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Date : 20070416

Dossier : T-1236-01

Référence : 2007 CF 396

Vancouver (Colombie-Britannique), le 16 avril 2007

EN PRÉSENCE DU PROTONOTAIRE ROGER R. LAFRENIÈRE

 

ENTRE :                   

 

EDWARD GRENKE et

GRENCO INDUSTRIES LTD.

demandeurs

(défendeurs reconventionnels)

 

et

 

 CORLAC INC., NATIONAL-OILWELL CANADA LTD.

et NATIONAL OILWELL INCORPORATED

 défenderesses

(demanderesses reconventionnelles)

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La seule question à trancher dans la présente requête est celle de savoir si les défenderesses devraient être autorisées à constituer le commissaire aux brevets (le commissaire) partie à la demande reconventionnelle et à modifier en conséquence leur défense et demande reconventionnelle modifiée.

 

[2]               Tant pour des raisons de principe que pour des raisons d’ordre pratique, je conclus que le commissaire ne devrait pas être constitué partie à la présente action.

 

Genèse de l’instance

 

[3]               Dans leur déclaration, les demandeurs allèguent que les défenderesses ont contrefait les brevets canadiens nos 2,095,937 (le brevet 937) et 2,098,324 (le brevet 324). Les défenderesses ont réfuté ces allégations et ont introduit une demande reconventionnelle en vue de faire invalider les deux brevets en question. Elles soutiennent notamment que Art Britton (Britton) est le véritable inventeur ou coinventeur du brevet 937. La défenderesse National Oilwell Canada Ltd. s’est fait céder les droits de Britton sur le brevet 937.

 

[4]               Au paragraphe 21 de leur demande reconventionnelle, les défenderesses réclament les réparations suivantes :

 

a)      une ordonnance radiant, en vertu de l’article 52 de la Loi sur les brevets, les inscriptions dans les registres du Bureau canadien des brevets concernant le titre au brevet 937 et modifiant que le titre pour désigner Art Britton comme véritable inventeur et la National-Oilwell Canada Ltd. comme titulaire du brevet;

 

b)      à titre subsidiaire, une ordonnance modifiant, en vertu de l’article 52 de la Loi sur les brevets, les inscriptions dans les registres du Bureau canadien des brevets concernant le titre au brevet 937 et modifiant le titre pour désigner Art Britton comme véritable coinventeur et la National-Oilwell Canada Ltd. comme cotitulaire du brevet.

 

[5]               Les défenderesses font valoir que, comme elles demandent à la Cour de rendre, en vertu de l’article 52 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4 (la Loi sur les brevets), une ordonnance rectifiant les registres du Bureau canadien des brevets se rapportant à l’un des brevets en litige dans l’action principale, le commissaire doit être constitué partie pour s’assurer qu’il soit tenu de donner effet à toute ordonnance que la Cour rendra.

 

[6]               L’article 52 de la Loi sur les brevets dispose :

52. La Cour fédérale est compétente, sur la demande du commissaire ou de toute personne intéressée, pour ordonner que toute inscription dans les registres du Bureau des brevets concernant le titre à un brevet soit modifiée ou radiée.

52. The Federal Court has jurisdiction, on the application of the Commissioner or of any person interested, to order that any entry in the records of the Patent Office relating to the title to a patent be varied or expunged.

 

Analyse

 

[7]               L’article 104 des Règles des Cours fédérales (les Règles) permet de constituer partie à l’instance toute personne qui aurait dû l’être ou dont la présence devant la Cour est nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige dans l’instance.

 

[8]               Les défenderesses se fondent sur deux décisions récentes de notre Cour à l’appui de leur thèse que le commissaire doit est constitué partie à l’instance pour s’assurer qu’il sera tenu par l’ordonnance que la Cour rendra (voir la décision du juge Konrad von Finckenstein dans l’affaire Axia Inc. c. Northstar Tool Corp. 2005 CF 573) (Axia) et la décision de la juge Carolyn Layden‑Stevenson dans l’affaire Micromass UK Ltd. c. Canada (Commissaire aux brevets) 2006 CF 117 (Micromass).

 

[9]               Dans l’affaire Axia, le juge von Finckenstein était saisi d’une demande présentée en vertu de l’article 52 de la Loi sur les brevets en vue d’obtenir une ordonnance modifiant le nom du propriétaire de deux brevets canadiens. La demande reposait en partie sur une décision d’un tribunal de la Colombie-Britannique concernant la propriété des brevets américains correspondants. Le juge von Finckenstein a estimé que la question n’était pas chose jugée parce que la décision du tribunal de la Colombie-Britannique ne visait pas les brevets canadiens et parce qu’aucune déclaration de propriété n’avait été faite. Il a toutefois conclu que la Cour fédérale n’était pas compétente parce que le litige concernait surtout le droit des contrats. Au paragraphe 25 de sa décision, il s’est dit d’avis que, pour obtenir une ordonnance enjoignant au commissaire de modifier le registre, il est nécessaire que le commissaire soit constitué partie. Voici en quels termes il s’est exprimé :

La présente action a toutefois été introduite en tant que demande déposée en vertu de l'article 52, et non à titre de contrôle judiciaire du refus du commissaire de modifier le registre des brevets canadiens. Je ne vois pas comment la Cour pourrait ordonner au commissaire de faire quoi que ce soit s'il n'est pas une partie devant elle. Je pense que, pour obtenir une ordonnance enjoignant au commissaire de modifier le registre, comme l'indique la demande de redressement, il sera nécessaire que le commissaire soit constitué partie. Il se peut que cette mesure ne fasse pas grand différence d'un point de vue pratique et ne s'avère pas fatale puisque l'avocat du commissaire a informé l'avocat de la demanderesse que le commissaire modifierait le registre lorsqu'on lui signifierait un jugement d'un tribunal déclarant qu'Axia est titulaire des brevets canadiens. Je continue toutefois de penser qu'en ce qui concerne une demande déposée en vertu de l'article 52 de la Loi sur les brevets, il serait approprié de constituer le commissaire partie à l'instance. Ce point n'étant pas en litige, il n'est pas nécessaire de s'étendre davantage sur le sujet.

 

[10]           Dans l’affaire Micromass, la juge Layden-Stevenson était également saisie d’une demande présentée en vertu de l’article 52 de la Loi sur les brevets. La demanderesse sollicitait une ordonnance en vue de faire modifier les inscriptions qui, dans les registres du Bureau des brevets, concernent la paternité de l'invention visée par un brevet canadien. Au paragraphe 14 de sa décision, la juge Layden-Stevenson déclare ce qui suit au sujet de la procédure à suivre pour obtenir une réparation en vertu de l’article 52 de la Loi sur les brevets :

Une demande faite en vertu de l'article 52 de la Loi peut être introduite par le cessionnaire d'un brevet, avec préavis au commissaire, sous forme d'une demande introductive d'instance ou d'un avis de requête, au cours d'une action en contrefaçon qui se rapporte au brevet en cause.

 

[11]           Les décisions Axia et Micromass sont de peu d’utilité pour répondre à la question de savoir si le commissaire devrait être constitué partie dans une action dans laquelle une réparation est sollicitée en vertu de l’article 52 de la Loi sur les brevets.

 

[12]           Pour commencer, dans les affaires Axia et Micromass, les demandes étaient dans un cas comme dans l’autre présentées en vertu de la partie 5 des Règles. On peut donc établir une distinction entre ces deux affaires et la présente espèce parce que les dispositions relatives à la jonction de parties, de même que celles concernant les avis, sont sensiblement différentes de celles qui s’appliquent dans le cas des actions visées par la partie 4 des Règles.

 

[13]           De surcroît, dans la mesure où, dans le jugement Axia, la Cour a estimé que le commissaire avait été régulièrement constitué partie à l’instance, cette affirmation constitue de toute évidence une opinion incidente. Le juge von Finckenstein le reconnaît d’ailleurs dans la dernière phrase du paragraphe 25 de sa décision. Le juge von Finckenstein n’était pas appelé à se prononcer sur la question de savoir si le commissaire devrait légitimement être constitué partie dans toutes les instances dans lesquelles une réparation est sollicitée en vertu de l’article 52 de la Loi sur les brevets. Il n’avait pas non plus l’avantage de disposer des affidavits et des observations du commissaire comme c’est le cas dans la présente requête. Dans ces conditions, une observation faite de manière incidente, ou une déclaration ou une hypothèse formulée sur une question qui n’a pas été plaidée peut être convaincante mais elle n’a certainement pas caractère obligatoire.

 

[14]           Quant à la décision rendue dans l’affaire Micromass, la question clé à laquelle le tribunal était appelé à répondre était celle de savoir si le commissaire a, en vertu de la Loi sur les brevets, un pouvoir discrétionnaire lui permettant de modifier un brevet déjà délivré. La juge Layden-Stevenson semble laisser entendre qu’il faudrait, tout au plus, aviser le commissaire de la demande présentée en vertu de l’article 52 au moyen d’un acte introductif d’instance ou d’un avis de requête. Le point crucial était la reconnaissance de l’obligation de donner un préavis. Il va de soi que le commissaire ne peut donner effet qu’à ce qui a été porté à sa connaissance. À mon avis, le jugement Micromass confirme qu’il suffit de donner avis de l’ordonnance au commissaire pour que celui-ci soit en mesure de donner effet à une ordonnance fondée sur l’article 52.

 

[15]           La Loi sur les brevets prévoit clairement que la Cour fédérale joue un rôle explicite et exclusif en matière de modification et de radiation des registres du Bureau des brevets. Il n’est donc pas loisible au commissaire de désobéir aux ordonnances rendues en vertu de la compétence que la Loi sur les brevets confère à la Cour fédérale ou d’en faire fi.

 

[16]           Lorsqu’elle exerce la compétence que lui confère l’article 52 de la Loi sur les brevets, la Cour fédérale n’ordonne pas au commissaire de faire quoi que ce soit. Elle définit tout simplement les droits des particuliers qui sont inscrits dans les registres du Bureau des brevets, et le commissaire est tenu de par la loi de donner effet aux ordonnances ainsi prononcées par la Cour.

 

[17]           Si le législateur fédéral avait voulu que le commissaire ait le pouvoir d’ignorer ou de critiquer a posteriori les ordonnances de la Cour fédérale, il aurait fallu qu’il lui accorde de tels pouvoirs explicitement dans la Loi sur les brevets. Or, aucune compétence résiduaire de ce genre n’a été réservée au commissaire. Le législateur a plutôt investi la Cour fédérale, à l’article 52, de la compétence exclusive pour modifier ou radier les registres du Bureau des brevets. Il n’est pas davantage loisible au commissaire qu’à un commis de la Cour fédérale de refuser de donner effet à une telle ordonnance judiciaire.

 

[18]           Rien ne permet de penser que le commissaire refusera de donner effet à l’ordonnance que la Cour rendra. Au contraire, la preuve dont je dispose indique que le commissaire s’estime obligé de par la loi de donner effet à de telles décisions du fait du rôle qui lui est confié d’assurer la garde du registre des brevets.

 

[19]           Les fonctions du commissaire sont énumérées au paragraphe 4(2) de la Loi sur les brevets. Le commissaire n’est pas habilité à prendre position sur le fond des litiges opposant des particuliers. Le seul rôle que le commissaire est appelé à jouer relativement à l’affaire qui nous occupe est de donner effet à toute ordonnance rendue par le tribunal en vertu de l’article 52 de la Loi sur les brevets. Je conclus donc que le commissaire n’aurait pas dû être constitué partie et j’estime que sa présence devant la Cour n’était pas nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige au sens de l’article 104 des Règles.

 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE :

 

1.         Les défenderesses sont autorisées à déposer et signifier une nouvelle défense et demande reconventionnelle modifiée modifiant l’alinéa 17a) et ajoutant le nouveau sous-alinéa 17a)(iii) ainsi qu’il est précisé à l’annexe A de l’avis de requête, à la condition que les demandeurs soient autorisés à procéder à une enquête préalable relativement à ces modifications;

 

2.         L’autorisation de déposer et signifier une nouvelle défense et demande reconventionnelle modifiée constituant le commissaire aux brevets partie à la demande reconventionnelle et ajoutant le nouveau paragraphe 22A proposé à l’annexe A de l’avis de requête est refusée;

 

3.         Il n’y a pas d’adjudication de dépens.

 

                                                                                                            « Roger R. Lafrenière »

Protonotaire

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                      T-1236-01

 

INTITULÉ :                                                                           EDWARD GRENKE ET GRENCO INDUSTRIES LTD c. CORLAC INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                             LE 2 MARS 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                      LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :                                                    LE 16 AVRIL 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ahmed Bulbulia

Dimmock Stratton LLP

 

Edward Grenke & Grenco Industries

Chris Kvas et Bill Regan

Ridout & Maybee LLP

 

Corlac Inc.

Robert MacFarlane et Adam Bobker

Bereskin & Parr

Weatherford

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Dimmock Stratton LLP

Toronto (Ontario)

 

Edward Grenke & Grenco Industries

Ridout & Maybee LLP

Toronto (Ontario)

 

Corlac Inc.

Bereskin & Parr LLP

Toronto (Ontario)

Weatherford

 

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