documents supplémentaires en sa possession.

 

[30]           Sanofi-Aventis fait aussi valoir que ces procédures sont abusives en ce que la politique du ministre de ne pas délivrer d’AC lorsqu’une présentation renvoie à une présentation antérieure, à moins que celle-ci n’ait été accueillie ou jusqu’à ce qu’elle le soit. La demande présentée par Pharmascience a été rejetée. Néanmoins, je ne suis pas préoccupé par la politique du ministre. Je suis saisi d’allégations d’invalidité et de non-contrefaçon, ni plus ni moins. Si le ministre décide de ne pas délivrer d’AC pour d’autres motifs, la décision pourrait alors faire l’objet d’un contrôle judiciaire distinct.

 

BREVET 206 – ALLÉGATIONS D’INVALIDITÉ

[31]           L’histoire du brevet canadien 206 est assez singulière. Schering Corporation a présenté une demande de brevet canadien en octobre 1981 en se basant sur les dates de priorité aux États‑Unis de 1980 et 1981. La demande portait sur un genre de composés connus sous le nom d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (ECA). Ce genre englobe le Ramipril, mais ce composé ne faisait pas expressément l’objet d’une divulgation ou d’une revendication. Des entreprises pharmaceutiques innovatrices effectuaient beaucoup de recherches à l’époque sur les inhibiteurs de l’ECA, qui empêchent la constriction des vaisseaux sanguins et contribuent donc à relâcher les vaisseaux sanguins et à abaisser la tension artérielle. En raison d’une longue procédure de conflit au bureau des brevets, le brevet 206 n’a été délivré qu’en 2001. Aux termes de la Loi sur les brevets, telle qu’elle était avant sa modification en 1989 et telle qu’elle s’applique au brevet 206, ce brevet n’expire qu’en 2018, soit 17 ans après sa délivrance.

 

[32]           Le brevet 087 de Sanofi-Aventis pour la préparation du Ramipril et autres composés ainsi que son utilisation dans le traitement de l’hypertension artérielle était essentiellement un brevet de sélection ou une amélioration du brevet 206. La demande a été déposée en novembre 1982 selon les dates de priorité en Allemagne de 1981 et 1982. Le brevet a été délivré en mai 1985 et a donc expiré en 2002.

 

[33]           Même si l’invention visée par le brevet 206 était bloquée au Bureau des brevets du Canada, le brevet avait été accordé dans d’autres ressorts, tout comme pour le Ramipril de Sanofi-Aventis. Il en a résulté une impasse qui a eu pour effet, dans les ressorts concernés, d’empêcher Schering de fabriquer le Ramipril de peur de contrefaire le brevet 087 et d’empêcher Sanofi-Aventis de fabriquer le Ramipril de peur de contrefaire le brevet de genre 206. Elles ont eu à trouver un terrain d’entente et c’est pourquoi Schering a accordé à Sanofi-Aventis un permis mondial pour l’utilisation du brevet 206 en ce qui concernait le Ramipril.

 

a. Traitement de l’hypertension artérielle

[34]           L’angiotensine est une substance qui est présente naturellement dans l’organisme sous deux formes. L’angiotensine I n’a pas d’effet direct sur la tension artérielle. Toutefois, l’angiotensine II est un puissant vasoconstricteur : elle provoque une constriction des vaisseaux sanguins, ce qui fait augmenter la tension artérielle. L’angiotensine II est produite par l’action de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (ECA) sur l’angiotensine I. Par conséquent, en inhibant la conversion, on réduit la production d’angiotensine II et on abaisse la tension artérielle.

 

[35]           L’ECA fait partie d’une classe d’enzymes connues sous le nom de « peptidases », qui scindent un peptide ou une protéine en fragments plus petits. L’ECA clive l’angiotensine I et entraîne ainsi la production d’angiotensine II, puissant régulateur à la hausse de la tension artérielle. L’utilité des inhibiteurs de l’ECA repose sur leur pouvoir d’empêcher le clivage de l’angiotensine I, ce qui réduit la quantité d’angiotensine II dans l’organisme.

 

[36]           Essentiellement, le brevet 206 porte sur cette question. Il revendique des « dipeptides de carboxyalkyle, les méthodes pour leur production et les compositions pharmaceutiques les renfermant ». Selon l’abrégé, [traduction] « sont divulgués de nouveaux dipeptides de carboxyalkyle qui sont utiles comme inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine et comme agents antihypertenseurs [… ] ont une formule particulière ». Riva met également l’accent sur la page 24 du brevet, selon laquelle « les composés de l’invention ont des propriétés pharmaceutiques utiles. Ils sont utiles dans le traitement de l’hypertension artérielle ». Le brevet renferme 13 revendications. Il est généralement admis que certaines des revendications, mais pas toutes, pourraient être construites de façon à englober le Ramipril. La revendication dont la portée est la plus étroite et qui vise le ramipril, et sur laquelle repose la validité, est la revendication 12, qui se lit comme suit :

[traduction] L’acide 1-[N-(1-carboéthoxy-3-phénylpropyl)-(S)- alanyl]octahydrocyclopenta[b]pyrrole-2(S)-carboxylique et ses sels pharmaceutiquement acceptables.

 

 

[37]           Cette revendication est évidemment incompréhensible pour une personne non versée dans l’art. Les personnes qui ont conseillé la Cour étaient des professeurs en pharmacologie biochimique, des professeurs de chimie qui connaissent à fond les principes généraux de la stéréochimie et étaient spécialisés dans la synthèse de composés renfermant des centres d’asymétrie, des professeurs de médecine et de pharmacologie, des professeurs dans des départements de chimie médicale ainsi que des titulaires de doctorat en chimie organique qui étaient actifs dans le domaine de la recherche chez l’humain et l’animal.

 

 

 

b. Principes d’interprétation applicables en matière de revendication

[38]           Même s’ils se sont surtout attardé à la question de la « prédiction valable », ce que les experts ont dit a également expliqué certains termes de la terminologie du domaine des brevets.

 

[39]           La première étape consiste à déterminer ce que le brevet révèle et ce qu’il garantit. Me fondant sur l’arrêt de la Cour suprême dans Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, 9 C.P.R. (4th) 168 et Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, 9 C.P.R. (4th) 129, j’énonce ma propre façon de voir la question, à savoir l’objet de la demande du brevet dans Biovail Pharmaceuticals Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2005), 267 F.T.R. 243, 37 C.P.R. (4th) 487. Je ne veux pas répéter tout ce que j’ai dit mais je cite le paragraphe 15 :

[…]

 

a           La Loi exige que la demande de brevet renferme un mémoire descriptif « définissant distinctement et en des termes explicites l'objet de l'invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif ». Le mémoire descriptif doit être rédigé en des termes complets, clairs, concis et exacts « qui permettent à toute personne versée dans l'art ou la science dont relève l'invention, ou dans l'art ou la science qui s'en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l'invention » (Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, et ses modifications, art. 27).

 

b     Le brevet s'adresse, en théorie, à une personne versée dans l'art ou la science dont relève l'invention et doit recevoir l'interprétation que cette personne lui aurait donnée lorsqu'il a été rendu public.

 

[...]

 

c     Les revendications doivent être interprétées de façon éclairée et en fonction de l'objet pour assurer le respect de l'équité et la prévisibilité, et pour cerner les limites du monopole. « [L]'ingéniosité propre à un brevet ne tient pas à la détermination d'un résultat souhaitable, mais bien à l'enseignement d'un moyen particulier d'y parvenir. La portée des revendications ne peut être extensible au point de permettre au breveté d'exercer un monopole sur tout moyen d'obtenir le résultat souhaité » (Free World Trust, par. 31 et 32).

 

[...]

 

d     Un brevet n'est toutefois pas un écrit ordinaire. Il est visé par la définition de « règlement » qui figure dans la Loi d'interprétation et il faut l'interpréter de manière compatible avec la réalisation de son objet. « [L]'interprétation des revendications est une question de droit qu'il appartient au juge de trancher, et celui-ci avait parfaitement le droit de donner aux revendications une interprétation différente de celle préconisée par les parties » (Whirlpool, par. 61).

 

 

 

 

c. Destinataire versé dans l’art

 

[40]           Étonnamment, les compétence de l’expert n’ont suscité que peu de débat. En fait, aucune objection n’a été soulevée à l’égard d’aucun d’entre eux.

 

[41]           Je considère particulièrement utile la preuve fournie par Paul Bartlett, qui témoignait pour Schering. Paul Bartlett est professeur émérite de chimie à l’Université de la Californie, à Berkeley. En plus d’enseigner, il dirige un groupe de recherche dans le domaine de la chimie bio-organique et de la chimie organique de synthèse dont les travaux sont axés sur la conception, la synthèse et l’évaluation de composés biologiquement actifs. Il a publié nombre d’articles, et son nom figure sur un certain nombre de demandes de brevets américains à titre d’inventeur ou de coinventeur.

 

[42]           Je juge également utile la preuve fournie par Burton Christensen, qui témoignait pour Riva. Contrairement aux autres experts qui ont principalement fait carrière dans le milieu universitaire, après avoir obtenu, en 1956, son doctorat en chimie organique de l’Université Harvard, M. Christensen est entré, la même année, chez Merck & Co Inc., où il a occupé divers postes, dont celui de premier vice-président – chimie jusqu’à sa retraite en 1992. Plus récemment, il a été consultant et a cofondé une entreprise de recherche. Il a fait profiter la Cour de son expérience pratique de plus de 48 ans dans le domaine de la mise au point de médicaments.

 

[43]           Bien qu’il faille prendre en considération les principes de la stéréochimie pour déterminer si la revendication 12 du brevet 206 vise un élément utile, ce qui est une condition préalable à la délivrance d’un brevet, Schering souligne que la revendication 1, dont la portée est plus large, ne fait aucune mention de la stéréochimie.

 

[44]           Après avoir profité d’une séance de tutorat sur les inhibiteurs de l’ECA, j’estime être en mesure d’interpréter le brevet sans autre aide extrinsèque tout en demeurant conscient des mots suivants employés par le juge Pigeon dans l’arrêt Burton Parsons c. Hewlett-Packard, [1976] 1   R.C.S. 555, à la page 563, 17 C.P.R. (2d) 97, à la page 104 :

Même si la Cour doit interpréter un brevet comme tout autre document juridique, cette interprétation doit se faire en tenant compte du fait que le destinataire est un homme de l’art, et en tenant compte également du savoir que cet homme est censé posséder.

 

Je considère que s’il y a une inhibition ou une activité de l’ECA, le brevet remplit ses promesses. M. Christensen était d’avis que ce qui était divulgué et revendiqué dans le brevet devait avoir un usage « thérapeutique ». Ce mot ne figure pas à la page 24 du brevet.

 

[45]           La promesse était simplement que les composés revendiqués dans le brevet seraient utiles à la fois comme inhibiteurs de l’ECA et comme agents antihypertenseurs. Plus particulièrement, rien dans la revendication 12 n’indique que les composés seraient assez efficaces pour justifier la délivrance d’un AC ou qu’ils seraient commercialement viables. Sur le plan pratique, M. Christensen a dit qu’il ne gaspillerait ni temps ni argent pour mettre au point une chose qui ne serait pas la meilleure de sa classe. Autrement dit, il devait y avoir une amélioration par rapport à ce qui existait déjà. Je n’ai aucun doute que cette attitude lui a été très utile dans l’industrie, mais tout ce que la loi exige est qu’il y ait une quelconque utilité. Il a placé la barre trop haut.

 

[46]           J’en suis donc venu à la même conclusion que la juge Mactavish dans la décision Apotex mentionnée au paragraphe 9 de la présente décision. Je fais particulièrement référence aux paragraphes 61 et suivants et aux paragraphes 276 et suivants de ses motifs. La courtoisie entre juges exige qu’un juge de la même Cour qu’un autre juge suive ce dernier sur des questions de droit, à moins que le premier juge ne soit d’avis que la décision antérieure est clairement erronée. Mon inquiétude était que comme nous avons bénéficié de l’avis de différents experts, nous aurions pu interpréter différemment le brevet.

 

d. Prédiction valable et absence d’utilité

[47]           Lorsque Schering a présenté sa demande de brevet canadien en 1981, elle n’avait pas encore évalué en laboratoire l’efficacité d’aucun des huit composés décrits à la revendication 12. La législation sur les brevets ne l’obligeait pas à le faire. Le commissaire était autorisé à délivrer un brevet s’il était convaincu qu’il y avait un fondement factuel pour prédire que chacun des composés revendiqués serait utile aux fins promises. Si je peux m’exprimer autrement, la promesse de l’invention était‑elle une inférence raisonnable de ce que les inventeurs savaient, ou auraient dû savoir, ou était‑elle fondée sur de simples spéculations?

 

[48]           La revendication 12 est présumée valide à moins qu’il soit prouvé qu’au moins huit des composés ne sont pas utiles ou que la Cour soit convaincue qu’il n’y avait pas, au départ, de motif valable pour établir la prédiction. Même s’il était établi aujourd’hui que les huit composés avaient respecté la promesse de l’invention, le brevet ne tiendrait toujours pas si l’invention n’était qu’un coup de chance.

 

[49]           Aujourd’hui, nous savons que l’un des huit composés, le Ramipril, fonctionne en fait très bien. Je n’ai été saisi d’aucune preuve scientifique démontrant que les sept autres composés fonctionnent ou ne fonctionnent pas.

 

[50]           Quoique la plupart des éléments de preuve dont j’ai été saisi étaient semblables à ceux dont était saisie la juge Mactavish dans l’arrêt Apotex, les éléments de la preuve divergent à ce point que même si la juge Mactavish a tiré la conclusion selon laquelle il n’existait aucune raison valable pour prédire que les composés de la revendication 12 seraient utiles, j’arrive à la conclusion contraire. Les faits se rapportent à la stéréochimie. On ne peut pas s’attendre à ce que la Cour sache tout de la stéréochimie de sorte que les conclusions de fait tirées à cet égard s’appuient sur les conseils d’expert. La juge Mactavish s’est fondée sur l’opinion d’un certain M. Marshall. Je n’ai pas été saisi de cette preuve. Je m’appuie particulièrement sur la preuve de M. Bartlett et de M.  Christensen, laquelle n’a pas été soumise à la juge Mactavish.

 

[51]           Les parties, qui travaillent dans le domaine pharmaceutique, ont une grande connaissance de la stéréochimie et les principes fondamentaux n’ont pas été contestés. Ce qui était contesté peut être décrit comme le détail.

 

[52]           Quant aux principes pertinents de la stéréochimie, je ne peux faire mieux que de faire référence aux paragraphes 25 à 52 des motifs du jugement rendu par la juge Mactavish.

 

[53]           Je me dois de mentionner que les molécules organiques ont trois dimensions. Au cœur de la stéréochimie en l’espèce est l’atome de carbone qui, pour être stable, doit comporter quatre liaisons. Ces liaisons sont appelées un cycle. En plus de renfermer des cycles simples composés de carbone et d’hydrogène, les molécules organiques peuvent également renfermer de chaînes d’atomes liées par des liaisons doubles ou triples ainsi que d’autres éléments tels que l’hydrogène, l’oxygène et le soufre.

 

[54]           Ces molécules organiques tridimensionnelles prennent différentes formes. Comme l’a expliqué M. Bartlett, un atome de carbone portant des substituts de quatre groupes différents peut exister sous deux formes. Ces atomes de carbone sont appelés des stéréocentres ou des centres chiraux, du mot grec signifiant « main ». Comme l’a indiqué la juge Mactavish dans sa décision, ces centres chiraux peuvent avoir un configuration « S » ou une configuration « R ». M. Bartlett explique ainsi l’importance des configurations « S » et « R » :

[traduction] Les enzymes sont des protéines qui catalysent des réactions chimiques dans les cellules, les plantes et les animaux vivants. Pour ce faire, elles se lient au substrat par leur site actif, elles catalysent la conversion du substrat en produits de la réaction, puis elles laissent les produits se dissocier du site actif. Un inhibiteur est une molécule qui empêche cette réaction de se produire, habituellement en entrant en compétition avec le substrat pour la liaison au site actif. Les inhibiteurs ont souvent une structure qui ressemble à celle des substrats avec lesquels ils entrent en compétition, mais ils ne peuvent pas eux‑mêmes réagir.

 

[Souligné dans l’original]

 

 

[55]           Il a poursuivi en disant que bien avant 1980, il était bien connu dans le domaine de la chimie médicale qu’il existe des sous‑sites distincts des sites actifs des peptidases; chaque sous‑site interagit avec un segment particulier du substrat du peptide ou une partie de l’inhibiteur. Il était généralement connu que pour ce qui est de l’ECA, les centres chiraux en position « S » étaient plus efficaces que ceux en position « R ». En effet, comme le soulignait la juge Mactavish, un article publié par des chercheurs de Merck en 1980 révélait que dans ce contexte, les centres chiraux en position « S » étaient 700 fois plus actifs (A.A. Patchett et al., “A new class of angiotensin-converting enzyme inhibitors” (1980) 288, Nature 280 [article de Merck]).

 

[56]           Pour faire suite à des travaux menés par Squibb et Merck, des inventeurs de Schering, dont Elizabeth Smith, qui a présenté un affidavit en l’espèce, ont exploré les variations structurales des cycles en tête‑de‑pont du côté droit de la molécule, comme il est généralement représenté dans un diagramme.

 

[57]           C’est là que la preuve présentée à la juge Mactavish diffère de celle qui m’a été présentée. La revendication 12 du brevet de Schering vise un composé dont le squelette comporte trois centres chiraux et qui possède deux centres chiraux en tête‑de‑pont. Deux des trois centres chiraux du squelette doivent être en position « S ». Les trois autres centres chiraux peuvent être soit en position « S » soit en position « R ».

 

[58]           M. Marshall, dans l’affidavit et le contre‑interrogatoire présentés à la juge Mactavish, était d’avis que les centres chiraux en tête-de-pont inventés par Schering ne seraient pas actifs et qu’il n’y aurait donc aucun fondement factuel pour faire une prédiction. M. Christensen a toutefois admis qu’il y aurait une « promiscuité » ou une activité dans ces centres. Alors que M. Marshall était d’avis qu’il n’y aurait aucune activité, M. Christensen pensait qu’il n’y aurait pas assez d’activité. Néanmoins, selon mon interprétation du brevet, qui est celle de la juge Mactavish, comme le brevet ne revendique qu’une certaine activité, la promesse a été remplie.

 

[59]           En plus de l’aveu de M. Christensen selon lequel les centres chiraux en-tête-de-pont ne seraient pas actifs, M. Bartlett a souligné que bien que l’article de Merck ne fasse que rapporter des faits, Merck a promis une activité dans ses propres demandes de brevet, promesses très similaires à celles faites par Mme Smith et ses collègues. Comme les personnes chez Merck étaient des sommités dans le domaine à cette époque, j’en arrive à la conclusion que les revendications de Mme Smith et de ses collègues n’étaient pas sans fondement. La prédiction avait un fondement factuel. En effet, le brevet 206 fait état d’une différence par un facteur de 3000 des doses, ce qui englobe largement l’activité 700 fois supérieure signalée dans l’article de Merck. Par ailleurs, le brevet prévoit à la fois l’administration orale et l’injection. Cette dernière n’est peut-être pas populaire, mais il s’agit d’une façon plus efficace de faire pénétrer le médicament dans la circulation sanguine.

 

 

 

 

e. « Renouvellement à perpétuité »

[60]           Avant l’audition de l’affaire, Riva avait abandonné certains des motifs allégués quant à l’invalidité du brevet 206. Cela dit, elle a maintenu ses allégations en ce qui concerne le « renouvellement à perpétuité ». Sanofi-Aventis a affirmé qu’il ne s’agissait que d’un terme nouveau pour double brevet. Même si je ne crois pas que c’était l’intention de Riva, appelons-la comme on voudra, cela ne justifie pas ses allégations portant sur l’invalidité du brevet.

 

[61]           Selon Riva, le brevet 087 revendiquait le Ramipril s’il était fabriqué selon certains procédés. Il a été délivré en 1985 et a expiré en 2002. La délivrance du brevet 206 en 2001 a effectivement maintenu le monopole sur le Ramipril sans que le public en retire un nouvel avantage. L’effet combiné des deux brevets a donné lieu à un duopole débutant en 1985 et devant se poursuivre jusqu’en 2018, durant presque 33 ans. La Loi sur les brevets, telle qu’elle était libellée avant 1989, ne conférait de monopole que pendant une durée de 17 ans à compter de sa date de délivrance alors que la version actuelle confère un monopole pendant 20 ans, à compter de la date de la demande.

 

[62]           Il en résulte, par conséquent, comme le fait valoir Riva, une iniquité disproportionnée pour le public en ce qu’aucune autre société ne peut fabriquer le Ramipril dans le cadre du brevet 087 qui est expiré, sans contrefaire le brevet 206. Les monopoles expirés ne devraient pas être maintenus.

 

[63]           Le retard dans la délivrance du brevet 206 au Canada, contrairement à d’autres pays, a d’abord nui à Schering. Sanofi-Aventis a commencé à lui payer des droits de permis en 1986, mais elle n’avait certainement pas à agir ainsi pour ce qui était du Canada. Elle l’a fait parce qu’elle voulait commercialiser le Ramipril à l’échelle mondiale, et elle a dû se faire à l’idée que le brevet 206 avait été délivré dans d’autres pays.

 

[64]           Il ne s’agit pas d’une affaire où l’on tente de breveter la même invention deux fois, ou d’une affaire où le même titulaire du brevet tente d’ajouter des « caractéristiques secondaires » à son brevet existant dans le but de maintenir la liste des brevets prévue au Règlement MB (AC). Le Ramipril était un brevet de « sélection » tiré d’un genre connu.

 

[65]            L’arrêt de la Cour suprême Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1  R.C.S. 504, 56 C.P.R. (2d) 145 s’applique ici. Il s’agissait d’une situation où le commissaire était d’opinion que la demande de brevet devait être divisée en deux. La Cour a conclu que le breveté ne pouvait pas être lésé par ce qui s’était passé au Bureau des brevets. On doit appliquer le même raisonnement en l’espèce.

 

ABUS DE PROCÉDURE

[66]           Ayant conclu à l’absence de fondement des allégations de Riva portant sur l’invalidité du brevet 206, plus précisément en ce qui a trait aux allégations concernant l’absence de prédiction valable, je dois maintenant examiner la question de savoir si Sanofi-Aventis n’est pas admise à plaider ce point à la lumière des principes régissant l’abus de procédure. Tout comme la  théorie des ayants droit, l’abus de procédure, dans ce contexte, est intimement lié au principe de la chose jugée.

 

[67]           L’alinéa 6(5)b) du Règlement MB (AC) prévoit :

6(5) Lors de l'instance relative à la demande visée au paragraphe (1), le tribunal peut, sur requête de la seconde personne, rejeter la demande si, selon le cas :

[…]

 

b) il conclut qu'elle est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou constitue autrement un abus de procédure.

 

6(5) In a proceeding in respect of an application under subsection (1), the court may, on the motion of a second person, dismiss the application

[…]

 

(b) on the ground that the application is redundant, scandalous, frivolous or vexatious or is otherwise an abuse of process

 

[68]           Le décision du juge Sexton dans Novopharm, précitée, qui a rejeté l’appel de la décision de la juge Tremblay-Lamer, 2006 CF 1135, permet de comprendre qu’un simple litige, avec une autre partie, sur une question qui a déjà été tranchée, peut constituer, à elle seule, un abus de procédure même s’il n’est pas clair et évident que la demande aurait été rejetée au fond. Cette décision marque un nouveau tournant dans le droit applicable dans les instances relatives aux AC.

 

[69]           J’ai mentionné précédemment que n’eût été de cette décision, je n’aurais pas conclu que la procédure de Sanofi-Aventis, à l’égard de la prédiction valable, était abusive. Il n’est pas nécessaire d’énoncer ces motifs de façon détaillée puisque le juge Sexton a apaisé mes préoccupations, à savoir l’objet des demandes d’AC est simplement de décider s’il faut interdire au ministre de délivrer un AC et non de décider si un brevet est valide ou serait contrefait. Une décision portant sur l’AC ne détermine même pas la validité du brevet pour les parties à l’instance. La jurisprudence, dans son ensemble, a fait de l’improbabilité de succès ou des piètre probabilités de succès un élément essentiel d’abus de procédure. La question de la prédiction valable est en grande partie une question de fait et la preuve dont sont saisis deux juges peut très bien différer.

 

[70]           De plus, je n’ai pas réussi à dégager suffisamment le principe de l’abus de procédure des faits dans l’arrêt-clé Toronto (Ville) c. S.C.F.P., [2003] 3 R.C.S. 77 [S.C.F.P.]. La ville avait congédié un instructeur en loisirs après qu’il eût été déclaré coupable d’agression sexuelle contre un garçon confié à sa surveillance. L’employé, avec l’aide de son syndicat, a contesté le congédiement. L’arbitre a statué que la déclaration de culpabilité, confirmée en appel, ne constituait pas une preuve concluante qu’il s’était livré à une agression sexuelle sur le garçon. Pour des raisons d’intérêt public, il n’est simplement pas acceptable pour un arbitre de contester la décision finale d’un tribunal compétent. La ville aurait été mise dans une situation intenable si elle avait eu à rétablir une personne condamnée pour agression sexuelle. Dans la présente instance, il est impossible qu’un public informé s’indigne.

 

[71]           En appliquant l’arrêt S.C.F.P., précité, aux instances relatives aux AC, le juge Sexton a statué que la jurisprudence ancienne devait être réévaluée. Il a dit aux paragraphes 35 et 38 :

 

[traduction]

 [35]      Malgré cette jurisprudence, l’analyse que la Cour a faite de l’abus de procédure doit respecter les principes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Toronto (Ville) c.S.C.F.P.,Section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77, 2003 CSC 63 (« S.C.F.P. »). Dans S.C.F.P., la juge Arbour a fourni des explications approfondies sur le principe de l’abus de procédure en ce qui concerne les tentatives des parties de remettre en cause des questions déjà tranchées. Elle a statué que la remise en cause d’une question qui a déjà été tranchée peut constituer un abus de procédure et a souligné que la préoccupation majeure qui sous-tend le principe de l’abus de procédure est de préserver l’intégrité du processus décisionnel...

 

[…]

 

[38]     Par conséquent, malgré le fait que la décision de la juge Mactavish ne déterminerait pas l’issue de la présente demande et qu’il est par le fait même, impossible de prétendre que Sanofi-Aventis n’a aucune chance de succès. Néanmoins, je suis tenu de statuer que la demande relative à l’AC de Novopharm constitue un abus de procédure et devrait conséquemment être rejetée.

 

 

[72]           Dans l’arrêt S.C.F.P., précité, la juge Arbour a indiqué au paragraphe 52 qu’« [i]l y [aurait] des cas où la remise en cause pourra[it] servir l’intégrité du système judiciaire plutôt que lui porter préjudice, par exemple » :

(1) lorsque la première instance est entachée de fraude ou de malhonnêteté, (2) lorsque de nouveaux éléments de preuve, qui n’avaient pu être présentés auparavant, jettent de façon probante un doute sur le résultat initial, (3) lorsque l’équité exige que le résultat initial n’ait pas force obligatoire dans le nouveau contexte. 

 

 

[73]           Le juge Sexton était d’opinion que la nature sommaire des demandes relatives aux AC justifie en soi le refus des tribunaux d’examiner la remise en cause d’une autre partie. Il est permis de procéder soit par une action en contrefaçon, soit par une action en invalidité du brevet. Au paragraphe 49, il a déclaré :

[traduction]   Sanofi-Aventis et Schering font également ressortir que les instances sous le régime du Règlement MB (AC) sont de nature préliminaire et font l’objet de protections procédurales limitées. Bien que cet argument puisse suffire à établir que les décisions prises dans le contexte du Règlement MB (AC) ne devraient pas lier les juges qui décident des actions en contrefaçon de brevets ou des actions en invalidité du brevet, il n’en demeure pas moins que la remise en cause, par la première personne, d’une question qui a déjà été tranchée à son encontre dans le cadre du Règlement MB (AC)* n’est généralement pas permise. Comme je l’ai déjà dit, la possibilité que des juges différents soient appelés à statuer sur des instances équivalentes, relativement à la même question en litige et qui tirent des conclusions différentes, menace l’intégrité du processus décisionnel. La nature des procédures ne change rien à cette réalité.

 

[74]           Comme l’arrêt Novopharm est d’une importance primordiale, j’ai donné aux parties la possibilité de faire des observations sur son incidence. Sanofi-Aventis et Schering ont fait valoir que :

a.       Le juge Sexton était saisi des AC d’Apotex et de Novopharm mais Riva ne me les a pas soumis. Par conséquent, l’insuffisance des renseignements ne me permet pas de conclure que la même question est débattue;

b.       La décision du juge Sexton est fondée sur des faits différents, particulièrement sur le moment de l’introduction de la requête;

c.       Même si j’en viens à la conclusion qu’il y a eu abus de procédure, j’ai à nuancer cette approche de façon équitable. On doit rappeler que Riva, contrairement à Apotex, ne s’est jamais concentrée sur l’activité ou l’absence d’activité des noyaux bicycliques;

d.      Néanmoins, j’ai toujours le pouvoir discrétionnaire, en vertu du paragraphe 6(5) du Règlement sur les MB (AC), d’entendre la demande.

 

[75]           Bien qu’il aurait été préférable d’avoir été saisi formellement de l’AC d’Apotex, je suis d’avis qu’il s’agit d’un élément trop technique. La comparaison entre l’AC de Riva et les parties de l’AC d’Apotex portant sur l’absence de prédiction valable que la juge Mactavish a considérées comme pertinentes, ne démontre aucune différence importante entre eux. Concernant la revendication 12, les deux sociétés font valoir qu’outre Ramipril, les sept autres composés n’ont pas le niveau requis d’activité pour inhiber l’ECA ni les propriétés pharmacologiques et toxicologiques jugées utiles et ne sont pas adaptés au traitement de l’hypertension artérielle. Par conséquent, les renseignements contenus sont suffisants pour me permettre de conclure que la même question est débattue.

 

[76]           Je ne retiens pas le facteur temps. La principale différence entre l’instance de Novopharm et celle de Riva est que la décision de la juge Mactavish avait déjà été rendue lorsque Sanofi-Aventis a déposé sa demande contre Novopharm . Les procédures contre Riva étaient déjà bien avancées lorsque le jugement a été rendu. Selon ma compréhension, lorsqu’une allégation spécifique d’invalidité de brevet a finalement été jugée bien fondée dans le contexte d’un AC, aussi longtemps que la même allégation et le même brevet sont en cause dans une autre instance relative aux AC, rien ne bouge. Les déclarations des experts dans leurs affidavits ou ce qu’ils auraient pu admettre aux contre-interrogatoires importent peu. L’intégrité du processus judiciaire prévaut.

 

[77]           Une autre façon de cerner la question est d’établir le moment où la remise en cause de la prédiction valable de la part de Sanofi-Aventis est devenue un abus de procédure. Elle avait certainement le droit de soulever la question dans ses procédures d’interdiction puisqu’elles ont été déposées bien avant que la juge Mactavish ne rende sa décision. En réalité, dans la période de 24  mois, et Sanofi-Aventis et Riva avaient, d’un point de vue pratique, à faire entendre les experts et à procéder aux contre-interrogatoires.

 

[78]           La décision de la juge Mactavish a été rendue le 20 septembre 2005. L’appel s’y rapportant a été rejeté le 13 février 2006. La demande d’autorisation d’appel devant la Cour suprême a été rejetée le 3 août 2006.

 

[79]           La demande de Sanofi-Aventis a été déposée en juillet 2004 et son exposé des faits et du droit, à la suite de plusieurs affidavits et contre-interrogatoires, a été déposé le 16 janvier 2006. Riva a d’abord soulevé la question de l’abus de procédure dans son exposé des faits et du droit, déposé à son dossier le 17 mars 2006.

 

[80]           Bien que Novopharm ait soulevé la question au moyen d’une requête avant de déposer son dossier, Riva n’aurait certainement pas pu faire la même chose avant la signification de ses affidavits et contre-interrogatoires s’y rapportant. Vu que la période de 24 mois aurait été en cours, et qu’il était loisible à la Cour de prolonger l’interdiction légale à l’encontre du ministre, je ne blâme pas Riva de ne pas avoir soulevé cette question antérieurement. Du même coup, je ne peux blâmer Sanofi-Aventis de ne pas avoir renoncé à la question. L’incidence de l’arrêt S.C.F.P., précité, dans le contexte des AC, n’a, de façon générale, pas été pris en compte avant la décision du juge Sexton, qui fait elle-même l’objet d’une demande d’autorisation d’appel devant la Cour suprême.

 

[81]           Pour conclure sur ce point, je ne suis pas d’opinion que le temps constitue un facteur. Je dois être guidé par le fait qu’il existe maintenant un jugement définitif dans le contexte de l’AC établissant que le brevet 206 était dénué d’une prédiction valable et d’un jugement de la Cour d’appel fédérale statuant que la remise en cause constitue en soi en abus de procédure.

 

[82]           Je ne suis pas convaincu que l’on puisse prétendre que la situation est injuste, malgré qu’il a été interdit au ministre de délivrer à Pharmascience un AC, mais qu’il ne lui a pas été interdit d’en délivrer à Apotex et à Riva (sous réserve du droit d’appel de Sanofi-Aventis). Il est probable que de nouveaux génériqueurs, sur ses traces, auront simplement à faire valoir qu’ils ne contreferont pas le brevet 206, parce qu’il a déjà été statué, dans le contexte de l’AC, que les allégations d’invalidité qui s’appuient sur l’absence de prédiction valable étaient fondées. Comme le juge Sexton l’a indiqué, pour Sanofi-Aventis, la réparation qui s’impose serait une action in rem en contrefaçon des brevets.

[83]           Comme l’a déclaré la juge Arbour dans l’arrêt S.C.F.P., précité, au paragraphe 51 :

La doctrine de l’abus de procédure s’articule autour de l’intégrité du processus juridictionnel et non autour des motivations ou de la qualité des parties. Il convient de faire trois observations préliminaires à cet égard. Premièrement, on ne peut présumer que la remise en cause produira un résultat plus exact que l’instance originale. Deuxièmement, si l’instance subséquente donne lieu à une conclusion similaire, la remise en cause aura été un gaspillage de ressources judiciaires et une source de dépenses inutiles pour les parties sans compter les difficultés supplémentaires qu’elle aura pu occasionner à certains témoins. Troisièmement, si le résultat de la seconde instance diffère de la conclusion formulée à l’égard de la même question dans la première, l’incohérence, en soi, ébranlera la crédibilité de tout le processus judiciaire et en affaiblira ainsi l’autorité, la crédibilité et la vocation à l’irrévocabilité.

 

 

[84]           En appliquant ces observations à la présente affaire, aucune hypothèse ne peut suggérer que la décision aurait été plus exacte. Le mieux que l’on puisse dire est qu’elle aurait été différente puisque les explications sur la preuve étaient différentes. Les contradictions relevées dans les décisions mineraient la crédibilité de tout le processus judiciaire.

 

[85]           Une mise en garde concernant le pouvoir discrétionnaire s’impose. Le pouvoir discrétionnaire des tribunaux n’est jamais exercé de façon générale. Lorsqu’il est question du principe de la chose jugée, de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, de la contestation indirecte et de l’abus de procédure, le pouvoir discrétionnaire ne peut être exercé à moins qu’il n’existe des circonstances particulières, comme je l’ai signalé plus haut. Ce n’est pas le cas en l’espèce. De plus, comme nous le démontrerons à la prochaine section, la Cour d’appel a étendu l’application de l’abus de procédure de l’invalidité à la non-contrefaçon.

 

[86]           Par conséquent, il est interdit à Sanofi-Aventis, appuyée par Schering, de faire valoir que l’allégation selon laquelle le brevet 206 est invalide pour absence de prédiction valable n’est pas fondée.

 

ALLEGATIONS DE NON-CONTREFAÇON

[87]           Tout bien considéré, pour Sanofi-Aventis, ce fut un exercice créatif hautement hypothétique, par ses efforts tant pour pousser l’art de la persuasion jusqu’à la prépondérance des probabilités que pour me convaincre qu’il y a lieu d’établir une distinction avec l’arrêt récent de la Cour d’appel fédérale dans Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 140, [2007] A.C.F. 506 (QL).

 

[88]           Selon Sanofi-Aventis, pour ce qui est du brevet 089, l’avis d’allégation est insuffisant en ce que les faits qui y sont invoqués n’appuient pas la conclusion de non-contrefaçon. Subsidiairement, elle fait valoir que l’allégation n’est pas fondée. En ce qui concerne le brevet 948, elle reconnaît que l’avis d’allégation est suffisamment détaillé mais elle prétend que l’allégation n’est pas fondée.

 

[89]           Au point de départ, Riva ne sollicite un AC que pour le traitement de l’hypertension artérielle. Si un AC lui est délivré, elle concentrera ses efforts de commercialisation et ses ventes sur ce traitement. En fait, la monographie du produit approuvée par Santé Canada limite la promotion du fabricant à son contenu, mais il est bien entendu que cela n’a pas pour effet de restreindre l’utilisation que font les médecins, pharmaciens et patients du Riva-Ramipril. Celle-ci fait valoir qu’elle n’est intéressée que par l’utilisation antérieure, et non les nouvelles qui sont protégées par les brevets actuels.

 

[90]           Comme le Riva-Ramipril travaillera de la même façon pour toutes les utilisations actuelles de l’Altace, c’est l’équivalent thérapeutique de l’Altace. Les médecins ne sont pas au courant en général des monographies des produits génériques et, de toute façon, prescrivent le Ramipril ou l’Altace selon les utilisations mentionnées dans les ouvrages médicaux. Ces faits sont généralement acceptés et correspondent à ce que les parties qualifient d’usage non conforme au mode d’emploi.

 

[91]           Il se pourrait que le marché le plus important pour les versions génériques des médicaments délivrés sur ordonnance se retrouve dans les formulaires provinciaux. Les provinces, qui prennent en charge en tout ou en partie les coûts des médicaments délivrés sur ordonnance à une grande partie de la population, tentent de maintenir les coûts peu élevés uniquement en versant une indemnité jusqu’à concurrence du coût le plus bas de l’équivalent, ce qui est invariablement la version générique.

 

[92]           Il n’a donc pas été étonnant que M. Akbarieh déclare, lors du contre-interrogatoire, que Riva demanderait l’autorisation de la province. Peut-être que le seul élément de surprise est qu’elle avait l’intention de se restreindre au marché québécois. Sous le régime du Règlement sur les conditions de reconnaissance d’un fabricant de médicaments et d’un grossiste en médicaments, adopté en application l’article 80 de la Loi sur l’assurance-médicaments, L.R.Q. ch. A-29.01, de même qu’en vertu de la Loi elle-même, le ministre dresse une liste des médicaments dont les coûts sont couverts par le régime de base. Cette liste mentionne les dénominations communes, les marques de commerce et les noms des fabricants pour chacun des médicaments approuvés, les conditions d’obtention auprès d’un fabricant reconnu ou d’un grossiste et la façon dont les prix sont établis.

 

[93]           Donc, bien que Riva doive faire la demande pour y être inscrite, c’est le ministre qui établit l’interchangeabilité. Je suis d’avis que l’argument de Sanofi-Aventis selon lequel Riva aurait dû déclarer dans son avis d’allégation qu’elle demanderait que l’interchangeabilité soit limitée à l’hypertension est fondement.

 

[94]           Les avis d’allégation étaient suffisamment détaillés et on ne peut guère soutenir que Sanofi-Aventis ait été prise par surprise. Il est bien possible, comme l’affirme Sanofi-Aventis, que les gouvernements provinciaux, les médecins, les pharmaciens et les patients contreferont les brevets. Si tel était le cas, la réparation consiste à les aviser et à intenter contre eux une action en contrefaçon, malgré le fait que cela pourrait s’avérer un plan d’affaires désastreux. Le redressement recherché n’est pas d’interdire au ministre d’autoriser le médicament générique sur le marché. De surcroît, comme la Cour d’appel du Manitoba l’a avancé et comme il est démontré dans les paragraphes qui suivent, une concession faite par un fabricant de médicaments génériques ne constitue pas une admission liant les médecins et les pharmaciens (Astrazeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2006 MBCA 21, [2006] M.J. 38 (QL), paragraphe 55).

 

[95]           Il n’existe aucune circonstance douteuse en l’espèce, contrairement à l’arrêt Procter & Gamble Pharmaceuticals Canada, Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2002), 20 C.P.R. (4th) 1 (C.A.F.). On ne peut plus soutenir que la simple présence d’un médicament générique sur le marché, conjuguée au fait que celui-ci puisse être utilisé à d’autres fins que celles pour lesquelles l’AC a été délivré, constitue de la contrefaçon de brevet. Dans Pharmascience Inc. c. Sanofi-Aventis Canada Inc., mentionnée au paragraphe 8 des présentes, cette question a été soulevée relativement à l’utilisation par Pharmascience des gélules de Ramipril qu’elle se proposait de commercialiser. Tout comme Riva, elle a uniquement demandé l’autorisation du ministre pour l’utilisation dans le traitement de l’hypertension artérielle. La juge Sharlow a indiqué que les exposés des faits contenus dans l’avis d’allégation sont présumés vrais en l’absence de preuve à l’effet contraire. Dans cette affaire, la preuve, tout comme celle en l’espèce, démontre que le fabricant de médicaments génériques n’avait l’intention de commercialiser les gélules de Ramipril que pour le traitement de l’hypertension artérielle.

 

[96]           La juge Sharlow, aux fins de l’appel dont elle était saisie, a tenu pour avéré, sans trancher, qu’un patient qui se voit administrer une gélule de Ramipril à des fins autres que celles destinées au traitement de l’hypertension artérielle contreferait le brevet. Elle a également présumé, sans trancher, qu’un médecin prescripteur ou un pharmacien habilité à délivrer des médicaments pourrait avoir incité à cette contrefaçon s’il a prescrit ou préparé ce médicament à une fin autre que celle visant le traitement de l’hypertension artérielle.

 

[97]           Le simple positionnement sur le marché par Riva de sa version du Ramipril destinée à être utilisée dans le traitement de l’hypertension artérielle ne peut, comme l’a écrit la juge Sharlow au paragraphe 35, « sans plus », équivaloir à de la contrefaçon. En ce qui a trait l’argument selon lequel il est inévitable que la contrefaçon sera commise par des tiers, se fondant sur l’arrêt Biolyse, précité, elle a décidé que le Règlement MB (AC) ne vise qu’à prévenir la contrefaçon par les fabricants de médicaments génériques ou l’incitation par ceux-ci à la contrefaçon, et la personne mentionnée au sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement, dans sa version alors en vigueur, qui dispose qu’« aucune revendication [...] ne serai[...]t contrefaite advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par [cette personne] de la drogue [...] », était le génériqueur.

 

[98]           S’il demeurait un doute, le Règlement a été modifié l’année dernière pour qu’il soit expressément prévu que l’avis d’allégation ne fasse état d’aucune contrefaçon commise par une « seconde personne », qui se limite dans le contexte à un fabricant de médicaments génériques. Les articles transitoires de DORS/2006-242 en date du 5 octobre 2006 prévoient que le nouveau paragraphe, le 5(1), s’applique à une « seconde personne » qui présente une demande avant l’entrée en vigueur des modifications.

 

[99]           Cependant, je suis convaincu que la « personne » mentionnée à l’ancien Règlement et la « seconde personne » du nouveau Règlement s’entendent toutes les deux de la « seconde personne », soit celle qui a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle comparant son médicament à celui pour lequel un AC a déjà été délivré.

 

[100]       Le seul fondement possible donnant à penser qu’il pourrait s’agir d’incitation à la contrefaçon est qu’on y fait allusion dans la monographie du produit et dans certains des articles qui y sont mentionnés, portant sur les contre-indications ou les interactions de médicament. Il ne s’agit pas de contrefaçon. Il semblerait que cette question doive être réexaminée quotidiennement. Le 27  avril, lorsque l’affaire a été prise en délibéré, la Cour d’appel a rendu son arrêt dans Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2007 CAF 167. Novopharm avait interjeté appel du rejet par la Cour fédérale d’une requête présentée pour faire rejeter la demande d’ordonnance d’interdiction de Sanofi-Aventis. La demande reposait sur l’alinéa 6(5)b) du Règlement MB (AC) qui autorise la Cour à rejeter une demande qui s’avère « inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou [qui] constitue autrement un abus de procédure ». Encore ici, le médicament en litige dans cette affaire était le Ramipril. Tout comme dans cette affaire, Novopharm n’avait présenté une demande d’AC que pour sa version du Ramipril destinée à être utilisé pour le traitement de l’hypertension artérielle. Les procédures d’interdiction reposaient sur l’allégation selon laquelle il y aurait contrefaçon des autres brevets d’utilisation de Sanofi-Aventis par un usage « hors indication » des ordonnances.

 

[101]       La juge Sharlow a dit au paragraphe 11 :

Il est possible cependant qu'un fabricant de médicaments génériques soit impliqué dans la contrefaçon par des tiers de revendications concernant une nouvelle utilisation d'un médicament, s'il les y a incités. On peut par exemple démontrer qu'il y a eu contrefaçon par incitation au moyen d'éléments de preuve se rapportant au dosage du médicament générique ou à son étiquetage ou sa mise en marché ou en établissant que la nouvelle utilisation s'infère raisonnablement de la monographie du médicament générique. Toutefois, il n'est généralement pas possible de conclure qu'il y a eu incitation à la contrefaçon à partir d'une simple mention de la nouvelle utilisation dans la monographie, par exemple, dans des explications relatives aux contre-indications ou à l'interaction médicamenteuse ou dans une bibliographie scientifique.

 

[102]       Le juge des requêtes avait rejeté la requête de Novopharm au motif que les éléments de preuve n’étaient pas encore complets et que Sanofi-Aventis ne devrait pas être privée de la possibilité de terminer ses contre-interrogatoires sur affidavits. Cependant, la juge Sharlow a indiqué que « rien dans la monographie expurgée ou dans les autres documents au dossier ne permet d'établir que Novopharm contrefera directement les brevets [...] ou qu'elle incitera des tiers à les contrefaire ».

 

[103]       L’appel a été accueilli pour les raisons suivantes :

Sanofi ne soutient pas que cette preuve existe, mais elle fait valoir que le contre-interrogatoire pourrait fournir des éléments de preuve. Selon moi, c'est un argument relevant de l'hypothèse et il aurait fallu le rejeter. Lorsqu'on écarte l'hypothétique possibilité d'un complément de preuve, on conclut obligatoirement à l'impossibilité d'accueillir la demande d'ordonnance d'interdiction du fait que l'allégation de non-contrefaçon de Novopharm est fondée.

 

[104]       La seule différence en l’espèce est que Riva n’a pas présenté de requête similaire et que les contre-interrogatoires étaient terminés. Rien dans les contre-interrogatoire ne laisse entendre que Riva contrefera le brevet.

 

EXPIRATION DU BREVET 457

[105]       Comme je l’ai mentionné dans mes motifs, même si le présent brevet était encore en vigueur lorsque Riva a produit son avis d’allégation, le brevet expirait en 2005 et conformément au paragraphe 7(1) du Règlement MB (AC), cela ne peut servir de fondement à une ordonnance d’interdiction contre le ministre. Néanmoins, Riva soutient que le brevet est encore pertinent parce que Sanoti-Aventis peut être tenue responsable en vertu de l’article 8 si elle a renoncé à sa demande, ou si celle-ci est retirée ou rejetée. La responsabilité serait fondée sur toute perte subie au cours de la période commençant à la date où le ministre atteste que l’avis de conformité aurait été délivré n’eût été le Règlement, et se terminant à la date du retrait, du désistement ou du rejet de la demande ou de l’annulation de l’ordonnance, selon le cas. Toutefois, la Cour peut conclure qu’une nouvelle date de départ est plus appropriée.

 

[106]       À mon avis, la question est devenue théorique et je refuse d’exercer mon pouvoir discrétionnaire pour l’entendre. L’article 8 prévoit une demande distincte à l’issue de laquelle la Cour peut rendre une ordonnance de réparation, selon les circonstances. Contrairement aux demandes, une action prévoit des mécanismes d’interrogatoire et d’interrogatoire préalable. Si ma décision n’a pas force obligatoire, elle est alors inutile. Si elle a force obligatoire en raison de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, il serait inapproprié d’engager les parties sur ce qui constitue une question accessoire dans la présente instance.

 

DÉPENS

[107]       Par conséquent, les deux demandes de Sanofi-Aventis seront rejetées. Schering s’est jointe à l’une d’elles, prêtant appui à Sanofi-Aventis, mais n’avait pas d’intérêt dans l’autre. La requête pour abus de procédure de Riva est accueillie. La question des dépens peut faire l’objet d’observations. Toutes les parties concernées ont convenu que cette question ne devrait être examinée qu’au moment où les motifs seront rendus. Dans l’espoir que les parties puissent en arriver à une entente, j’accorde à Riva une prorogation de délai de 30 jours pour présenter une requête. Puisque le ministre n’a pas participé, il ne peut ni tirer profit des dépens ni en assumer les désavantages.

 

PAR LA SUITE

[108]       Les présents motifs ont d’abord été fournis aux parties à titre confidentiel le 17 mai 2007 parce que plusieurs documents au dossier ont fait l’objet d’ordonnances de confidentialité. Par conséquent, il était justifié d’offrir la possibilité aux parties de présenter des observations sur la question de savoir si la version publique des présents motifs devait être étudiée en détail afin de préserver la confidentialité. Les parties ont avisé le greffe que rien ne justifie que l’un ou l’autre des renseignements mentionnés dans les motifs ne soit traité de façon confidentielle. Ainsi donc, les présents motifs sont les mêmes que ceux qui ont d’abord été rendus, sauf pour une correction dûe à un lapsus apportée au paragraphe [82]

 

 

« Sean Harrington »

 

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Dany Brouillette, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                    T-1384-04

 

INTITULÉ :                                   SANOFI-AVENTIS INC. et SANOFI-AVENTIS Deutschland GmbH c. LABORATOIRE RIVA INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ et SCHERING CORPORATION

 

ET LE DOSSIER :                        T-1888-04

 

INTITULÉ :                                   SANOFI-AVENTIS INC. et AVENTIS PHARMA DEUTSCHLAND GmbH c. LABORATOIRE RIVA INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :            Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :        Du 16 au 20 avril 2007

 

ET

 

LIEU DE L’AUDIENCE :            Ottawa et Toronto (Ontario) (par téléconférence)

 

DATE DE L’AUDIENCE :           Le 4 mai 2007

 

MOTIFS DE

L’ORDONNANCE :                     LE JUGE HARRINGTON

 

DATE :                                           Le 17 mai 2007

                                                        Modifiés le 28 mai 2007

 

COMPARUTIONS :

 

M. Gunars A. Gaikis

M. J. Sheldon Hamilton

M. A. David Morrow

 

POUR LES DEMANDERESSES

Aucune comparution

POUR LE DÉFENDEUR, LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

M. Arthur B. Renaud

 

POUR LA DÉFENDERESSE, LABORATOIRE RIVA INC.

 

M.Anthony G. Creber

POUR LA DÉFENDERESSE, SCHERING CORPORATION

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Smart & Biggar

Avocats

 

POUR LES DEMANDERESSES

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR, LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

Bennett Jones LLP

Avocats

 

POUR LA DÉFENDERESSE, LABORATOIRE RIVA INC.

 

Gowling Lafleur Henderson LLP

Avocats

POUR LA DÉFENDERESSE, SCHERING CORPORATION

 

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