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Date : 20070411

Dossier : IMM-2139-06

Référence : 2007 CF 372

Ottawa (Ontario), le 11 avril 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

ENTRE :

MAXIMIN SEGASAYO

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le défendeur a déposé une requête demandant à la Cour d’interdire la divulgation de certains renseignements (les éléments de preuve secrets) en vertu de l’article 87 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire (IMM-2139-06) devant être instruite le 29 mars 2007.

 

[2]               En réponse, Maximin Segasayo (le demandeur) a déposé une requête afin d’obtenir un résumé des éléments de preuve secrets.

LES FAITS PERTINENTS

[3]               Le demandeur a été l’ambassadeur du Rwanda au Canada de 1991 à 1995. Le 26 janvier 1996, lui et sa famille se sont vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). Ils ont ensuite présenté des demandes de résidence permanente.

 

[4]        Le 27 avril 1998, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada (CIC) a désigné le gouvernement rwandais à titre de régime ayant commis des crimes contre l’humanité et un génocide d’octobre 1990 à avril 1994 et d’avril 1994 à juillet 1994. Le demandeur ayant été l’ambassadeur du Rwanda de deux régimes désignés, il a été avisé par CIC le 20 juillet 1998 qu’il ne pouvait pas obtenir le statut de résident permanent au Canada, et ce, en vertu de l’alinéa 19(1)l) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2.

 

[5]        Le 5 août 1998, le demandeur a sollicité une exception ministérielle en faisant valoir qu’il n’avait pas été complice des crimes commis pendant le génocide rwandais de 1994 et que, de ce fait, sa présence permanente au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national. Dans la loi actuelle, l’exception ministérielle est prévue au paragraphe 35(2). Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) a rejeté la demande le 24 février 2006, en s’appuyant sur des éléments de preuve secrets, une version expurgée du dossier ayant été communiquée au demandeur.

 

[6]        Le 24 mars 2006, le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire de la décision du ministre. La Commission a produit, aux fins de la présente procédure, une version expurgée du dossier certifié du tribunal au motif que la divulgation des parties supprimées porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui.

 

[7]               Le défendeur a ensuite déposé une requête en vertu de l’article 87 de la Loi, par laquelle il demande à la Cour :

a)      de rendre, en vertu du paragraphe 87(1) de la Loi, une ordonnance interdisant la divulgation des éléments de preuve secrets au demandeur, à son avocate et au public;

b)      si elle concluait que les conditions d’une telle ordonnance n’étaient pas remplies relativement à une partie ou à la totalité des éléments de preuve secrets, d’ordonner que ces éléments de preuve lui soient retournés, qu’ils ne soient pas versés au dossier de la Cour et qu’ils ne soient pas divulgués au demandeur, à son avocate et au public.

 

[8]               Bien qu’il demande à la Cour d’interdire la divulgation des éléments de preuve secrets, le défendeur souhaite toujours s’en servir pour répondre à la demande de contrôle judiciaire.

 

[9]               En réponse à la requête en interdiction de divulgation, le demandeur a déposé une requête par laquelle il demande un résumé des éléments de preuve secrets, mais uniquement si la Cour ordonne que ceux‑ci ne lui soient pas divulgués.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

1.      Le ministre pouvait‑il s’appuyer sur les éléments de preuve secrets pour statuer sur la demande d’exception?

2.      Le ministre a-t-il manqué à l’obligation d’agir équitablement en ne divulguant pas les éléments de preuve secrets sur lesquels il s’est appuyé pour statuer sur la demande d’exception?

3.      Subsidiairement, si la Cour ordonne que les éléments de preuve secrets ne soient pas divulgués au demandeur, ce dernier a-t-il droit à un résumé de ces éléments de preuve?

 

L’ANALYSE

1. Le ministre pouvait‑il s’appuyer sur les éléments de preuve secrets pour statuer sur la demande d’exception?

 

[10]           Le demandeur a soulevé une question préliminaire en faisant valoir que le ministre avait commis une erreur en s’appuyant sur des éléments de preuve secrets pour rejeter sa demande d’exception. Il prétend plus particulièrement que l’article 87 de la Loi est la seule disposition qui traite des éléments de preuve secrets et que l’article 35 de la Loi n’y est pas mentionné.

 

[11]           Les parties reconnaissent de manière générale que la Loi n’autorise pas explicitement le ministre à s’appuyer sur des éléments de preuve secrets non divulgués pour statuer sur une demande d’exception visée au paragraphe 35(2) de la Loi. Il est vrai qu’aucune disposition particulière ne permet au ministre de s’appuyer sur des éléments de preuve secrets, mais rien ne limite les facteurs qu’il peut prendre en considération pour rendre sa décision. Il est incontestable que la situation du demandeur est rendue encore plus difficile par le fait qu’il est incapable d’avoir accès à des renseignements qui pourraient avoir une incidence sur la justesse de ses prétentions dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire. Le demandeur n’a toutefois invoqué aucune décision judiciaire portant que le ministre ne peut prendre en considération certains renseignements qui sont à sa disposition. Cependant, dans deux affaires récentes semblables à celle dont je suis saisi en l’espèce, la Cour a interdit la divulgation de renseignements confidentiels à cause des répercussions que ces renseignements pourraient avoir sur la sécurité nationale, même si aucun régime législatif n’interdisait la non‑divulgation de renseignements sensibles (Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1310, et Naeem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 123). Même si elles concernent l’article 34 de la Loi et non l’article 35, les décisions Mohammed et Naeem traitent de la question de procédure qui est soulevée en l’espèce : l’interdiction, pour le ministre, de divulguer des renseignements sensibles pour des raisons de sécurité nationale et de sécurité des personnes en l’absence d’une disposition législative le prévoyant explicitement. Les différences entre les deux dispositions ne sont pas importantes aux fins de la présente requête.

 

[12]           De plus, vu la nature de l’enquête qui doit être effectuée sous le régime de l’article 35 de la Loi – qui concerne l’intérêt national – il est implicite que des renseignements confidentiels seront examinés. En outre, toute preuve sur laquelle s’appuie le ministre ne devient « secrète » que lorsqu’on demande sa divulgation.

 

[13]           Par conséquent, le ministre pouvait, à mon avis, consulter les éléments de preuve secrets pour statuer sur la demande d’exception. Le pouvoir de garder secrets certains renseignements liés à la sécurité nationale qui est conféré au ministre par la loi est expliqué plus en détail ci‑dessous.

 

2. Le ministre a-t-il manqué à l’obligation d’agir équitablement en ne divulguant pas les éléments de preuve secrets sur lesquels il s’est appuyé pour statuer sur la demande d’exception?

 

[14]           J’ai examiné avec soin les éléments de preuve secrets et, après avoir effectué une analyse approfondie des renseignements qu’ils renferment et avoir soupesé les intérêts en jeu, je crois fermement que les renseignements dont la divulgation est demandée ne devraient pas être divulgués (sous réserve de la divulgation d’une partie de la version expurgée du dossier du tribunal qui a été acceptée par le ministre) et, en conséquence, que le ministre n’a pas manqué à l’obligation d’agir équitablement et ce, pour les motifs qui suivent.

 

[15]           Les Règles des Cours fédérales, DORS/2004-283, et les Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/2002‑232 (les Règles en matière d’immigration), n’interdisent pas expressément la divulgation de documents ou de renseignements pour des raisons de sécurité nationale. Les seules dispositions de la Loi où il est question d’interdiction de divulgation sont les articles 86 et 87. Ces dispositions ne sont cependant pas directement applicables en l’espèce puisque l’article 86 s’applique seulement dans le cas d’un appel à la Section d’appel de l’immigration, d’un contrôle de la détention ou d’une enquête, et l’article 87 concerne seulement les renseignements visés aux articles 11, 86, 112 ou 115 de la Loi. La présente affaire n’est pas visée par ces dispositions puisque le demandeur s’est vu refuser une exception ministérielle en vertu du paragraphe 35(2) de la Loi.

 

[16]           Les articles 317 et 318, figurent à la partie V des Règles des Cours fédérales, traitent aussi de la question de la non‑divulgation en permettant à un office fédéral de s’opposer à une demande de communication de documents ou d’éléments pertinents en sa possession. Le ministre est réputé être un office fédéral selon l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7. Les articles 317 et 318 des Règles des Cours fédérales ne s’appliquent cependant pas dans le contexte des Règles en matière d’immigration parce qu’ils ne sont pas mentionnés au paragraphe 4(1) de ces règles. Les paragraphes 4(1) et (2) sont actuellement libellés comme suit :

4. (1) Sous réserve du paragraphe (2), la demande d’autorisation, la demande de contrôle judiciaire et l’appel sont régis par les parties 1, 2, 3, 6, 7, 10 et 11 et les règles 383 à 385 des Règles des Cours fédérales, sauf dans le cas où ces dispositions sont incompatibles avec la Loi ou les présentes règles.

 

4. (1) Subject to subrule (2), except to the extent that they are inconsistent with the Act or these Rules, Parts 1 to 3, 6, 7, 10 and 11 and rules 383 to 385 of the Federal Courts Rules apply to applications for leave, applications for judicial review and appeals.

 

 

(2) La règle 133 des Règles des Cours fédérales ne s’applique pas à la signification d’une demande d’autorisation ou d’une demande de contrôle judiciaire.

(2) Rule 133 of the Federal Courts Rules does not apply to the service of an application for leave or an application for judicial review.

 

[17]           La Cour a analysé les problèmes créés sur le plan de la procédure par l’interdiction de divulgation d’éléments de preuve secrets pour des raisons de sécurité nationale dans Mohammed, précitée, et dans Naeem, précitée. Mes deux collègues ont corrigé la lacune dans les règles découlant d’un oubli du législateur en appliquant l’article 4 des Règles des Cours fédérales. Cette disposition prévoit :

4. En cas de silence des présentes règles ou des lois fédérales, la Cour peut, sur requête, déterminer la procédure applicable par analogie avec les présentes règles ou par renvoi à la pratique de la cour supérieure de la province qui est la plus pertinente en l’espèce.

4. On motion, the Court may provide for any procedural matter not provided for in these Rules or in an Act of Parliament by analogy to these Rules or by reference to the practice of the superior court of the province to which the subject-matter of the proceeding most closely relates.

 

[18]           À mon avis, cette méthode est celle qu’il convient d’adopter et j’appliquerai la procédure décrite par mes collègues dans Mohammed, précitée, et dans Naeem, précitée.

 

[19]           En résumé, la disposition qui régit l’interdiction de divulgation pour des raisons de sécurité nationale est l’article 87 de la Loi. En outre, les parties conviennent que la procédure prévue par cette disposition est celle qui, dans la Loi, est la plus pertinente quant à l’interdiction de divulgation de renseignements. L’article 87 prévoit ce qui suit :

87. (1) Le ministre peut, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, demander au juge d’interdire la divulgation de tout renseignement protégé au titre du paragraphe 86(1) ou pris en compte dans le cadre des articles 11, 112 ou 115.

 

87. (1) The Minister may, in the course of a judicial review, make an application to the judge for the non-disclosure of any information with respect to information protected under subsection 86(1) or information considered under section 11, 112 or 115.

 

(2) L’article 78 s’applique à l’examen de la demande, avec les adaptations nécessaires, sauf quant à l’obligation de fournir un résumé et au délai.

 

(2) Section 78, except for the provisions relating to the obligation to provide a summary and the time limit referred to in paragraph 78(d), applies to the determination of the application, with any modifications that the circumstances require.

 

[20]           Pour déterminer si les parties du dossier du tribunal qui ont été supprimées devraient être divulguées, j’ai soupesé deux facteurs opposés en l’espèce. Le premier est l’obligation d’agir équitablement envers le demandeur de façon qu’il y ait « divulgation complète et fidèle » de tous les renseignements pertinents (Charkaoui c. Canada, 2004 CAF 421, [2005] 2 R.C.F. 299, 247 D.L.R. (4th) 405). Cette divulgation est essentielle parce que le demandeur a le fardeau de démontrer le bien‑fondé de ses prétentions et de donner une réponse adéquate dans le cadre du contrôle judiciaire. L’autre facteur qui doit être pris en compte est l’intérêt public qu’il y a à protéger les renseignements dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale.

 

[21]           Après avoir examiné de façon très minutieuse les éléments de preuve secrets et avoir évalué leur fiabilité, leur teneur, leur valeur et leur force, je conclus sans hésitation qu’ils ne doivent pas être divulgués au demandeur, à son avocate et au public, sous réserve des parties que le ministre a accepté de divulguer lors de l’audience ex parte tenue à huis clos. Il ne fait aucun doute qu’à cause de leur teneur, de leur nature et de leurs sources, les renseignements sensibles en cause en l’espèce porteraient atteinte à la sécurité nationale s’ils étaient divulgués. La nature délicate de l’enquête m’empêche d’expliquer plus en détail les motifs de ma conclusion.

 

[22]           Cela étant dit, j’aimerais souligner que les éléments de preuve secrets sont assez peu nombreux en l’espèce. En fait, il s’agit seulement d’une note de service interne de deux pages et demie de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), dont cinq paragraphes ont été supprimés en partie, et d’une lettre de six pages adressée à l’ASFC par le Service canadien du renseignement de sécurité, dont 12 des 17 paragraphes ont été supprimés. Compte tenu du fait que le dossier du tribunal compte 702 pages, les renseignements qui ne sont pas divulgués au demandeur représentent, à mon avis, une très petite partie de l’information concernant ce dernier. Comme le demandeur a eu accès à la très grande majorité des renseignements fournis au ministre – dont la plupart par le demandeur lui‑même – le fait que ces quelques paragraphes ne soient pas divulgués semble plutôt raisonnable vu les préoccupations concernant la sécurité nationale et ne constituerait pas un manquement à l’équité procédurale.

 

[23]           Avant de conclure la question de l’équité procédurale, j’aimerais faire quelques commentaires au sujet de l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans Charkaoui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CSC 9, [2007] A.C.S. no 9 (QL), le 23 février 2007.

 

[24]           Dans Charkaoui, précité, la Cour suprême du Canada a déclaré inconstitutionnelles la procédure de confirmation judiciaire des certificats de sécurité et la procédure de contrôle de la détention prévues aux articles 77 à 85 de la Loi. Comme la procédure prévue à l’article 78 s’applique dans le contexte des requêtes en interdiction de divulgation fondées sur l’article 87, j’ai examiné la constitutionnalité de cette procédure dans le contexte des demandes fondées sur l’article 87 de la Loi.

 

[25]           En premier lieu, il faut dire que la Cour suprême du Canada a reconnu que « [l]e droit d’une partie de connaître la preuve qui pèse contre elle n’est pas absolu » et qu’il y a des lois canadiennes, autres que la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui prévoient la tenue d’audiences à huis clos ou ex parte « au cours desquelles les juges doivent trancher des questions importantes après avoir entendu les arguments d’une seule partie » (Charkaoui, précité, au paragraphe 57).

 

[26]           La Cour suprême du Canada a aussi tenu compte des arrêts qu’elle a rendus dans le passé où l’équilibre entre la sécurité nationale et la divulgation de renseignements étaient en jeu. La juge en chef McLachlin a écrit ce qui suit au paragraphe 58 de Charkaoui, précité :

58. Plus particulièrement, la Cour a reconnu à de nombreuses reprises que des considérations relatives à la sécurité nationale peuvent limiter l’étendue de la divulgation de renseignements à l’intéressé. Dans Chiarelli, la Cour a reconnu la légalité de la non‑communication des détails relatifs aux méthodes d’enquête et aux sources utilisées par la police dans le cadre de la procédure d’examen des attestations par le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS) sous le régime de l’ancienne Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976‑77, ch. 52. Dans cette cause, le contexte en fonction duquel les principes de justice fondamentale ont été précisés comprenait l’« intérêt [de l’État] à mener efficacement les enquêtes en matière de sécurité nationale et de criminalité et à protéger les sources de renseignements de la police » (p. 744). Dans Suresh, la Cour a jugé qu’un réfugié susceptible d’être expulsé vers un pays où il risquait la torture avait le droit d’être informé de tous les renseignements sur lesquels la ministre avait fondé sa décision « sous réserve du caractère privilégié de certains documents ou de l’existence d’autres motifs valables d’en restreindre la communication, comme la nécessité de préserver la confidentialité de documents relatifs à la sécurité publique » (par. 122). De plus, dans Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3, 2002 CSC 75, la Cour a confirmé la constitutionnalité de l’article de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P‑21, qui prescrit la tenue d’une audience à huis clos et ex parte lorsque le gouvernement invoque l’exception relative à la sécurité nationale ou aux renseignements confidentiels de source étrangère pour se soustraire à son obligation de communication. La Cour a alors clairement indiqué que ces préoccupations d’ordre social font partie du contexte pertinent dont il faut tenir compte pour déterminer la portée des principes applicables de justice fondamentale (par. 38‑44).

 

[27]           Au sujet de la question particulière des certificats de sécurité, la juge en chef McLachlin a conclu ce qui suit :

61. La non‑communication dans le contexte de la sécurité nationale, dont l’étendue peut être assez vaste, ajoutée aux graves atteintes portées à la liberté d’une personne détenue, rend difficile, voire impossible, le recours à une solution de rechange qui satisfasse à l’art. 7. La justice fondamentale exige que soit respecté, pour l’essentiel, le principe vénérable voulant qu’une personne dont la liberté est menacée ait la possibilité de connaître la preuve produite contre elle et d’y répondre. Or, il se peut que la nécessité de protéger la société exclue cette possibilité. Des renseignements peuvent avoir été fournis par des pays ou des informateurs à la condition qu’ils ne soient pas divulgués. Il peut aussi arriver que des renseignements soient sensibles au point de ne pouvoir être communiqués sans que la sécurité publique soit compromise. C’est là une réalité de la société moderne. Pour respecter l’art. 7, il faut soit communiquer les renseignements nécessaires à la personne visée, soit trouver une autre façon de l’informer pour l’essentiel. Ni l’un ni l’autre n’a été fait en l’espèce.

 

[28]           Cela est peut‑être vrai dans le contexte des certificats de sécurité, mais pas nécessairement dans le cas des demandes d’interdiction de divulgation fondées sur l’article 87 de la Loi. La première distinction qu’il faut faire réside dans le fait que, bien que le résultat puisse être le même dans les deux cas – l’expulsion –, seules les personnes faisant l’objet d’un certificat de sécurité risquent d’être détenues jusqu’à ce que la question de l’interdiction de territoire soit tranchée. Ainsi, la sécurité est en cause dans le contexte de l’article 87, mais non la liberté. Le défendeur souligne en outre qu’il n’est même pas certain que le demandeur sera expulsé puisque, du fait qu’il a obtenu le statut de réfugié, il est visé à l’article 115 de la Loi, qui prévoit qu’il ne peut être expulsé que si le ministre estime qu’il « ne devrait pas être présent au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada ». Le défendeur soutient que, comme le ministre n’a pas encore donné un avis en ce sens, les droits garantis au demandeur par l’article 7 de la Charte ne sont pas en jeu pour le moment.

 

[29]           La deuxième distinction très importante concerne la quantité de renseignements visés par la demande d’interdiction de divulgation. Lorsqu’un certificat de sécurité est délivré, les renseignements que l’on ne veut pas communiquer à la personne nommée dans le certificat sont contenus dans un document intitulé « Rapport sur les renseignements de sécurité », qui est préparé par le Service canadien du renseignement de sécurité et qui comporte habituellement de nombreuses annexes. Aussi, l’interdiction de divulgation aura probablement une portée très large; en outre, la personne nommée dans le certificat n’aura aucun moyen de connaître la quantité de renseignements qui ne sont pas divulgués. Or, il en est autrement dans le cas de l’article 87 : une version expurgée du dossier du tribunal peut être préparée et l’intéressé sera en mesure de connaître la quantité exacte de renseignements qui ne lui sont pas divulgués.

 

[30]           Comme je l’ai mentionné précédemment, seule une partie de deux courts documents, sur les 702 pages que compte le dossier du tribunal, a été supprimée en l’espèce. Comme l’intéressé connaît la très grande majorité des renseignements sur lesquels le décideur s’est appuyé, il n’y aurait pas lieu non plus de « trouver une autre façon de l’informer pour l’essentiel » des renseignements visés par l’interdiction de divulgation.

 

[31]           En conséquence, je conclus que la décision qui a été rendue dans Charkaoui, précité, sur la constitutionnalité de l’article 78 de la Loi dans le contexte des certificats de sécurité ne s’applique pas lorsque la procédure de l’article 78 est suivie dans le contexte d’une demande fondée sur l’article 87 de la Loi.

 

[32]           Par conséquent, je maintiens ma conclusion selon laquelle le droit du demandeur à l’équité procédurale n’a pas été violé en l’espèce.

 

3. Subsidiairement, si la Cour ordonne que les éléments de preuve secrets ne soient pas divulgués au demandeur, ce dernier a-t-il droit à un résumé de cette preuve?

 

[33]           L’article 87 de la Loi prévoit clairement que l’article 78 doit s’appliquer relativement à la procédure concernant l’interdiction de divulgation de certains renseignements; l’obligation de fournir un résumé est toutefois expressément exclue au paragraphe 87(2). Je ne vois aucune raison de ne pas adopter cette procédure en l’espèce.

 

[34]           En outre, compte tenu du contexte et de la nature des renseignements, il serait impossible de fournir un résumé des renseignements confidentiels car cela pourrait mettre en péril les relations étrangères, dévoiler l’identité d’informateurs, révéler des renseignements sensibles utiles à la politique nationale et à la politique étrangère et peut‑être mettre en danger la vie de tiers, ce qui pourrait rendre inutile l’information protégée et épuiser les sources des autorités canadiennes. Par conséquent, il serait contraire à l’intention du législateur d’incorporer, à l’article 87 de la Loi, l’exigence que le ministre fournisse un résumé des renseignements confidentiels. De plus, des décisions ont établi que, dans certaines circonstances, il est impossible ou il n’est pas nécessaire de fournir un résumé (voir Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 297, 195 D.L.R (4th) 422; Mohammed, précitée; Charkaoui (Re), 2004 CAF 421, [2005] 2 R.C.F. 299; Zündel (Re), 2005 CF 295, 251 D.L.R. (4th) 511).

 

[35]           Par conséquent, la requête en interdiction de divulgation est accueillie et la requête visant l’obtention d’un résumé des éléments de preuve secrets est rejetée.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

  1. La requête en interdiction de divulgation d’une partie du dossier du tribunal qui a été présentée par le défendeur est accueillie.
  2. La version expurgée du dossier du tribunal qui a déjà été signifiée et déposée à la Cour constituera le dossier du tribunal.
  3. La requête présentée par le demandeur afin d’obtenir un résumé des éléments de preuve secrets est rejetée.
  4. Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Pierre Blais »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                   IMM-2139-06

 

INTITULÉ :                                                  MAXIMIN SEGASAYO

                                                                       c.

                                                                       LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

                                                                       ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                            OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                          LE 19 FÉVRIER 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :             LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                                 LE 11 AVRIL 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Laurie Joe                                                       POUR LE DEMANDEUR

 

Alexandre Kaufman                                         POUR LE DÉFENDEUR

Michelle Smith

Agnieszka Zagorska

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Services juridiques de l’ouest d’Ottawa            POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)

 

John H. Sims                                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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