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Date : 20070425

Dossier : T-1838-05

Référence : 2007 CF 437

ENTRE:

ECLIPSE INTERNATIONAL FASHIONS CANADA INC.

demanderesse

et

THE JEAN SHOP LIMITED

défenderesse

ET ENTRE

THE JEAN SHOP LIMITED

demanderesse reconventionnelle

et

ECLIPSE INTERNATIONAL FASHIONS CANADA INC.,

DARSHAN KHURANA, SANTOSH KHURANA, LLOYD

PRIZANT, JOYCE MANN PRIZANT, SUBHASH KHANNA,

LAUREEN FERGUSON ET TRIO SELECTION INC.

défendeurs reconventionnels

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE MORNEAU

[1]               Il s’agit essentiellement en l’espèce d’une requête des défendeurs reconventionnels en vertu de la règle 221 des Règles des Cours fédérales (les règles) afin d’obtenir la radiation d’une série de paragraphes qui se retrouvent à la demande reconventionnelle que la défenderesse The Jean Shop Limited (la défenderesse Jean Shop) a jointe à la défense qu’elle a produite le 8 mars 2007.

Contexte

[2]               Dans une déclaration déposée en octobre 2005, la demanderesse Eclipse International Fashions Canada Inc. (ci-après Eclipse Canada) reproche à la défenderesse Jean Shop d’avoir usurpé par l’opération de commerces de vente de vêtements portant la raison commerciale Eclipse ses droits de propriétaire dans la marque de commerce enregistrée Eclipse qui se trouve utilisée par Eclipse Canada en association avec les vêtements pour femmes et en association avec d’autres types de vêtements pour ce qui est de l’un des défendeurs reconventionnels, soit Trio Selection Inc. qui détient une licence d’utilisation de la marque Eclipse (ci-après Trio Selection Inc.).

[3]               Sur la base essentiellement de la règle 191, la défenderesse Jean Shop a joint à titre de défendeurs reconventionnels, outre la demanderesse Eclipse Canada, la licenciée Trio Selection Inc. ainsi que les trois (3) administrateurs respectifs de chacune de ces corporations.

[4]               C’est à l’égard de l’inclusion dans un premier temps des défendeurs reconventionnels Trio Selection Inc. et des deux groupes d’administrateurs que les défendeurs reconventionnels soulèvent une objection.

[5]               L’autre difficulté majeure soulevée par ces défendeurs touche aux paragraphes de la demande reconventionnelle où Jean Shop réclame l’émission d’une injonction contre Eclipse Canada pour empêcher cette dernière de poursuivre un recours administratif devant le Registraire des entreprises du Québec par lequel, selon Jean Shop, Eclipse Canada pourrait obtenir un remède qui pourrait rentrer en conflit avec la juridiction plus étendue de notre Cour.

Analyse

Critères en matière de radiation

[6]               Tel que le rappelle l’extrait suivant de la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sweet et al. v. Canada (1999), 249 N.R. 17, au paragraphe 6 en page 23, une radiation ne survient sous l’un ou l’autre des alinéas de la règle 221 que si la situation visée est claire et évidente :

[6]  Statements of claim are struck out as disclosing no reasonable cause of action only in plain and obvious cases and where the Court is satisfied that the case is beyond doubt (see Attorney General of Canada v. Inuit Tapirisat of Canada et al., [1980] 2 S.C.R. 735 at 740; Operation Dismantle Inc. v. The Queen, [1985] 1 S.C.R. 441 and Hunt v. Carey Canada. Inc., [1990] 2 S.C.R. 959). The burden is as stringent when the ground argued is that of abuse of process or that of pleadings being scandalous, frivolous or vexatious (see Creaghan Estate v. The Queen, [1972] F.C. 732 at 736 (F.C.T.D.), Pratte J.; Waterside Ocean Navigation Company, Inc. v. International Navigation Ltd et al., [1977] 2 F.C. 257 at 259 (F.C.T.D.), Thurlow A.C.J.; Micromar International Inc. v. Micro Furnace Ltd. (1988), 23 C.P.R. (3d) 214 (F.C.T.D.), Pinard J. and Connaught Laboratories Ltd. v. Smithkline Beecham Pharma Inc. (1998), 86 C.P.R. (3d) 36 (F.C.T.D.) Gibson J.). The words of Pratte J. (as he then was), spoken in 1972, in Creaghan Estate, supra, are still very much appropriate:

“… a presiding judge should not make such an order unless it be obvious that the plaintiff's action is so clearly futile that it has not the slightest chance of succeeding ...”

[7]               En ce qui a trait à la demande de radiation dirigée contre les paragraphes de la demande reconventionnelle touchant la demande d’injonction contre toute poursuite devant le Registraire des entreprises du Québec, soit essentiellement les paragraphes 98g), h) et 108 à 113 de la demande reconventionnelle (ci-après l’interdit de poursuite), je considère qu’il n’est pas clair et évident que ces paragraphes doivent être radiés.

[8]               L’institution qui est l’interdit de poursuite, bien qu’inusitée, n’est pas inconnue en droit.

[9]               De plus, la Cour prend bien note des propos de Jean Shop à l’effet que cette demande d’interdit de poursuite est logée à la demande reconventionnelle à titre essentiellement d’inscription préliminaire et que si Jean Shop entend poursuivre dans cette veine, elle procédera par requête.  Il est donc prématuré de considérer l’opposition des défendeurs reconventionnels à la présence de cet interdit de poursuite à la demande reconventionnelle puisque Eclipse Canada aura la chance de faire valoir en temps et lieu tout motif de contestation.  Il n’y aura donc pas de radiation d’accordée quant aux paragraphes touchant cet interdit de poursuite.

[10]           Quant à la contestation des défendeurs reconventionnels à l’égard de l’inclusion de Trio Selection Inc. et des administrateurs de cette corporation et de ceux d’Eclipse Canada, la situation mérite à mon avis à l’égard des administrateurs l’intervention de cette Cour à ce stade-ci.

[11]           Il ressort que Jean Shop considère que l’ensemble des défendeurs reconventionnels présentement nommés à l’intitulé de cause sont si prêts l’un de l’autre tant au niveau corporatif qu’au niveau individuel entre les deux groupes d’administrateurs que tout cet ensemble de corporations et d’individus ne formerait finalement en fait qu’une seule entité corporative.

[12]           Jean Shop poursuit chaque membre de cette entité corporative sur une base de contribution et d’indemnité à l’égard de tout reproche qui pourrait être adressé à Jean Shop de par l’action principale puisque Jean Shop considère qu’Eclipse Canada et Trio Selection Inc. savaient depuis un bon nombre d’années que Jean Shop utilisait la marque Eclipse en tant que nom commercial.  Jean Shop parle donc de l’application à l’égard des défendeurs reconventionnels de l’institution d’équité connue comme les « laches and acquiescence ».

[13]           Je pense que la défense et demande reconventionnelle contient suffisamment d’allégations à l’égard d’Eclipse Canada et de Trio Selection Inc. quant à leur rôle, parfois confus, de propriétaire ou de licenciée de la marque Eclipse, et partant de leur aveuglement allégué à l’égard de l’utilisation de cette marque par Jean Shop, pour que la Cour refuse à ce stade-ci de rayer Trio Selection Inc. à titre de défenderesse reconventionnelle.  La Cour considère qu’il y a une connexité suffisante entre la cause d’action principale et la cause d’action de la demande reconventionnelle pour maintenir cette demande reconventionnelle à l’encontre d’Eclipse Canada et Trio Selection Inc.

[14]           Toutefois, à l’égard des administrateurs de ces deux corporations que sont Eclipse Canada et Trio Selection Inc., soit les six (6) individus apparaissant également à l’intitulé de cause à titre de défendeurs reconventionnels, la situation mérite, tel que mentionné plus avant, que la Cour intervienne.

[15]           Je pense que pour évaluer la situation, il y a lieu d’appliquer, mutatis mutandis, les principes connus par notre Cour lorsqu’en matière de propriété intellectuelle une partie cherche à impliquer la responsabilité personnelle de dirigeants de corporations.

[16]           Dans Dolomite Svenska Aktiebolag v. Dana Douglas Medical Inc. (1994), 58 C.P.R. (3d) 531 (ci-après Dolomite), la Cour a résumé comme suit en page 533 ce qui doit être allégué par une partie pour que tienne à titre personnel une action à l’égard d’un administrateur ou dirigeant d’une corporation :

In order to properly establish a cause of action against an individual as the directing mind of a corporation, a plaintiff cannot merely plead the facts of the defendant's capacity as a director or officer. The plaintiff must allege that the defendant knowingly and willingly authorized the infringing actions which form the basis of the cause of action. A statement of claim must particularize the circumstances from which it is reasonable to conclude that the purpose of the director or officer is not the direction of the manufacturing and selling activity of the company in the ordinary course of his relationship to it, but the deliberate, willful and knowing pursuit of a course of conduct that is likely to constitute infringement or reflects an indifference to the risk of infringement: Mentmore Manufacturing Co., Ltd. v. National Merchandise Manufacturing Co. Inc. (1978), 40 C.P.R. (2d) 164 at p. 174, […] Individuals who are officers and directors of corporations are not ipso facto responsible for infringement committed by their corporation: Katun Corp. v. Technofax Inc. (1988), 22 C.P.R. (3d) 269 at p. 270, 21 C.I.P.R. 270.

(je souligne)

[17]           L’extrait de l’arrêt Mentmore auquel la Cour réfère dans Dolomite se lit comme suit :

[T]here must be circumstances from which it is reasonable to conclude that the purpose of the director or officer was not the direction of the manufacturing and selling activity of the company in the ordinary course of his relationship to it but deliberate, willful and knowing pursuit of a course of conduct that was likely to constitute infringement or reflected an indifference to the risk of it.

[18]           Une application de ces enseignements à une lecture des divers allégués de la demande reconventionnelle ne me permet pas de retrouver des allégations de faits matériels suffisantes pour nous amener à retenir ou à comprendre que la demande reconventionnelle vise une conduite consciente de l’un ou l’autre des administrateurs qui va au-delà de leurs fonctions traditionnelles de gestion des affaires des corporations.

[19]           En conséquence, une ordonnance sera émise stipulant que seules les corporations Eclipse Canada et Trio Selection Inc. doivent apparaître à titre de défenderesses reconventionnelles dans l’intitulé de cause et que dans les quinze (15) jours de la date de l’ordonnance, Jean Shop devra signifier et déposer une Défense et demande reconventionnelle amendée où l’intitulé de cause aura ainsi été changé et où également toute allégation à la demande reconventionnelle touchant les administrateurs aura été radiée.

[20]           Eclipse Canada (et Trio Selection Inc. à l’égard de la défense reconventionnelle) auront vingt (20) jours par après pour signifier et déposer leur réponse et défense à la demande reconventionnelle amendée.

[21]           Vu le succès divisé sur la présente requête, aucuns dépens ne sont adjugés.

 

« Richard Morneau »

Protonotaire

 

Montréal (Québec)

25 avril 2007


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1838-05

 

INTITULÉ :                                       ECLIPSE INTERNATIONAL FASHIONS
CANADA INC.

                                                            et

                                                            THE JEAN SHOP LIMITED ET AL

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               16 avril 2007

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  LE PROTONOTAIRE MORNEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      20070425

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Jean-Faustin Badimboli

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Jonathan C. Cohen

Me Dennis S.K. Leung

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Dagenais Jacob

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Shapiro Cohen

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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