Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Date : 20070503

Dossier : IMM-5295-06

Référence : 2007 CF 478

Ottawa (Ontario), le 3 mai 2007

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

 

ENTRE :

 

MOHAMMED KASHIF OMER

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision en date du 14 septembre 2006 par laquelle la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur était interdit de territoire par application de l’alinéa 34(1)f) de la Loi et a pris une mesure d’expulsion contre lui.

 

CONTEXTE

[2]               Mohammed Kashif Omer (le demandeur) est un citoyen du Pakistan qui est arrivé au Canada en décembre 1998 et qui s’est vu reconnaître le statut de réfugié mais qui n’a jamais obtenu le droit d’établissement.

 

[3]               Alors qu’il était au Pakistan, le demandeur a été membre, de 1987 à 1992, à Karachi, de l’Organisation de tous les étudiants mohajirs du Pakistan (APMSO) à son collège (Collège national de l’État). Il a été « secrétaire à l’information » pour l’APMSO de 1989 à 1992. Il a ensuite joint les rangs du Mouvement national unifié (MQM), une organisation politique pour laquelle il a travaillé à partir de 1993 jusqu’à ce qu’il quitte le Pakistan, en 1998. Après avoir d’abord nié avoir participé aux activités politiques du MQM au Canada, il a fini par reconnaître, à l’audience, qu’il était à la tête de la division québécoise du MQM.

 

[4]               Le 12 juillet 2005, un rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi (M‑1/B) a été rédigé et le 22 juillet 2005, un renvoi pour enquête aux termes du paragraphe 44(2) de la Loi a été signé (M‑1/A). L’agent qui a établi le rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi était d’avis que le demandeur était interdit de territoire parce qu’il avait sciemment fait partie d’une organisation terroriste pendant longtemps. L’enquête a eu lieu le 15 novembre 2005, le 24 janvier 2006 et le 6 avril 2006.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE

[5]               Dans une décision rendue le 14 septembre 2006, la Commission a conclu ce qui suit :

Je conclus, d’après le témoignage de M. Omer et l’analyse soignée de la preuve documentaire sur le MQM, le MQM-A et l’AMPSO, qu’il existait une intention commune et une connaissance de la part de M. Omer en ce qui concerne les activités du Parti, qui, il y a des motifs raisonnables de le croire, se livrait au terrorisme.

 

[6]               La Commission a par conséquent conclu que l’alinéa 34(1)f) s’appliquait au demandeur et elle a pris une mesure d’expulsion contre lui.

 

QUESTION À TRANCHER

[7]               La seule question à trancher dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire est la suivante : la Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le MQM était une organisation visée à l’alinéa 34(1)c) de la Loi?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

33. Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

 

 

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

a) être l’auteur d’actes d’espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

c) se livrer au terrorisme;

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

 

 

 

 

44. (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

 

 

(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

 

33. The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

 

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

(a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

(c) engaging in terrorism;

(d) being a danger to the security of Canada;

(e) engaging in acts of violence that would or might endanger the lives or safety of persons in Canada; or

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

 

44. (1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister.

 

(2) If the Minister is of the opinion that the report is well-founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.

 

NORME DE CONTRÔLE

[8]               Le choix de la norme de contrôle appropriée dans le cas des décisions rendues sur le fond par la Commission dépend surtout de la nature de la décision. Dans le cas des questions de droit, la norme appropriée est celle de la décision correcte, dans le cas des questions mixtes de droit et de fait, elle est celle de la décision raisonnable et dans le cas des questions de fait, elle est celle de la décision manifestement déraisonnable. Cette méthode a été confirmée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100.

 

[9]               Plus précisément, notre Cour a examiné la question de savoir si une organisation est visée à l’alinéa 34(1)c) de la Loi en appliquant la norme de la décision raisonnable (Kanendra c. Canada (MCI), 2005 CF 923, [2005] A.C.F. no 1156 (QL)). La question connexe de savoir si le demandeur faisait partie de l’organisation visée à l’alinéa 34(1)f) a également été révisée en fonction de la norme de la décision raisonnable, car il s’agit d’une question mixte de droit et de fait (Poshteh c. Canada (MCI), 2005 CAF 85, [2005] A.C.F. no 381 (QL)).

 

ANALYSE

[10]           Avant de passer aux arguments spécifiques soulevés par le demandeur, il importe de signaler que la norme de preuve prévue à l’article 34 est celle des « motifs raisonnables de croire », une norme que la Cour suprême du Canada a expliquée comme suit dans l’arrêt Mugesera, précité, au paragraphe 114 :

[...] La CAF a déjà statué, à juste titre selon nous, que cette norme exigeait davantage qu’un simple soupçon, mais restait moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile : Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), p. 445; Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.), par. 60.  La croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi : Sabour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1615 (1re inst.)

 

[11]           Il convient par ailleurs de signaler que, dans sa décision, la Commission a conclu que le demandeur s’était rendu complice des actes du MQM. Les avocats des parties ont également formulé des observations devant la Cour quant à la question de la complicité. Il ne sera pas nécessaire que la Cour les examine, étant donné que la question de la complicité n’entre pas en ligne de compte lorsqu’il s’agit de prendre une décision en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la Loi, qui vise strictement à savoir si l’intéressé était membre de l’organisation. Il y a donc lieu d’établir une distinction entre l’interdiction de territoire prévue à l’alinéa 34(1)f) et l’exclusion prévue à l’article 98 de la Loi, qui permet de refuser à un individu la qualité de réfugié par application de la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relatives au statut des réfugiés, si cet individu a « commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité » et qui, à défaut de preuve directe de l’implication de cet individu dans un crime précis, exige une conclusion de complicité avec l’organisation qui a commis le crime en question.

 

[12]           Dans le jugement Kanendra c. Canada (MCI), 2005 CF 923, [2005] A.C.F. no 1156 (QL), le juge Simon Noël a examiné la notion de « membre » à l’alinéa 34(1)f) de la Loi, et a déclaré ce qui suit :

¶ 21          Le demandeur soutient que le terme « membre » à l'alinéa 34(1)f) doit recevoir une interprétation restrictive de façon à ne pas viser les personnes qui peuvent s'associer et sympathiser avec une organisation visée aux alinéas 34(1)a), b) ou c), mais qui ne constituent pas elles-mêmes une menace pour le Canada. Il soutient également que le terme « membre » devrait être interprété de manière à englober uniquement les personnes qui sont des membres actuels et réels ou officiels, c'est-à-dire les personnes qui sont assujetties à la discipline de l'organisation et qui n'ont pas le droit d'agir en conformité avec d'autres convictions et d'autres stratégies que celles de l'organisation.

¶ 22          Adopter une telle interprétation serait contraire, à mon avis, à l'esprit de la loi et à la jurisprudence. Dans Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 40 Imm. L.R. (2d) 247 (C.F. 1re inst.), à la page 259 (paragraphe 22), infirmée en partie (pour des motifs différents) à 47 Imm. L.R. (2d) 1 (C.A.F.), le juge Teitelbaum a écrit : « L'appartenance ne saurait ni ne devrait être interprétée de façon restrictive quand elle se rapporte à la question de la sécurité nationale du Canada. Par ailleurs, l'appartenance ne fait pas uniquement référence à des personnes qui se sont livrées ou pourraient se livrer à des activités terroristes ». Voir également Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Singh (1998), 44 Imm. L.R. (2d) 309, aux paragraphes 51 et suivants (C.F. 1re inst.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Owens (2000), 9 Imm. L.R. (3d) 101, aux paragraphes 16 à 18 (C.F. 1re inst.); Poshteh, précité, au paragraphe 29.

¶  23         Par conséquent, le terme « membre » employé à l'alinéa 34(1)f) de la Loi devrait recevoir une interprétation libérale. Le demandeur craint que les personnes qui ne constituent pas une menace pour la sécurité du Canada malgré le fait qu'elles ont déjà été membres d'une organisation visée aux alinéas 34(1)a), b) ou c) soient exclues par l'alinéa 34(1)f). Je constate cependant que le paragraphe 34(2) fait en sorte que cela n'arrive pas. Cette disposition prévoit qu'une personne qui serait interdite de territoire en raison de certains liens ou activités n'est pas réputée l'être si elle peut convaincre le ministre qu'elle ne constitue pas un danger pour la sécurité du Canada. La loi a aussi été interprétée de cette manière dans Suresh (C.S.C.), précité. Même si cet arrêt a été rendu sous le régime de l'article 19 de l'ancienne Loi sur l'immigration, le principe reste le même.

¶ 24          Il faut donc, pour savoir si un demandeur a été ou est membre d'une organisation visée aux alinéas 34(1)a), b) ou c), évaluer sa participation au sein de l'organisation […]

 

 

[13]           Dans le cas qui nous occupe, il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était membre du MQM et qu’il l’est d’ailleurs toujours. Il a adhéré à l’aile étudiante de l’organisation en 1987, est devenu un travailleur à part entière du MQM en 1993 et a continué à participer aux activités du MQM jusqu’à son départ pour le Canada en 1998. Rien ne permet de penser qu’il a été forcé d’adhérer à l’organisation ou qu’on l’a empêché de la quitter. En fait, à son arrivée au Canada, le demandeur est devenu membre du chapitre canadien de l’organisation et il est présentement le directeur de MQM Québec. Le commissaire a nettement reconnu ces faits en écrivant ce qui suit :

Par conséquent, j’estime qu’il savait ce qui se passait, qu’il a volontairement joint les rangs de l’AMPSO, puis du Parti, qu’il est resté membre et militant du Parti jusqu’à son départ, sans jamais tenter de s’en dissocier, et qu’il occupe toujours un poste supérieur au sein de celui‑ci. Il a affirmé quelques fois que son parti avait souvent condamné la violence imputée à certains de ses membres, mais il n’a pu fournir aucune preuve à cet effet.

 

[14]           En l’espèce, il a été clairement démontré que le demandeur était membre de l’organisation en question. La seule question à laquelle la Cour doit répondre est celle de savoir s’il existe des motifs raisonnables de croire que le MQM est une organisation qui est, a été ou sera l’auteur d’actes de terrorisme.

 

[15]           Enfin, bien que la Commission se soit trompée en examinant la question de la complicité au lieu de se contenter de vérifier si le demandeur était membre de l’organisation, il ne s’agit pas là d’une erreur qui justifie l’annulation de sa décision, car elle n’a pas d’incidence sur l’issue de la décision (Association canadienne de télévision par câble c. American College Sports Co., [1991] 3 C.F. 626, [1991] A.C.F. no 502 (QL)).

 

La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le MQM est une organisation visée à l’alinéa 34(1)c) de la Loi?

 

[16]           Pour pouvoir déterminer s’il existe des motifs raisonnables de croire que le MQM est une organisation qui est, a été ou sera l’auteur d’actes de terrorisme, il faut d’abord définir le terme « terrorisme ». C’est ce qu’a déjà fait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Suresh c. Canada (MCI), [2002] 1 R.C.S. 3, dans lequel la Cour écrit, au paragraphe 98 :

 98      À notre avis, on peut conclure sans risque d’erreur, suivant la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, que le terme « terrorisme » employé à l’art. 19 de la Loi inclut tout « acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ».  Cette définition traduit bien ce que l’on entend essentiellement par « terrorisme » à l’échelle internationale. 

 

 

[17]           C’est la définition que la Commission a appliquée et c’est aussi la définition que notre Cour continue d’utiliser (Fuentes c. Canada, 2003 CFPI 379, [2003] A.C.F. no 540, [2003] 4 C.F. 249 (QL), Ali c. Canada, 2004 CF 1174, [2004] A.C.F. no 1416 (QL)). Le demandeur fait toutefois valoir qu’en écrivant ce qui suit, la Commission a commis une erreur dans son interprétation de la définition proposée par la Cour suprême du Canada :

Il est parfaitement clair que l’intimidation, lorsqu’elle est accompagnée de violence, de torture, d’assassinats, d’utilisation de centres de détention secrets ou d’attentats à la bombe, fait partie des actes qui entrent dans la définition du terrorisme s’ils visent aveuglément l’ensemble de la population ou même de simples opposants politiques qui ne participent pas personnellement aux hostilités.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[18]           Le demandeur soutient qu’une intimidation qui vise des opposants politiques ne constitue pas un acte de violence visant à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation au sens de la définition du terrorisme proposée dans l’arrêt Suresh, précité. Le demandeur ajoute qu’on ne peut considérer comme du terrorisme les règlements de comptes au sein d’une organisation, ou entre des organisations, aussi ignobles et condamnables sur le plan moral que ces procédés puissent être. Qui plus est, les « civils » ou « toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé », pour reprendre la définition du terrorisme proposée dans l’arrêt Suresh, précité, sont censés s’entendre de cibles choisies au hasard et non d’un groupe d’opposants dont l’identité est connue.

 

[19]           Pour sa part, le défendeur soutient que l’argument du demandeur ne résiste pas à une lecture attentive des motifs de la Commission à la lumière de la définition du terrorisme proposée par la Cour suprême dans l’arrêt Suresh, précité. D’ailleurs, la Commission parle de « l’ensemble de la population ou même de simples opposants politiques qui ne participent pas personnellement aux hostilités », qui sont de toute évidence visés aveuglément par les actes commis par le MQM. Il faut également examiner la question en tenant compte du fait que la Commission a estimé que les actes de violence commis dans le cadre de guérillas urbaines « au cours desquelles des membres des deux parties participent directement aux hostilités » ne permettaient pas de conclure à l’existence de terrorisme.

 

[20]           Comme les « opposants politiques » pourraient, en théorie, être les personnes se trouvant au Pakistan qui appuient une organisation politique autre que le MQM, ce qui est susceptible de représenter une tranche très importante de la population, je crois que les opposants qui ne participent pas directement aux hostilités pourraient être considérés comme des civils ou comme d’autres personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, au sens de la définition du terrorisme que l’on trouve dans l’arrêt Suresh. Je suis par conséquent d’accord avec le défendeur pour dire que la définition adoptée par la Commission était appropriée et qu’elle ne justifie pas l’intervention de la Cour.

 

[21]           Pour ce qui est de la conclusion de la Commission suivant laquelle il y a des motifs raisonnables de croire que le MQM est une organisation qui est, a été ou sera l’auteur d’actes de terrorisme, je reproduis l’extrait suivant des motifs de la Commission :

Je conviens de la déclaration de Me Bertrand selon laquelle lorsque des actes de violence reportés sont examinés, ils doivent être examinés eu égard au contexte de violence politique qui caractérise le Pakistan depuis des décennies. Cependant, il faut aussi se rappeler que cette violence a pris des proportions endémiques au cours des années pendant lesquelles M. Omer militait pour le MQM-A.

 

Les actes commis directement contre des membres de l’opposition identifiables ne seraient pas associés au terrorisme dans des guérillas urbaines au cours desquelles des membres des deux parties participent directement aux hostilités. Des 13 éléments (extraits de la preuve documentaire) énumérés par M. Beaupré dans la partie décrivant la nature du groupe (page 2 de ses observations), les numéros 5 — l’enlèvement et la lutte contre l’enlèvement des étudiants activistes du Parti du peuple pakistanais (PPP) et du MQM — et 7 — des personnes ont été tuées presque tous les jours lors d’affrontements entre des factions du MQM et entre le MQM et les nationalistes sindhis — peuvent par conséquent être écartés. Cependant, un bon nombre des actes (énumérés par M. Beaupré dans ses observations ou mentionnés dans la preuve documentaire) auxquels le MQM, le MQM‑A ou certains de ses membres se seraient livrés pourraient être considérés comme des actes terroristes. Il est parfaitement clair que l’intimidation, lorsqu’elle est accompagnée de violence, de torture, d’assassinats, d’utilisation de centres de détention secrets ou d’attentats à la bombe, fait partie des actes qui entrent dans la définition du terrorisme s’ils visent aveuglément l’ensemble de la population ou même de simples opposants politiques qui ne participent pas personnellement aux hostilités.

 

La preuve documentaire qui rapporte ces événements manque-t-elle tant de crédibilité, comme le déclare le conseil de M. Omer, qu’elle doit être entièrement rejetée? Je ne crois pas. Même si les organisations qui ont rapporté ces événements utilisent des termes tels que [traduction] « imputé », « prétendu » ou « sont soupçonnés de », le nombre de témoins, une certaine corroboration et la cohérence de l’information provenant de ces diverses sources suffisent à conclure que ces pièces en particulier sont crédibles et dignes de foi. Il s’agit dans ce cas d’intimidation, souvent accompagnée de violence (M‑2, p. 38; M‑3, p. 1596; M‑5, p. 3; M‑5, p. 17; M‑8, paragr. 76; M‑12, p. 1), de viols (M‑2, p. 38), de torture, d’assassinats, d’utilisation de centres de détention secrets (M‑2, p. 37, 38, 39 et 40; M‑3, p. 1588 et 1593; M‑4, p. 5; M‑5, p. 2; M‑8, paragr. 76, 78, 81 et 82; M‑10, p. 1085; M‑11, p. 2 et 3), d’attaques à la bombe (M‑10, p. 1088) et d’actes terroristes en général (M‑9, p. 1; M‑10; M‑12, p. 1). Bref, j’estime que la définition d’un acte terroriste dans Suresh peut s’appliquer aux activités du MQM et du MQM‑A pendant toutes les années dont il est question en l’espèce, et donc que ces organisations se livraient au terrorisme.

 

[22]           Le demandeur soutient que les motifs de la Commission ne révèlent pas l’existence de motifs raisonnables de croire que le MQM est une organisation terroriste. La preuve démontre tout au plus que certains membres dévoyés de l’organisation auraient été impliqués dans des actes de violence qui n’ont pas toujours été condamnés par l’organisation.

 

[23]           Le demandeur maintient aussi qu’il n’existe aucun motif raisonnable de conclure que le MQM est une organisation terroriste, étant donné que cette croyance ne possède pas de fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi. Bien que, dans l’ensemble, la preuve du ministre provienne de sources fiables comme Amnistie Internationale, les US Country Report et le rapporteur des Nations Unies, le demandeur maintient que la provenance de ces renseignements manque de crédibilité, ce qui explique pourquoi on y signale que les violences qu’on y décrit sont « imputées » au MQM ou « auraient » été commises par le MQM. Le demandeur affirme que le Pakistan est un des pays les plus corrompus du monde, que la désinformation y est généralisée et que, comme les autorités mentent souvent pour arriver à leurs fins, on ne peut leur faire confiance comme source de renseignements.

 

[24]           Il importe de bien préciser à ce moment-ci qu’il n’appartient pas à la Cour de déterminer si le MQM est une organisation terroriste et que l’on ne demande pas à la Cour de dire si elle aurait conclu que le MQM est une organisation qui se livre, s’est livrée ou se livrera à du terrorisme. La question à laquelle la Cour doit répondre est plutôt celle de savoir si la conclusion de la Commission suivant laquelle il existe des motifs raisonnables de croire que le MQM est une organisation qui se livre, s’est livrée ou se livrera à du terrorisme est en soi raisonnable.

 

[25]           Ce n’est pas la première fois que cette question fait l’objet d’un contrôle judiciaire. Dans le jugement Ali c. Canada (MCI), 2004 CF 1174, [2004] A.C.F. no 1416 (QL), la juge Anne L. Mactavish a conclu ce qui suit, aux paragraphes 64 à 68 :

 64      D'autres difficultés se posent à l'égard de la décision de l'agente. Les motifs de l'agente d'immigration font précisément référence à l'admission de M. Ali selon laquelle il était, et demeure, membre du MQM-A. En conséquence, il existe clairement une explication explicite de la conclusion de l'agente quant à l'appartenance à l'organisation. Toutefois, je suis préoccupée au sujet de l'omission de l'agente de mentionner des actes précis posés par le MQM-A qui satisferaient à la définition de « terrorisme » de l'arrêt Suresh ou de fournir une analyse de ces éléments de preuve. On peut également se questionner au sujet de la suffisance des éléments de preuve appuyant la conclusion de l'agente.

 

[…]

 

 67      Comme l'a fait remarquer la juge Layden-Stevenson dans la décision Alemu, précitée :

Une conclusion d'exclusion est très importante pour un demandeur. Il faut faire preuve de circonspection afin d'être tout à fait certain que ces conclusions sont tirées comme il se doit. Le tribunal ne substituera pas son opinion à celle du décideur si l'analyse et le fondement de la décision sont raisonnables. Il n'en est pas ainsi en l'espèce. Une conclusion d'exclusion doit être fondée sur des motifs qui permettent de connaître la nature du groupe [...]. [À défaut], le résultat est bien loin d'être raisonnable. [Au paragraphe 41.]

  68         En l'espèce, les motifs de l'agente ne fournissent pas un fondement adéquat à sa conclusion selon laquelle il y a des motifs raisonnables de croire que le MQM-A est un groupe qui se livre à des activités terroristes. Plus particulièrement, il n'y a aucune analyse du rapport de la CISR ni aucune précision quant aux activités exercées par le MQM-A que l'agente estime être de nature terroriste. À mon avis, vu le caractère sérieux de la conclusion en cause et des conséquences en découlant pour M. Ali, il incombait à l'agente de fournir certaines explications au sujet de sa conclusion selon laquelle il y a des motifs raisonnables de croire que le MQM-A est une organisation terroriste. Son omission de le faire constitue une erreur susceptible de révision.

 

[26]           Dans le jugement Khan c. Canada (MCI), 2005 CF 1053, [2005] A.C.F. no 1303 (QL), le juge Douglas Campbell a confirmé la conclusion que le MQM est une organisation qui se livre, s’est livrée ou se livrera à du terrorisme en se fondant essentiellement sur un rapport d’Amnistie Internationale. Le juge Campbell écrit ce qui suit, aux paragraphes 13, 14 et 15 :

 13     L'avocat du demandeur soutient principalement que le rapport d'Amnistie Internationale sur lequel le commissaire s'est appuyé ne constituait pas une preuve suffisante, car il ne s'agissait pas d'une évaluation indépendante des activités du MQM. Le demandeur prétend ce qui suit à cet égard :

[traduction]

71.              Tous ces « rapports » et ces « allégations » sont du ouï‑dire et ne sont pas crédibles. En fait, Amnistie Internationale a mis en doute la crédibilité de son propre rapport en déclarant : « Il a été impossible à Amnistie Internationale de procéder à une vérification indépendante des rapports sur les tortures pratiquées par le MQM. »

72.              En d'autres termes, la crédibilité de cet unique document traitant de la question dont le commissaire était saisi est très discutable.

[Souligné dans l'original.]

(DD, pages 54 et 55, paragraphes 71 et 72)

 14            À cet égard, je suis d'avis qu'une lecture complète du rapport (DD, page 37) ne corrobore pas cette prétention. Le rapport indique bien qu'Amnistie Internationale n'a pas été en mesure d'effectuer une vérification indépendante des rapports sur les actes de torture, mais il mentionne également que les renseignements proviennent de différentes sources, dont des membres des autres partis politiques, les médias, l'armée et des [TRADUCTION] « observateurs ». Je ne vois pas en quoi le commissaire a commis une erreur en donnant de la valeur au rapport parce que « la présentation d'informations et d'incidents semblables dans des publications différentes est un gage de la fiabilité des documents » (DD, page 19, paragraphe 31).

 15          Par conséquent, je souscris sans la moindre hésitation à la prétention de l'avocat du défendeur selon laquelle les éléments de preuve contenus à l'onglet 5 ne constituent peut-être pas une preuve selon la prépondérance des probabilités, mais il ne s'agit pas simplement de vagues soupçons. J'estime donc que ces éléments de preuve satisfont à la norme des « motifs raisonnables de croire » dont il est question à l'alinéa 34(1)f). En conséquence, il faut répondre affirmativement à la deuxième question.

 

 

[27]    La présente espèce se rapproche manifestement beaucoup plus de la situation dont il était question dans l’affaire Khan, précitée, que de celle qui était en cause dans l’affaire Ali, précitée, car la Commission y a motivé sa conclusion, ce qui permet de penser qu’elle s’est livrée à une certaine analyse et qu’elle a clairement recensé les activités du MQM qu’elle considérait comme des activités de nature terroriste. La Commission a également abordé la question de la crédibilité de la preuve, en concluant que « le nombre de témoins, une certaine corroboration et la cohérence de l’information provenant de ces diverses sources suffisent à conclure que ces pièces en particulier sont crédibles et dignes de foi ».

 

[28]    Enfin, pour ce qui est de l’évaluation de la preuve documentaire et de la crédibilité du demandeur, les conclusions tirées par la Commission ont droit à un degré élevé de retenue de notre part et la Cour ne réévaluera pas les éléments de preuve portés à la connaissance de la Commission. Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans l’arrêt Mugesera, précité, au paragraphe 38 :

[…] La SAI peut fonder sa décision sur les éléments de preuve qui lui sont présentés et qu’elle estime crédibles et dignes de foi dans les circonstances : par. 69.4(3) de la Loi sur l’immigration.  Le tribunal de révision doit manifester une grande déférence à l’égard de ses conclusions. La CAF a d’ailleurs elle‑même statué que la norme de contrôle applicable à une décision sur la crédibilité et la pertinence de la preuve était celle de la décision manifestement déraisonnable : Aguebor c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), 160 N.R. 315, par. 4.

 

[29]    Dans le jugement Fuentes, précité, le juge François Lemieux déclare, au paragraphe 84 :

 84     Il est bien établi en droit que l'arbitre peut préférer une preuve documentaire au témoignage d'un revendicateur, mais l'arbitre devait expliquer en termes clairs et indubitables pourquoi elle préférait la preuve documentaire au témoignage du demandeur (voir l'arrêt Okyere‑Akosah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. n ° 411 (C.A.F.). C'est ce que l'arbitre n'a pas fait.

 

[30]    Bien que le demandeur maintienne que le MQM n’est pas une organisation terroriste et que seuls certains membres dévoyés de l’organisation auraient été impliqués dans de tels actes, la Commission a préféré la preuve documentaire au témoignage du demandeur. Contrairement à la situation qui existait dans l’affaire Fuentes, précitée, dans le cas qui nous occupe, le fait que la Commission a préféré la preuve documentaire au témoignage du demandeur s’expliquait par sa conclusion que ce dernier manquait de crédibilité. Le commissaire écrit ce qui suit :

Le témoignage de M. Omer, entendu pendant plusieurs heures, manque de crédibilité. Lorsqu’il a été interrogé à propos des activités de son parti ou de certains de ses membres et mis en présence de la preuve documentaire rapportant ces activités, M. Omer était vague, a essayé de contourner les questions et a d’abord nié connaître l’existence de ces allégations, pour ensuite admettre avec réticence qu’il avait « peut-être » entendu parler d’elles et qu’il avait « probablement » lu des articles à ce sujet dans les journaux […] Je crois que M. Omer savait ce qui se passait au Pakistan en général et, en particulier, dans son parti.

[…]

De plus, les raisons pour lesquelles M. Omer essaie de cacher le fait qu’il est responsable (unité responsable/M‑17) de la division de Montréal de MQM Canada me porte à croire qu’il savait que son parti commettait de nombreux actes violents.

 

[31]           Après avoir examiné les motifs de la Commission à la lumière de la preuve présentée, j’estime que la conclusion de la Commission suivant laquelle il existe des motifs raisonnables de croire que le MQM est une organisation qui est, a été ou sera l’auteur d’actes de terrorisme est raisonnable. Bien que la Commission n’ait pas procédé à une analyse détaillée des documents sur lesquels elle s’est fondée, contrairement à ce qui avait été fait dans le cas du rapport d’Amnistie Internationale dans l’affaire Khan, précitée, elle a relevé une série d’actes attribués au MQM qu’elle a considérés comme une preuve d’activités terroristes, et elle a indiqué avec précision à quel endroit on pouvait trouver ces éléments de preuve dans la documentation soumise. La Commission s’est non seulement fondée sur plusieurs documents différents, mais elle a également expliqué pourquoi elle considérait ces renseignements crédibles. Tout comme dans l’affaire Khan, précitée, bien que les éléments de preuve sur lesquels la Commission s’est fondée ne satisfassent peut-être pas à la norme de la preuve prépondérante, il s’agit bien plus que de « vagues soupçons » et ces éléments de preuve semblent effectivement reposer sur des renseignements concluants et dignes de foi. La décision de la Commission est donc raisonnable et la Cour refuse de la modifier.

 

[32]    Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[33]    Aucun des avocats n’a suggéré de question à certifier.

 

 

JUGEMENT

 

1.                  La demande est rejetée;

2.                  Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« Pierre Blais »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5295-06

 

INTITULÉ :                                       MOHAMMED KASHIF OMER c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 18 AVRIL 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 3 MAI 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Jean-François Bertrand                   POUR LE DEMANDEUR

 

Me Lisa Maziade                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Jean-François Bertrand                  

Montréal (Québec)                               POUR LE DEMANDEUR

 

                       

JOHN H. SIMS, c.r.

Montréal (Québec)                               POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.