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Date : 20070419

Dossier : T‑318‑06

Référence : 2007 CF 411

Ottawa (Ontario), le 19 avril 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MAX M. TEITELBAUM

 

 

ENTRE :

CANDRUG HEALTH SOLUTIONS INC. et

PHARMAWEST PHARMACY LTD.

demanderesses

et

 

KRIS THORKELSON

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande par laquelle, Pharmawest Pharmacy Ltd. (Pharmawest) demande que soient radiées du registre les marques de commerce CANADA DRUGS et CANADADRUGS.COM, enregistrées respectivement sous les numéros LMC581915 et LMC581899.

 

 

 

 

Les faits

 

[2]               Les marques de commerce LMC581915 et LMC581899, visant les marques CANADA DRUGS et CANADADRUGS.COM, ont été enregistrées au nom du défendeur, Kris Thorkelson, le 20 mai 2003, en vue de leur emploi en liaison avec l’« exploitation d’une pharmacie et d’un dispensaire; exploitation en ligne d’une pharmacie et d’un dispensaire ».

 

[3]               Candrug Health Solutions Ltd. (Candrug) a présenté, par voie d’un avis de demande en date du 4 novembre 2006 déposé en Cour fédérale sous le numéro de dossier T‑2001‑05, une demande visant à obtenir la radiation des enregistrements accordés à M. Thorkelson. Invoquant, elle aussi, l’invalidité des enregistrements en question, Pharmawest a déposé une demande analogue sous le numéro de dossier T‑318‑06. Par une ordonnance de la Cour en date du 15 mars 2006, les deux affaires ont été réunies dans le cadre du seul dossier T‑318‑06. Par avis de désistement, Candrug a renoncé à sa demande contre le défendeur; Pharmawest est donc l’unique demanderesse.

 

[4]               Les motifs invoqués pour contester la validité des enregistrements des marques CANADA DRUGS sont les suivants :

a)   En vertu de l’alinéa 18(1)a) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 (la Loi), les marques de commerce n’étaient pas enregistrables à la date de l’enregistrement car elles donnaient, en langue anglaise, une description claire ou une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des services en liaison avec lesquels elles étaient censées être employées, et de leur lieu d’origine, en violation de l’alinéa 12(1)b) de la Loi.

b)      En vertu de l’alinéa 18(1)b) de la Loi, les marques de commerce ne distinguent pas véritablement les services en liaison avec lesquels elles ont été enregistrées ou employées par le défendeur des marchandises ou services d’autres propriétaires, y compris ceux de la demanderesse, les marques n’étant en outre pas adaptées à distinguer les services en question.

 

[5]               Depuis 2002, la demanderesse, Pharmawest, offre sur Internet un service d’ordonnances médicales à distance s’adressant à une clientèle internationale. Elle emploie les noms commerciaux « GetCanadianDrugs.com » et « GetCanadianDrugs », ainsi qu’un dessin‑marque comprenant les mots « GetCanadianDrugs.com ».

 

[6]               Le défendeur, M. Thorkelson, est un pharmacien qui, le 28 février 2001, a acquis le nom de domaine « CanadaDrugs.com » afin d’assurer les mêmes services essentiellement que la demanderesse. Aux environs du 19 mars 2001, M. Thorkelson a rempli la première des commandes de produits pharmaceutiques faites sur le site Web CanadaDrugs.com. Cette commande a été faite par courriel, par l’intermédiaire du site Web, à la pharmacie de M. Thorkelson « The Prescription Shop ». L’entreprise Canada Drugs emploie actuellement 250 personnes, dont 15 pharmaciens. Elle exécute environ 2 500 ordonnances chaque jour.

 

[7]               Les produits pharmaceutiques expédiés à la clientèle de Canada Drugs ne proviennent pas tous du Canada, et les pharmacies qui exécutent effectivement les ordonnances et expédient les produits pharmaceutiques sont situées dans divers pays, seulement 50 p. 100 des pharmacies se trouvant effectivement au Canada. De plus, environ 95 p. 100 des clients de Canada Drugs habitent aux États‑Unis, moins de 5 p. 100 de la clientèle étant constituée de Canadiens.

 

[8]               Le 23 mars 2001, M. Thorkelson a demandé l’enregistrement de la marque de commerce CANADADRUGS.COM et, le 15 mai 2001, il a demandé l’enregistrement de la marque de commerce CANADA DRUGS, les deux en liaison avec l’« exploitation d’une pharmacie et d’un dispensaire ». Lors de l’examen des deux demandes, le registraire des marques de commerce a déterminé si l’une ou l’autre de ces deux marques de commerce donnait une description claire ou une description fausse et trompeuse des services visés par la demande et contrevenait à l’alinéa 2(1)b) de la Loi. Après avoir entendu les arguments avancés par l’agent des marques de commerce de M. Thorkelson, le registraire a enregistré les deux marques le 20 mai 2003. Le droit à l’emploi exclusif des mots « Canada » et « drugs » en dehors de la marque de commerce n’a pas été accordé.

 

[9]               Le 18 juin 2001, l’entreprise par l’intermédiaire de laquelle M. Thorkelson exploitait Canada Drugs, la société 2657733 Manitoba Ltd., a pris le nom de Canada Drugs Ltd., société dont M. Thorkelson est l’unique dirigeant et administrateur. Après ce changement de nom, Canada Drugs Ltd. a continué d’exploiter Canada Drugs, employant les marques Canada Drugs dans le cadre d’une licence verbale ou implicite accordée par M. Thorkelson. En réponse à une demande de précisions sur ce point, M. Thorkelson a répondu qu’en ce qui concerne la licence, aucun document n’a été signé.

 

[10]           Aux environs du 27 février 2003, Canada Drugs a été repris par la société CanadaDrugs.com (la société). Le 27 février 2003, également, le nom commercial CanadaDrugs.com a été enregistré au nom de Canada Drugs Ltd. Le nom commercial CanadaDrugs.com a été enregistré, le 11 février 2005, au nom de la société qui affirmait exercer ses activités depuis le 1er février 2003, et le 21 mai 2003 (c’est‑à‑dire le lendemain de l’enregistrement des marques de commerce Canada Drugs), M. Thorkelson et la société ont conclu un contrat de licence par écrit.

 

[11]           Canada Drugs Ltd. était l’associée directrice de la société et M. Thorkelson, en sa qualité d’unique dirigeant et administrateur de Canada Drugs Ltd., a continué d’exercer un contrôle complet sur les divers volets d’activité de Canada Drugs, y compris la publicité, le site Web, le centre d’appels, l’exécution des commandes transmises par les patients, ainsi que l’emballage et l’expédition des médicaments aux patients.

 

[12]           Le 1er janvier 2006, il y a eu réorganisation de la structure de Canada Drugs. Depuis lors, voici les entités contrôlées par M. Thorkelson et constituant le groupe de sociétés Canada Drugs :

Entité                                                                Responsabilité

5177077 Manitoba Ltd. (CanadaDrugs.com Customer Care)

Centre d’appels

 

Thorkelson Consulting Ltd.

Gestion

CanadaDrugs.com LP

Pharmacie

5127173 Manitoba Ltd. (Canada Drugs IT)

Entreprise propriétaire des marques de commerce déposées

CanadaDrugs.com Logistics LP

Contrats de location

[13]           Le défendeur a cédé à la société 5127173 Manitoba Ltd. (également connue sous la raison sociale Canada Drugs IT) les marques de commerce Canada Drugs et leurs enregistrements. Le site Web de Canada Drugs affichait, le 26 janvier 2006, la marque de commerce suivante :

 

 

[14]           Les adresses des sites Web « getcanadiandrugs.com » et « getcanadadrugs.com » ont été enregistrées par Pharmawest le 21 novembre 2002. Pharmawest emploie ces nom commerciaux depuis décembre 2002 en liaison avec les activités de GetCanadianDrugs.com. En février 2006, Pharmawest a reçu de Canada Drugs une lettre lui demandant de cesser d’utiliser le nom de domaine « getcanadadrugs.com ». Canada Drugs IT a engagé, devant la Cour, une action en contrefaçon des marques de commerce CANADA DRUGS, reprochant à Pharmawest son emploi du nom de domaine « getcanadadrugs.com ».

 

[15]           Le registre canadien des marques de commerce contient d’autres enregistrements et demandes d’enregistrement de marques de commerce combinant les mots « Canada » ou « drugs », telles que CANADA WAY DRUGS, CANADA’S DRUG STORE et SHOPPERS DRUG MART CANADA’S DRUG STORE. Il semblerait aussi que de nombreuses entités exploitent en ligne des pharmacies comprenant, dans leurs appellations commerciales, noms commerciaux, noms de domaine et/ou marques de commerce, les mots « Canada » ou « Canadian » associés aux mots « drug » ou « drugs ». Le défendeur a activement cherché à décourager l’emploi de noms de domaine analogues par les propriétaires des noms de domaine « canadadrugs.ca », « mycanadadrugs.com » et « wwwcanadadrugs.com », et a obtenu qu’ils lui soient cédés.

 

[16]           Selon la preuve, au cours de la seule année 2005, 3 500 000 visites (à l’occasion desquelles un client potentiel parcourt le site) ont été enregistrées sur le site Web CanadaDrugs.com, et plus de 5 000 000 $ ont été consacrés à la publicité vantant les mérites des marques et les activités de Canada Drugs, dont des publicités facturables au clic et des annonces à la télévision, dans des revues, dans des journaux et à la radio.

 

Questions en litige

 

1)      Les marques de commerce CANADA DRUGS donnent-elles, en langue anglaise, une description claire ou une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des services en liaison avec lesquels elles sont censées être employées et de leur lieu d’origine, en violation de l’alinéa 12(1)b) de la Loi?

 

2)      Les marques de commerce CANADA DRUGS distinguent‑elles véritablement les services en liaison avec lesquels elles ont été enregistrées ou employées par le défendeur, des marchandises ou services d’autres propriétaires?

 

Questions préliminaires

 

[17]           La demanderesse souhaite présenter des éléments de preuve, notamment ceux dont il est fait état dans les affidavits de Brady et de Rogers, tendant à démontrer que des tierces parties ont fait largement usage au Canada des marques de commerce en question et s’appuyant abondamment à cette fin sur le contenu de sites Web ayant existé dans le passé. En ce qui concerne ces anciens sites Web, les affidavits renvoient à une archive Internet appelée Way Back Machine, que l’on peut consulter à l’adresse www.archive.org. Les pages Web qui ont disparu y sont archivées pour consultation ultérieure.

 

[18]           Le défendeur soutient que les éléments de preuve obtenus grâce à Way Back Machine ne sont pas à première vue admissibles en raison de l’article 81 des Règles des Cours fédérales (DORS/98‑106) qui prévoit :

 

81. (1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête, auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui.

 

(2) Lorsqu’un affidavit contient des déclarations fondées sur ce que croit le déclarant, le fait de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels peut donner lieu à des conclusions défavorables.

81. (1) Affidavits shall be confined to facts within the personal knowledge of the deponent, except on motions in which statements as to the deponent’s belief, with the grounds therefore, may be included.

 

 

 

(2) Where an affidavit is made on belief, an adverse inference may be drawn from the failure of a party to provide evidence of persons having personal knowledge of material facts.

 

 

[19]           Le défendeur fait valoir que, pour être autorisée à invoquer une preuve par ouï‑dire, une partie doit démontrer que les déclarations relatées sont à la fois fiables et nécessaires.

 

[20]           La juge Tremblay‑Lamer a examiné dans la décision ITV Technologies Inc. c. WIC Television Ltd., 2003 CF 1056, au paragraphe 14, la question de la preuve obtenue grâce à Way Back Machine :

 

On s’est au départ inquiété de ce que les documents extraits d’Internet à l’instruction pourraient ne pas reproduire exactement l’état qui était le leur pendant la période considérée. Étant donné que les sites Web ne cessent de changer et d’évoluer, un site n’aurait pas nécessairement aujourd’hui le même contenu que, par exemple, en 1997. Afin de permettre l’examen de l’état antérieur du site, les deux parties ont eu recours au site Web www.archive.org, qui propose une bibliothèque numérique des sites Internet. Grâce à un dispositif appelé « Way Back Machine », les parties ont pu accéder aux sites Web en question tels qu’ils existaient pendant la période considérée. J’estime que ce site d’archives est fiable et que la Cour pouvait compter sur sa bibliothèque numérique pour lui fournir une représentation exacte des sites Web en question durant la période considérée.

 

[21]           La juge Tremblay‑Lamer souligne au paragraphe 22 de la décision ITV que la simple existence d’un site Web n’établit pas qu’il a été visité par des Canadiens ou qu’il était connu d’eux pendant la période en cause. Je souscris au raisonnement et à la conclusion de ma collègue et je considère comme elle que le dispositif Way Back Machine donne une représentation généralement fiable des sites tels qu’ils existaient dans le passé. Cependant, même si l’on admet que le site Web existait bien à l’époque en question, encore faut‑il démontrer que les consommateurs canadiens l’ont consulté. Faute de preuves le confirmant, je ne saurais donner aucun poids aux affidavits de Brady et de Rogers.

 

La qualité pour agir

 

[22]           Pour être à même d’introduire la présente demande, la demanderesse doit avoir qualité pour agir. Selon l’article 57 de la Loi, la Cour fédérale a une compétence initiale exclusive, sur demande du registraire ou de toute personne intéressée, pour ordonner qu’une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée, parce que, à la date de cette demande, l’inscription figurant au registre n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque. Par ailleurs, selon l’article 2 de la Loi, est assimilé à une « personne intéressée » quiconque est atteint ou a des motifs valables d’appréhender qu’il sera atteint par une inscription dans le registre, ou par tout acte ou omission, ou tout acte ou omission projeté, sous le régime ou à l’encontre de la Loi. Le défendeur a intenté devant la Cour une action en contrefaçon de marques à l’encontre de la demanderesse, invoquant les marques de commerce CANADA DRUGS et leurs enregistrements. La demanderesse est donc effectivement atteinte par l’inscription du défendeur dans le registre et je suis convaincu que la demanderesse est bien une « personne intéressée » au sens de l’article 57 de la Loi.

 

1)      Les marques de commerce CANADA DRUGS donnent-elles, en langue anglaise, une description claire ou une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des services en liaison avec lesquels elles sont censées être employées et de leur lieu d’origine, en violation de l’alinéa 12(1)b) de la Loi?

 

[23]           La demanderesse sollicite l’invalidation de la marque de commerce en vertu des alinéas 18a) et b) de la Loi. L’article 18 prévoit les conditions d’invalidité de l’enregistrement d’une marque de commerce :

 

18. (1) L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide dans les cas suivants :

 

a) la marque de commerce n’était pas enregistrable à la date de l’enregistrement;

 

b) la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement;

 

c) la marque de commerce a été abandonnée.

 

Sous réserve de l’article 17, l’enregistrement est invalide si l’auteur de la demande n’était pas la personne ayant droit de l’obtenir.

18. (1) The registration of a trade‑mark is invalid if

 

 

(a) the trade‑mark was not registrable at the date of registration,

 

 

(b) the trade‑mark is not distinctive at the time proceedings bringing the validity of the registration into question are commenced, or

 

(c) the trade‑mark has been abandoned,

 

and subject to section 17, it is invalid if the applicant for registration was not the person entitled to secure the registration.

 

 

[24]           L’enregistrabilité d’une marque est décidée en partie en vertu de l’article 12 de la Loi. Si, à la date de son enregistrement, une marque de commerce n’était pas enregistrable, elle ne répond pas aux conditions prévues à l’article 18 et elle peut être biffée du registre par suite d’une ordonnance rendue par la Cour en vertu de l’article 57 de la Loi. La demanderesse conteste l’enregistrabilité des marques en question en invoquant l’article 12 de la Loi, dont les dispositions pertinentes sont reproduites ci-dessous :

 

12. (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

[…]

b) qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d’origine de ces marchandises ou services;

 

(2) Une marque de commerce qui n’est pas enregistrable en raison de l’alinéa (1)a) ou b) peut être enregistrée si elle a été employée au Canada par le requérant ou son prédécesseur en titre de façon à être devenue distinctive à la date de la production d’une demande d’enregistrement la concernant.

12. (1) Subject to section 13, a trade‑mark is registrable if it is not

 

 

(b) whether depicted, written or sounded, either description claire or description fausse et trompeuse in the English or French language of the character or quality of the wares or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;

 

 

 

 

(2) A trade‑mark that is not registrable by reason of paragraph (1)(a) or (b) is registrable if it has been so used in Canada by the applicant or his predecessor in title as to have become distinctive at the date of filing an application for its registration.

 

 

[25]           En raison du paragraphe 12(2), une marque peut être enregistrable même si elle ne répond pas aux conditions de l’alinéa 12(1)b) si, à la date de production de la demande d’enregistrement, elle était devenue distinctive. L’article 13 concerne les signes distinctifs et n’est pas pertinent pour la présente demande.

 

[26]           L’interdiction prévue à l’alinéa 12(1)b) permet d’empêcher un commerçant de monopoliser à son profit un mot qui est manifestement descriptif ou communément employé dans un secteur d’activité, obtenant ainsi, par rapport à ses concurrents légitimes, un avantage indu (General Motors c. Bellows, [1949] R.C.S. 678, 10 C.P.R. 101, à la page 114).

 

[27]           Pour qu’il soit possible de s’opposer à une marque de commerce parce qu’elle est descriptive au sens de l’alinéa 12(1)b), le mot doit être clairement descriptif et non pas simplement évocateur et pour qu’un mot soit considéré comme clairement descriptif, il faut qu’il constitue un élément important des marchandises ou du produit (Provenzano c. Registraire des marques de commerce (1977), 37 C.P.R. (2d) 189 (C.F. 1re inst.)). Selon Provenzano, pour qu’un mot donne une description fausse il faut qu’il concerne la composition des marchandises et donne une description fausse ou inexacte d’un élément important, ou laisse entendre que tel ou tel élément a effectivement de l’importance en ce qui concerne la composition des marchandises, alors qu’il n’en a pas.

 

[28]           Dans la décision ITV Technologies Inc. c. WIC Television Ltd., 2003 CF 1056, la juge Danièle Tremblay‑Lamer résume le critère permettant de conclure qu’une marque donne une description claire au sens de l’alinéa 12(1)b) de la Loi :

 

[67]         En ce qui concerne le premier motif invoqué par ITV Technologies, la marque, pour donner la description claire visée à l’alinéa 12(1)b), doit faire plus que suggérer ou évoquer la nature ou la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée ou à l’égard desquels on projette de l’employer. La description doit s’appliquer à la composition matérielle des marchandises ou services qui forment l’objet de la marque de commerce, ou se rapporter à une de leurs qualités intrinsèques évidentes, par exemple une caractéristique, une particularité ou un trait inhérents au produit [Provenzano c. Registraire des marques de commerce (1977), 37 C.P.R. (2d) 189].

[...]

 

[71]         Le critère applicable au point de savoir si une marque de commerce enfreint l’alinéa 12(1)b) est celui de la première impression ou de l’impression immédiate. La décision ne doit pas être fondée sur les résultats d’une recherche ou d’une analyse critique touchant la signification des mots (Oshawa Group Ltd. c. Registraire des marques de commerce, [1981] 2 C.F. 18). Le terme « claire » de l’alinéa 12(1)b) n’est pas synonyme d’exacte, mais signifie plutôt facile à comprendre, évident ou simple [Drackett Co. of Canada c. American Home Products Corp., (1968), 55 C.P.R. 29]. En outre, l’impression doit être appréciée du point de vue de l’acheteur ou de l’utilisateur ordinaire des marchandises ou services [Wool Bureau of Canada Ltd. c. Registraire des marques de commerce (1978), 40 C.P.R. (2d) 25]. Le point de vue des experts ou des personnes possédant des connaissances spéciales n’est pas représentatif de celui du consommateur moyen (Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., [2001] 2 C.F. 536).

 

 

[29]           Compte tenu de la présomption de validité d’une marque de commerce déposée, c’est à la partie qui conteste l’enregistrement, la demanderesse en l’espèce, qu’il incombe, lors d’une action en radiation, d’établir l’invalidité de la marque selon la prépondérance des probabilités (Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd. c. Skyway Cigar Store, 1998 CanLII 7773 (C.F.), au paragraphe 43). D’après l’arrêt General Motors of Canada c. Décarie Motors Inc. (C.A.), [2001] 1 C.F. 665, au paragraphe 31, le juge de première instance « a compétence initiale. Il ne siège pas en appel ni n’exerce un contrôle judiciaire de la décision du registraire d’enregistrer une marque de commerce. Il doit étudier les questions qui lui sont soumises d’un oeil nouveau ».

 

[30]           Dans la décision Neptune S.A. c. Canada (Procureur général), 2003 CFPI 715, le juge Luc Martineau a en outre rappelé que le décideur doit non seulement tenir compte des éléments de preuve dont il dispose, mais également appliquer son sens commun à l’évaluation des faits. La décision concluant au caractère de description claire, ou encore de description fausse et trompeuse, est fondée sur sa première impression et à la lumière du produit ou du service visé. Selon la décision M. P’s Mastertune Ignition Services Ltd. c. Tune Masters (1984), 82 C.P.R. (2d) 128 (C.F. 1re inst.), les mots doivent être examinés à la lumière des marchandises ou services en question, et le décideur doit vérifier quel serait leur sens pour ceux qui les voient, compte tenu du contexte dans lequel ils sont employés.

 

[31]           Il faut examiner la marque dans son ensemble. Bien que les mots, pris individuellement, puissent donner une description claire, la marque prise dans son ensemble ne sera peut‑être pas contestable si elle comprend des mots qui ne sont pas juxtaposés de façon naturelle. Ainsi, une combinaison insolite de mots qui, pris individuellement, sont descriptifs, pourra être considérée comme formant une expression « inventée » pour l’occasion et jugée enregistrable (Pizza Pizza c. Registraire des marques de commerce (1982), 67 C.P.R. (2d) 202 (C.F. 1re inst.)).

 

« donne une description claire »

 

[32]           Selon la demanderesse Pharmawest, les mots « Canada », « drugs » et « .com » ont tous un sens qui peut être facilement décelé puisqu’ils signifient, respectivement, « un pays », « des substances médicinales » et une « organisation commerciale ». Pharmawest fait en outre valoir que le consommateur moyen qui voit la marque CANADA DRUGS attribuera le sens habituel à ces mots compte tenu des services offerts par le défendeur, c’est‑à‑dire une pharmacie en ligne basée au Canada. Selon elle, il est inconcevable qu’un autre sens que celui‑là puisse être attribué à ces mots pour de tels services.

 

[33]           Pharmawest affirme en outre que, même si l’expression « Canada Drugs » est par rapport à « Canadian Drugs » grammaticalement incorrecte, cela ne permet pas de conclure à l’enregistrabilité des marques en question car les mots employés décrivent manifestement un trait caractéristique inhérent et le lieu d’origine des services assurés par le défendeur. De plus, chacun sait que, par rapport aux États‑Unis, les produits pharmaceutiques vendus au Canada sont bon marché et, selon la demanderesse, cette réputation accroît par conséquent la signification que le consommateur moyen attribuerait aux marques de commerce CANADA DRUGS. Selon Pharmawest, si l’on maintient l’enregistrement des appellations « Canada Drugs » et « Canadadrugs.com », on retirera aux autres pharmacies canadiennes la possibilité de décrire correctement l’origine de leurs produits pharmaceutiques et on désavantagera indûment les concurrents légitimes.

 

[34]           Pharmawest cite plusieurs précédents dans lesquels une combinaison grammaticalement incorrecte de deux mots descriptifs a néanmoins été considérée comme donnant une description claire :

·        TUNE MASTER pour des centres de mise au point de moteurs d’automobile (Mastertune)

·        STUDENT LIFE pour une compagnie d’assurance‑vie s’adressant aux étudiants (Ingle c. Registraire des marques de commerce (1973), 12 C.P.R. (2d) 75 (C.F. 1re inst.))

·        SUPERWASH pour des fibres ou des tissus (Wool Bureau of Canada Ltd. c. Registraire des marques de commerce (1987), 40 C.P.R. (2d) 25 (C.F. 1re inst.))

 

[35]           Le défendeur soutient pour sa part que la marque CANADA DRUGS ne donne pas une description claire des services qu’il offre à sa clientèle, mais ne fait que les évoquer. D’après lui, l’enregistrement de la marque CANADA DRUGS ne désavantage pas indûment ses concurrents légitimes étant donné qu’on lui a refusé l’emploi exclusif des éléments individuels de la marque, c’est‑à‑dire les mots « Canada », « drugs » et « .com », et que ces éléments peuvent donc être employés par d’autres. Le droit exclusif qui lui est reconnu ne concerne que la combinaison précise de mots constituant CANADA DRUGS et CANADADRUGS.COM.

 

[36]           Le défendeur fait en outre valoir que, selon l’impression immédiate qu’en aurait le consommateur moyen, les marques ne décrivent pas simplement ou de manière évidente les services qu’il offre. Il affirme d’abord que la nature des services ne serait pas apparente à première vue étant donné que le consommateur pourrait très bien supposer qu’il offre des informations concernant des médicaments ou qu’il fabrique des médicaments, par exemple, ou en assure la commercialisation. Selon le défendeur, dans la mesure où le mot « drugs » pourrait s’appliquer à toute une gamme de services en rapport avec des médicaments, on ne peut pas dire qu’il donne une description claire. Cela vaut également pour le mot « Canada » qui, lui aussi, peut se voir attribuer plusieurs sens. Ensuite, étant donné que l’expression « Canada drugs » est grammaticalement incorrecte, le consommateur moyen y verrait, selon le défendeur, une expression inventée pour l’occasion afin d’identifier une marque, comme c’était le cas dans la décision Pizza Pizza.

 

[37]           Le défendeur cite les décisions suivantes à l’appui de sa thèse voulant que, lorsqu’une marque évocatrice permet de distinguer suffisamment les marchandises ou services de son propriétaire, elle est enregistrable :

  • KOOL ONE pour de la bière (Provenzano, précitée)
  • CALLING CARD pour des services de télécommunication dont les frais sont facturés à un compte autorisé (Unitel Communications Inc. c. Bell Canada (1995), 61 C.P.R. (3d) 12 (C.F. 1re inst.))

 

[38]           En l’espèce, le consommateur moyen est quelqu’un qui, au Canada, achète des produits pharmaceutiques par Internet. Je souligne qu’il n’y a aucune preuve directe, obtenue soit dans le cadre d’un sondage soit autrement, concernant la première impression des consommateurs visés. Cela n’est toutefois pas concluant, car la jurisprudence comprend plusieurs décisions où, en l’absence de toute preuve concernant l’attitude des consommateurs, la Cour a conclu que les marques en question donnaient une description claire (Mastertune, A. Lassonde Inc. c. Canada (Registraire des marques de commerce), (2000), 180 F.T.R. 177, Wool Bureau of Canada). Bien que l’appellation CANADA DRUGS ne soit pas grammaticalement correcte, je ne suis pas convaincu que le consommateur moyen y verrait, effectivement, une « expression inventée ».

 

[39]           De plus, le consommateur moyen ne songerait pas, en présence du mot « drugs », à une organisation fournissant des renseignements sur des médicaments, ou à une organisation spécialisée dans la commercialisation des médicaments, comme l’a fait valoir le défendeur, puisque le consommateur moyen ne s’y connaît guère en matière de commercialisation ou de promotion de produits pharmaceutiques. Les fabricants de produits pharmaceutiques emploient généralement les mots « pharmaceuticals » plutôt que le mot « drugs ». Compte tenu du produit ou service assuré, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le consommateur moyen, en raison de la première impression qu’il en retire et de son bon sens, penserait que le caractère descriptif des marques s’applique à un élément important des services offerts; c’est‑à‑dire que l’appellation « Canada Drugs » signifierait pour le consommateur moyen que les produits pharmaceutiques proviennent du Canada. En concluant que la marque donne une description claire, je ne perds pas de vue la décision Mastertune, selon laquelle il convient moins de procéder à une analyse critique des divers sens qui pourraient être attribués aux mots que d’examiner les mots dans le contexte du service offert et dans l’optique de la clientèle potentielle.

 

[40]           L’interdiction prévue à l’alinéa 12(1)b) vise à empêcher un commerçant de monopoliser à son profit un mot qui est manifestement descriptif ou d’un emploi commun au sein d’un secteur d’activité, et de désavantager indûment par cela ses concurrents légitimes. Compte tenu des traits qui caractérisent le consommateur moyen, il faut examiner l’importance que revêt l’appellation « Canada Drugs » dans le contexte des moteurs de recherche et des termes de recherche Internet, qui constituent le principal moyen de découvrir les produits offerts en ligne. Étant donné qu’une grande partie d’Internet est orientée vers le marché américain, le consommateur qui cherche une pharmacie au Canada pourrait très bien taper « Canada », et les termes génériques « Canada » et « drugs » sont deux mots génériques qu’emploierait le consommateur moyen qui cherche, sur Internet, des pharmacies situées au Canada. Étant donné que la preuve produite en l’espèce montre qu’un grand nombre d’entreprises correspondraient à cette description, j’estime que si l’on autorisait l’enregistrement, comme marque de commerce, de cette combinaison de mots d’usage courant dans le secteur d’activité en question, on désavantagerait indûment les concurrents légitimes. Il ressort en outre de la preuve que les mots « Canada » et « drugs » sont employés par la presse pour décrire les produits pharmaceutiques en provenance du Canada. C’est ainsi, par exemple, que CNN.com a publié le 19 janvier 2004 un article, intitulé « FDA: U.S. generics better buy than Canada drugs » ([traduction] « FDA : les produits génériques fabriqués aux États‑Unis sont moins chers que les médicaments canadiens »). Dans le Chicago Sun‑Times, l’un des titres était « Blagojevich asks Bush for help with Canada drugs » ([traduction] « Blagojevich demande à Bush de l’aider à affronter la concurrence des produits pharmaceutiques provenant du Canada »), et un article publié le 2 février 2004 sur Forbes.com était intitulé « U.S. FDA turns up heat in battle over Canada drugs » ([traduction] « La FDA passe à la vitesse supérieure dans la concurrence avec les médicaments canadiens »). Aucun de ces articles ne cite la défenderesse Canada Drugs Ltd ou n’emploie les mots « Canada » et « drugs » sous forme de marque de commerce. Je souligne que si les coupures de presse produites en preuve ont été publiées par des médias américains, les sources de ces articles, et en particulier celles qui publient en ligne, peuvent être consultées au Canada. Je parviens à la même conclusion en ce qui concerne CANADADRUGS.COM. La terminaison « .com » se retrouve si fréquemment dans les marques de commerce visant la clientèle Internet qu’elle n’a plus le sens qu’elle avait à l’origine. Sans cette terminaison, le reste de la marque n’est qu’un appariement des mots « Canada » et « drugs ».

 

« donne une description fausse et trompeuse »

 

[41]           C’est pour empêcher que l’on trompe le public que l’enregistrement de marques de commerce donnant une description fausse et trompeuse est interdit (Promotions Atlantic Inc. c. Registraire des marques de commerce (1996), 2 C.P.R. (3d) 183, à la page 186 (C.F. 1re inst.)). L’important est le caractère trompeur d’une marque. Pour qu’une marque soit considérée comme trompeuse, il faut qu’elle donne une description portant à penser que les marchandises ou le service contiennent quelque chose qu’ils ne contiennent en fait pas (Atlantic, précitée). Selon la décision Provenzano, il faut en outre que le mot se rapporte à la composition des biens et décrive faussement ou erronément un élément matériel, ou vise quelque chose qui entre dans la composition des biens contrairement à la réalité.

 

[42]           Pharmawest soutient que les marques de commerce du défendeur décrivent manifestement des services en rapport avec des produits pharmaceutiques en provenance du Canada. Or, il ressort de la preuve que si les commandes sont effectivement prises au Canada, les produits pharmaceutiques ne proviennent pas tous du Canada et que les ordonnances ne sont pas toutes exécutées au Canada. Le défendeur réplique que, dans la mesure où les marques de commerce ne donnent pas une description claire, on ne saurait conclure qu’elles donnent une description fausse et trompeuse.

 

[43]           L’alinéa 26(1)c) de la Loi sur la concurrence déloyale, S.R.C. 1952, ch. 274, employait l’expression « fausse désignation » (« clearly misdescriptive »). Lorsque la disposition a été reprise dans la Loi sur les marques de commerce, l’adjectif est devenu « trompeuse » (« deceptively »). Il ressort de la jurisprudence citée plus haut que, pour être considérée comme donnant une « description fausse et trompeuse », il faut qu’une marque de commerce soit descriptive et qu’elle comprenne en outre un élément trompeur. En ce qui concerne la marque CANADA DRUGS, il ressort de la preuve que les produits pharmaceutiques délivrés sur ordonnance sont fabriqués dans divers pays et non au Canada seulement. Ce simple fait ne permet peut‑être pas de conclure que la marque donne une « description fausse et trompeuse », car le public sait en général que certains des produits pharmaceutiques vendus ont été fabriqués par des sociétés américaines ou européennes. Mais, étant donné que les ordonnances ne sont pas toujours exécutées par des pharmacies canadiennes, j’estime que le consommateur moyen sera effectivement trompé quant au produit. Il importe de reconnaître que le consommateur canadien a tendance, en matière d’ordonnances médicales, à faire davantage confiance aux pharmacies canadiennes qu’aux pharmacies installées à l’étranger. Or, à part la marque CANADA DRUGS, le seul lien logique avec le Canada semble être le bureau du défendeur où a lieu le traitement des commandes. Il semble donc que, selon la prépondérance des probabilités, le consommateur moyen croirait à l’existence d’un lien avec le Canada plus important que le simple emplacement de ce bureau, comme, par exemple, la provenance des médicaments ou, à tout le moins, la fourniture des services. Je considère par conséquent que la marque CANADA DRUGS donne une « description fausse et trompeuse ». Pour la même raison, cette conclusion s’applique également à CANADADRUGS.COM.

 

2)      Les marques de commerce CANADA DRUGS distinguent‑elles véritablement les services en liaison avec lesquels elles ont été enregistrées ou employées par le défendeur, des marchandises ou services d’autres propriétaires?

 

[44]           Le caractère distinctif est un élément essentiel de la validité d’une marque de commerce. Selon l’article 2 de la Loi, on entend par marque de commerce distinctive, une marque « qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi ». Afin de décider si une marque de commerce est effectivement distinctive, il faut examiner l’impression première des clients visés, c’est‑à‑dire en l’espèce les personnes qui, au Canada, achètent des produits pharmaceutiques par l’intermédiaire d’Internet. Une marque qui serait autrement considérée comme donnant une « description claire » ou une « description fausse et trompeuse » en vertu de l’alinéa 12(1)b) de la Loi pourra néanmoins être considérée comme enregistrable et échapper à la radiation si, comme le prévoit le paragraphe 12(2), elle a été employée au Canada de façon à être devenue distinctive à la date de la production d’une demande d’enregistrement la concernant.

 

[45]           Une marque de commerce peut par contre être contestée en vertu de l’alinéa 18b), qui permet d’invalider l’enregistrement d’une marque de commerce lorsque cette marque n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de son enregistrement. Compte tenu de la conclusion à laquelle je suis parvenu par rapport au paragraphe 12(2), la question ne se pose pas en l’espèce.

 

[46]           Une marque de commerce qui ne possède pas un caractère distinctif inhérent, qui est le propre d’une marque constituée d’un nom unique ou inventé qui ne peut désigner ou évoquer qu’une seule chose, peut néanmoins acquérir un caractère distinctif par suite de son emploi constant sur le marché. Toutefois, pour démontrer qu’une marque a acquis un caractère distinctif, il faut établir que les consommateurs ont associé invariablement la marque à une source déterminée (Tommy Hilfiger Licensing Inc. c. Produits de Qualité I.M.D. Inc., 2005 CF 10, au paragraphe 53).

 

[47]           Dans la décision Carling Breweries Ltd. c. Molson Companies Ltd., 1 C.P.R. (3d) 191, aux pages 196 et 197, le juge Barry Strayer a analysé le résultat de l’application du paragraphe 12(2) de la Loi :

 

Ce paragraphe crée une exception à la règle générale énoncée à l’alinéa 12(1)b) voulant, comme c’est le cas en l’espèce, qu’une marque qui constitue une description du lieu d’origine du produit, prima facie, ne soit pas enregistrable. Comme c’est le cas chaque fois qu’une partie souhaite tirer avantage d’une exception prévue dans la loi, il appartient à cette partie de démontrer qu’elle est visée par cette exception.

[...]

 

Il existe de nombreux arrêts selon lesquels lorsqu’il faut démontrer qu’un terme habituellement descriptif a acquis une seconde signification de sorte qu’il décrit un produit particulier, la charge est en vérité très lourde : voir par exemple, The Canadian Shredded Wheat Co., Ld. v. Kellogg Co. of Canada Ld. et al. (1938), 55 R.P.C. 125, à la page 142 (P.C.); J.H. Munro Limited v. Neaman Fur Company Limited, [1946] R.C.É. 1, aux pages 14 et 15; 5 Fox Pat. C. 194, à la page 208.

 

 

[48]           La demanderesse Pharmawest m’ayant convaincu que les marques de commerce donnent une « description claire » et une « description fausse et trompeuse », il incombe au défendeur de démontrer que la marque peut conserver son enregistrement en raison de l’exception prévue au paragraphe 12(2) de la Loi. Les dates pertinentes sont celles de la production des demandes d’enregistrement, c’est‑à‑dire le 23 mars 2001 pour la marque CANADADRUGS.COM et le 15 mai 2001 pour la marque CANADA DRUGS.

 

[49]           Selon les éléments de la preuve qu’il a produits, le défendeur a fait en sorte que les marques Canada Drugs figurent dans le site Web www.canadadrugs.com, sur ses factures et emballages, sur son papier à en‑tête et ses cartes d’affaires, sur les enseignes des locaux de son entreprise, ainsi que sur des articles publicitaires tels que des T‑shirts, des tasses à café, des piluliers et des aimants pour portes de réfrigérateur. Depuis le mois d’avril 2001, la page d’accueil de son site Web affiche invariablement les deux marques Canada Drugs Ltd.

 

[50]           L’entreprise Canada Drugs affirme employer plus de 250 personnes, dont 15 pharmaciens, avoir une clientèle de plus de 150 000 patients, à qui elle propose 2 700 produits sur ordonnance, et exécuter environ 2 500 ordonnances chaque jour. En 2005, environ 3 500 000 visites ont été enregistrées sur son site Web dont 12,6 p. 100 proviennent, selon les chiffres de l’entreprise, d’un domaine canadien coté (c’est‑à‑dire d’un nom de domaine ayant le suffixe « .ca »). Plus de 5 000 000 $ ont été consacrés à la publicité vantant les mérites des marques et les activités de Canada Drugs, dont des publicités facturables au clic et des annonces à la télévision, dans des revues, dans des journaux et à la radio.

 

[51]           Étant donné que le site Web n’a été accessible, au plus tôt, que le 28 février 2001 et que, selon la preuve, la publicité visait principalement une clientèle américaine, il est difficile de croire que les consommateurs canadiens auraient pu se familiariser suffisamment avec les marques pour que celles‑ci acquièrent un caractère distinctif au cours des deux ou trois mois entre la mise en service du site Web et les demandes d’enregistrement. Quoi qu’il en soit, le défendeur n’a guère démontré qu’au 15 mai 2001, les marques de commerce avaient acquis un caractère distinctif. Je conclus par conséquent que le défendeur n’a pas produit, comme il lui incombait de le faire, la preuve qui lui aurait permis de bénéficier de l’exception prévue au paragraphe 12(2).

 

Conclusion

 

[52]           Je conclus que les marques de commerce CANADA DRUGS et CANADADRUGS.COM donnent toutes deux une « description claire » et une « description fausse et trompeuse », au sens de l’alinéa 12(1)b) de la Loi. Le défendeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait en vertu du paragraphe 12(2) de démontrer que les marques avaient acquis un caractère distinctif à la date de production de la demande d’enregistrement les concernant et, par conséquent, les marques ne sont pas enregistrables. Les marques de commerce sont invalides en vertu de l’alinéa 18(1)a) et j’ordonne par conséquent, en application de l’article 57 de la Loi, qu’elles soient biffées du registre car l’inscription qui y figure n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque. Cela étant, les marques seront radiées du registre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            Pour les motifs exposés ci‑dessus, les marques de commerce canadiennes CANADA DRUGS et CANADADRUGS.COM, enregistrées sous les numéros LMC581915 et LMC581899, seront radiées du registre des marques de commerce, avec dépens.

 

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑318‑06

 

INTITULÉ :                                                   PHARMAWEST PHARMACY

                                                                        c.

                                                                        KRIS THORKELSON

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 15 MARS 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE TEITELBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 19 AVRIL 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Timothy Lo

 

POUR LA DEMANDERESSE

Mark Robbins

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Timothy Lo

SMART & BIGGAR

Boîte 11560 Vancouver Centre

650, rue Georgia ouest, bureau 2200

Vancouver (Colombie‑Britannique)

V6B 4N8

POUR LA DEMANDERESSE

 

Mark Robbins

BERESKIN & PARR

Scotia Plaza, 40e étage

40, rue King ouest

Toronto (Ontario)

M5H 3Y2

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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