Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Date : 20070426

Dossier : T-586-06

Référence : 2007 CF 446

Ottawa (Ontario), le 26 avril 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

ENTRE :

PFIZER CANADA INC. et PFIZER INC.

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

RATIOPHARM INC.

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une requête présentée par la défenderesse Ratiopharm Inc. (Ratiopharm) en vertu du paragraphe 6(5) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement AC). Ratiopharm sollicite la radiation de la demande sous-jacente des demanderesses (collectivement désignées sous le nom de Pfizer) pour l’obtention d’une ordonnance interdisant au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer à Ratiopharm un avis de conformité pour la fabrication et la vente d’un médicament pour le cœur, le bésylate d’amlodipine (l’amlodipine). Le médicament d’amlodipine de Pfizer est commercialisé sous la marque Norvascmd. Dans la demande sous-jacente, Pfizer soutient que la délivrance d’un avis de conformité à Ratiopharm donnerait lieu à la contrefaçon de son brevet canadien no 2,355,493 (le brevet 493), inscrit à l’égard de Norvascmd conformément à l’article 4 du Règlement AC. 

 

[2]               Dans la présente requête, Ratiopharm affirme que la demande d’interdiction présentée par Pfizer est clairement dépourvue de fondement, qu’elle constitue un abus de procédure et qu’elle devrait en conséquence être radiée. Ratiopharm appuie en grande partie son argument sur deux décisions récentes, Pfizer Canada Inc. et Pfizer Inc. c. Le ministre de la Santé et Pharmascience Inc., [2007] A.C.F. no 274, 2007 CF 188 (Pharmascience) et Pfizer Canada Inc. et Pfizer Inc. c. Le ministre de la Santé et Cobalt Pharmaceuticals Inc., [2007] A.C.F. no 263, 2007 CF 187 (Cobalt), dans lesquelles le juge Roger Hugues a statué que la distribution d’un médicament d’amlodipine équivalent à Norvascmd, en l’occurrence par les fabricants de produits génériques, ne constituerait pas une contrefaçon du brevet 493 de Pfizer.  

 

Contexte

[3]               Pour mieux comprendre certaines questions soulevées par la présente instance, en particulier l’allégation d’abus de procédure formulée par Ratiopharm, il convient d’exposer l’historique du litige qui oppose les parties. 

 

[4]               Le brevet 493 de Pfizer a été déposé au Bureau des brevets le 21 août 2001 et publié le 23 février 2002. Il est fondé sur le dépôt prioritaire du brevet no 0020842.1 du Royaume‑Uni en date du 23 août 2000. Le brevet 493 expirera le 21 août 2021.

[5]               Le 23 janvier 2004, Ratiopharm a déposé auprès du ministre une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) concernant l’amlodipine. Dans la PADN, Ratiopharm a comparé son médicament projeté au Norvascmd de Pfizer, qui a reçu un avis de conformité à l’égard duquel le brevet 493 est inscrit.

 

[6]               Avant de déposer le brevet 493, Pfizer avait déposé au registre deux brevets inscrits à l’égard de Norvascmd : le brevet canadien no 1,253,865 (le brevet 865) et le brevet canadien no 1,321,393 (le brevet 393). Le brevet 865, déposé le 9 mars 1983, a expiré le 9 mai 2006 et n’est pas en jeu en l’espèce. Le brevet 393 a été déposé le 2 avril 1987 et expirera le 17 août 2010. La validité du brevet 393 de Pfizer a déjà été mise en cause dans une autre instance devant la Cour, puis en Cour d’appel fédérale. Dans cette précédente affaire, Ratiopharm a contesté la validité du brevet 393 et a d’abord eu gain de cause. Dans Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2006] A.C.F. no 273, 2006 CF 220, le juge Konrad von Finckenstein a conclu que Pfizer n’avait pas réussi à réfuter les allégations d’invalidité formulées par Ratiopharm à l’égard du brevet 393. Toutefois, le 9 juin 2006, la Cour d’appel fédérale a fait droit à l’appel de Pfizer contre cette décision et a interdit au ministre de délivrer un avis de conformité à Ratiopharm avant l’expiration du brevet 393 : voir Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2006] A.C.F. no 894, 2006 CAF 214, autorisation de pourvoi refusée, [2006] C.S.C.R. no 335. 

 

[7]               Alors que la contestation relative au brevet 393 de Pfizer était en instance devant la Cour fédérale, Pfizer a inscrit le brevet 493 au registre des brevets à l’égard de Norvascmd.

 

[8]               Dans une lettre en date du 10 février 2006, Ratiopharm a envoyé à Pfizer un avis d’allégation aux termes du paragraphe 5(3) du Règlement AC à l’égard du brevet 493. Dans l’avis d’allégation, Ratiopharm a prétendu que le brevet 493 ne pouvait pas être inscrit au registre des brevets parce qu’il ne contenait ni revendication pour le médicament d’amlodipine ni revendication pour l’utilisation de ce médicament. Ratiopharm a aussi allégué l’absence de contrefaçon et l’invalidité. Le même jour, Ratiopharm a demandé au ministre d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 3(2) du Règlement AC pour radier le brevet 493 du registre des brevets en ce qui touche Norvascmd.

 

[9]               Le 20 février 2006, Ratiopharm a introduit une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre d’inscrire le brevet 493 à l’égard de Norvascmd

 

[10]           Le 24 mars 2006, le ministre a avisé Pfizer que le brevet 493 serait radié du registre des brevets pour inscription inadéquate, sous réserve des représentations écrites que pourrait présenter Pfizer.

 

[11]           En réponse à l’avis d’allégation de Ratiopharm concernant le brevet 493, Pfizer a déposé l’avis de demande en la présente instance le 31 mars 2006. Cette demande priait la Cour d’interdire au ministre de délivrer un avis de conformité à Ratiopharm avant l’expiration du brevet 493. Pfizer y affirmait que les allégations de Ratiopharm n’étaient pas fondées.

 

[12]           Le 5 avril 2006, Ratiopharm a présenté une requête sollicitant le rejet de la demande produite par Pfizer au titre du paragraphe 6(5) du Règlement AC au motif que le brevet 493 ne répondait pas aux conditions d’inscription au registre des brevets à l’égard de Norvascmd (la requête d’avril). Par la suite, le ministre a décidé de surseoir au réexamen de l’admissibilité du brevet 493 à l’inscription, jusqu’à ce que la requête d’avril ait été réglée. Le ministre a informé Ratiopharm qu’elle devrait retirer la requête d’avril pour que le ministre puisse procéder au réexamen proposé du dépôt du brevet 493. Ratiopharm a donc retiré sa requête d’avril, sous réserve du droit de soumettre de nouveau les prétentions formulées dans son avis d’allégation.

 

[13]           Le 2 juin 2006, le ministre a décidé, après nouvelle vérification, que le brevet 493 comportait bien une revendication pour l’amlodipine et que, en conséquence, le brevet 493 Patent était adéquatement inscrit au registre des brevets à l’égard de NorvascMD.

 

[14]           Quelques jours plus tard, le 9 juin 2006, la Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel de Pfizer contre la décision du juge von Finckenstein quant à la validité du brevet 393 et a interdit au ministre de délivrer un avis de conformité à Ratiopharm pour l’amlodipine jusqu’à l’expiration du brevet 393, le 17 août 2010.

 

[15]           Le 22 juin 2006, Ratiopharm a présenté la présente requête en vue d’obtenir le rejet de la demande d’interdiction de Pfizer quant au brevet 493 et, le 6 juillet 2006, Ratiopharm a retiré sa demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision du ministre jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la présente requête.

Le brevet 493

[16]           Pfizer a déposé son brevet 493 le 21 août 2001 suivant la date prioritaire du 23 août 2000. La demande de brevet a été rendue publique le 23 février 2002 et doit être interprétée en fonction de cette date. 

 

[17]           Le brevet 493 est intitulé « Compositions thérapeutiques comprenant des énantiomères excédentaires ». Le brevet indique que l’amlodipine est un médicament pour le cœur bien connu utilisé dans le traitement de l’hypertension et de l’angine de poitrine. L’amlodipine est ce qu’on appelle un racémate, soit une composition chimique contenant des quantités égales de deux molécules énantiomères (R+ et S-). Il est établi dans le domaine que l’énantiomère S- de l’amlodipine possède des propriétés importantes et bénéfiques d’inhibition des canaux calciques et que l’amlodipine est capable de libérer du monoxyde d’azote (MO). Le MO est un vasodilatateur et un antiplaquettaire puissants et bénéfiques. Ce que le brevet 493 revendiquait comme invention, c’était la découverte que l’énantiomère R+ de l’amlodipine était responsable de la libération de MO. Cette nouvelle information et la capacité correspondante d’isoler ou de manipuler l’énantiomère R+ peuvent permettre de mieux cibler le traitement des patients qui ont besoin d’une quantité accrue de MO. 

 

[18]           Pour les besoins de la présente instance, les parties s’accordent pour dire que seule la revendication 22 du brevet 493 est pertinente et doit être interprétée. Cette revendication se lit comme suit :

 

[traduction] L’énantiomère R(+) de l’amlodipine ou un de ses sels pharmaceutiquement acceptables utilisés dans le traitement d’une affection pour laquelle un agent vasculaire donneur de NO est indiqué. 

 

 

[19]           Pfizer a formulé le problème d’interprétation dans la présente instance de la façon suivante au paragraphe 34 de son dossier de requête produit en réponse :

[traduction]

34.       L’alinéa 4(2)b) prévoit qu’un brevet peut être inscrit dans le registre des brevets s’il contient une « revendication pour le médicament en soi ou une revendication pour l’utilisation du médicament ». Il ne fait aucun doute que la revendication 22 du brevet 493 est une revendication pour l’énantiomère R(+) de l’amlodipine. La question à se poser est de savoir si le fait que la revendication s’applique uniquement à l’énantiomère R(+), et non pas aux deux énantiomères R(+) et S(-), signifie qu’elle ne peut être inscrite à l’égard de NorvascMD

 

 

[20]           Pour sa part, Ratiopharm affirme que la revendication 22 n’englobe pas le racémate d’amlodipine et, partant, ne peut être inscrite à l’égard de NorvascMD. Autrement dit, selon elle, une version générique de NorvascMD ne peut contrefaire la revendication 22 parce que cette revendication se limite au seul énantiomère R+ et n’inclut pas l’énantiomère R+ inclus dans la forme racémique. 

 

[21]           Le problème d’interprétation ainsi formulé par les parties est identique au problème soumis à la Cour dans Pharmascience et dans Cobalt, cités précédemment. L’avocat de Ratiopharm soutient que le principe de courtoisie judiciaire s’applique à la demande sous‑jacente d’interdiction de Pfizer et que je devrais par conséquent abonder dans le sens des décisions prises par le juge Hughes dans Pharmascience et dans Cobalt. Ces deux affaires précédentes visaient des demandes soumises par Pfizer pour interdire la délivrance d’AC à des fabricants de produits génériques (Pharmascience et Cobalt), Pfizer affirmant que son brevet 493 était adéquatement inscrit à l’égard de son médicament pour le cœur, NorvascMD. Dans les deux affaires, ce n’est que l’interprétation de la revendication 22 du brevet 493 qui a dû être examinée par la Cour; plus précisément, cette dernière a dû déterminer si la revendication incluait l’utilisation de l’énantiomère R+ dans le racémate (soit l’amlodipine). Le juge Hughes a pris une décision en faveur du fabricant de produits génériques dans les deux affaires et a tiré la conclusion commune suivante, que l’on retrouve au paragraphe 64 de la décision dans l’affaire Pharmascience :

[traduction] L’analyse du terme « médicament » a été effectuée à la lumière du brevet lui-même, de sa description et de ses revendications, ainsi que de la preuve non contredite. La Loi ne soulève aucune controverse importante. Bien que l’analyse ait été longue afin de bien clarifier les choses, le résultat est simple et évident; le brevet 493 ne devait pas, en vertu des dispositions du paragraphe 4(1) du Règlement concernant les AC, être inscrit à l’endroit de l’avis de conformité en question. 

 

 

[22]           D’après Pfizer, comme le dossier de la preuve que j’ai devant moi est différent, je ne suis pas tenu d’appliquer le principe de courtoisie dans mon interprétation de la revendication 22. Par exemple, l’avocate de Pfizer indique que la décision du ministre établissant que le brevet 493 était adéquatement inscrit à l’égard de NorvascMD n’a pas été examinée par le juge Hughes. Elle signale également que la preuve des experts soumise dans ces affaires précédentes présente des différences par rapport à celle qui est devant moi. La courtoisie, selon elle, s’applique [traduction] « uniquement à l’égard d’une question théorique de droit qui n’est pas éclairée par la preuve au dossier ». 

[23]           Pour décider si le principe de la courtoisie judiciaire s’applique, il est donc nécessaire d’examiner les décisions rendues dans les affaires Pharmascience et Cobalt,

précitées. 

 

Les décisions rendues dans Pharmascience et dans Cobalt

[24]           Comme en l’espèce, la contestation des fabricants de produits génériques dans les affaires Pharmascience et Cobalt, précitées, était fondée sur l’alinéa 6(5)a) du Règlement AC. La Cour a dû examiner la norme de preuve applicable à une requête de cette nature et se demander, plus particulièrement, si cette norme exige de conclure qu’il est « évident et manifeste » que la demande d’interdiction sous‑jacente est futile ou si elle nécessite plutôt une conclusion correspondant à un critère moins exigeant. Après avoir passé en revue la jurisprudence pertinente, le juge Hughes a défini comme suit la norme applicable, au paragraphe 16 de la décision dans Pharmascience :

[16]      Compte tenu de ces considérations, je conclus qu’une requête fondée sur l’alinéa 6(5)a) devrait être examinée en partant du principe que, si une décision peut être rendue sur le fondement du droit et de l’application d’une preuve pertinente non contestée ou d’admissions ou encore de conclusions évidentes et manifestes tirées de la preuve, la Cour devrait alors rendre une décision. La requête fondée sur l’alinéa 6(5)a) doit avoir un objet qui n’est pas frivole. Par ailleurs, si la Cour doit trancher la question à partir d’une preuve pertinente contestée ou soupeser le bien‑fondé d’une opinion d’expert contradictoire, la question devrait être examinée au procès. Il est difficile de résumer le contexte comme étant simplement « évident et manifeste », il faut aller plus loin. Mais, lorsque la règle de droit peut être appliquée aux admissions et à la preuve pertinente qui s’est révélée plutôt incontestée ou « évidente et manifeste », la Cour a alors l’obligation de rendre une décision.

 

 

La question de fond que devait trancher la Cour dans Pharmascience et dans Cobalt était de savoir si le brevet 493 de Pfizer était adéquatement inscrit au registre des brevets à l’égard de NorvascmD, conformément à l’article 4 du Règlement AC. Comme en l’espèce, Pfizer a étayé sa prétention de contrefaçon uniquement sur la revendication 22 du brevet 493.

 

[25]           Le juge Hughes a pu interpréter la revendication 22 sans recourir à quelque preuve extrinsèque que ce soit, de sorte qu’il n’a pas eu à soupeser la valeur des opinions divergentes des témoins experts. Au paragraphe 33 de la décision Pharmascience, précitée, il a dûment souligné que l’interprétation d’un brevet est une question de droit qu’il appartient à la Cour de trancher, et il a décrit en ces termes le rôle des experts :

[33]      Il est évident que, dans toute affaire de brevet chaudement débattue, les parties feront appel d’un côté et de l’autre à des experts dont l’opinion quant à l’interprétation des revendications différera, favorisant la thèse d’une partie ou de l’autre. La Cour demandera au besoin l’aide des experts pour qu’ils lui expliquent les termes dont le sens n’est pas déjà évident et qu’ils la renseignent, le cas échéant, sur les notions à considérer dans le brevet. En dernière analyse, toutefois, l’interprétation relève exclusivement du tribunal qui prend en considération l’ensemble de la description et des revendications et évite de s’en remettre strictement aux définitions des dictionnaires à l’égard d’une revendication.

 

 

[26]           Après une analyse approfondie du libellé du brevet 493, le juge Hughes en est arrivé à la conclusion suivante au paragraphe 54 de la décision dans Pharmascience :

                        [54]      Revenons maintenant à l’interprétation de la revendication 22, qui précise ce qui suit :

                                    [traduction]

L’énantiomère R(+) d’amlodipine, ou un de ses sels pharmaceutiquement acceptables, destiné à être utilisé dans le traitement d’une affection pour laquelle un agent de libération du NO vasculaire est indiqué.

 

Compte tenu de cette revendication et des principes énoncés par la Cour suprême dans Whirlpool, précité, il est évident et manifeste que la revendication 22 ne fait pas état du racémate. Lorsque l’on examine cette revendication à la lumière de la description et des autres revendications, comme le prescrit Whirlpool, il devient évident et manifeste que la revendication 22 vise une composition qui ne renferme essentiellement que l’énantiomère R(+) et qui est thérapeutiquement efficace dans le traitement d’une affection pour laquelle la libération de NO est indiquée. Le brevet écarte expressément l’utilisation du racémate pour le traitement de pareille affection.

 

[…]

 

[55]      Il ressort de l’analyse qui précède que, même si la preuve non contredite démontre que l’avis de conformité du NORVASC vise le racémate, la revendication 22 vise l’un des énantiomères du racémate, soit R(+).

 

 

Courtoisie judiciaire

[27]           Il n’est pas contesté que le cas qui nous occupe soulève une question d’interprétation de brevet identique à celles qu’a dû trancher la Cour dans Pharmascience et dans Cobalt, précitées, même si une partie de la preuve extrinsèque sur la question d’interprétation dont je suis saisi peut différer dans une certaine mesure de la preuve dont disposait le juge Hughes dans ces instances antérieures. Je dois dès lors décider si les questions soumises au juge Hughes et résolues par ce dernier présentent avec celles de l’espèce une conformité suffisante pour justifier l’application du principe de la courtoisie judiciaire.

 

[28]           La question de la courtoisie judiciaire s’est déjà posée en matière d’avis de conformité. Dans l’arrêt Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., [2005] A.C.F. no 1559, 2005 CF 1283, conf. par [2006] A.C.F. no 208, 2006 CAF 64, la juge Anne Mactavish a examiné et appliqué ce principe pour les motifs qu’elle a exposés aux paragraphes 362 à 365 :

362      En l’espèce, Schering et Aventis m’exhortent à suivre la décision rendue par la juge Snider dans l’affaire Pharmascience par courtoisie judiciaire. Ainsi que le juge Richard (alors juge à la Section de première instance) l’a signalé dans le jugement Glaxo Group Ltd. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, [1995] A.C.F. no 1430, 64 C.P.R. (3d) 65, où il cite l’arrêt Bell c. Cessna Aircraft Co., [1983] 149 D.L.R. (3d) 509, à la page 511, 36 C.P.R. 115, de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique :

 

Le principe de la courtoisie judiciaire a été énoncé de la manière suivante :

 

[traduction] Il est généralement admis que la présente cour doit se conformer à ses décisions antérieures à moins qu’il ne soit possible de démontrer que ces décisions antérieures étaient manifestement erronées ou ne devraient plus être appliquées lorsque, par exemple, (1) la cour n’a pas tenu compte dans ses décisions de dispositions législatives ou de décisions antérieures qui auraient entraîné un résultat différent ou (2), si elles sont suivies, la décision entraînerait une injustice grave. La raison qui est invoquée en règle générale pour justifier cette attitude est la courtoisie judiciaire. Bien qu’il s’agisse sans aucun doute d’une raison fondamentale justifiant une telle approche, je pense qu’il existe un motif tout aussi fondamental sinon plus impérieux et il s’agit de la nécessité d’une certaine certitude quant au sens de la loi, dans la mesure où celle‑ci peut être établie. La position des avocats serait intenable lorsqu’ils conseillent leurs clients si une section de la cour était libre de rendre sa décision sur un appel sans tenir compte d’une décision antérieure ou du principe qui y était en cause [à la page 511].

 

363      Selon Apotex, je ne devrais pas suivre la décision de la juge Snider dans l’affaire Pharmascience parce qu’il ne s’agit pas d’un jugement rendu en matière réelle et qu’il s’agit d’un cas d’espèce tranché en fonction de la preuve dont la juge Snider disposait. Apotex affirme que je devrais plutôt trancher les questions relatives au double brevet qui me sont soumises en fonction des éléments de preuve qui ont été portés à ma connaissance en l’espèce.

 

364      J’ai attentivement examiné l’argument formulé par Apotex pour affirmer que je ne devrais pas suivre la décision rendue par la juge Snider dans l’affaire Pharmascience. Pour examiner cette question, j’estime qu’il faut établir une distinction entre les conclusions de droit tirées par la juge Snider, qui peuvent être assujetties au principe de la courtoisie judiciaire, et ses conclusions de fait, qui dépendent de la nature des éléments de preuve dont elle disposait.

 

365      En l’espèce, la juge Snider a conclu en droit et, de toute évidence, comme première impression, que l’application du concept du double brevet relatif à l’évidence ne se limitait pas aux cas mettant en présence les mêmes brevetés ou les mêmes inventeurs. Bien que j’aie attentivement examiné les arguments qu’elle a avancés à cet égard, Apotex ne m’a pas convaincue que la décision de la juge Snider était manifestement erronée sur ce point. J’ai donc l’intention de suivre cette décision.

 

 

[29]           Dans la décision Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), [2006] A.C.F. no 256, 2006 CF 120, infirmée pour d’autres motifs, [2007] A.C.F. no 233, 2007 CAF 73, le juge Sean Harrington a aussi traité du principe de la courtoisie judiciaire en matière d’avis de conformité :

[65]      La courtoisie judiciaire veut qu’un juge de juridiction inférieure fasse preuve de retenue à l’égard de la décision rendue sur une question de droit par un autre membre de la même juridiction. Il ne s’agit pas là d’une application de la règle stare decisis, mais plutôt de la reconnaissance du fait que les décisions de la Cour doivent concorder les unes avec les autres, de manière à assurer une certaine prévisibilité. Le juge Richard (tel était alors son titre) a examiné la jurisprudence applicable à cet égard au contexte des procédures relatives aux AC dans Glaxo Group Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1995] A.C.F. no 1430 (1re inst.) (QL), au paragraphe 40. La juge Dawson a fait de même plus récemment dans Alfred c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1134. Elle y citait la décision Re Hansard Spruce Mills Ltd., [1954] 4 D.L.R. 590 (C.S. C.-B.), où le juge Wilson faisait remarquer ce qui suit :

 

[traduction] […] Je n’ai pas le pouvoir d’infirmer la décision d’un collègue, je ne puis qu’exprimer mon désaccord avec lui; et un tel désaccord n’a pas pour effet de fixer le droit, mais plutôt de le rendre encore plus incertain, puisque le malheureux plaideur se trouve ainsi devant des opinions divergentes émanant de la même Cour et ayant donc le même poids juridique.

 

[66]      Le juge Richard a formulé l’opinion qu’un juge doit suivre les décisions antérieures à moins qu’il ne les estime manifestement erronées. Quant à la juge Dawson, elle a expliqué qu’elle ne refuserait de s’aligner sur la décision d’un autre juge que dans l’un ou l’autre des cas suivants : a) des décisions ultérieures ont mis en cause la validité du jugement en question; b) il a été démontré que le juge en cause n’a pas pris en considération un élément contraignant de la jurisprudence ou de la législation applicable; c) le jugement était lui‑même inconsidéré, c’est-à-dire qu’il a été rendu dans une situation exigeant une décision immédiate.

 

 

[30]           Je suis d’accord avec l’avocate de Pfizer pour dire que le principe de la courtoisie judiciaire ne s’applique peut-être pas aisément aux demandes d’interdiction soumises en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement AC. Il peut en être ainsi parce que, même dans les cas concernant un produit générique commun et mettant en cause des contestations portant sur un brevet identique, les allégations formulées dans les avis d’allégation respectifs des fabricants de produits génériques ou la preuve des parties peuvent différer suffisamment pour donner lieu à des décisions judiciaires différentes. Cet état de choses a été reconnu dans l’arrêt récent Sanofi-Aventis Canada Inc. c. NovoPharm Limited et al., 2007 CAF 163, où le juge Edgar Sexton, traitant d’abus de procédure, a fait remarquer au paragraphe 50 :

[…] Les avis d’allégations multiples délivrés par le même fabricant en rapport avec un médicament particulier et alléguant l’invalidité d’un brevet particulier sont généralement interdits, même si l’on invoque des motifs d’invalidité différents dans chaque cas. Cependant, dans le cas où un fabricant particulier a formulé une allégation mais a omis de présenter les arguments requis pour montrer que l’allégation en question était justifiée, il serait injuste d’empêcher un fabricant ultérieur, disposant de meilleurs éléments de preuve ou d’un argument juridique plus valable, de l’introduire. Cette situation peut donner lieu à un résultat contradictoire, mais cette préoccupation cède le pas au risque de faire preuve d’inéquité à l’endroit du fabricant à qui l’on interdit de faire valoir ses arguments juste parce que la démarche d’un autre fabricant était inadéquate. Il est nécessaire dans chaque cas de mettre en équilibre l’effet d’une instance sur l’administration de la justice et l’inéquité que l’on cause à une partie en l’empêchant de faire valoir ses arguments.

 

 

Cette préoccupation, toutefois, n’entre pas en ligne de compte lorsque la question à décider concerne l’interprétation d’un brevet. Dans la mesure où il s’agit d’une question de droit qu’il appartient à la Cour de trancher, il devrait, du moins en théorie, n’exister qu’une seule bonne réponse, indépendamment de la preuve d’expert soumise au regard de la question. Ce principe est particulièrement évident lorsque l’on tient compte du fait que les experts sont les porte-parole objectifs de la personne fictive versée dans l’art.

 

[31]           Dans un cas comme celui qui nous occupe, le principe de la courtoisie judiciaire s’applique, parce que les décisions respectives du juge Hughes dans les affaires Pharmascience et Cobalt, précitées, portent exclusivement sur l’interprétation de la revendication 22 du brevet 493 sans égard aux opinions d’experts présentées par les parties ni mention de celles-ci. Le juge Hughes a pu interpréter le brevet en limitant son examen à son seul libellé; ce faisant, il s’est prononcé sur une question de droit, et il convient de faire preuve de retenue à l’égard de cette décision. Dans un tel contexte, il importe peu que la preuve mise à ma disposition soit différente de celle présentée au juge Hughes. Si celui-ci a été capable d’interpréter le brevet sans recourir à une preuve extrinsèque, la courtoisie judiciaire commande que j’en fasse autant, à moins de conclure que la décision du juge Hughes est « manifestement erronée ». 

 

[32]           Point n’est besoin que je décide si la courtoisie judiciaire serait de mise si le juge Hughes avait eu recours, pour interpréter le brevet, à des éléments de preuve extrinsèques différents de ceux en l’espèce. Il me semble néanmoins que même dans ce cas, la Cour devrait faire preuve de prudence et répugner, en règle générale, à adopter une interprétation divergente du même brevet. Le besoin de prévisibilité et d’uniformité en matière d’interprétation commande une telle approche. Par conséquent, même si le principe de la courtoisie judiciaire ne s’applique pas au sens strict, le besoin d’uniformité et de prévisibilité subsiste. La juge Judith Snider a fait ressortir ce point dans la décision Procter & Gamble Pharmaceuticals Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2004), 32 C.P.R. (4th) 224, 2004 CF 204, [2004] A.C.F. no 374, au paragraphe 19 :

[19]      Tel que mentionné précédemment, le brevet 376 a déjà fait l’objet d’un litige entre P&G et Genpharm avant la présente instance. En conséquence, il semble approprié de se pencher sur la façon dont ce brevet a été interprété dans ces décisions antérieures puisque

 

[traduction] [l]orsque les tribunaux ont précédemment interprété le même brevet, particulièrement si cette interprétation a été retenue en appel, des arguments solides doivent être soumis à la Cour, dans une autre procédure à laquelle prennent part des présumés contrefacteurs différents, pour que celle-ci parvienne à une conclusion différente. [Roger T. Hughes et John H. Woodley, « Patented Medicines -- Notice of Compliance » CD-ROM : Hughes and Woodley on Patents, Release 19, juillet 2003 (Markham : LexisNexis Canada Inc.) à l’art. 18A]

 

 

Dans la décision Almecon Industries Ltd. c. Anchortek Ltd. (2001), 17 C.P.R. (4th) 74, 2001 CFPI 1404, [2001] A.C.F. no 1956, le juge Frederick Gibson a formulé une observation semblable, au paragraphe 29 :

[29]      Dans la décision Alsop Process Co. of Canada c. J.P Friesen & Son (1917), 35 D.L.R. 353 (C. de l’É.), le juge Cassels a écrit à la page 355 :

 

[traduction] Bien que les défenderesses dans la présente affaire ne soient pas strictement liées par les décisions que j’ai citées, sinon sur des questions de droit, il faudrait un argument solide pour me persuader d’adopter en ce qui concerne l’interprétation du mémoire descriptif une position différente de celle adoptée par la Chambre des lords et ces juges éminents.

 

 

Dans la décision Hoffman-La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé) (1998), 158 F.T.R. 135, [1998] A.C.F. no 1706, le juge Marshall Rothstein a formulé la même préoccupation quant à l’importance d’éviter des litiges répétés sur des questions identiques dans les instances en interdiction d’avis de conformité; dans cette affaire, il a rejeté la demande pour abus de procédure.

 

[33]           J’ai examiné attentivement les arguments proposés par Pfizer pour me convaincre que les décisions rendues par le juge Hughes dans les décisions Pharmascience et Cobalt, précitées, sont « manifestement erronées ». Si l’on eût certes pu interpréter différemment la revendication 22 du brevet 493, l’interprétation retenue par le juge Hughes n’en est pas moins solide et elle n’est certainement pas manifestement erronée.

 

[34]           Je n’accepte pas non plus l’argument de Pfizer selon lequel les décisions du juge Hughes sont erronées parce qu’elles vont à l’encontre de la politique du ministre permettant à un titulaire de brevet d’inscrire au registre un brevet relatif à une drogue unique à l’égard d’un médicament combiné, et notamment d’inscrire un énantiomère à l’égard d’un racémate qui l’englobe. Si, ainsi qu’a conclu le juge Hughes, le brevet en cause ne peut être interprété comme comprenant une revendication pour le médicament combiné, ce brevet ne devrait pas être inscrit. Il ne s’agit pas de décider s’il est loisible au ministre d’inscrire un brevet relatif à une drogue unique à l’égard d’un médicament combiné. Il est évident que le ministre peut le faire dans les cas appropriés. La question en l’espèce (qui est aussi celle dont le juge Hughes était saisi) est de savoir si la politique ministérielle en matière d’inscription aurait dû s’appliquer au brevet 493 tel qu’il doit être interprété. 

 

[35]           Pfizer soutient aussi que le juge Hughes a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de la preuve d’expert présentée dans le but d’éclairer l’interprétation de la revendication 22. D’après Pfizer, la preuve d’expert est « essentielle » à l’interprétation de toute revendication de brevet. Elle fonde cette assertion sur un énoncé extrait de l’arrêt Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c. RhoxalPharma Inc., [2005] 3 F.C.R. 261, [2005] A.C.F. no 283, 2005 CAF 11, dans lequel la juge Alice Desjardins s’est exprimée comme suit, au paragraphe 45 :

45     Bien qu’il soit essentiel à l’interprétation d’une revendication, le témoignage d’un expert n’est pas déterminant. L’interprétation des revendications d’un brevet est une question de droit qu’il appartient au juge de trancher et celui-ci a parfaitement le droit de retenir une interprétation différente de celle qui est préconisée par les parties (Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 61; Canamould Extrusions Ltd. c. Driangle Inc. (2004), 237 D.L.R. (4th) 157 (C.A.F.), au paragraphe 3, le juge Stone, J.C.A., et Nekoosa Packaging Corp. c. AMCA International Ltd. (1994), 56 C.P.R. (3d) 470 (C.A.F.), aux paragraphes 12, 13 et 14, le juge Robertson, J.C.A.).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

Je n’interprète pas cet extrait ainsi que le suggère Pfizer. Si l’interprétation d’une revendication d’un brevet est une question de droit qui relève du juge saisi de l’affaire, lequel est libre de retenir une interprétation différente de celle préconisée par les parties et leurs experts, il va de soi que le juge, dans les cas appropriés, peut interpréter une revendication sans s’appuyer sur cette preuve.

 

[36]           Je pense aussi que si la juge Desjardins avait voulu dire davantage sur la question, elle s’y serait probablement attardée plus qu’elle ne l’a fait dans l’extrait précité. Mon opinion à cet égard trouve appui dans l’interprétation plus stricte de ce passage que fait le juge Denis Pelletier dans ses motifs dissidents, au paragraphe 65 :

65     Je suis d’accord avec ma collègue la juge Desjardins, J.C.A., pour dire que l’interprétation d’un brevet est une tâche qui est réservée au juge de première instance, par opposition aux experts. Tout comme elle, je suis lié par la jurisprudence qui dit que le juge doit interpréter le brevet comme le ferait une personne versée dans l’art et qu’à cette fin, le juge peut entendre des témoignages sur la signification, pour une personne versée dans l’art, des mots employés dans le brevet (voir l’arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, 2000 CSC 67, au paragraphe 53, cité au paragraphe 52 des motifs de ma collègue).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[37]           En résumé, je n’accepte pas que le juge Hughes a commis une erreur de droit en interprétant la revendication 22 du brevet 493 sans avoir recours à la preuve des témoins experts.  

 

[38]           En conséquence, je conclus que le principe de la courtoisie judiciaire s’applique en l’espèce et j’estime qu’il convient d’adopter la conclusion à laquelle est parvenu le juge Hughes dans ses décisions antérieures. Le brevet 493 de Pfizer ne devrait pas être inscrit à l’égard de Norvascmd, et la requête de Ratiopharm pour que soit rejetée la demande d’interdiction présentée par Pfizer est accueillie.

 

Abus de procédure

[39]           Ratiopharm prétend aussi que Pfizer a abusé du régime de réglementation en présentant sa demande d’interdiction en l’espèce, et elle prie la Cour de prononcer une ordonnance rejetant la demande de Pfizer en application de l’alinéa 6(5)b) du Règlement AC. Ratiopharm invoque également cet argument pour demander une ordonnance de dépens supplémentaires. 

 

[40]           Ratiopharm soutient que la demande de Pfizer est dénuée de fondement et qu’elle constitue un abus de procédure parce qu’elle a fait obstacle au « droit » de Ratiopharm d’obtenir plus rapidement l’avis de conformité qu’elle sollicite pour sa version générique de Norvascmd après avoir eu gain de cause dans sa contestation initiale de la validité du brevet 393 de Pfizer devant le juge von Finckenstein, dans l’affaire Pfizer Canada Inc. et Pfizer Limited c. Ministre de la Santé et Ratiopharm Inc., précitée. Ratiopharm plaide que, n’eût été du sursis prescrit par la loi dont Pfizer a bénéficié en engageant la présente instance, sa version générique de Norvascmd aurait été mise en marché et l’appel de la décision du juge von Finckenstein aurait été rejeté parce qu’il était devenu théorique. Au lieu de cela, la Cour d’appel fédérale a pu examiner au fond l’appel de la décision du juge von Finckenstein et, à la suite de cet examen, elle a infirmé cette décision et maintenu la validité du brevet 393 de Pfizer, empêchant ainsi la délivrance d’un avis de conformité à Ratiopharm pour l’amlodipine jusqu’à l’expiration du brevet 393, en 2010.

 

[41]           L’argument de Ratiopharm selon lequel la conduite de Pfizer constitue un abus de procédure me semble quelque peu incongru, puisqu’il repose sur une décision qui a plus tard été jugée erronée. Quoi qu’il en soit, je ne pense pas que l’on puisse blâmer une partie d’avoir pleinement recours aux avantages stratégiques qu’offre la loi. Bien que le sursis qui découle automatiquement de la présentation, par un titulaire de brevet, d’une demande d’interdiction aux termes de l’article 6 ait été qualifié de régime « draconien », cet effet ne saurait, en soi, justifier une critique. Le droit d’un titulaire de brevet de présenter une telle demande d’interdiction dépend aussi de sa capacité de convaincre le ministre, en premier lieu, d’accepter d’inscrire le brevet et de le maintenir au registre. Le ministre n’est pas obligé d’inscrire un brevet, et il y a lieu de croire qu’il ne le ferait pas s’il était d’avis que l’inscription est frivole ou clairement incompatible avec les objectifs réglementaires. Même après son inscription, un brevet peut être retiré si le fabricant de produits génériques parvient à justifier cette mesure au moyen d’arguments solides. En l’occurrence, Ratiopharm a bien tenté de faire retirer du registre le brevet 493 à l’égard de Norvascmd, mais elle a finalement échoué. N’ayant pu convaincre le ministre, Ratiopharm a déposé un avis d’allégation, auquel Pfizer a répondu par une demande d’interdiction. Jusqu’à ce stade, il n’était pas évident que l’inscription du brevet 493 à l’égard de Norvascmd était indéfendable en droit, et le ministre semble assurément ne l’avoir pas jugée inacceptable. C’est en grande partie avec le recul et à la faveur des motifs exposés par le juge Hughes pour justifier le rejet des demandes d’interdiction de Pfizer, dans les décisions Pharmascience et Cobalt, précitées, que Ratiopharm plaide que la demande d’interdiction de Pfizer est frivole et constitue un abus de procédure.

 

[42]           Si les motifs du juge Hughes sont convaincants, je ne crois pas que sa conclusion soit si manifestement incontournable qu’on n’aurait raisonnablement pu envisager aucun autre résultat compte tenu de la preuve dont il était saisi ou de celle qui m’a été présentée. J’estime que pour atteindre un tel seuil, Ratiopharm devrait satisfaire au critère énoncé par le juge Louis Pratte dans la décision Creaghan Estate c. Canada, [1972] C.F. 732 (1re inst.), à la page 736 ou au paragraphe 6(3) :

6(3)      Enfin, une déclaration ne doit pas, à mon avis, être radiée pour le motif qu’elle est vexatoire ou futile, ou qu’elle constitue un emploi abusif des procédures de la Cour, pour la seule raison que, de l’avis du juge qui préside l’audience, l’action du demandeur devrait être rejetée. Je suis d’avis que le juge qui préside ne doit pas rendre une pareille ordonnance à moins qu’il ne soit évident que l’action du demandeur est tellement futile qu’elle n’a pas la moindre chance de réussir, quel que soit le juge devant lequel l’affaire sera plaidée au fond. C’est uniquement dans ce cas qu’il y a lieu d’enlever au demandeur l’occasion de plaider. 

 

 

À mon avis, Ratiopharm n’a pas démontré que la demande d’interdiction de Pfizer répondait raisonnablement à ce critère au moment où elle a été déposée. Même en disposant des décisions rendues sur ce point par le juge Hughes, le fait que Pfizer a poursuivi sa demande d’interdiction est insuffisant pour établir un abus de procédure. Pfizer a interjeté appel de ces décisions et elle fera vraisemblablement de même en l’espèce dans le but de préserver sa revendication. Compte tenu des appels en instance, il était tout à fait loisible à Pfizer de demander que la présente affaire soit aussi tranchée au fond.

 

[43]           Enfin, je ferai remarquer que chacune des deux parties a résolument eu recours au régime réglementaire toutes les fois qu’une telle démarche pouvait servir ses propres intérêts commerciaux. Vu la nature contradictoire de la procédure et le caractère hautement concurrentiel de ce secteur d’activités, il est inévitable que le comportement judiciaire d’une partie entraîne des conséquences fâcheuses pour la partie adverse. Telles sont les conséquences prévisibles des poursuites en matière d’avis de conformité, mais seuls les cas les plus limpides justifieront que la conduite touchant un litige soit qualifiée d’abus de procédure. En conséquence, je rejette l’argument de Ratiopharm suivant lequel la conduite de Pfizer en l’espèce constitue un abus de procédure. 

 

[44]           En conclusion, la présente requête est accueillie. La demande d’interdiction présentée par Pfizer est radiée, et les dépens sont attribués à Ratiopharm.

 

 

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                  La requête de Ratiopharm est accueillie.

2.                  L’instance engagée par Pfizer au regard du brevet canadien no 2,355,493 est radiée.

3.                  Ratiopharm a droit à ses dépens.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-586-06

 

INTITULÉ :                                                   PFIZER CANADA INC. et PFIZER INC.

                                                                        et

                                                                        LE MINISTRE DE LA SANTÉ et RATIOPHARM INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Les 6 et 7 mars 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 26 avril 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Sheila R. Block

Kamleh J. Nicola

Jana N. Stettner                                                                     Pour les demanderesses

 

Glen A. Bloom

David W. Aitken                                                                   Pour la défenderesse    

Joseph R. Marin                                                                    Ratiopharm Inc.

 

                                                                                                                       

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Torys LLP

Avocats

Toronto (Ontario)                                                                  Pour les demanderesses

 

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Avocats                                                                                 Pour la défenderesse

Ottawa (Ontario)                                                                   Ratiopharm Inc.

 

John H. Sims, c.r.                                                                  Pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada                                        Ministre de la Santé

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.