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Date : 20070504

 

                                                                                                                             Dossier : T-715-03

 

Référence : 2007 CF 493

 

 

Ottawa (Ontario), le vendredi 4 mai 2007

 

 

EN PRÉSENCE DE :            MADAME MIREILLE TABIB, PROTONOTAIRE

 

 

ENTRE :

 

CHRISTOPHER K.J. POLCHIES,

CALISTA POLCHIES

et CRYSTAL POLCHIES

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

et

 

CYNTHIA POLCHIES,

EMMANUEL POLCHIES

et la BANDE INDIENNE D’OROMOCTO

 

tierces parties

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA PROTONOTAIRE TABIB

 

[1]               À la fin du printemps et à l’été 1983, la bande indienne d’Oromocto a réglé un différend avec la Couronne fédérale et décidé de distribuer la grande partie du produit du règlement à tous les membres de la bande selon une distribution per capita. Christopher, Calesta et Crystal Polchies étaient des mineurs à l’époque. La bande a versé leur part de la distribution à leur mère, Cynthia Polchies, qui a déposé les fonds dans le compte de banque conjoint qu’elle avait avec son mari.

 

[2]               On ne sait pas clairement si les fonds ont été dépensés et, le cas échéant, les sommes dépensées et les fins pour lesquelles elles l’ont été. Quoi qu’il en soit, les enfants Polchies prétendent ne jamais avoir reçu de leurs parents leur part de la distribution. Ils intentent donc la présente action, faisant valoir que la Couronne est responsable à leur endroit du paiement de ces sommes, des intérêts afférents et des dommages-intérêts punitifs, sur le fondement de l’abus de confiance, du manquement à l’obligation fiduciaire, du manquement à une obligation imposée par la loi et du manquement à l’obligation ou aux principes de « l’honneur de la Couronne ».

 

[3]               La Couronne dénie toute responsabilité à l’égard des demandeurs et dans l’hypothèse où elle serait tenue responsable, cherche à obtenir une contribution et une indemnité de la part de Cynthia et d’Emmanuel Polchies, parents des demandeurs, et de la bande, qui avaient, prétend la Couronne, la première responsabilité envers les demandeurs de veiller à ce que les fonds appartenant aux enfants soient payés ou gardés en fiducie.

 

Les faits

[4]               Les circonstances qui ont donné lieu à la présente action sont exposées ci-dessous. Les faits décrits figurent essentiellement dans l’exposé conjoint des faits établi par les parties, mais j’ai ajouté des précisions et des explications qui se trouvaient dans les documents admis lors de l’instruction.

 

[5]               Les demandeurs sont frère et soeurs. Christopher Polchies est né le 30 mai 1974, Crystal Polchies est née le 18 avril 1977 et Calesta Polchies est née le 14 mars 1983. Les tierces parties défenderesses, Cynthia et Emmanuel Polchies, sont les parents des demandeurs et ont été leurs tuteurs légaux jusqu’à l’âge de la majorité, fixé dans la législation du Nouveau-Brunswick à 19 ans. Les demandeurs et leurs parents sont des « Indiens » selon la définition de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5.

 

[6]               La tierce partie défenderesse, la bande indienne d’Oromocto (la bande), est une bande selon la définition de la Loi sur les Indiens.

 

[7]               Les demandeurs et leurs parents sont des membres de la bande et habitent dans la réserve. Christopher Polchies a vécu avec ses parents au 25, rue Woolamooktook, jusqu’à sa majorité. Calesta et Crystal Polchies ont quitté la maison quand elles ont atteint 18 ans et avaient toujours vécu avec leurs parents à la même adresse.

 

[8]               En 1952-1953, le gouvernement du Canada (la Couronne) a établi ce qu’on appelle aujourd’hui la base des Forces canadiennes de Gagetown. À cette fin, la Couronne a acquis, principalement par expropriation, une vaste zone de terrain au Nouveau-Brunswick. Une partie de la réserve de la bande se trouvait dans cette zone et, le 15 mai 1953, la bande a fait la cession de la zone visée. La bande a plus tard allégué que des irrégularités avaient entaché la cession de 1953 et revendiqué une indemnisation de la Couronne. Au cours de la période 1982-1983, la bande et la Couronne ont commencé des négociations en vue de régler ce différend.

 

[9]               À l’époque, le conseil de bande comptait dans ses rangs Emmanuel Polchies, chef et principal négociateur de la bande.

 

[10]           En mars 1983, une réunion a eu lieu entre des représentants de la Couronne et de la bande, en présence de leurs conseillers juridiques respectifs, au cours de laquelle est intervenue une entente de règlement de la revendication de la bande. L’entente prévoyait que la bande recevrait 2 550 000 $ à titre d’indemnisation relative à la cession de 1953. Elle prévoyait que ces fonds seraient affectés comme suit : 1 000 000 $ au compte en capital de la bande, 1 507 000 $ au compte de revenu de la bande, ces deux comptes étant détenus par la Couronne dans le fonds du revenu consolidé, et 43 000 $ à la Couronne à titre de remboursement d’un prêt consenti au cours des négociations.

 

[11]           Le 24 mars 1983, le conseil de bande a adopté la résolution du conseil de bande (RCB) 424, qui demandait au ministre des Affaires indiennes (le ministre) de tenir un référendum, le 25 mai 1983, pour établir si la majorité des électeurs de la bande approuvaient l’entente. L’entente a été approuvée avec une très forte majorité au référendum.

 

[12]           Le 5 avril 1983, dans la perspective du référendum à venir, la bande a tenu une réunion pour décider de l’utilisation des fonds du règlement. À l’issue de la réunion, tous les membres de la bande présents se sont montrés en faveur de la distribution des fonds du règlement entre tous les membres de la bande.

 

[13]           En vertu du paragraphe 64(1) de la Loi sur les Indiens, les sommes d’argent détenues par la Couronne pour les bandes à titre de sommes d’argent au compte en « capital » ne peuvent être dépensées qu’avec le consentement de la bande et l’autorisation du ministre, et la distribution de ces fonds aux membres de la bande n’est autorisée qu’à concurrence d’un montant maximal de cinquante pour cent. Les sommes d’argent au compte de « revenu » ne sont pas assujetties à ces restrictions. En outre, par un arrêté en conseil daté du 14 mai 1974, la bande a obtenu le contrôle des sommes d’argent du compte de revenu, de sorte que le transfert de ces fonds à la bande en vue de leur distribution n’a plus été soumis à l’approbation discrétionnaire du ministre.

 

[14]           Pour donner effet au souhait des membres de la bande d’effectuer une distribution per capita de tous les fonds du règlement disponibles à cette fin, le conseil de bande a adopté la RCB 433 le 13 juillet 1983. La résolution demandait au ministère des Affaires indiennes de transférer du compte de revenu de la bande à un compte bancaire spécialement créé par la bande à cette fin (le compte de la revendication territoriale) la somme de 1 507 000 $, et du compte en capital de la bande au compte de la revendication territoriale la somme de 500 000 $ (représentant cinquante pour cent des 1 000 000 $ désignés comme les sommes d’argent du compte en capital).

 

[15]           Peu de temps auparavant, les membres d’une autre bande avaient intenté une action devant la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick pour faire valoir leurs droits sur une partie du règlement accordé à la bande d’Oromocto et, le 4 juillet 1983, la Cour avait ordonné à la Couronne de retenir quinze pour cent des fonds du règlement jusqu’à l’issue de cette action.

 

[16]           Pour donner effet à la fois à la RCB 433 et à l’ordonnance de la Cour en date du 4 juillet 1983, la Couronne a transféré au compte de la revendication territoriale de la bande la somme de 450 000 $ provenant du compte en capital et la somme de 1 274 500 $ provenant du compte de revenu, soit les montants demandés par la bande, déduction faite de la retenue prescrite par la Cour. La bande avait donc une somme totale de 1 699 500 $ dans le compte de la revendication territoriale pouvant faire l’objet d’une distribution.

 

[17]           Le 22 juillet 1983 ou vers cette date, la bande a émis sur ce compte des chèques correspondant à une distribution per capita de 10 056,21 $ aux 169 membres de la bande, personnes mineures incluses. Proportionnellement, la distribution provenait à raison de 2 514,79 $ des fonds du compte en capital et à raison de 7 541,42 $ des fonds du compte de revenu.

 

[18]           Les parts de la distribution attribuées à Cynthia, Emmanuel, Christopher, Calesta et Crystal Polchies ont été payées par un seul chèque au montant de 50 281,05 $ à l’ordre de Cynthia Polchies.

 

[19]           Le 20 juillet 1983, le conseil de bande a adopté une résolution demandant à la Couronne d’autoriser le déboursement d’un supplément de 300 800 $ provenant du compte en capital afin de régler les honoraires facturés par les avocats et les conseillers pour les négociations du règlement, soit 55 800 $, certains frais d’aménagement de terrains s’élevant à 15 000 $ et des paiements de 150 000 $ au chef Emmanuel Polchies et de 40 000 $ à chacun des deux autres membres du conseil de bande [traduction] « à titre de rétribution de leurs efforts dans le règlement de la revendication territoriale ».

 

[20]           Le ministre, en vertu des pouvoirs que lui confère l’article 64 de la Loi sur les Indiens, n’a approuvé que le déboursement des honoraires des conseillers et des avocats ainsi que celui des frais d’aménagement de terrains et il a refusé expressément les débours demandés pour la rétribution des membres du conseil de bande.

 

[21]           Néanmoins, le 25 juillet 1983, le chef Polchies et l’un des deux membres du conseil de bande ont émis des chèques à leur propre nom et à l’ordre de l’autre membre du conseil de bande sur le compte de la revendication territoriale, pour les montants indiqués ci-dessus.

 

[22]           Naturellement, ces derniers chèques ont porté le montant total des chèques tirés sur le compte de la revendication territoriale à 230 000 $ de plus, soit un montant supérieur aux sommes qui y avaient été déposées, ce qui a empêché plus de 20 membres de la bande qui avaient tardé à encaisser leurs chèques d’en obtenir le paiement. À la fin d’août 1983, les agissements du chef et des deux membres du conseil de bande ont été révélés.

 

[23]           En octobre 1983, les comptes bancaires détenus par le chef Polchies avaient été saisis dans le cadre d’une procédure reliée à des allégations de détournement de fonds par le chef Polchies. En mai 1984, le chef Polchies a été reconnu coupable de vol pour sa participation aux événements visés. Les comptes bancaires ont fait l’objet d’une saisie-exécution à l’été de 1985; 81 688,42 $ ont été récupérés sur les 150 000 $ pris par le chef Polchies. Pour leur part, les deux autres membres du conseil de bande ont remboursé la quasi-totalité des sommes qu’ils avaient reçues, sauf 15 680,45 $.

 

[24]           En 1989, la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick a finalement supprimé toutes les restrictions imposées par l’ordonnance du 4 juillet1983, ce qui a rendu la retenue de quinze pour cent disponible pour la distribution.

 

[25]           Dans une réunion publique tenue en juillet 1989, les membres de la bande ont exprimé le souhait que la retenue soit distribuée de la même façon entre les membres de la bande. La RCB 601, datée du 25 août 1989, autorisée par la Couronne, a donné effet à ce souhait et permis qu’une somme de 402 622,95 $ soit versée à la bande en vue d’une distribution per capita. La distribution a visé 165 membres et a représenté individuellement une somme de 2 440,13 $ pour chaque membre de la bande.

 

[26]           Encore une fois, les parts de la distribution appartenant à des mineurs ont été payées par la bande aux parents des enfants, en l’occurrence à Cynthia Polchies pour les trois demandeurs.

 

Les questions en litige

[27]           Les questions que soulève la présente action peuvent se résumer comme suit :

-           Les demandes d’un ou de tous les demandeurs sont-elles prescrites ou doivent-elles être rejetées pour manque de diligence?

-           La Couronne, la bande ou les parents des demandeurs avaient-ils une obligation envers les demandeurs, en vertu d’une loi ou en droit, touchant le paiement et la gestion des sommes d’argent qui leur étaient payables en tant que mineurs? Le cas échéant, quelle est la nature et la portée de cette obligation et y a-t-il eu manquement à l’obligation?

-           Quels sont les dommages, le cas échéant, subis par les demandeurs en raison du manquement à l’obligation qui a été établi?

 

La preuve et les conclusions de fait

[28]           En plus des faits non contestés qui ont été exposés ci-dessus, les éléments de preuve produits lors de l’instruction ont mis au jour les faits suivants.

 

[29]           Les demandeurs reconnaissent que leur mère a bien reçu toutes les sommes auxquelles ils avaient droit en vertu de la distribution des fonds du règlement. Toutefois, absolument aucun élément de preuve n’établit ce qui est advenu exactement de ces sommes après le dépôt du chèque dans le compte de banque familial en 1983. Christopher Polchies et Mark Sabattis, voisin de la famille, ont témoigné que peu après que la mère des demandeurs eut reçu le produit de la distribution, à l’été de 1983, la famille avait apporté diverses améliorations à son style de vie : la maison a été rénovée et une motoneige, un trois-roues, une nouvelle automobile et un nouveau camion ont été achetés. Les coûts de tous ces achats ne sont pas connus et on ne sait pas non plus si les achats ont été réglés avec le chèque de la distribution, les autres sommes détournées par Emmanuel Polchies, ou d’autres éléments d’actif de la famille.

 

[30]           Aucun élément de preuve n’a été présenté sur le niveau de vie de la famille, tant avant qu’après la distribution, sur l’actif ou les comptes bancaires des parents, sur leurs sources de revenu, le cas échéant. Tous les demandeurs ont cependant reconnu qu’ils avaient été correctement vêtus, nourris et logés et que leurs besoins sur le plan des loisirs et de la santé avaient été comblés.

 

[31]           Les trois demandeurs ont témoigné dans les affidavits déposés lors de l’instruction que s’ils avaient su qu’ils allaient recevoir une somme de l’ordre de 11 000 $ à leur majorité, ils auraient manifesté plus d’intérêt envers l’école et les études supérieures et ils auraient poursuivi des études supérieures. Cependant, Christopher Polchies a témoigné lors de l’instruction qu’il a terminé ses études secondaires et qu’il croyait que les études postsecondaires seraient financées par la bande ou la Couronne; il a tenté de s’inscrire à l’université quelques années après ses études secondaires, mais il n’a pas été admis en raison de ses notes. Plus tard, il a bénéficié d’une formation financée par la bande pour obtenir le diplôme de conseiller en toxicomanie offert à l’Université de Moncton. Calesta et Crystal Polchies ont toutes les deux quitté l’école sans avoir terminé leur douzième année. Elles ont toutes les deux eu leur premier enfant avant l’âge de vingt ans. Crystal Polchies a admis qu’après la naissance de son premier enfant elle n’avait plus le temps de poursuivre des études.

 

[32]           Les trois demandeurs étaient au courant, quand ils ont grandi, que leur père avait déjà été chef et avait été accusé d’une infraction criminelle. Christopher Polchies, qui était âgé de neuf ans au moment du règlement, était également informé du règlement et de la distribution. Il prétend n’avoir appris les détails du paiement relatif aux parts des mineurs qu’en 2000, de son père. Crystal et Calesta Polchies ont été au courant du règlement à l’adolescence (ce qui, à mon avis, renvoie à l’âge de 13 à 17 ans), mais n’ont été informées des détails du paiement des parts des mineurs qu’au moment où leur père et/ou leur frère leur en ont parlé en 2002.

[33]           Je conclus que le règlement de la revendication territoriale et la distribution per capita des parts entre les membres de la bande, notamment le paiement des parts des enfants aux parents à titre de tuteurs légaux, étaient des faits de notoriété publique pour les habitants de la réserve au cours de la période allant de 1983 jusqu’à 1989 au moins. Le souvenir devrait être resté dans la mémoire des habitants de la réserve bien après cette période. La bande comptait un petit nombre de membres (environ 170, mineurs et membres hors réserve inclus). Tous les membres de la bande vivant dans la réserve et ayant droit de vote, au nombre de 53 seulement, ont été consultés par voie de référendum au sujet de l’acceptation du règlement en 1983. Chaque fois qu’une distribution avait lieu ou était prévue, ce qui s’est produit au moins à trois reprises pendant cette période, il se tenait au moins une réunion publique en vue de discuter des modalités de la distribution. Enfin, la connaissance des faits provenait aussi de la distribution même, car tous les adultes recevaient leur chèque et tous les parents ont reçu, en qualité de tuteurs, les parts dévolues à quelque 72 enfants, à la fois en 1983 et en 1989. Certains de ces parents ont constitué des fiducies pour garder les sommes d’argent de leurs enfants. Par conséquent, dans la période entre 1983 et 2002, outre les deux distributions générales, au moins quelques jeunes membres de la bande ont dû recevoir le produit de ces fiducies quand ils ont atteint dix-huit ou dix-neuf ans. Il convient en outre de noter que les parents des demandeurs, en plus d’être au courant de la distribution, savaient aussi que la Couronne aurait pu prendre des mesures pour imposer que les parts des enfants soient placées dans des fiducies. Au cours d’une réunion publique tenue le 9 novembre 1987 et à laquelle assistait Cynthia Polchies, le chef Polchies a fait lui-même allusion à la possibilité que des parents poursuivent la Couronne au nom de leurs enfants pour n’avoir pas constitué des fiducies à leur intention.

 

[34]           Par conséquent, tout en acceptant que les demandeurs aient pu ne pas être conscients que leur mère avait reçu en leur nom leur part de la distribution en 1983 et en 1989, je conclus en me fondant sur la preuve dans son ensemble qu’ils ont su, quand ils ont grandi, que le produit du règlement conclu avec la Couronne avait été distribué entre tous les membres de la bande. Munis de ces renseignements, ils auraient dû savoir ou réaliser qu’à titre de membres de la bande, ils avaient droit à leur part; s’ils s’étaient seulement renseignés auprès de leurs parents ou du conseil de bande, ils auraient facilement appris les détails relatifs aux dates, aux montants visés et au mode de paiement de leurs propres parts.

 

[35]           Les éléments de preuve présentés à l’instruction indiquent que, dès le 23 mars 1983, les membres de la bande privilégiaient la distribution per capita de tout le produit du règlement qui était disponible. Mme Audrey Stewart, fonctionnaire au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, a assisté à la réunion du 23 mars 1983 en compagnie du conseil de bande et d’autres membres de la bande et indiqué à la bande quelles portions du règlement pouvaient être distribuées et comment les parts payables aux enfants pouvaient être payées. Il semble que Mme Stewart ait expliqué la façon dont elle comprenait les politiques générales de la Couronne à l’égard de la distribution aux mineurs des sommes détenues au compte en capital : les sommes payées aux enfants mineurs seraient gardées par la Couronne dans un fonds en fiducie et porteraient intérêt jusqu’à ce que l’enfant atteigne 21 ans. Mme Stewart a toutefois indiqué, n’étant pas une experte en la matière, que ces renseignements devaient être vérifiés. Au souvenir de Mme Stewart, les membres présents s’opposaient à ce que les sommes d’argent dévolues aux mineurs soient détenues en fiducie par la Couronne; ils avaient le sentiment qu’on pouvait faire confiance aux parents indiens pour l’argent de leurs enfants et que la constitution de fiducies ferait preuve d’irrespect à leur endroit. Mark Sabattis et John Sacobie, membres du conseil de bande, avaient des souvenirs identiques et ils ont confirmé que le consensus a été le même à la réunion publique tenue le 5 avril 1983, à laquelle assistaient la majorité des membres de la bande, dont Cynthia et Emmanuel Polchies.

 

[36]           Peu avant la tenue de ces discussions, la Couronne avait publié la circulaire H-12, qui contenait des directives internes visant les processus et les procédures applicables à l’autorisation des déboursés des comptes en capital de la bande. Mme Stewart a transmis un exemplaire de la circulaire au conseil de bande au printemps de 1983. L’article 6 de ce document s’applique particulièrement aux distributions per capita et prévoit que, dans leurs principes généraux, les distributions per capita en faveur des mineurs doivent être détenues en fiducie par la Couronne jusqu’à ce que le mineur atteigne sa majorité, mais que des paiements annuels jusqu’à concurrence de 3 000 $ peuvent être faits à l’un des deux parents ou au tuteur qui a la garde de l’enfant sur demande écrite (alinéa 6(2)e))[1]. En outre, la circulaire laisse entendre que la Couronne pourrait autoriser une bande à gérer elle-même la distribution, en conformité avec toute procédure convenue entre elles (alinéa 6(2)j))[2].

 

[37]           Il me semble clair que c’est exactement ce qui s’est passé en l’occurrence. La bande s’est collectivement opposée à toute idée que les parts des mineurs soient gérées ou placées en fiducie par la Couronne, ce qui se serait produit si la Couronne avait elle-même géré la distribution provenant des comptes en capital. Pour éviter pareille situation, une résolution du conseil de bande, la RCB 433, a demandé expressément que les sommes d’argent de la distribution, provenant tant du compte de revenu que du compte en capital, soient transférées à la bande pour qu’elle en fasse elle‑même la distribution. La Couronne l’a clairement accepté, se contenant de demander que la bande lui fournisse une liste des bénéficiaires des paiements et des sommes versées à chacun. Si la bande ou des parents souhaitaient que des fonds soient détenus en fiducie par la Couronne, il fallait simplement en faire la demande. Aucune demande de cette nature n’a été présentée à aucun moment.

 

[38]           Cela se distingue nettement de la procédure adoptée par la Couronne en 1985, quand la bande a cherché à obtenir le déboursé d’autres fonds provenant du compte en capital de la bande afin de payer à l’ordre de quelque 25 membres de la bande le reste des chèques de la distribution, qui n’avaient pu être honorés en raison du détournement de fonds du compte de la revendication territoriale. À cette occasion – et il semble que la Couronne avait fait savoir à la bande qu’elle n’aurait en aucun autre cas approuvé le déboursement – la RCB 471 a demandé que la distribution soit faite directement par la Couronne aux membres de la bande touchés. La Couronne a suivi la circulaire H-12 et constitué des fiducies pour garder toutes les sommes des mineurs, sous réserve du droit des parents ou des tuteurs ayant la garde de l’enfant de demander un maximum de 3 000 $ par enfant par année fiscale.

 

[39]           En juillet 1989, au moment de la distribution finale de la partie du règlement retenue par l’ordonnance de la Cour, le conseil de bande a tenu une réunion à laquelle assistaient 44 membres ayant droit de vote. Il a été confirmé à cette réunion que la RCB 433, qui demandait le transfert de toutes les sommes d’argent disponibles dans les comptes de revenu et en capital destinées à la distribution per capita par la bande, était toujours valide pour autoriser le transfert de la distribution à la bande par la Couronne. La RCB 601 a donc été adoptée, demandant le transfert des sommes d’argent désormais disponibles à la bande pour la distribution per capita par la bande. Par lettre datée du 1er septembre 1989, le ministre a approuvé la résolution, confirmant que le transfert à la bande serait effectué conformément à la RCB 433.

 

[40]           En dernier lieu, je dois noter que ni Cynthia ni Emmanuel Polchies n’ont témoigné à l’instruction, que ce soit en leur propre nom ou appelés à comparaître par une autre partie. Ils n’ont pas été représentés, n’ont pas déposé de défense à la demande reconventionnelle et, du moins à ma connaissance, n’ont pas assisté à l’instruction.

 

L’analyse

La prescription et le manque de diligence

[41]           Toutes les parties s’entendent sur le fait que par l’application de l’article 39 de la Loi sur les cours fédérales, la Loi sur la prescription, L.R.N.-B. 1973, c. L-8 du Nouveau-Brunswick régit le délai de prescription applicable à la présente action des demandeurs. Les articles 7 et 18 de la Loi sur la prescription prévoient :

 

 

« 7.      Toute action fondée sur un accident, une erreur ou autre motif de recours reconnu en equity se prescrit par six ans à compter de la découverte de la cause d’action. »

« 18.    Lorsqu’une personne ayant le droit d’intenter une action est mineure, déficiente mentale, incapable mentale ou privée de raison à la date où la cause d’action prend naissance, une telle action se prescrit par six ans, ou par deux ans à compter de la date à laquelle cette personne atteint sa majorité ou devient saine d’esprit, selon le cas, le plus long de ces deux délais étant pris en considération. »

 

 

7.        No action grounded on accident, mistake or other equitable ground of relief shall be brought but within six years from the discovery of the cause of action.”

18.      Where a person entitled to bring an action is at the time the cause of action accrues a minor, mental defective, mental incompetent or of unsound mind, the period within which such action shall be brought shall be six years, or two years from the date when such person becomes of full age, or of sound mind, as the case may be, whichever is the longer.”

 

[42]           De même, toutes les parties conviennent que la cause d’action, telle qu’elle a été plaidée, est née de la remise des parts de la distribution des demandeurs à leur mère.

 

[43]           Comme Calesta Polchies a atteint l’âge de la majorité le 14 mars 2002 et intenté la présente action le 12 août 2003, son action est incontestablement dans le délai de prescription, sans égard à la date où la cause d’action prend naissance ou à la date de la « découverte » de la cause d’action. C’est à l’égard de Christopher et de Crystal Polchies que la question de la prescription est soulevée. Les demandeurs soutiennent qu’ils n’ont découvert la cause d’action qu’au moment où l’un et l’autre ont été informés des détails des paiements, soit en 2000 pour Christopher et en 2002 pour Crystal Polchies, et que de ce fait leur action a été intentée bien avant la fin du délai de prescription de six ans. La Couronne, toutefois, relie la découverte de la cause d’action, dans le meilleur des cas, à la connaissance qu’en ont eue les tuteurs légaux des demandeurs, ou dans le pire des cas, au moment où les enfants [traduction] « auraient dû avoir découvert » les faits importants en faisant preuve de diligence raisonnable. Selon la Couronne, cette dernière date était le moment où ils ont pris connaissance de la distribution ou, à tout le moins, le moment où ils ont atteint l’âge de la majorité et auraient eu droit de demander la fermeture de tout compte de mineur en fiducie qui aurait pu être établi, en vue de recevoir leur part. Christopher et Crystal Polchies ont tous les deux atteint la majorité plus de six ans avant le dépôt de la déclaration : Christopher, en 1993, et Crystal, en 1996.

 

[44]           La disposition qui s’applique en cette matière est l’article 18 de la Loi sur la prescription, à l’exclusion de l’article 7. S’il est vrai qu’il s’agit d’une action fondée sur des motifs de recours reconnus en equity, les dispositions de l’article 18 s’appliquent spécifiquement aux affaires où la cause d’action concerne une personne mineure ou une autre personne juridiquement incapable, sans égard à la réparation demandée ou à la nature de la cause d’action. En vertu de la maxime generalia specialibus non derogant, les dispositions spécifiques de l’article 18 prévalent sur les dispositions générales de l’article 7 dans le cas où la cause d’action concerne un mineur (voir aussi la décision Guignard c. Paulin, [1992] N.B.J. No. 23).

 

[45]           La distinction peut sembler théorique, puisque le point de départ du délai de six ans dans les deux cas repose sur les principes de la possibilité de découvrir le dommage : s’agissant de l’article 7, le principe de common law est explicitement reconnu par les termes de l’article, qui fixent le début du délai de prescription au moment de « la découverte de la cause d’action »; s’agissant de l’article 18, les principes de la possibilité de découvrir le dommage s’appliquent aussi, mais à titre de principes d’interprétation, pour établir le moment auquel la cause d’action est réputée prendre naissance. Néanmoins, la distinction est importante à mes yeux, car elle confirme l’application directe en l’espèce des principes de la possibilité de découvrir le dommage, ainsi qu’ils ont été exposés dans une jurisprudence établie, sans qu’il soit nécessaire de se demander si une interprétation différente ou plus subjective devrait être donnée au terme « découverte », tel qu’il est employé à l’article 7, quand il s’applique à des mineurs.

 

[46]           La Cour suprême a récemment réaffirmé que la règle de la possibilité de découvrir le dommage « s’applique [traduction] “généralement” lorsque la loi lie le point de départ du délai de prescription à la naissance de la cause d’action » (Ryan c. Moore, [2005] A.C.S. n° 38, 2005 CSC 38, au paragraphe [24]). L’article 18 de la Loi sur la prescription  relie expressément le point de départ de l’un des délais de prescription possibles à la date où la cause d’action prend naissance. Dans l’arrêt Ryan c. Moore, la Cour suprême a également réitéré la formulation bien connue de la règle :

 

[22]      Selon la règle de la possibilité de découvrir le dommage, « une cause d’action prend naissance, aux fins de la prescription, lorsque les faits importants sur lesquels repose cette cause d’action ont été découverts par le demandeur ou auraient dû l’être s’il avait fait preuve de diligence raisonnable ».

 

(Non souligné dans l’original.)

 

 

 

[47]           J’ai conclu que Christopher et Crystal Polchies connaissaient tous les deux les faits importants de la distribution per capita des sommes d’argent du règlement longtemps avant d’avoir atteint leur majorité. En faisant preuve de diligence raisonnable, ils auraient découvert les détails des modalités de paiement des fonds qui leur étaient dus et des personnes à qui ils avaient été versés : ils n’avaient qu’à les demander à leurs parents ou au conseil de bande. Informés de la distribution, ils auraient dû, de toute façon, demander la situation ou la fermeture de toute fiducie constituée en leur nom lorsqu’ils ont atteint leur majorité; s’ils l’avaient fait, ils auraient su si ces fiducies existaient et, si elles n’existaient pas, auraient été incités à s’enquérir des détails des paiements.

 

[48]           Par conséquent, si l’on peut soutenir que la cause d’action de Christopher et Crystal Polchies a pris naissance longtemps auparavant, je conclus qu’elle doit avoir pris naissance au plus tard au moment où ils ont atteint l’âge de la majorité, en 1993 et 1996 respectivement, et que pour cette raison leur action est prescrite.

 

[49]           Naturellement, dans le cas où j’aurais tort, l’analyse et les conclusions qui suivent au sujet de la demande de Calesta Polchies se seraient également appliquées à la demande de Christopher et Crystal Polchies. Dans un souci de certitude, j’ai effectué l’analyse des demandes comme si aucune des demandes des demandeurs n’était prescrite.

 

Les obligations relatives aux biens des mineurs

[50]           Selon l’article 88 de la Loi sur les Indiens, les lois d’application générale en vigueur dans une province s’appliquent aux Indiens qui s’y trouvent, sous réserve des dispositions de quelque traité ou de quelque autre loi fédérale. Exception faite de l’article 52 de la Loi sur les Indiens, qui sera examiné plus longuement ci-dessous, il semble qu’il n’y ait à l’échelon fédéral aucune loi, aucun règlement ou aucun traité prévoyant la tutelle des mineurs ou la gestion de leurs biens; à tout le moins, les parties n’ont porté à mon attention aucun acte législatif de cette nature issu du Parlement ou du conseil de bande.

 

[51]           Avant d’examiner si la Loi sur les Indiens ou le statut d’Indiens des demandeurs modifie ou crée des obligations spécifiques à l’égard de la gestion de leurs biens, il convient de se pencher sur les lois d’application générale aux biens des mineurs au Nouveau-Brunswick.

 

[52]           Les articles applicables de la Loi sur la tutelle des enfants, L.R.N.-B. 1973, c. G-8 disposent :

 

« 2. (1) Sous réserve de l’article 3, les parents d’un enfant sont cotuteurs de l’enfant et peuvent par écrit nommer conjointement une ou plusieurs autres personnes comme tuteur ou tuteurs de leur enfant. »

 

« 5. Sous réserve des limitations fixées par les termes de sa nomination, un tuteur établi ou nommé en vertu de la présente loi

a) possède le droit de garder l’enfant et de diriger son éducation ainsi que la façon dont il est élevé, sous réserve d’une ordonnance de garde rendue par un tribunal compétent, et

b) doit prendre soin et exercer la gestion des biens appartenant à l’enfant ou destinés à l’usage ou au bénéfice de ce dernier et non détenus par ailleurs en fiducie pour son bénéfice, mais un tuteur établi ou nommé en vertu de la présente loi n’a pas le pouvoir de vendre, céder ou grever ces biens sans l’autorisation de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick ou d’un juge de cette Cour,et lorsque des tuteurs doivent exercer une cotutelle ou qu’un tuteur doit exercer la cotutelle avec le parent survivant, les droits et les fonctions que confère le présent article doivent être exercés conjointement, compte tenu du droit suprême de garde de l’enfant que possède le parent survivant. »

2.(1) Subject to section 3, the parents of a child are joint guardians of the child and may jointly appoint in writing another person or persons to be guardian or guardians of their child.”

 

 

5. Except as limited by the terms of his appointment, a guardian established or appointed under this Act

(a) has, subject to an order of custody issued by a court of competent jurisdiction, the right to the custody of the child and to control his education and upbringing, and

(b) shall exercise care and management of all property belonging to or intended for the use and benefit of the child that is not otherwise held in trust for his benefit, but a guardian established or appointed under this Act has no power to sell, convey or encumber such property except as authorized by The Court of Queen’s Bench of New Brunswick or any judge thereof, and where guardians are to act jointly or a guardian is to act jointly with a surviving parent, the rights and duties conferred by this section shall, subject to the paramount right of the surviving parent to custody of the child, be shared jointly.”

 

 

[53]           Conformément aux lois générales du Nouveau-Brunswick, les parents des demandeurs étaient donc leurs tuteurs légaux et avaient l’obligation de prendre soin et d’exercer la gestion des sommes d’argent qu’ils avaient reçues pour le compte de leurs enfants. Par l’effet de ces dispositions, le paiement des parts de la distribution des enfants à leur mère, à titre de l’un de leurs tuteurs légaux nommés, était licite et constituait le paiement correct des sommes d’argent aux enfants. La situation se distingue de celle qui existe actuellement dans plusieurs autres provinces ou territoires, où les parents ne sont pas réputés d’office en droit avoir la tutelle des biens de leurs enfants et où certaines lois prévoient même expressément que le paiement de créances payables à des enfants, au-delà de certains montants, ne peut être licitement fait à leurs parents en acquittement d’une obligation[3].

 

[54]           Les demandeurs s’appuient sur la décision Williams c. Conseil de la bande indienne de Squamish, [2003] A.C.F. n° 65, 2003 C.F.1re inst., qui établit l’existence d’une obligation fiduciaire, pour le débiteur d’une obligation pécuniaire envers un enfant, de prendre en considération les meilleurs intérêts de l’enfant quand il décide de la façon de débourser les sommes qui appartiennent à l’enfant. Dans la décision Williams, la bande a effectué des paiements à la grand-mère du demandeur, qui était la pourvoyeuse principale de soins à l’enfant sans être sa tutrice légale. Les paiements faits par la bande ne pouvaient être considérés comme des paiements à l’enfant, mais étaient des paiements de fonds appartenant à l’enfant faits à un tiers. En l’absence manifeste d’un tuteur autorisé à recevoir les fonds au nom de l’enfant et considérant que les arrangements concernant la garde de l’enfant semblaient avoir reçu l’approbation du conseil de bande, on ne s’étonne pas que la bande ait été investie de responsabilités à titre de fiduciaire et d’une obligation fiduciaire à l’égard du déboursement de ces fonds. À mon avis, cette décision n’illustre ou n’établit aucunement l’existence d’une obligation, chez le débiteur d’une obligation pécuniaire envers un enfant, de prendre les mesures nécessaires pour la prise en charge ou la gestion ultérieure des fonds visés avant que l’enfant atteigne sa majorité, soit comme élément d’un paiement licite, soit après le paiement.

 

[55]           Il existe en fait une distinction importante entre les obligations qui naissent dans le cours du processus de la distribution et du paiement et celles qui s’attachent à la gestion des sommes d’argent une fois qu’elles deviennent la propriété du mineur, soit comme créance, soit comme sommes payées et reçues.

 

[56]           À chaque fois qu’une distribution de sommes d’argent au sein d’un groupe de personnes est faite par une autre personne, qu’il s’agisse de la Couronne, de la bande ou d’une autre entité ou personne, une fiducie est créée en vertu de laquelle cette personne est tenue de veiller à la garde correcte des sommes d’argent réservées pour la distribution et à leur distribution correcte aux bénéficiaires appropriés. Par exemple, dans l’arrêt Barry et al. c. Garden River Band of Ojibways, 33 O.R. (3d) 782; [1997] O.J. No. 2109, les circonstances étaient très semblables à celles de l’espèce, mais le fondement de la demande était l’exclusion des demandeurs de la liste de distribution; dans cette affaire, la Cour d’appel de l’Ontario a décrit la création d’une fiducie de la manière suivante :

 

[traduction] Il semblerait de ce qui précède que la somme d’un million de dollars, faisant partie du paiement de 1 339 150 $ fait en vertu de l’entente de règlement, n’est pas un fonds en fiducie au sens propre du fait qu’elle a été versée au compte de revenu de la bande, dans lequel elle pouvait être affectée aux fins de la bande en général, sous réserve seulement du règlement qui expose les obligations de rendre compte. L’entente de règlement ne comportait aucune condition imposant que le fonds doive être distribué aux membres de la bande et certainement aucune condition imposant sa distribution dans un délai déterminé. Plus tard, la bande a décidé que les dates des 17 et 18 décembre 1987 seraient celles de la distribution per capita. Aucun élément de preuve clair n’a été présenté à l’instruction pour expliquer la raison du choix de ces dates. Par conséquent, si les fonds n’étaient pas l’objet d’une fiducie lorsqu’ils ont été remis au conseil de bande, quand le conseil de bande a décidé d’en faire une distribution per capita et de réserver un million de dollars à cette fin, à notre avis, une fiducie a été créée. Le conseil de bande avait l’obligation de veiller à ce que la distribution s’effectue en conformité avec les principes de la fiducie.

(Non souligné dans l’original.)

 

 

 

[57]           Cependant, les obligations de fiduciaire nées de la décision d’effectuer ou d’approuver une distribution per capita et d’en faire la gestion se limitent au processus même de la distribution : préserver les fonds jusqu’à l’achèvement du processus, identifier tous les bénéficiaires visés et préserver les droits de demandeurs potentiels, veiller à ce que le paiement soit fait à chaque bénéficiaire visé, obtenir des reçus, tenir des registres et des pistes de vérification, etc. Dans le cas où la distribution vise aussi des enfants mineurs, l’obligation de veiller à ce que le paiement soit fait au bénéficiaire visé comporte l’obligation de veiller au caractère licite du paiement à l’enfant et à sa conformité avec la législation applicable de sorte que l’obligation du paiement soit effectivement acquittée. L’« obligation », le cas échéant, de veiller à prendre soin et d’assurer la gestion des fonds au moment où le droit de l’enfant est établi ou au moment du paiement est une obligation d’une tout autre nature, qui va au-delà du mécanisme permettant le paiement licite des fonds à l’enfant. Pour être en mesure de faire valoir l’existence d’une obligation de cette nature, les demandeurs doivent établir une autre relation fiduciaire, plus immédiate, ou signaler une obligation spécifique créée en droit. S’agissant de l’obligation ou de la responsabilité que la Couronne ou la bande auraient eues envers les demandeurs en raison de leur autorisation ou de leur gestion de la distribution, je suis persuadée que l’obligation a été acquittée quand le tuteur légal des demandeurs a reçu les sommes appropriées.

 

[58]           Ayant établi que les obligations envers les demandeurs issues de la décision et de la gestion de la distribution avaient été acquittées, je n’ai pas besoin de décider du partage de ces responsabilités entre la Couronne et la bande. Toutefois, dans la mesure où cela est utile, je conclurais que, s’agissant des fonds du compte de revenu de la bande, les responsabilités étaient entièrement dévolues au conseil de bande. S’agissant des sommes détenues au compte en capital, le pouvoir final d’approbation de l’emploi des sommes d’argent pour la distribution per capita ayant été conféré à la Couronne par l’article 64 de la Loi sur les Indiens, la Couronne avait également l’obligation de prendre des mesures pour veiller à ce que la distribution soit faite à ceux qui y avaient droit. Dans les circonstances, la Couronne a choisi de déléguer la gestion de la distribution au conseil de bande. En cherchant à obtenir et en acceptant les responsabilités de la gestion de la distribution des sommes du compte en capital, le conseil de bande est devenu le fiduciaire des membres de la bande, autorisé à effectuer la distribution et investi de ces obligations envers eux. S’agissant de la question de savoir si la Couronne a agi raisonnablement en déléguant ses responsabilités à la bande, elle ne se pose pas en l’espèce car j’ai conclu que la bande s’est correctement acquittée de son obligation de payer aux demandeurs leur part de la distribution.

 

L’article 52 de la Loi sur les Indiens

[59]           Les demandeurs interprètent l’article 52 de la Loi sur les Indiens comme donnant naissance à une obligation à la fois législative et fiduciaire à la charge du ministre de veiller à ce que les biens des Indiens mineurs soient correctement administrés et, dans les circonstances de l’espèce, d’exercer son pouvoir discrétionnaire en créant une fiducie destinée à la garde des sommes d’argent visées.

 

[60]           L’article 52 dispose :

 

« 52. Le ministre peut administrer tous biens auxquels les enfants mineurs d’Indiens ont droit, ou en assurer l’administration, et il peut nommer des tuteurs à cette fin. »

“52.  The Minister may administer or provide for the administration of any property to which infant children of Indians are entitled, and may appoint guardians for that purpose.”

 

 

 

[61]           L’emploi du terme « peut » à l’article 52 implique nécessairement l’existence d’un pouvoir discrétionnaire et les tribunaux n’interpréteront pas ce « peut » comme imposant l’exercice du pouvoir discrétionnaire dans toutes les circonstances. Le caractère permissif du terme « peut » est confirmé par l’article 11 de la Loi d’interprétation, L.R.C. ch. I-21, qui prévoit que « [l]’obligation s’exprime essentiellement par l’indicatif présent du verbe porteur de sens principal et, à l’occasion, par des verbes ou expressions comportant cette notion. L’octroi de pouvoirs, de droits, d’autorisations ou de facultés s’exprime essentiellement par le verbe « pouvoir » et, à l’occasion, par des expressions comportant ces notions ».

 

[62]           Naturellement, nonobstant la Loi d’interprétation, il reste des cas où un pouvoir conféré par le terme « peut » sera interprété comme conférant l’exercice impératif ou obligatoire de ce pouvoir (voir l’examen et la jurisprudence exposés dans Côté, Pierre-André, Interprétation des lois (3e édition), Éditions Yvon Blais, aux pages 295 à 297). Cependant, aucun de ces cas ne s’applique en l’espèce : l’article 52 ne confère pas une compétence judiciaire ou quasi judiciaire au ministre, l’article 52 n’accorde aucun droit aux enfants des Indiens de voir leurs biens administrés sous réserve de la réalisation de certaines conditions et ni le contexte, ni l’historique législatif, ni la finalité de la loi, ni les effets néfastes possibles à empêcher ne justifient d’interpréter le pouvoir discrétionnaire attribué par l’article 52 comme prescrivant au ministre une obligation d’agir. Au contraire, comme le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par l’article 52 peut naître de la simple existence de deux conditions (l’existence de biens sur lesquels des enfants mineurs des Indiens ont des droits et le fait qu’ils habitent dans une réserve), on obtiendrait un résultat absurde en disant que le ministre doit administrer tous les biens de tous les enfants indiens habitant dans des réserves ou organiser l’administration de tous ces biens.

 

[63]           En outre, il convient de répéter que dans la province du Nouveau-Brunswick, comme dans diverses autres provinces canadiennes[4], le droit établit les parents des enfants mineurs comme les tuteurs à la fois sur le plan de la garde des enfants et sur celui de la prise en charge et de la gestion de leurs biens. Toutes les provinces ont en outre établi des lois régissant la nomination de tuteurs ou de fiduciaires à l’égard des biens des enfants de sorte que, même sans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre en vertu de l’article 52 de la Loi sur les Indiens, les biens des enfants mineurs des Indiens ne sont pas laissés sans mesures de protection.

 

[64]           Je conclus donc que le ministre n’avait aucune obligation relative à l’exercice des pouvoirs que lui confère l’article 52 de la Loi sur les Indiens d’imposer la manière dont les parts de la distribution des demandeurs devaient être administrées ni de les administrer lui-même.

 

[65]           Naturellement, si le ministre avait exercé son pouvoir discrétionnaire ou organisé l’administration des sommes d’argent des demandeurs, il se serait vraisemblablement créé une relation fiduciaire à l’égard des actes que le ministre aurait pu accomplir. Toutefois, en l’absence de tout exercice du pouvoir conféré au ministre par l’article 52 et à la lumière de ma conclusion portant que le ministre n’avait aucune obligation d’agir en vertu de l’article 52, je ne vois pas comment on pourrait dire qu’une relation fiduciaire est créée du seul fait que le ministre possède un pouvoir d’agir potentiel.

 

Les autres fondements de la création d’une obligation fiduciaire

[66]           Il semble que les demandeurs invoquent diverses circonstances, outre le seul article 52 de la Loi sur les Indiens, pour affirmer la création effective d’une relation fiduciaire entre la Couronne et les demandeurs, qui aurait imposé à la Couronne d’exercer ses pouvoirs, selon l’article 52, pour instituer des fiducies au bénéfice des demandeurs. Les arguments des demandeurs à cet égard ne sont pas clairement articulés, mais font référence à divers éléments dont le statut [traduction] « d’Indiens en général et de mineurs en particulier », le fait que les sommes d’argent de la distribution provenaient du règlement d’une revendication territoriale ou d’une revendication sur la cession d’une terre, et des faits, font valoir les demandeurs, qui étaient connus de la Couronne, à savoir qu’il était presque certain que leur part de la distribution serait volée ou ne serait pas dépensée dans leur intérêt.

 

[67]           Je traiterai d’abord le dernier point. Les demandeurs ont fait valoir que les tribunaux connaissent d’office le fait [traduction] « qu’un grand nombre dans la communauté autochtone n’ont jamais été réputés pour leur droiture financière », et que la Couronne [traduction] « était au courant de l’attitude décontractée envers l’argent qu’adoptent certains membres de la communauté autochtone », ce qui laisse entendre en effet que les parents indiens en général ou à tout le moins les parents de la bande d’Oromocto ne peuvent être présumés s’acquitter correctement de leurs obligations juridiques envers leurs enfants quand il s’agit de prendre soin et d’assurer la gestion des biens de leurs enfants. En plus d’être offensante en soi, pareille suggestion n’a été soutenue par aucun élément de preuve. Il ne s’agit certainement pas d’une notion dont la Cour peut avoir ou aura connaissance d’office. En réalité, le seul élément de preuve produit à l’instruction sur l’emploi effectif fait par tout parent de la bande de la part de son enfant est celui de Mark Sabattis, qui a témoigné que lui-même et [traduction] « certains des parents » ont placé dans des fiducies la part de leurs enfants dans la distribution. Il n’y a absolument aucun élément de preuve sur ce qu’ont fait les autres parents de l’argent, notamment les propres parents des demandeurs, comme je l’examinerai plus loin.

 

[68]           Il va de soi qu’il y a des éléments de preuve au dossier établissant qu’un grand nombre de membres de la bande, dont le chef Polchies et les deux autres membres du conseil de bande, semblent avoir renié les engagements financiers que la bande avait pris avec ses conseillers et, naturellement, il y a le détournement de fonds du chef et des deux autres membres du conseil de bande. Pourtant, des tractations financières déloyales, voire même un détournement de fonds, ne peuvent être des prédicteurs de la capacité d’une personne ou de son intention de bonne foi de s’acquitter de ses obligations à l’égard de ses propres enfants. En réalité, les demandeurs n’ont pas semblé considérer que les agissements de leur père à l’été de 1983 étaient répréhensibles, ayant tous les trois estimé que les accusations criminelles portées contre lui étaient injustes.

 

[69]           Les demandeurs n’ont donc établi l’existence d’aucune circonstance, ni la connaissance par la Couronne d’aucune circonstance à partir de laquelle une personne raisonnable conclurait qu’il était vraisemblable que les parents des demandeurs, ou tout parent de la réserve d’Oromocto, seraient incapables ou refuseraient de s’occuper correctement et d’assurer la gestion des biens de leurs enfants.

 

[70]           Je passe maintenant à l’argument des demandeurs selon lequel leur statut d’Indiens en général et de mineurs en particulier donnerait naissance à une obligation fiduciaire. Comme l’a conclu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Bande indienne de Wewaykum c. Canada, 2002 CSC 79, il ne peut exister d’obligation fiduciaire en l’absence de faits. L’obligation fiduciaire doit être identifiable et naître d’un ensemble précis de faits « à l’égard de droits particuliers des Indiens ». La responsabilité ne peut exister que s’il y a « un droit indien identifiable et que la Couronne exerce à l’égard de ce droit des pouvoirs discrétionnaires d’une manière entraînant une responsabilité “de la nature d’une obligation de droit privé” » (Wewaykum, précité, aux paragraphes 81 et 85). Aucun droit indien spécifique ou identifiable n’est créé par la seule qualité de mineur d’ascendance indienne ou de statut d’Indien d’une personne, ou encore par les droits de cette personne relatifs à ses biens personnels. Le statut d’autochtone à lui seul ne crée pas de rapports fiduciaires, ainsi que l’a reconnu la Cour suprême dans l’arrêt Gladstone c. Canada, [2005] 1 R.C.S. 325, [2005] A.C.S. n° 20; 2005 CS 21, au paragraphe 23 :

 

Bien que la Couronne ait, dans bien des cas, une obligation fiduciaire envers la population autochtone, c’est la nature des rapports, et non la catégorie d’acteurs en question, qui donne naissance à une obligation fiduciaire. Les situations mettant en cause des autochtones et la Couronne ne donnent pas toutes naissance à une obligation fiduciaire. Voir l’arrêt Nation haïda c. Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), [2004] 3 R.C.S. 511, 2004 CSC 73, par. 18, la juge en chef McLachlin. Les dispositions de la Loi sur les pêches portant sur la restitution des objets saisis sont des dispositions d’application générale. Je conviens avec le juge de première instance et la Cour d’appel qu’à elle seule l’ascendance autochtone n’est pas suffisante pour donner naissance à cette obligation dans le cas qui nous occupe.

 

[71]           Enfin, l’argument des demandeurs selon lequel il existe en l’espèce une relation fiduciaire en raison de la source des fonds de la distribution, en l’occurrence des sommes provenant du compte en capital ou le produit du règlement d’une revendication territoriale, est également rejeté. Il peut très bien exister une obligation fiduciaire pour la Couronne à l’égard de la gestion des sommes d’argent des Indiens – et je n’ai pas besoin de décider en l’espèce les circonstances qui peuvent la faire naître ou sa portée – mais telle n’est pas la question. En l’espèce, les demandeurs ne poursuivent pas la Couronne au nom d’une bande ou d’un groupe d’Indiens pour la mauvaise gestion des sommes d’argent des Indiens; ils poursuivent la Couronne comme particuliers pour son manquement allégué de prendre des mesures de contrôle et de protection visant les sommes d’argent sur lesquelles ils ont personnellement acquis des droits à la suite d’une distribution. Dans la mesure où certaines de ces sommes ont été au départ désignées comme relevant du compte en « capital »  ou représentant les intérêts de la bande dans les terres des réserves, la Couronne a pu avoir une obligation, en vertu de l’article 64 de la Loi sur les Indiens ou même une obligation fiduciaire de common law, de veiller à ce que ces sommes d’argent soient correctement administrées ainsi qu’employées et dépensées dans l’intérêt de la bande. Cette obligation, comme je l’ai mentionné précédemment, pouvait également comprendre l’obligation de veiller, au moment où une distribution per capita était autorisée, à ce que la distribution touche les personnes qui y avaient droit. Mais une fois la distribution dûment autorisée et réalisée, les sommes d’argent ont cessé d’être des sommes du compte en capital de la bande pour devenir la propriété personnelle des personnes y ayant droit. Les demandeurs n’ont rien présenté à l’appui du principe que les fonds du compte en capital sont en quelque sorte investis d’un statut spécial qui les suivrait au-delà du moment du déboursement légitime et dans les mains des bénéficiaires, ce qui leur donnerait droit à une protection spéciale en vertu de la loi.

 

[72]           Je noterai enfin que les demandeurs ont fait grand cas lors de l’instruction de l’entente entre la bande et la Couronne visant à désigner une grande partie du montant du règlement comme somme appartenant au compte de revenu, ce qui est contraire à l’article 62 de la Loi sur les Indiens, prétendent les demandeurs. (En vertu de l’article 62, tout l’argent qui provient de la vente de terres cédées ou de biens de capital d’une bande est réputé appartenir au compte en capital de la bande.) Abstraction faite de l’absence d’éléments de preuve susceptibles de fonder une décision sur cette question, il demeure que l’affectation et la désignation des fonds ont été approuvées par un référendum et par une décision ministérielle. Le caractère licite de cette décision n’a pas été attaqué par la voie d’un contrôle judiciaire. Conformément aux principes exposés dans la décision Canada c. Grenier, [2006] 2 R.C.F. 287; [2005] A.C.F. n° 1778, la validité et le caractère licite de la décision ministérielle ne peuvent absolument pas être attaqués ou contestés dans le cadre d’une action.

 

[73]           Par conséquent, je conclus que les demandeurs n’ont pas établi l’existence d’une obligation fiduciaire de la Couronne, que ce soit en vertu d’une loi ou par l’effet du droit, d’intervenir en vue de protéger l’intérêt des demandeurs dans la distribution des fonds payés à leur tuteur légal en leur nom.

 

L’honneur de la Couronne

[74]           Dans le mémoire des faits et du droit présenté à la Cour par les demandeurs à l’ouverture de l’instruction, les demandeurs s’étendent longuement sur le principe de l’honneur de la Couronne et sur la portée élargie que lui a donnée une jurisprudence récente par rapport à ses premiers usages comme outil d’interprétation des traités. Néanmoins, les demandeurs n’articulent aucune argumentation convaincante qui établirait ce qui, dans les circonstances de l’espèce, donne naissance aux obligations particulières de la Couronne de maintenir l’honneur de la Couronne, et comment un manquement à ces obligations pourrait établir ou aider à établir une cause d’action. Dans aucune des décisions citées par les parties un manquement aux principes de l’honneur de la Couronne n’a été réputé constituer une cause d’action indépendante. Les demandeurs n’expliquent pas comment cette notion, qui était à l’origine et qui demeure essentiellement utilisée comme une aide à l’interprétation des traités et des dispositions législatives protégeant les traités et les droits autochtones, s’appliquerait aux droits des particuliers à la protection de leurs biens personnels.

 

[75]           Les demandeurs se réfèrent effectivement à la source de la distribution des fonds, soit le règlement d’un différend territorial, comme facteur déclencheur de l’application des principes relatifs à l’honneur de la Couronne, mais pour les motifs que j’ai exposés plus haut au sujet de la création de l’obligation fiduciaire, cette référence ne leur est pas utile.

 

[76]           Les demandeurs déclarent également que les actions de la Couronne pour recouvrer les fonds détournés par le chef Polchies à partir de fonds qui, allèguent-ils, auraient été confondus avec l’argent des demandeurs, sont arbitraires et injustes et qu’elles ternissent l’honneur de la Couronne.

 

[77]           Je ne vois pas comment les procédures intentées par la Couronne pour recouvrer ces fonds, qui l’ont été sur les instructions du conseil de bande et dans le but exprès de protéger les intérêts de la bande comme groupe, peuvent être déclarées contraires à l’honneur de la Couronne. En outre, ayant conclu que la Couronne n’était pas un fiduciaire des fonds des demandeurs et n’avait aucune obligation fiduciaire ou imposée par la loi de prendre des mesures de protection à l’égard de ces fonds, je ne vois pas comment la possibilité d’un préjudice causé aux demandeurs par cette procédure licite pourrait donner lieu à une responsabilité de la Couronne. Enfin, je note que les fonds que la Couronne a recouvrés ont été saisis par la voie d’une procédure en justice comme la propriété personnelle du chef Polchies. Dans le cas où les fonds des demandeurs auraient été confondus avec les fonds des comptes saisis, fait qui n’a pas été établi, les parents des demandeurs, à titre de tuteurs dûment nommés, avaient le droit et l’obligation de faire valoir le droit de propriété des demandeurs sur ces fonds à l’époque de la saisie et de la saisie-exécution; la Couronne n’avait ni le droit ni l’obligation de faire valoir les droits des demandeurs en leur nom.

 

[78]           Je conclus donc que les principes de l’honneur de la Couronne ne sont pas en cause dans les circonstances de l’espèce et que, l’eussent-ils été, la Couronne n’a pas agi d’une façon autre que juste.

 

Les dommages-intérêts

[79]           Même s’il y avait quelque fondement autorisant de conclure que la Couronne, ou la bande en qualité de tierce partie défenderesse, avait quelque obligation envers les demandeurs et ne s’en était pas acquittée, aucune réparation ne pourrait être accordée aux demandeurs sur la base de la preuve produite à l’instruction.

 

[80]           Les demandeurs ne réclament pas le paiement des sommes d’argent de la distribution en tant que créanciers d’une dette impayée. Ils reconnaissent que les sommes visées ont été payées à leur mère en qualité de tutrice légale. Leur demande porte sur les dommages subis en raison des manquements allégués de la Couronne à son obligation. À cet égard, ils devaient donc établir que les manquements allégués de la Couronne leur avaient causé des dommages. Ils soutiennent avoir subi des dommages pour n’avoir pas reçu leur part de la distribution ou, plus précisément, pour n’avoir pas bénéficié de l’avantage de leur part de la distribution.

 

[81]           J’ai déjà conclu qu’en droit, le paiement de la part des demandeurs à leur mère était un paiement fait aux demandeurs et que leurs parents avaient à leur endroit l’obligation directe de par la loi de prendre soin correctement et d’assurer la gestion de leurs fonds. Par conséquent, pour recouvrer quoi que ce soit de la défenderesse, les demandeurs devaient également établir qu’ils n’avaient pas bénéficié de ces fonds et que le dommage était imputable à la mauvaise gestion des fonds par leurs parents et à leur non-utilisation des fonds dans l’intérêt des demandeurs. Toutefois, il n’y a absolument aucun élément de preuve sur ce qui est advenu des fonds des demandeurs après leur dépôt dans le compte de banque conjoint de leurs parents. Vu ce qu’établit la preuve, ils auraient pu servir à l’achat de titres de placement, ils auraient pu être placés, ils auraient pu servir à loger les demandeurs, à les vêtir et à les nourrir au cours de leurs années de formation ou ils pourraient être encore dans le compte de banque conjoint de M. et Mme Polchies.

 

[82]           L’argumentation des demandeurs repose sur l’hypothèse que leur part de la distribution était intouchée, confondue avec les fonds de leurs parents dans le compte de banque conjoint en octobre 1983, que ce compte de banque conjoint a alors été saisi par la Couronne et que leurs fonds ont servi au remboursement du vol de leur père. Cependant, aucun élément de preuve n’appuie cette hypothèse. Les relevés bancaires du compte conjoint des parents n’ont pas été produits; Cynthia et Emmanuel Polchies n’ont pas été cités à comparaître; il n’y a donc aucune preuve qui établit que les fonds sont demeurés dans le compte conjoint. Le numéro d’identification du compte conjoint ne figure nulle part en preuve; la preuve établit que deux comptes bancaires au nom d’Emmanuel Polchies, portant des numéros précis, ont été saisis, mais rien n’établit que le compte conjoint était l’un des deux comptes identifiés saisis. Des éléments de preuve établissent que la famille Polchies a effectué de gros achats à l’été de 1983; mais aucune preuve n’établit les coûts de ces achats et ils ont été faits au moment où Emmanuel Polchies était aussi en possession d’une somme de 150 000 $, en plus des 50 000 $ payés à Cynthia Polchies. Une somme de 80 000 $ seulement a été recouvrée sur les comptes bancaires d’Emmanuel Polchies; qu’est-il advenu de l’autre somme de 120 000 $ que la famille a reçue en juillet? A-t-elle été dépensée à l’été de 1983? A-t-elle échappé à la saisie parce qu’elle se trouvait dans un compte distinct? A-t-elle été placée? La preuve est muette sur tout.

 

[83]           Le mémoire des faits et du droit des demandeurs affirme : [traduction] « Les parents avaient les moyens de nourrir, vêtir et loger les demandeurs sans avoir recours à leur part de la distribution ». Mais il ne comporte aucun élément de preuve de leur actif, de leurs sources de revenus ou de leur emploi, ni de leurs dépenses sauf celles qui ont été mentionnées pour l’été de 1983.

 

[84]           Enfin, les demandeurs n’ont même pas témoigné ou produit d’éléments de preuve pour établir qu’ils ont demandé à leurs parents de leur remettre leur part de la distribution – ou même de leur en rendre compte – et qu’ils ont reçu un refus.

 

[85]           Les demandeurs n’ont pas établi qu’ils n’ont pas reçu leur part ou leur bénéfice de la distribution ni qu’ils ont subi une perte en raison de la remise de ces fonds à leur mère.

 

Conclusion

[86]           Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que les actions de Christopher et Crystal Polchies sont prescrites, que la bande et la Couronne se sont acquittées de leur obligation envers les demandeurs lorsqu’elles ont payé leurs parts à leur mère, que ni la bande ni la Couronne n’avaient d’obligation envers les demandeurs de veiller à ce que ces sommes d’argent, une fois payées, soient correctement prises en charge et gérées et que les demandeurs, de toute façon, n’ont pas établi qu’ils ont subi des dommages par l’effet de la conduite de la Couronne ou de la bande.

 

[87]           Par conséquent, l’action des demandeurs est rejetée et il n’est pas nécessaire d’examiner le fond des moyens de défense positifs de la bande à sa mise en cause par la Couronne.

 

 

 

 

 

 

 

« Mireille Tabib »

Protonotaire

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-715-03

 

 

INTITULÉ :                                       CHRISTOPHER K.J. POLCHIES ET AL. (DEMANDEURS)

                                                            C. SA MAJESTÉ LA REINE (DÉFENDERESSE)

                                                            ET CYNTHIA POLCHIES ET AL.

                                                            (TIERCES PARTIES)

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 FREDERICTON (NOUVEAU-BRUNSWICK)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LES 23, 24 ET 25 OCTOBRE 2006

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  MADAME MIREILLE TABIB, PROTONOTAIRE

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 4 MAI 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joseph J. Wilby

POUR LES DEMANDEURS

 

Jonathan Tarlton

POUR LA DÉFENDERESSE

 

Daniel Theriault

POUR LA TIERCE PARTIE

LA BANDE INDIENNE D’OROMOCTO

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Joseph W. Wilby

Avocat

Fredericton (Nouveau-Brunswick)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

Daniel R. Theriault

Avocat

Fredericton (Nouveau-Brunswick)

POUR LA TIERCE PARTIE

LA BANDE INDIENNE D’OROMOCTO

 


 

Notes terminales :



[1] L’alinéa 6(2)e) de la circulaire H-12 prévoit : « Les bandes ne faisant pas de versements per capita mensuels, comme mentionné au paragraphe d), peuvent au cours de l’année déclarer des versements per capita irréguliers. Après approbation d’un versement per capita irrégulier, les sommes représentant les parts per capita des mineurs, des déficients mentaux et des personnes adoptées seront versées dans des comptes individuels ouverts par le Ministère au nom de ces personnes. Sur demande écrite d’un parent ou du tuteur tout versement inférieur à 3 000 $ pendant une année financière peut être prélevé sur le compte du mineur et remis au chef de ménage figurant sur la liste de bande en qualité de parent ou de tuteur du mineur, si ce dernier est sous la garde du parent ou du tuteur. »

[2] L’alinéa 6(2)j) prévoit : « Le Ministre ou son délégué peut autoriser des bandes déterminées à administrer les versements per capita en conformité avec les modalités convenues entre le Ministre et le conseil de bande. »

[3] Children’s Law Act, R.S.N.L. 1990 c. C-13, art. 59; Loi sur le droit de l’enfance, L.T.N.-O. 1997 ch. 14, art. 49; Minor’s Property Act, S.A. 2004, c. M-18.1.

[4] Code civil du Québec, L.R.Q. 1991, ch. 64, art. 178 et suivants; Family Relations Act, R.S.B.C. 1996, c. 128, art. 25 et 27; Loi portant réforme du droit de l’enfance, L.R.O. 1990, ch. C-12, art. 50 (jusqu’à 10 000 $); Children’s Law Act, S.S. 1997 c. C‑­8.2, art. 30 et 32.

 

 

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