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Date : 20070528

Dossier : IMM-2281-06

Référence : 2007 CF 558

Ottawa (Ontario), le 28 mai 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE de MONTIGNY

 

ENTRE :

 

RUPINDER KAUR DEHAR, BALKAR SINGH DEHAR, BALJIT KAUR DEHAR, GURINDER DEHAR

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit en l’espèce d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision en date du 22 février 2006 par laquelle l’agent d’immigration H.D. Murphy a supprimé le nom de Rupinder Kaur Dehar de la demande de résidence permanente de son père, Balkar Singh Dehar. L’agent en est arrivé à cette conclusion parce qu’il était d’avis que Mme Dehar ne répondait plus à la définition d’« enfant à charge » à l’article 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227.

 

LES FAITS

[2]               Gurinder Dehar a présenté une demande en vue de parrainer la demande de résidence permanente de ses parents au Canada. Le nom de la sœur de Gurinder, Rupinder Kaur Dehar, figurait aussi dans la demande de parrainage, même si elle était âgée de plus de 22 ans au moment où la demande a été déposée. La demande de résidence permanente a été déposée le 29 novembre 2005. Rupinder Kaur Dehar était considérée comme une enfant à charge parce qu’elle était une étudiante à temps plein qui dépendait du soutien financier de ses parents. Au moment où la demande a été examinée, elle fréquentait l’Institute of Management and Information Technology (ICAI), un établissement affilié à la Sikkim Manipal University.

 

[3]               Le 27 mars 2005, Rupinder a épousé Gurjot Singh Randhawa, un résident permanent du Canada. Bien que la décision ne dépende pas des faits entourant ce mariage, celui-ci revêt une certaine importance. Le mariage a fait suite à un avis matrimonial publié dans un journal. Estimant qu’ils avaient trouvé un bon parti pour leur fille, les parents de Rupinder ont répondu à l’avis en question. Au moment où le mariage a été réglé, aucune dot n’a été demandée et il a été convenu que M. Randhawa parrainerait Rupinder pour qu’elle puisse obtenir la résidence permanente au Canada.

 

[4]               Malheureusement, les choses n’ont pas tourné comme prévu. M. Randhawa est allé en Inde pour un court séjour pour la célébration du mariage. Mais le lendemain, la famille du marié a commencé à se plaindre de l’importance de la dot fournie par la famille de Rupinder. Les plaintes et les demandes sont devenues de plus en plus vives. M. Randhawa et sa famille ont déclaré que si la famille de Rupinder ne leur offrait pas une somme d’argent appréciable, M. Randhawa ne la parrainerait pas pour lui permettre de le rejoindre au Canada. On a également dit à Rupinder que sa famille ne pouvait plus la parrainer et qu’elle n’avait d’autre choix que de verser la dot. Le harcèlement s’est intensifié au point où Rupinder a conclu qu’elle voulait rompre avec son nouveau mari. Au 30 mai 2005, toute réconciliation était devenue impossible. Rupinder a d’ailleurs déposé une plainte auprès de la police indienne le 8 juin 2005 et elle a présenté une demande de divorce le 9 juillet 2005.

 

[5]               Après la rupture du mariage, la famille Dehar s’est demandée si Rupinder pouvait encore être parrainée. Son frère a téléphoné plusieurs fois à Citoyenneté et Immigration Canada pour expliquer la situation de Rupinder, et on l’aurait apparemment rassuré en lui disant que sa soeur pouvait encore être incluse dans la demande mais que la décision finale revenait au bureau des visas.

 

[6]               Le 21 février 2006, un agent des visas de New Delhi a décidé de supprimer le nom de Rupinder de la demande. Cette décision a été communiquée aux demandeurs par voie d’une lettre datée du 22 février 2006 qui a été reçue par Balkar le 27 février 2006.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[7]               La lettre de décision précise que Rupinder ne répond pas à la définition de personne à charge pour deux raisons. Voici l’extrait pertinent de cette lettre :

[traduction] Suivant les renseignements fournis dans votre demande, Rupinder Kaur Dehar a atteint l’âge de 22 ans le 5 juillet 2001. Elle ne répond pas à la définition de personne à charge pour les raisons suivantes :

 

a) Elle s’est mariée après avoir atteint l’âge de 22 ans. En conséquence, elle n’est visée par aucun des alinéas (a), b) ou c)) dont il a déjà été question dans la présente lettre [c.‑à‑d. les sous-alinéas b)(i), (ii) ou (iii) de la définition d’« enfant à charge » du Règlement].

 

b) Depuis 2003, elle est inscrite à un programme d’apprentissage à distance, ce qui indique qu’elle ne suit pas activement à temps plein des cours de formation générale.

 

En conséquence, on ne peut dire que, depuis qu’elle a atteint l’âge de 22 ans, Rupinder Kaur Dehar n’a pas cessé d’être inscrite à un établissement d’enseignement postsecondaire accrédité par les autorités gouvernementales compétentes et de fréquenter celui‑ci, et d’y suivre activement à temps plein des cours de formation générale, théorique ou professionnelle.

 

 

[8]               Voici les extraits pertinents des notes versées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI) :

[traduction]

 

RUPINDER KAUR DEHAR (née le 05 JUL 79) – ÂGÉE DE PLUS DE 22 ANS À LA DATE DE RÉFÉRENCE.

 

[…]

 

ÉVALUATION DE SON STATUT D’ENFANT À CHARGE :

-           S’EST MARIÉE LE 27 MARS 2005, C.‑À‑D. APRÈS AVOIR ATTEINT L’ÂGE DE 22 ANS

-           RUPINDER KAUR A ATTEINT L’ÂGE DE 22 ANS LE 05 JUILLET 2001.

2001‑2003 M.Sc. (MICROBIOLOGIE), PUNJAB UNIVERSITY. 2003-2005 INSCRITE À LA M.Sc. MSC (TECHNOLOGIE DE L’INFORMATION) – SUIVANT LES RÉSULTATS PROVISOIRES DU QUATRIÈME SEMESTRE, ELLE RELÈVE DU « SECTEUR DE L’APPRENTISSAGE À DISTANCE ». ELLE NE SEMBLE PAS RÉPONDRE À LA DÉFINITION DE PERSONNE À CHARGE.

 

 

[9]               Dans l’affidavit qu’il a souscrit le 24 janvier 2007 à l’appui de la demande de contrôle judiciaire, l’agent qui a signé la lettre de décision communiquée aux demandeurs le 22 février 2006 a dit que [traduction] « lorsque le mariage a lieu, comme en l’espèce, après que l’intéressé a atteint l’âge de 22 ans, il résulte de ce seul fait que cette personne ne répond plus à la définition d’“enfant à charge” ».

 

[10]           Pour ce qui est de sa conclusion selon laquelle Rupinder ne satisfaisait pas aux exigences relatives aux études, l’agent a dit qu’il ne disposait d’aucun élément de preuve tendant à démontrer que Rupinder n’avait pas cessé d’être inscrite à un établissement d’enseignement postsecondaire accrédité par les autorités gouvernementales compétentes et de fréquenter celui‑ci à temps plein. Plus particulièrement, il a déclaré ce qui suit :

[traduction]

 

7. Comme je l’ai expliqué dans ma lettre de refus, je ne disposais d’aucun élément de preuve permettant de penser que Rupinder Kaur Dehar n’a pas cessé d’être inscrite à un établissement d’enseignement postsecondaire accrédité par les autorités gouvernementales compétentes et de fréquenter celui-ci depuis qu’elle a atteint l’âge de 22 ans. La requérante n’a pas présenté d’éléments de preuve tendant à démontrer que le centre d’études ICAI est accrédité conformément à la loi. Je souligne que, bien que la Sikkim Manipal University soit un établissement reconnu, il n’y a rien dans la lettre versée au dossier du tribunal qui permette de penser que l’ICAI est reconnu par le gouvernement d’un État, par le gouvernement central ou par l’University Grants Commission. La lettre ne précise pas qu’il s’agit d’un établissement d’enseignement affilié à une université reconnue qui dispense des cours de formation théorique ou professionnelle. C’est l’université qui est accréditée, pas l’ICAI. La lettre indique que l’ICAI est un centre autorisé par l’université.

 

8. En raison de l’absence de preuve que l’ICAI est accrédité et compte tenu du fait qu’il est mentionné dans le relevé de notes de la requérante qu’elle était inscrite à un programme d’apprentissage à distance, la preuve soumise n’était tout simplement pas suffisante pour conclure que la requérante satisfaisait aux exigences qui sont prévues par la loi en matière d’études, en l’occurrence l’obligation de fréquenter à temps plein un établissement d’enseignement postsecondaire accrédité par les autorités gouvernementales compétentes.

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[11]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève deux questions :

1.      Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.      L’agent a-t-il commis une erreur en déterminant que Rupinder n’était pas un enfant à charge au sens de la définition prévue à l’article 2 du Règlement. Plus particulièrement,

 

                                                               i.      L’agent a-t-il commis une erreur en interprétant la définition d’enfant à charge de manière à exclure une personne qui s’est mariée après avoir atteint l’âge de 22 ans?

                                                             ii.      L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que Rupinder ne suivait pas activement à temps plein des cours de formation générale?

 

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

 

[12]           Les dispositions pertinentes du Règlement sont les suivantes :

« enfant à charge » L’enfant qui : 

a) d’une part, par rapport à l’un ou l’autre de ses parents :

(i) soit en est l’enfant biologique et n’a pas été adopté par une personne autre que son époux ou conjoint de fait,

(ii) soit en est l’enfant adoptif;

b) d’autre part, remplit l’une des conditions suivantes :

(i) il est âgé de moins de vingt-deux ans et n’est pas un époux ou conjoint de fait,

(ii) il est un étudiant âgé qui n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l’âge de vingt-deux ans ou est devenu, avant cet âge, un époux ou conjoint de fait et qui, à la fois :

(A) n’a pas cessé d’être inscrit à un établissement d’enseignement postsecondaire accrédité par les autorités gouvernementales compétentes et de fréquenter celui-ci,

(B) y suit activement à temps plein des cours de formation générale, théorique ou professionnelle,

(iii) il est âgé de vingt‑deux ans ou plus, n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l’âge de vingt-deux ans et ne peut subvenir à ses besoins du fait de son état physique ou mental.

 

"dependent child" , in respect of a parent, means a child who: 

(a) has one of the following relationships with the parent, namely,

(i) is the biological child of the parent, if the child has not been adopted by a person other than the spouse or common-law partner of the parent, or

(ii) is the adopted child of the parent; and

(b) is in one of the following situations of dependency, namely,

(i) is less than 22 years of age and not a spouse or common-law partner,

(ii) has depended substantially on the financial support of the parent since before the age of 22 — or if the child became a spouse or common-law partner before the age of 22, since becoming a spouse or common-law partner — and, since before the age of 22 or since becoming a spouse or common-law partner, as the case may be, has been a student

(A) continuously enrolled in and attending a post-secondary institution that is accredited by the relevant government authority, and

(B) actively pursuing a course of academic, professional or vocational training on a full-time basis, or

(iii) is 22 years of age or older and has depended substantially on the financial support of the parent since before the age of 22 and is unable to be financially self-supporting due to a physical or mental condition.

 

ANALYSE

 

[13]           La décision de l’agent de supprimer le nom de Rupinder de la demande reposait sur deux conclusions distinctes. La première était que Rupinder ne répondait pas à la définition d’« enfant à charge » parce qu’elle s’était mariée après avoir atteint l’âge de 22 ans. Pour tirer cette conclusion, l’agent a dû interpréter la définition de l’expression « enfant à charge » que l’on trouve dans le Règlement. Il s’agit carrément d’une question de droit à laquelle s’applique la norme de la décision correcte, comme l’ont reconnu les parties.

 

[14]           Pour déterminer la norme de contrôle appropriée en ce qui concerne la question de savoir si Rupinder n’avait pas cessé d’être inscrite à un établissement d’enseignement postsecondaire et de le fréquenter, il convient d’effectuer une analyse pragmatique et fonctionnelle.

 

[15]           Le premier facteur consiste à se demander si la loi contient une clause privative ou prévoit un droit d’appel. Comme la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ne comporte ni l’une ni l’autre, ce facteur est neutre.

 

[16]           Pour répondre à la question de savoir si Rupinder « fréquentait » un établissement d’enseignement postsecondaire accrédité par les autorités gouvernementales compétentes, il est nécessaire d’interpréter la définition de l’expression « enfant à charge » et de tirer des conclusions de fait. Bien qu’il soit incontestablement mieux placé que la Cour pour décider si un établissement d’enseignement déterminé est effectivement un établissement d’enseignement postsecondaire accrédité, pour se prononcer sur le déroulement des cours, les programmes d’études offerts et les diplômes décernés et pour déterminer si l’intéressé est un étudiant à temps plein, l’agent des visas n’a pas une plus grande expertise que la Cour pour interpréter le sens du mot « fréquenter » en vue de décider si la présence physique d’un professeur dans une salle de classe est exigée ou si l’on peut conclure que l’étudiant fréquente l’établissement en question si le cours est dispensé à distance. Bref, les questions dont l’agent des visas doit tenir compte sont des questions mixtes de droit et de fait. L’expertise relative de l’agent des visas par rapport à celle de la Cour dépendra donc de la nature exacte des conclusions qu’il tire. Comme l’a reconnu la Cour suprême dans l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, au paragraphe 33, « [l]e critère de l'expertise et la nature du problème sont étroitement liés ». La décision de l’agent commande par conséquent un degré plus élevé de retenue judiciaire si elle dépend essentiellement des faits, alors qu’elle donnera lieu à moins de retenue si elle se rapproche davantage d’une décision sur une question de droit.

 

[17]           Enfin, l’objet de la disposition où se trouve la définition de l’« enfant à charge » est de clarifier qui entre dans la catégorie « regroupement familial » et, en particulier, à quelles conditions un enfant sera considéré comme un « enfant à charge » au sens de la Loi. Suivant le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, le but des dispositions réglementaires concernant la catégorie du regroupement familial est de veiller à ce que :

i.     le processus et les critères qui régissent la sélection des personnes de la catégorie du regroupement familial soient clairs et transparents; ce principe s'applique aux exigences et obligations imposées au répondant;

ii.     les réalités sociales contemporaines soient prises en compte dans la définition des membres de la catégorie du regroupement familial;

iii.    la législation soit conforme aux autres principes ou mesures législatives que le Canada s'est engagé à respecter.

 

 

[18]           Ce n’est manifestement pas le cas lorsque l’objet de la loi est de conférer des droits aux parties. Comme l’a souligné la Cour suprême l’a souligné dans les arrêts Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, à la page 733, et Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 539, au paragraphe 46, « [l]e principe le plus fondamental du droit de l’immigration veut que les non‑citoyens n’aient pas un droit absolu d’entrer ou de demeurer au Canada ». Cela dit, le législateur fédéral a reconnu que la sélection des résidents permanents se fait notamment en fonction du regroupement familial (LIPR, paragraphe 12(1)), et que les citoyens canadiens se voient reconnaître le droit de parrainer un étranger qui appartient à la catégorie « regroupement familial ». Bien que la décision de l’agent appelé à traiter une demande de résidence permanente ne puisse être assimilée à une décision judiciaire axée sur l’affrontement de deux parties, elle ne constitue pas non plus un exercice consistant à réaliser un équilibre délicat entre divers intérêts. Par conséquent, ce facteur semble indiquer qu’il convient de faire preuve d’un degré modéré de retenue.

 

[19]           Somme toute, je suis d’avis qu’il ressort de l’analyse pragmatique et fonctionnelle que la norme de contrôle appropriée en l’espèce est celle de la décision raisonnable : voir aussi les décisions Shah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1131; Mazumder c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 444. Par conséquent, la décision de l’agent ne doit être modifiée que si elle n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé : Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 56.

 

[20]           Pour ce qui est de la question de la définition d’« enfant à charge », les demandeurs soutiennent qu’il n’y a rien en droit qui justifie de considérer qu’une personne ne répond pas à cette définition parce qu’elle s’est mariée après avoir atteint l’âge de 22 ans. Les demandeurs affirment que la définition est muette sur ce qui arrive lorsqu’une personne qui est par ailleurs un enfant à charge et qui est âgée de plus de 22 ans se marie. Ils ajoutent que la seule condition à laquelle Rupinder était tenue de satisfaire était d’être inscrite dans un établissement d’enseignement et d’y suivre activement des cours à temps plein.

 

[21]           Malheureusement pour les demandeurs, je ne crois pas que cette interprétation soit compatible avec le libellé de la définition. Contrairement à ce que les demandeurs prétendent, j’estime que le fait de devenir un époux ou un conjoint de fait après avoir atteint l’âge de 22 ans rend une personne inadmissible. Le fait que Rupinder se soit séparée de son époux peu de temps après n’est pas pertinent pour la décision.

 

[22]           La loi énonce de façon très précise les facteurs auxquels il faut répondre pour pouvoir être considéré comme un enfant à charge. Ainsi, le requérant doit être âgé de moins de 22 ans et ne pas être un époux ou un conjoint de fait ou, s’il est un étudiant qui n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l’âge de 22 ans ou est devenu, avant cet âge, un époux ou conjoint de fait, il doit être inscrit dans un établissement d’enseignement et y suivre activement des cours à temps plein. Il n’y a tout simplement aucune catégorie pour les personnes à charge qui sont étudiants et sont devenues un époux ou un conjoint de fait après avoir atteint l’âge de 22 ans. Comme on a bien pris soin de définir l’« enfant à charge » pour l’application du Règlement − et, par voie de conséquence, pour la définition du « membre de la famille » au sens de la Loi (voir le paragraphe 1(3) du Règlement) ‑, on doit en conclure que ce n’est pas par hasard que le Règlement est muet au sujet des personnes qui se sont mariées après avoir atteint l’âge de 22 ans.

 

[23]           Si, comme le prétendent les demandeurs, la seule condition que devait remplir la personne qui s’est mariée après avoir atteint l’âge de 22 ans était de dépendre du soutien financier de ses parents à compter du moment où elle a atteint l’âge de 22 ans et d’avoir été inscrite à temps plein dans un établissement accrédité, on viderait ainsi de leur sens les restrictions imposées quant à l’état matrimonial, et le fait qu’une personne s’est mariée avant l’âge de 22 ans ne serait pas pertinent. Pourtant, la loi précise bien que l’enfant qui devient un époux ou un conjoint de fait avant d’avoir atteint l’âge de 22 ans peut être admissible dans cette catégorie s’il est demeuré un enfant à charge. Si, comme les demandeurs le prétendent, les seules caractéristiques déterminantes prévues au sous‑alinéa 2b)(i) sont la dépendance financière et la poursuite des études, le gouverneur en conseil n’aurait pas mentionné expressément la catégorie particulière des personnes mariées qui peuvent être admissibles, en l’occurrence celles qui se sont mariées avant d’atteindre l’âge de 22 ans.

 

[24]           D’ailleurs, la dernière partie du sous-alinéa 2b)(ii) appuie cette interprétation. Les mots « à compter du moment où il a atteint l’âge de vingt‑deux ans ou est devenu, avant cet âge, un époux ou conjoint de fait » vise de toute évidence les deux scénarios envisagés dans ce paragraphe. Ou bien l’enfant n’est pas marié, auquel cas il doit ne pas avoir cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l’âge de 22 ans (c’est le premier scénario), ou bien l’enfant est marié, auquel cas il doit s’être marié avant d’avoir atteint l’âge de 22 ans et ne pas avoir cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents depuis son mariage (c’est le second scénario, qui se trouve entre tirets dans la version anglaise). Il n’y a aucune autre option.

 

[25]           Cette interprétation s’accorde avec la version française du sous-alinéa 2b)(ii). Cette version précise de façon encore plus claire que l’enfant âgé de plus de 22 ans sera considéré comme un enfant à charge s’il n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l’âge de 22 ans ou, s’il s’est marié avant d’atteindre l’âge de 22 ans, depuis son mariage :

 

… à compter du moment où il a atteint l’âge de vingt-deux ans ou est devenu, avant cet âge, un époux ou conjoint de fait […]

 

[non souligné dans l’original]

 

[26]           Elle s’accorde également avec la définition d’« enfant à charge » lorsqu’on l’interprète globalement. Le sous‑alinéa 2b)(i) définit en effet l’« enfant à charge » comme celui qui est âgé de moins de 22 ans et qui n’est pas un époux ou conjoint de fait. Cette disposition indique clairement que l’état matrimonial fait qu’une personne ne peut être considérée comme un « enfant à charge », sauf dans le cas bien précis prévu au sous-alinéa 2b)(ii).

 

[27]           C’est donc à bon droit que l’agent a décidé que Rupinder ne répondait pas aux critères de la définition d’« enfant à charge » énumérés au sous-alinéa 2b)(ii) parce qu’elle s’était mariée après avoir atteint l’âge de 22 ans. Cela serait suffisant pour justifier le rejet de la demande de contrôle judiciaire. Je vais néanmoins dire quelques mots au sujet du second moyen invoqué par les demandeurs, ne serait‑ce qu’afin de déterminer s’il y a lieu de certifier une question relativement à ma conclusion sur la première question en litige.

 

[28]           Comme on s’en souviendra, les notes versés dans le STIDI précisaient que [traduction] « suivant les résultats provisoires du quatrième semestre, elle relève du “secteur de l’apprentissage à distance”». Les demandeurs soutiennent que les motifs de l’agent n’expliquent pas de façon suffisante pourquoi le fait de fréquenter le secteur de l’apprentissage à distance d’un établissement d’enseignement postsecondaire contrevient à la définition d’« enfant à charge ».

 

[29]           En ce qui concerne la lettre, il semble que, ce que craignait le défendeur, c’était que Rupinder n’ait pas fréquenté un établissement d’enseignement postsecondaire en ce sens que, pour qu’on puisse considérer qu’une personne « fréquente » un établissement d’enseignement postsecondaire, il faut qu’elle ait été physiquement présente dans les locaux d’enseignement. La réponse des demandeurs à cette préoccupation comporte deux volets. Premièrement, les demandeurs affirment qu’il existe une preuve abondante que Rupinder a effectivement suivi des cours sur le campus. Deuxièmement, ils affirment que le mot « fréquenter » ne doit pas être interprété restrictivement au point d’exclure les cas où des étudiants sont inscrits à des cours dispensés à distance par vidéoconférence.

 

[30]           Il incombe manifestement aux demandeurs de démontrer que Rupinder répond à la définition d’« enfant à charge » et qu’elle « fréquentait » un établissement d’enseignement postsecondaire à temps plein. À cette fin, ils ont produit des reçus de paiement de frais de scolarité, des relevés de notes et une lettre de l’ICAI pour démontrer qu’elle était inscrite à temps plein et fréquentait un établissement d’enseignement postsecondaire à temps plein. Il ressort par ailleurs du dossier que Rupinder et ses parents habitent dans la même municipalité que celle où se trouve l’établissement qu’elle affirme avoir fréquenté. Rien ne permet de penser qu’elle s’est adonnée à des activités incompatibles avec des études à temps plein, comme un travail à temps plein. Enfin, les renseignements extraits du site Web de l’ICAI montrent que le campus de Mohali que Rupinder affirme fréquenter se trouve sur un terrain d’une superficie de 36 000 pieds carrés situé en plein cœur de la ville, et qu’il s’agit du principal établissement de la région. Il y a même des photographies d’étudiants dans des classes. Bref, la preuve tend à première vue à démontrer que Rupinder n’a pas cessé d’être inscrite à un établissement d’enseignement postsecondaire et de fréquenter celui‑ci.

 

[31]           Les notes versées dans le STIDI et la lettre de décision ne mentionnent aucun de ces documents et ne fournissent pas d’explication à la conclusion de l’agent selon laquelle le fait d’être inscrit à un programme d’enseignement à distance n’équivaut pas à « fréquenter un établissement d’enseignement postsecondaire » au sens de la définition d’« enfant à charge ». Pour ces motifs, la décision de l’agent suivant laquelle Rupinder ne suivait pas des cours à temps plein est déraisonnable.

 

[32]           Le défendeur fait valoir que l’agent a conclu que Rupinder ne répondait pas aux critères en partie parce que les programmes d’apprentissage à distance offerts par l’ICAI par l’intermédiaire de la Sikkim Manipal University ne sont pas accrédités. Il dépose en preuve l’affidavit de l’agent et celui de l’agent Garth, ce à quoi les demandeurs répliquent que le témoignage de ces deux agents au sujet de la question de savoir si les programmes offerts par l’ICAI sont accrédités n’est pas pertinent parce qu’il n’y a rien dans les notes du STIDI ou dans la lettre de décision qui indique que l’agent a tenu compte de ce facteur pour rendre sa décision.

 

[33]           J’abonde dans le sens des demandeurs. Il n’y a absolument rien dans les notes du STIDI ou dans la lettre de décision qui indique que l’agent a conclu que l’ICAI n’était pas un établissement accrédité. Les deux documents indiquent que l’agent a estimé que le fait d’être inscrit à un programme d’apprentissage à distance ne répondait pas à la définition de « suivre activement à temps plein des cours de formation générale ». L’explication fournie dans l’affidavit de l’agent constitue un raisonnement entièrement nouveau qui ne correspond pas à ce qu’on trouve dans les notes versées dans le STIDI et, dans les circonstances, la Cour ne doit pas accorder beaucoup de poids à l’affidavit de l’agent. Comme la Cour l’a expliqué dans la décision Yue c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) :

Je conviens qu’un affidavit de ce genre, préparé après l’événement, qui complète les motifs donnés par l’agent dans sa lettre et le compte rendu des entrevues sur lesquelles celle‑ci était fondée, ne devrait pas être déposé. Un tel affidavit décrivant la nature de l’audience peut être pertinent et admissible seulement s’il est nécessaire pour décrire la procédure ou un aspect du processus décisionnel qui est contesté, mais non s’il a pour but de donner des précisions sur la preuve dont l’agent disposait ou sur sa décision.

 

 

[34]           Par conséquent, j’estime que l’agent a commis une erreur en concluant que Rupinder ne répondait pas à la définition d’« enfant à charge » parce qu’elle ne fréquentait pas à temps plein un établissement d’enseignement postsecondaire accrédité. Cette conclusion était déraisonnable compte tenu de l’ensemble de la preuve dont disposait l’agent.

 

[35]           Toutefois, comme Rupinder devait satisfaire à toutes les conditions énumérées dans la définition d’« enfant à charge », la demande de contrôle judiciaire doit néanmoins être rejetée.

 

[36]           À la fin de l’audience, l’avocat des demandeurs a soumis la question suivante à certifier :

Le mariage a-t-il une incidence sur le statut d’enfant à charge d’une étudiante qui avait plus de 22 ans lorsque la demande a été déposée et plus de 22 ans lorsque le mariage a eu lieu?

 

 

[37]           Il est de jurisprudence constante que, pour être certifiée, une question doit : 1) transcender les intérêts des parties au litige; 2) aborder des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale; 3) être déterminante quant à l'issue de l'appel (M.C.I. c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.F.); Zazai c. M.C.I., 2004 CAF 89). Vu ma conclusion quant à la seconde question soulevée par les demandeurs, il n’y a aucun doute que la question proposée serait déterminante quant à l’issue de l’appel.

 

[38]           L’avocat du défendeur affirme qu’il n’est pas nécessaire que la Cour d’appel examine la question proposée étant donné que la situation des demandeurs est fort inusitée et qu’il serait rare qu’un enfant qui se marie après avoir atteint l’âge de 22 ans demeure un étudiant qui continue à dépendre du soutien financier de ses parents. Je ne puis qu’être en désaccord avec cette affirmation, car elle contredit les réalités économiques du monde actuel. Le fait qu’une telle question n’ait pas été soulevée avant ne démontre pas qu’elle est théorique. Bien au contraire, c’est clairement une question qui transcende les intérêts immédiats des parties et qui pourrait avoir des conséquences importantes pour les éventuels demandeurs de résidence permanente à l’avenir. Pour ces motifs, je suis d’accord pour certifier la question proposée par les demandeurs.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  La question suivante est certifiée :

Le mariage a-t-il une incidence sur le statut d’enfant à charge d’une étudiante qui avait plus de 22 ans lorsque la demande a été déposée et plus de 22 ans lorsque le mariage a eu lieu?

 

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                             IMM-2281-06

 

INTITULÉ :                                                           RUPINDER KAUR DEHAR et al.

                                                                                c.

                                                                                MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                   LE 22 MAI 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                           LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                                          LE 28 MAI 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gregory James                                                          POUR LE DEMANDEUR

 

David Cranton                                                          POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gregory James

Toronto (Ontario)                                                     POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                           POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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