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Date : 20070430

Dossier : IMM-3632-06

Référence : 2007 CF 457

Ottawa (Ontario), le 30 avril 2007

en présence de monsieur le juge de Montigny

 

entre :

SAFRAZ VICKRAM

demandeur

et

 

le ministre de la Citoyenneté et de l’immigration

défendeur

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE et ordonnance

 

 

[1]               M. Safraz Vickram, né le 17 octobre 1978, est un citoyen du Guyana. M. Vickram était un homme d’affaires prospère, mais il affirme qu’il a été menacé, battu et harcelé par un groupe de bandits. Il craint pour sa vie s’il était renvoyé au Guyana et allègue qu’il serait visé non seulement en raison de sa richesse, mais également en raison de ses origines indo-guyaniennes. Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la Section de la protection des refugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a rejeté la demande d’asile de M. Vickram.

 

les faits

[2]               M. Vickram déclare qu’il a été agressé la première fois chez lui le 22 décembre 2004. Il soutient que les bandits ont volé 250 000 dollars guyaniens et qu’ils l’ont battu si durement qu’il a été hospitalisé pendant quatorze jours. Il a déclaré à la Commission qu’il a déposé quatre plaintes à la police relativement à cette attaque, sans succès. Les quatre plaintes ont toutes été déposées au commissariat de police le plus proche, situé à environ dix miles de l’endroit où il habitait. Toutefois, il n’a pas recherché l’aide d’une autorité plus haut placée.

 

[3]               M. Vickram dit que le 15 janvier 2005, quelques jours après sa sortie de l’hôpital, il a de nouveau été attaqué par les mêmes [traduction] « trois bandits noirs ». Malgré la gravité de l’attaque, il n’a pas demandé à son domestique de le conduire à l’hôpital. Il n’a pas non plus déclaré l’incident à la police parce que les bandits ont menacé de le tuer si jamais il s’adressait aux autorités. À partir de là, il a été constamment harcelé par des lettres et des appels téléphoniques, par lesquels on lui ordonnait de donner 1 000 000 de dollars guyaniens à ses assaillants.

 

[4]               M. Vickram est ensuite allé voir le pasteur de son église qui lui a dit que son meilleur choix était de s’enfuir au Canada. M. Vickram ne savait pas quoi faire, et puisqu’il avait abandonné tout espoir d’obtenir la protection du gouvernement et de la police, il est venu au Canada et a demandé l’asile.

 

la DéCISION de la Commission

[5]               La Commission a décidé que le fond de la demande de M. Vickram n’était aucunement lié aux cinq motifs énumérés dans la Convention. Même si elle a reconnu l’existence de tensions ethniques entre les citoyens de descendance africaine et ceux qui sont originaires d’Asie du Sud, et le reflet de cette dualité dans la structure des partis politiques au Guyana, la Commission s’est également fondée sur la preuve documentaire qui révèle les efforts du gouvernement pour faire baisser la violence entre les deux groupes. Sur cette base, la Commission a conclu que des attaques criminelles peuvent être motivées par des considérations raciales ou politiques parce que les Indo‑Guyaniens sont perçus par les autres Guyaniens comme étant riches et privilégiés. La Commission a également conclu que M. Vickram serait perçu comme un partisan du parti politique à majorité indo‑guyanienne s’il était renvoyé au Guyana. Cela étant dit, la Commission a néanmoins conclu que les actes de violence perpétrés contre M. Vickram étaient des actes criminels non liés à son appartenance ethnique et par conséquent, la Commission a rejeté sa demande fondée sur l’article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[6]               La Commission a ensuite examiné si M. Vickram était exposé à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou à un risque de torture selon l’article 97 de la LIPR. Puisque la douleur et la souffrance de M. Vickram ne peuvent pas être liées à un fonctionnaire ou à toute autre personne agissant à titre officiel, la Commission a conclu qu’il n’y avait pas de motifs sérieux de croire que le renvoi de M. Vickram au Guyana le soumettrait personnellement à un risque de torture. De la même façon, la Commission a également estimé que les incidents de violence étaient des actes criminels perpétrés au hasard auxquels les citoyens étaient dans l’ensemble exposés. Quel que soit le risque qui existait, M. Vickram n’y était pas personnellement exposé.

 

[7]               Enfin, la Commission a estimé que M. Vickram n’a pas réfuté la présomption de la capacité de l’État à protéger ses citoyens. La Commission s’est fondée sur les arrêts Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm.L.R. (2d) 130 (C.A.F.), et Kadenko c. Canada (Procureur général) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532 (C.A.F.), et elle a pris acte de ce que la police est parfois inefficace en matière de lutte contre la criminalité. Toutefois, la Commission a conclu que la police n’exercait pas de discrimination particulière contre les Indo‑Guyaniens. Après avoir examiné la preuve documentaire, la Commission a conclu que le gouvernement du Guyana avait la maîtrise de ses forces policières et militaires et qu’il avait pris différentes mesures pour réduire la violence et la discrimination dans le pays. Parce que le Guyana dans l’ensemble est une démocratie, M. Vickram avait l’obligation de prendre d’autres mesures pour rechercher la protection de l’État, s’il craignait de subir un préjudice grave ou de mauvais traitements.

 

les questions en litige

[8]               Dans ses observations écrites, M. Vickram a soulevé un certain nombre de questions qui vont de la crainte raisonnable de partialité à une série de questions relatives à l’évaluation des faits et à la crédibilité. Toutefois, lors de l’audience, l’avocat du demandeur a retiré un certain nombre de ces arguments et s’est plutôt concentré sur les deux questions suivantes :

1.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il n’y avait aucun lien entre la crainte de persécution du demandeur et l’un des cinq motifs énoncés dans la définition de réfugié au sens de la Convention?

 

 

2.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption selon laquelle le Guyana est en mesure de protéger ses citoyens?

 

analyse

 

[9]               Après avoir soigneusement examiné le dossier, je ne puis conclure que l’examen de la demande de M. Vickram par la Commission a été fait de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait, ce qui constitue la norme pour le contrôle judiciaire portant sur les conclusions de fait, comme le prévoit l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, dans sa version modifiée. Il est maintenant de jurisprudence constante que le rôle de la Cour n’est pas de substituer son opinion sur les faits à celle de la Commission. La Commission a l’avantage non seulement de voir et d’entendre les témoins, mais elle a également l’avantage de l’expertise de ses commissaires dans l’évaluation de la preuve relative aux faits dans son domaine de connaissances spécialisées. Par conséquent, la décision manifestement déraisonnable est la norme de contrôle pour la première question, ce qui requiert une évaluation de preuve par la Cour. Voir Aguebor c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), 160 N.R. 315, au paragraphe 4.

 

[10]           L’avocat de M. Vickram soutient que son client a allégué l’appartenance ethnique comme étant le motif pour lequel les actes de violence ont été perpétrés contre lui. Selon lui, la preuve documentaire donne à penser que la richesse est une indication de l’appartenance ethnique et que les deux sont étroitement liées. Si la Commission était d’avis qu’elles pouvaient être distinguées l’une de l’autre et que M. Vickram avait été la victime d’actes criminels sans connotation ethnique, elle aurait dû expliquer pourquoi, plutôt que de simplement l’énoncer comme une question de fait au‑delà de toute contestation. Ainsi en est-il de son argument.

 

[11]           Je dois reconnaître que les motifs de la Commission sur cet aspect de la demande sont assez hermétiques, c’est le moins que l’on puisse dire. Après avoir examiné la preuve documentaire et noté que les opinions divergent sur la question de savoir si les citoyens indo‑guyaniens sont victimes de criminalité de façon disproportionnée, le commissaire a affirmé ce qui suit à la page 9 du dossier du tribunal :

Je conclus que certains actes criminels, pas tous, ont peut‑être des motifs raciaux ou politiques. En conséquence, j’ai examiné l’expérience personnelle du demandeur d’asile pour m’aider à déterminer les risques auxquels il pourrait être exposé en cas de retour en Guyana. Compte tenu de ses origines ethniques, je considère que le demandeur d’asile sera perçu comme un partisan du PPP.

 

Je conclus que le préjudice dont il affirme avoir été victime est un acte criminel qui n’a pas de lien avec l’un des motifs énoncés dans la définition de réfugié au sens de la Convention. J’estime que le demandeur d’asile n’est pas un réfugié au sens de la Convention.

 

 

[12]           Cela étant dit, je suis d’avis que la conclusion finale de la Commission est appuyée par la preuve. Lors de l’audience, M. Vickram a déclaré à plusieurs reprises qu’il croyait être visé en raison de sa richesse. Le dialogue suivant entre M. Vickram et son avocat à la page 292 du dossier du tribunal est assez révélateur :

[traduction]

avocat : L’incident qui vous est arrivé, était‑il dû au fait que vous êtes un homme d’affaires ou était-ce en raison de votre race? (inaudible) vous ou votre race, qu’en pensez‑vous?

 

demandeur : Parce que j’étais un homme d’affaires ayant pignon sur rue, j’avais une grande maison, une belle maison et je gagnais beaucoup d’argent, c’est la raison.

 

 

[13]           Il est vrai que lorsqu’il a répondu à une question semblable plus tôt lors de son témoignage, M. Vickram a en quelque sorte fait allusion à un lien entre sa richesse et son appartenance ethnique (voir par exemple la page 261 du dossier du tribunal). Cependant, nulle part ailleurs, il n’a donné plus de détails sur cet argument ou fourni des preuves pour l’étayer. Par conséquent, la Commission a, à bon droit, conclu, sur la base de la preuve documentaire et sur la foi du témoignage de M. Vickram, qu’il était victime d’actes criminels non liés à la Convention. Même si cette conclusion aurait pu être plus convaincante si elle avait été mieux expliquée et mieux étayée, on ne peut pas dire que la Commission a tiré une conclusion abusive ou qu’elle a tiré sa conclusion sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

 

[14]           Étant donné la nature de la demande de M. Vickram, une voie plus plausible et plus réaliste aurait été une demande dans le cadre de la catégorie des personnes à protéger de l’article 97 de la LIPR. La Commission, citant Salibian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 250 (C.A.), et Rizkallah c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1992), 156 N.R. 1 (C.A.F.), a correctement interprété le droit, soit que le risque couru ne doit pas provenir d’actes commis à l’aveugle ou au hasard et contre l’ensemble de la population. Le tribunal a conclu que le risque couru par M. Vickram était lié aux activités criminelles et que ce risque n’était pas plus élevé que celui couru par la population dans son ensemble.

 

[15]           Enfin, l’avocat de M. Vickram a soutenu que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le gouvernement du Guyana pouvait protéger M. Vickram. Premièrement, la Commission a appliqué le mauvais critère en exigeant un effondrement complet de l’État pour que l’on puisse réfuter la présomption de protection de l’État. En outre, il y avait des éléments de preuve selon lesquels le président lui‑même avait pris acte de l’existence de problèmes de sécurité, ce qui appuyait ainsi la position de M. Vickram sur le manque d’efficacité de la police au Guyana. Dans ce contexte, il affirme que dénoncer un crime quatre fois aurait dû être considéré comme suffisant pour établir que l’État n’était pas en mesure de fournir une protection efficace.

 

[16]           Je n’ai pas besoin de faire de commentaires sur cet aspect des motifs de la Commission. Je n’ai pas non plus besoin de déterminer quelle est la norme de contrôle applicable à cette question précise, puisqu’elle a été analysée par excès de prudence et que ce n’était pas essentiel à la décision globale de la Commission. Après avoir conclu que la crainte de M. Vickram n’avait aucun lien avec la Convention et qu’il ne courait pas de risque plus élevé d’être la victime d’activités criminelles que le reste de la population en général, la Commission n’avait pas besoin de décider si l’État pouvait néanmoins le protéger. La discussion sur la protection de l’État était un argument subsidiaire. Par conséquent, toute faille dans l’application des principes ou dans son évaluation des faits ne diminuerait pas la portée de sa décision finale.

 

[17]           Par conséquent, pour tous ces motifs, je rejetterai la présente demande de contrôle judiciaire.


ORDonnance

 

la cour ordonne : la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des refugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada en date du 13 juin 2006 est rejetée. Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

 

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOssier :                                                    IMM-3632-06

 

INTITULÉ :                                                   SAFRAZ VICKRAM 

c.

le minstre de la citoyenneté

et de l’immigration

 

lieu de l’audience :                             TORONTO (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 18 avril 2007

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

et ordonnance :                                   le juge DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                                  le 30 avril 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Ahmad Baksh

pour le demandeur

 

 

Lorne Mcclenaghan

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ahmad N. Baksh

Ahmad N. Baksh & Associate

1280, avenue Finch Ouest, pièce 307

Toronto (ON)  M3J 3K6

 

pour le demandeur

 

John H. Sims

Sous‑procureur général du Canada

 

  pour le défendeur

 

 

 

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