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Date : 20070412

Dossier : IMM‑2414‑06

Référence : 2007 CF 381

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MacTAVISH

 

 

ENTRE :

ISSAM AL YAMANI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

et LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Issam Al Yamani a été déclaré interdit de territoire pour raison de sécurité, à cause de son appartenance passée au Front populaire de libération de la Palestine, une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle s’est livrée au terrorisme.

 

[2]               M. Al Yamani a alors sollicité une dispense ministérielle d’interdiction de territoire, en application du paragraphe 34(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Sa requête a été rejetée par M. Stockwell Day, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, le 20 avril 2006.

[3]               M. Al Yamani sollicite aujourd’hui le contrôle judiciaire de la décision du ministre, affirmant que le ministre a manqué à son obligation d’équité envers lui parce qu’il n’a pas personnellement motivé sa décision ou qu’il n’a pas régulièrement adopté, comme les siens propres, les motifs donnés par un fonctionnaire du ministère.

 

[4]               Le ministre a également commis une erreur, de dire M. Al Yamani, parce qu’il l’a jugé non crédible, en dépit du témoignage qu’il avait produit sous serment, et sans qu’il ait eu droit à une entrevue personnelle. Finalement, M. Al Yamani dit que le ministre a commis une erreur parce qu’il n’a pas analysé d’une manière équilibrée la demande de dispense ministérielle présentée par lui, et parce qu’il a limité son pouvoir discrétionnaire en considérant que l’appartenance passée de M. Al Yamani au FPLP était décisive quant à sa demande de dispense ministérielle.

 

[5]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la décision contestée ne traduit pas une appréciation et une mise en balance de tous les facteurs intéressant la demande de dispense ministérielle présentée par M. Al Yamani. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

Le cadre législatif

[6]               Avant d’examiner les circonstances de la présente affaire, il est utile d’abord de bien comprendre les dispositions législatives régissant les demandes de dispense ministérielle présentées en vertu de la LIPR, ainsi que la manière selon laquelle ces dispositions sont interprétées par la jurisprudence.

 

[7]               M. Al Yamani a été déclaré interdit de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, ainsi rédigé :

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

 

 

a) être l’auteur d’actes d’espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

 

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

 

c) se livrer au terrorisme;

 

f) être membre d’une organisation don=t il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

 

(a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

 

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

 

(c) engaging in terrorism;

 

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

 

 

[8]               M. Al Yamani a été déclaré interdit de territoire à cause de son appartenance passée au Front populaire de libération de la Palestine, une organisation à propos de laquelle la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a dit qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre, s’est livrée ou se livrera au terrorisme. Sa demande de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision a plus tard été rejetée : voir Al Yamani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1457.

 

[9]               Également utile pour l’examen de la demande est l’article 33 de la LIPR, ainsi rédigé :

33. Les faits ‑‑ actes ou omissions – mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

33. The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur. [emphasis added]

 

 

 

 

[10]           Il n’est donc pas nécessaire que les faits donnant lieu à l’interdiction de territoire prononcée contre une personne se déroulent à l’époque de l’audience portant sur la question : voir le jugement Miller c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 912, paragraphe 7.

 

[11]           Lorsqu’une personne est frappée d’interdiction de territoire pour l’un des motifs énumérés au paragraphe 34(1), elle peut solliciter une dispense ministérielle en application du paragraphe 34(2) de la Loi, ainsi rédigé :

(2) Ces faits n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

(2) The matters referred to in subsection (1) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.

 

 

 

[12]           Comme je le faisais observer dans la décision Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 1 R.C.F. 485, 2004 CF 1174, l’enquête prévue par le paragraphe 34(2) porte sur un aspect différent de celui qu’envisage le paragraphe 34(1). Ce que doit examiner le ministre en vertu du paragraphe 34(2) n’est pas le bien‑fondé de la conclusion selon laquelle il y a des motifs raisonnables de croire qu’un demandeur est membre d’une organisation terroriste – cette conclusion aura déjà été tirée. Le ministre doit plutôt se demander si, nonobstant l’appartenance du demandeur à une organisation terroriste, il serait préjudiciable à l’intérêt national que le demandeur soit autorisé à rester au Canada.

 

[13]           Plus exactement, le paragraphe 34(2) habilite le ministre à accorder une dispense à titre exceptionnel, en dépit d’une conclusion d’interdiction de territoire qui a déjà été tirée par l’agent d’immigration : voir la décision Ali, paragraphe 43.

 

[14]           Contrairement à la plupart des décisions prises en vertu de la LIPR, décisions qui sont prises par des fonctionnaires ministériels ou par des membres de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, les décisions qui procèdent du paragraphe 34(2) de la Loi doivent être prises par le ministre lui‑même. Sur ce point, il ressort clairement du paragraphe 6(3) de la LIPR que le pouvoir d’accorder une dispense fondée sur l’intérêt national en application du paragraphe 34(2) est un pouvoir dont seul le ministre est investi et qui ne peut pas être délégué.

 

[15]           Pour faciliter les décisions se rapportant aux demandes de dispense ministérielle, des lignes directrices intitulées « Évaluation de l’interdiction de territoire » ont été élaborées afin d’aider les fonctionnaires ministériels à examiner les demandes du genre et à rédiger des recommandations pour le ministre : voir le jugement Naeem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 123, paragraphe 56.

[16]           Connaissant maintenant le contexte dans lequel s’inscrit la demande de M. Al Yamani, j’examinerai maintenant les faits qui ont donné lieu à sa demande.

 

Le contexte

[17]           L’historique des rapports de M. Al Yamani avec les autorités canadiennes est à la fois long et complexe. Certaines des procédures antérieures n’intéressent pas la demande dont je suis saisie, mais il est nécessaire, pour mettre en contexte la demande de dispense ministérielle présentée par M. Al Yamani, d’avoir une certaine idée des événements qui ont conduit à la conclusion selon laquelle il était interdit de territoire.

 

[18]           M. Al Yamani est un Palestinien apatride, qui vit au Canada depuis 1985. Il est marié et il a deux fils nés au Canada, dont l’un a eu de gros ennuis de santé. L’épouse de M. Al Yamani est au Canada depuis 1988, mais, bien que sa demande de droit d’établissement ait été approuvée en principe en 1989, elle n’est pas encore résidente permanente, en raison des procédures introduite contre son mari.

 

[19]           Le père de M. Al Yamani fut l’un des fondateurs du FPLP. Le FPLP a été décrit, dans des procédures antérieures impliquant M. Al Yamani, comme un « groupe à objectifs multiples » : voir le jugement Al Yamani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 433, 186 F.T.R. 161 (1re inst.), paragraphe 84, le juge Gibson, et le jugement Al Yamani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] 1 C.F. 174, 103 F.T.R. 105 (1re inst.), paragraphe 68, le juge MacKay.

 

[20]           Cela dit, il n’est pas contesté à ce stade que le FPLP s’est livré à des activités communément associées au terrorisme, par exemple détournements d’avions, enlèvements, assassinats et attentats suicides à la bombe. Les cibles des violences commises ne sont pas uniquement militaires, mais également civiles : voir le jugement Al Yamani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1457, la juge Snider.

 

[21]           Par ailleurs, depuis novembre 2003, le FPLP figure parmi les « organisations terroristes » au sens de la législation antiterroriste du Canada.

 

[22]           M. Al Yamani ne nie pas avoir été membre du FPLP durant de nombreuses années, notamment au cours des six ou sept premières années durant lesquelles il était au Canada. Cependant, il dit que son rôle au sein de l’organisation se limitait à des activités politiques, et le dossier que le ministre avait devant lui ne dit nulle part que M. Al Yamani lui‑même a exercé un rôle quelconque dans des activités violentes associées au FPLP.

 

[23]           M. Al Yamani dit qu’il a quitté le FPLP en 1991 ou 1992 et qu’il n’a plus joué aucun rôle dans cette organisation depuis lors.

 

[24]           Entre 1985 et 1991, alors que M. Al Yamani vivait au Canada, il a accepté au nom du FPLP une somme d’argent devant être distribuée à des organismes de charité du Moyen‑Orient, dans le cadre de ses responsabilités courantes auprès du FPLP. Il a aussi contribué à diffuser l’information du FPLP et il a participé à l’organisation d’activités politiques et sociales du FPLP au Canada.

 

[25]           Avant d’arriver au Canada, M. Al Yamani vivait au Liban, mais, en tant que Palestinien, il lui avait été impossible d’obtenir un statut officiel dans ce pays. Il a immigré au Canada le 27 avril 1985 et il a obtenu ici le statut de résident permanent.

 

[26]           Le 3 mai 1988, M. Al Yamani a demandé la citoyenneté canadienne. À la suite de cette demande, il a dû se soumettre à une enquête de sécurité du Service canadien du renseignement de sécurité. Le résultat de cette enquête, c’est que M. Al Yamani a deux fois fait l’objet de certificats de sécurité émis par le gouverneur en conseil, conformément aux dispositions de l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2.

 

[27]           Ces certificats de sécurité ont par la suite été annulés tous les deux par les ordonnances des juges MacKay et Gibson mentionnées plus haut dans les présents motifs.

 

[28]           En 2000, la décision fut prise de ne pas obtenir un autre certificat de sécurité à l’encontre de M. Al Yamani. Une procédure d’interdiction de territoire fut plutôt engagée en vertu des dispositions de la Loi sur l’immigration. Cette procédure s’est soldée en novembre 2005 par la conclusion de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié selon laquelle M. Al Yamani était interdit de territoire pour raison de sécurité, parce qu’il était membre d’une organisation dont il y avait des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre, s’est livrée ou se livrera au terrorisme.

 

[29]           Comme je l’ai dit plus haut dans les présents motifs, la demande de contrôle judiciaire déposée par M. Al Yamani à l’encontre de cette décision a été rejetée par la juge Snider en décembre 2006. La juge Snider a confirmé la conclusion de la Section de l’immigration selon laquelle le FPLP était une organisation qui se livrait ou s’était livrée à des activités terroristes.

 

[30]           Entre‑temps, en avril 2003, avant même la conclusion de la procédure d’interdiction de territoire, M. Al Yamani a sollicité une dispense ministérielle conformément au paragraphe 34(2) de la LIPR. Le 6 mai 2006, le ministre rejetait cette requête. C’est cette décision qui est à l’origine de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

La procédure suivie jusqu’à la décision du ministre

[31]           Dès réception de la demande de dispense ministérielle présentée par M. Al Yamani, une « note d’information » fut préparée à l’attention du ministre par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada.

 

[32]           Conformément à la procédure décrite dans les lignes directrices portant sur l’« Évaluation de l’interdiction de territoire », M. Al Yamani s’est vu remettre une ébauche de la note d’information, après quoi il a eu l’occasion de présenter d’autres conclusions en réponse au document. La note d’information, ainsi que l’ensemble des conclusions de M. Al Yamani, ont alors été soumis à l’examen du ministre.

 

[33]           Une fois examinées les pièces se rapportant au dossier de M. Al Yamani, la recommandation contenue dans la note d’information remise au ministre mentionnait ce qui suit :

[traduction]

Nous ne recommandons pas qu’une dispense ministérielle soit accordée à M. Al‑Yamani en vertu du paragraphe 34(2) de la LIPR pour mettre fin à l’interdiction de territoire dont il fait l’objet conformément à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR […]

 

La raison d’être de notre recommandation est détaillée dans les propos ci‑dessus. M. Al‑Yamani est bien établi au Canada, et il y a des motifs d’ordre humanitaire à prendre en compte, mais cela n’empêche pas que M. Al‑Yamani a été membre du FPLP et que son niveau de participation au sein de l’organisation était suffisamment élevé pour que deux certificats de sécurité soient délivrés contre lui. M. Al‑Yamani affirme qu’il était un membre non violent de l’organisation, mais l’action de faire transiter des fonds vers les Territoires occupés pourrait avoir d’énormes conséquences. L’importance du financement du terrorisme a été reconnue en décembre 2001 par l’insertion dans le Code criminel de nouvelles dispositions relatives au financement du terrorisme (le projet de loi C‑36).

 

M. Al‑Yamani a dit qu’il est venu au Canada pour y trouver « la paix et la sécurité ». Cependant, il a continué d’agir au nom du FPLP après son arrivée au Canada. Alors qu’il se trouvait au Canada, il a reçu et décaissé de très importantes sommes d’argent au nom du FPLP, il a facilité les communications avec les membres du FPLP en Amérique du Nord et il a facilité les déplacements de membres du FPLP. M. Al‑Yamani était un maillon essentiel pour les fonds et les communications du FPLP, et il a joué un rôle complexe dans les activités du FPLP en Amérique du Nord.

 

M. Al‑Yamani ne se défend pas d’avoir appartenu au FPLP, mais il a toujours démenti ses liens avec l’organisation jusqu’à ce qu’il fût évident que les fonctionnaires canadiens étaient au fait de ses activités.

 

M. Al‑Yamani ne semble pas avoir été actif au sein de l’organisation au cours des 14 dernières années. Cependant, il est logique de présumer que l’examen minutieux dont il a fait l’objet de la part des autorités canadiennes a pu le dissuader de conserver un rôle actif au sein du groupe. Il pourrait reprendre ses activités si la citoyenneté canadienne lui était accordée.

 

D’aucuns pourraient décrire le FPLP comme un groupe à objectifs multiples, mais cette organisation est considérée par le gouvernement du Canada comme une entité terroriste dans son intégralité, et elle ne devrait pas être vue différemment aux fins du paragraphe 34(2) de la LIPR.

 

Il a fallu plusieurs années pour traiter la demande de citoyenneté présentée par M. Al‑Yamani, mais son appartenance au FPLP, outre les activités qu’il a exercées au nom de cette organisation, l’emporte sur tout intérêt national qui permettrait à l’Agence de recommander qu’une dispense ministérielle soit accordée à M. Al‑Yamani.

 

[34]           La note d’information se terminait par l’affirmation suivante : [traduction] « Compte tenu de mon examen des pièces produites, la dispense ministérielle est […] » Cette phrase est suivie de deux lignes destinées à la signature du ministre, l’une comportant un espace à côté du mot « ACCORDÉE », et l’autre comportant un espace à côté du mot « REFUSÉE ».

 

[35]           Le 20 avril 2006, le ministre Day signait la note d’information dans l’espace se trouvant près du mot « REFUSÉE ».

 

Les points litigieux

[36]           La demande de contrôle judiciaire présentée par M. Al Yamani soulève les points suivants :

 

            1.         Le ministre a‑t‑il manqué à son obligation d’équité envers M. Al Yamani parce qu’il n’a pas motivé lui‑même son refus d’accorder une dispense ministérielle?

 

            2.         Si une note d’information peut être considérée comme les motifs du ministre, le ministre a‑t‑il en réalité adopté la note d’information comme si elle constituait ses motifs?

 

            3.         Si la note d’information constitue les motifs du ministre, le ministre a‑t‑il commis une erreur parce qu’il a limité son pouvoir discrétionnaire en considérant l’appartenance passée de M. Al Yamani à une organisation terroriste comme le facteur décisif de sa demande de dispense ministérielle?

 

            4.         Si la note d’information constitue les motifs du ministre, le ministre a‑t‑il commis une erreur parce qu’il a laissé de côté une preuve pertinente, ou parce qu’il n’a pas analysé d’une manière équilibrée la demande de dispense ministérielle présentée par M. Al Yamani?

 

            5.         Si la note d’information constitue ici les motifs du ministre, le ministre a‑t‑il commis une erreur parce qu’il a jugé que M. Al Yamani n’était pas crédible, et cela sans l’avoir contre‑interrogé sur ses affidavits ou sans lui avoir accordé une entrevue?

 

La norme de contrôle

[37]           Les premier, deuxième, troisième et cinquième points soulevés par M. Al Yamani font intervenir des questions d’équité procédurale. Il n’est pas nécessaire de déterminer la norme de contrôle devant s’appliquer aux questions d’équité procédurale. Il appartient plutôt à la Cour de dire si la procédure qui a été suivie dans un cas donné était équitable ou non, eu égard à l’ensemble des circonstances : arrêt Sketchley c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. n° 2056, 2005 CAF 404, paragraphes 52 et 53.

 

[38]           S’agissant du quatrième point soulevé par M. Al Yamani, les parties s’accordent à dire que la Cour doit déférer à la décision du ministre portant sur la question de l’intérêt national et que la décision prise par le ministre en vertu du paragraphe 34(2) de la LIPR doit être revue d’après la norme de la décision manifestement déraisonnable.

[39]           Je reconnais que la norme de contrôle régissant cet aspect est la norme de la décision manifestement déraisonnable. J’adopte ici l’analyse pragmatique et fonctionnelle faite par le juge en chef Lutfy, aux paragraphes 36 à 42 du jugement Miller, précité.

 

[40]           Plus exactement, je ferais mienne l’observation du juge en chef selon laquelle le ministre est dépositaire de connaissances spécialisées quant aux demandes relevant du paragraphe 34(2) de la LIPR, étant donné qu’elles se rapportent aux questions de sécurité dont le ministre a la responsabilité.

 

[41]           Les normes de contrôle applicables étant bien comprises, j’examinerai maintenant les points soulevés par M. Al Yamani.

 

Le ministre est‑il tenu de motiver lui‑même la décision?

[42]           Selon M. Al Yamani, le ministre a envers lui une obligation d’équité et cette obligation obligeait ici le ministre à motiver lui‑même personnellement sa décision. Il ne suffit pas, selon M. Al Yamani, que le ministre adopte sans plus le raisonnement contenu dans la note d’information.

 

[43]           Au soutien de cette prétention, M. Al Yamani invoque un arrêt de la Cour suprême du Canada, Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, 2002 CSC 1.

 

[44]           Dans cet arrêt, la Cour suprême concluait que, si une mesure de renvoi est prononcée contre une personne parce que l’on croit qu’elle constitue un danger pour la sécurité du Canada, alors même que cette personne avait auparavant été reconnue comme réfugié au sens de la Convention, ladite mesure doit émaner du ministre lui‑même. La Cour suprême a jugé que, au vu des circonstances de l’affaire Suresh, il ne suffisait pas pour le ministre de prendre sa décision par le simple fait de souscrire à la recommandation de ses fonctionnaires.

 

[45]           Dans le jugement Miller, où il s’agissait d’une demande de dispense ministérielle présentée en vertu du paragraphe 34(2) de la LIPR, l’argument aujourd’hui invoqué par M. Al Yamani a été explicitement examiné, puis rejeté, par le juge en chef Lutfy. Il s’est exprimé ainsi :

[61]   En l’espèce, il faut le rappeler, la décision de la ministre ne pouvait pas être déléguée. Cependant, le paragraphe 6(3) de la LIPR empêchait seulement le ministre de déléguer « la prise de décision au titre des dispositions suivantes : 34(2) […] » [Non souligné dans l’original]. Selon moi, il n’était pas contraire au paragraphe 6(3) pour la ministre de souscrire à la recommandation de l’ASFC contenue dans le mémoire, et de considérer, par conséquent, le mémoire comme les motifs de sa décision. La ministre conservait néanmoins, et a exercé, le pouvoir exclusif de prendre la « décision » requise par le paragraphe 34(2).

 

[62]   À mon avis, dans la mesure où la ministre s’est servi de la recommandation pour rendre sa décision, le mémoire pouvait constituer les motifs de la décision.

 

 

 

[46]           M. Al Yamani dit que le jugement Miller n’est pas applicable en l’espèce au motif qu’il ne concernait pas un réfugié. M. Al Yamani n’a sans doute pas été officiellement reconnu au Canada comme un réfugié au sens de la Convention, mais il dit que, en tant que Palestinien apatride, il est malgré cela un réfugié. Il a donc droit, selon lui, aux garanties procédurales dont parle l’arrêt Suresh, et il aurait droit à ce que les motifs se rapportant à sa demande de dispense ministérielle émanent du ministre lui‑même.

[47]           Je ne partage pas cet avis.

 

[48]           Une lecture de l’arrêt Suresh révèle que, lorsqu’elle a appliqué les facteurs exposés par elle‑même dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, pour savoir en quoi consistait l’obligation d’équité procédurale envers M. Suresh, la Cour suprême du Canada fut largement influencée par le fait que M. Suresh était un réfugié au sens de la Convention.

 

[49]           Plus précisément, arrivant à la conclusion que M. Suresh avait droit à un niveau appréciable d’équité procédurale, la Cour suprême a tenu compte du fait qu’il avait déjà été établi que, en cas de renvoi au Sri Lanka, il courait le risque d’être soumis à la torture et autres violations des droits de l’homme, et cela en raison du rôle antérieur qu’il avait joué auprès des Tigres de libération de l’Eelam tamoul.

 

[50]           Cela dit, la Cour suprême du Canada précisait, dans l’arrêt Suresh, que les cas portant sur l’expulsion d’un réfugié au sens de la Convention ne n’appelleront pas tous ce niveau de protection procédurale. Sur ce point, la Cour suprême écrivait ce qui suit :

[127] Il n’est pas nécessaire d’invoquer ces garanties procédurales dans tous les cas, car toutes les affaires d’expulsion d’un réfugié au sens de la Convention fondées sur l’al. 53(1)b) ne comportent pas un risque d’atteinte au droit fondamental à la protection contre la torture ou tout mauvais traitement semblable. […] Si le réfugié établit l’existence d’une possibilité réelle de torture, la ministre doit lui communiquer tous les renseignements et conseils qu’elle a l’intention de prendre en compte, elle doit lui donner la possibilité de présenter des observations écrites pour les réfuter et elle doit exposer des motifs écrits répondant à ces observations. Ce sont là les mesures minimales requises pour assurer le respect de l’obligation d’équité et satisfaire aux exigences de la justice fondamentale conformément à l’art. 7 de la Charte.

 

 

 

[51]           La présente demande de contrôle judiciaire ne concerne pas l’expulsion d’un réfugié au sens de la Convention. M. Al Yamani est peut‑être un réfugié, en ce sens qu’il est apatride, mais le risque n’a pas été évoqué dans ses conclusions comme un motif d’ordre humanitaire. Le dossier que j’ai devant moi ne dit d’ailleurs nulle part qu’il est exposé à un risque de torture ou autres sévices en cas de renvoi au Liban.

 

[52]           Par conséquent, je ne suis pas persuadée que les observations faites par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Suresh sur l’obligation pour le ministre de motiver personnellement une décision soient applicables en l’espèce. Je ne suis pas persuadée non plus que le jugement Miller doive être différencié de la présente espèce comme le voudrait M. Al Yamani. En outre, je suis d’avis que, dans la mesure où la note d’information a été adoptée par le ministre comme fondement de sa décision, cette note d’information devrait être considérée comme les motifs de la décision du ministre.

 

[53]           J’en arrive au point suivant soulevé par M. Al Yamani, c’est‑à‑dire celui de savoir si le ministre a en réalité adopté la note d’information en tant que motifs de sa décision.

 

Le ministre a‑t‑il adopté la note d’information en tant que motifs de sa décision?

[54]           M. Al Yamani soutient que, même si une note d’information pourrait par ailleurs tenir lieu de motifs pour la décision du ministre, le ministre n’a pas explicitement, en l’espèce, adopté les motifs en question comme ses propres motifs.

[55]           Plus précisément, selon M. Al Yamani, plutôt que de dire expressément qu’il souscrivait aux conclusions de la note d’information, comme cela semble avoir été le cas dans le jugement Miller, le ministre, dans la présente affaire, a simplement écrit sur la note d’information que « compte tenu de l’examen que j’ai fait des pièces soumises, la dispense ministérielle est refusée ». Nulle part le ministre ne dit explicitement qu’il adopte la note d’information en tant que motifs de sa décision.

 

[56]           Il en résulte, d’affirmer M. Al Yamani, que la décision devrait être annulée pour des motifs d’équité procédurale, parce que la décision n’est pas motivée.

 

[57]           Je n’accepte pas cet argument, qui, selon moi, se fonde sur une lecture sélective des documents. L’examen de la note d’information elle‑même montre que, immédiatement avant la page réservée à la signature du ministre, le président de l’Agence des services frontaliers du Canada conclut son évaluation du dossier par le propos suivant : [traduction] « Si vous ne souscrivez pas à cette recommandation et si les motifs de votre décision n’apparaissent pas dans le texte ci‑dessus, vous voudrez bien justifier votre décision ».

 

[58]           Si l’on considère dans son contexte la signature apposée par le ministre, il est manifestement implicite que, en souscrivant à la recommandation contenue dans la note d’information, le ministre faisait sien le raisonnement du président de l’Agence des services frontaliers du Canada.

 

[59]           Je relèverais aussi que, en l’espèce, les mots employés dans la note d’information sont identiques à ceux qui étaient employés, dans l’affaire Naeem, pour l’acceptation par le ministre de la recommandation qui figurait dans le mémoire du président de l’ASFC. Aucune des parties dans l’affaire Naeem ne contestait que le ministre avait explicitement adopté les motifs du mémoire comme les siens propres, mais la juge Dawson était clairement d’avis que c’est ce qu’il avait fait : voir le paragraphe 50 du jugement Naeem, précité.

 

Conclusion sur les deux premiers points

[60]           Pour les motifs exposés plus haut, je suis d’avis que le ministre s’est conformé ici à son obligation de motiver sa décision.

 

[61]           Les points restants qu’a soulevés M. Al Yamani se rapportent tous au contenu des motifs du ministre, et chacun sera examiné successivement, à commencer par l’argument selon lequel le ministre a commis une erreur parce qu’il a restreint son pouvoir discrétionnaire.

 

Le ministre a‑t‑il restreint son pouvoir discrétionnaire?

[62]           M. Al Yamani soutient que le ministre a commis une erreur parce qu’il a restreint son pouvoir discrétionnaire, ayant jugé que l’appartenance passée de M. Al Yamani à une organisation terroriste déterminait l’issue de sa demande de dispense ministérielle.

 

[63]           Plus exactement, M. Al Yamani dit que la note d’information part du principe qu’une personne qui autrefois fut membre d’une organisation dont il est reconnu qu’elle s’est livrée à des activités terroristes ne pourra jamais s’affranchir de cette association passée. Dans les cas semblables, aucun motif d’ordre humanitaire ne serait jamais suffisant pour effacer une appartenance passée, ni pour l’emporter sur un intérêt national au point de justifier une recommandation favorable.

[64]           Étant donné que la question de la dispense ministérielle ne se pose pas tant que l’on n’est pas arrivé à la conclusion qu’une personne est interdite de territoire pour notamment avoir été membre d’une organisation terroriste, M. Al Yamani soutient que la manière dont le ministre envisage la question a pour résultat que le paragraphe 34(2) n’a plus de signification.

 

[65]           Après examen de la note d’information, je ne crois pas que le ministre a considéré l’appartenance passée de M. Al Yamani à une organisation terroriste comme un facteur déterminant pour l’issue de sa demande de dispense ministérielle.

 

[66]           L’examen de la note d’information montre que, même si l’appartenance passée de M. Al Yamani au FPLP fut certainement un facteur important dans la conclusion du ministre selon laquelle il n’était pas dans l’intérêt national que M. Al Yamani bénéficie d’une dispense ministérielle, elle n’était pas l’unique facteur, loin s’en faut.

 

[67]           D’autres facteurs ont été pris en compte : le poste de confiance occupé par M. Al Yamani au sein du FPLP, et son rôle dans le réacheminement de fonds vers les Territoires occupés. Par ailleurs, le ministre a été manifestement influencé aussi par le fait que M. Al Yamani a continué d’être mêlé aux activités du FPLP après son arrivée au Canada, notamment au réacheminement de sommes vers le Moyen‑Orient.

 

[68]           Je ne suis donc pas persuadée que le ministre a considéré la seule appartenance passée de M. Al Yamani au FPLP comme le facteur déterminant de sa décision, ni qu’il a par ailleurs restreint son pouvoir discrétionnaire.

Le ministre a‑t‑il commis une erreur parce qu’il a laissé de côté certaines preuves, ou s’est‑il par ailleurs abstenu d’analyser d’une manière équilibrée la demande de dispense ministérielle présentée par M. Al Yamani?

 

[69]           Avant d’examiner le fond de la décision du ministre au regard de la norme de la décision manifestement déraisonnable, il est utile de rappeler d’abord que, dans une demande de dispense ministérielle présentée en vertu du paragraphe 34(2) de la LIPR, c’est au demandeur qu’il appartient de convaincre le ministre que sa présence au Canada ne serait pas préjudiciable à l’intérêt national : voir le paragraphe 64 du jugement Miller, précité.

 

[70]           Il ressort d’ailleurs clairement de la jurisprudence que, lorsqu’on veut savoir si la présence continue d’un demandeur au Canada serait contraire à l’intérêt national, les lignes directrices ministérielles donnent une indication utile de ce qui constituera une interprétation raisonnable du pouvoir conféré par l’article de la LIPR devant s’appliquer dans un cas donné.

 

[71]           Le fait qu’une décision a pu être prise au mépris des directives contenues dans les lignes directrices ministérielles permettra donc de dire si la décision était un exercice déraisonnable du pouvoir discrétionnaire conféré par la Loi : voir le paragraphe 72 de l’arrêt Baker, précité, et le paragraphe 56 de la décision Naeem, précitée.

 

[72]           La section 13.6 des lignes directrices intitulées « Évaluation de l’interdiction de territoire » explique dans les termes suivants la notion d’intérêt national :

        Les personnes qui ont été mêlées à des actes touchant l’espionnage, le terrorisme, les violations des droits humains et la subversion et les membres d’organisations qui se livrent à ce genre d’activités, notamment le crime organisé, sont interdites de territoire au Canada. Le motif d’interdiction de territoire peut être levé si le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a la certitude que leur entrée au Canada ne va pas à l’encontre de l’intérêt national.

 

        Tandis que la réadaptation d’un criminel est spécifique et aboutit à une décision que la personne est peu susceptible d’enfreindre à nouveau la loi, le concept de l’intérêt national est beaucoup plus large. La prise en compte de l’intérêt national suppose l’évaluation et la pesée de tous les facteurs touchant l’entrée du demandeur par rapport aux objectifs officiels de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, de même que les intérêts et obligations du Canada à l’échelon intérieur et international.

 

L’article 13.7 des lignes directrices donne aux fonctionnaires du ministère des indications sur la manière de rédiger un mémoire adressé au ministre se rapportant à une demande de dispense ministérielle.

 

[73]           Afin de garantir que les facteurs pertinents sont pris en compte dans les documents rédigés pour l’examen du ministre, la section 13.7 des lignes directrices précise que « Afin d’évaluer la situation actuelle du demandeur en ce qui a trait au motif d’interdiction de territoire, on doit fournir des preuves à l’appui des questions énoncées dans le tableau qui suit […] »

 

[74]           Les lignes directrices énumèrent ensuite plusieurs questions qui doivent être considérées dans la préparation d’une recommandation pour le ministre au regard d’une demande de dispense ministérielle.

 

[75]           Après l’énumération des questions devant être examinées dans une note d’information destinée au ministre, les lignes directrices renferment l’indication suivante :

La recommandation doit être justifiée.

 

La justification doit démontrer qu’une évaluation approfondie a été faite et que tous les facteurs touchant l’entrée de la personne ont été considérés, le tout conformément à ce qui a été exposé concernant l’intérêt national à la section 13.6 du présent chapitre, portant sur l’intérêt national.

 

 

[76]           En l’espèce, les documents soumis au ministre comprenaient la note d’information de quatre pages, un exemplaire des textes applicables, une fiche documentaire concernant le FPLP, enfin l’ensemble des conclusions de M. Al Yamani.

 

[77]           L’examen des conclusions de M. Al Yamani montre que l’un de ses principaux arguments était que sa présence continue au Canada ne serait pas contraire à l’intérêt national, puisqu’il avait renoncé à la violence comme moyen de faire évoluer la situation politique au Moyen‑Orient, et puisqu’il s’était engagé envers une solution pacifique du conflit entre le peuple israélien et le peuple palestinien.

 

[78]           Outre son propre témoignage en ce sens, un témoignage produit sous serment, M. Al Yamani a présenté, à l’appui de ce plaidoyer, un grand nombre de lettres émanant de nombreuses personnalités, notamment d’universitaires et de membres de la communauté juive comme de la communauté arabe.

 

[79]           Ces documents sont remplis de mentions faisant état des opinions politiques modérées de M. Al Yamani, ainsi que de son engagement à faire en sorte qu’une solution pacifique soit apportée au conflit israélo‑palestinien. On y fait aussi état du rôle exercé en ce sens par M. Al Yamani auprès d’organisations juives.

[80]           Les preuves de cette nature doivent évidemment être prises en compte dans l’évaluation d’une demande de dispense ministérielle. Je relève à cet égard que, selon les lignes directrices, la question suivante est une question qui intéresse les demandes de ce genre : « La personne a‑t‑elle adopté les valeurs démocratiques de la société canadienne? »

 

[81]           Pour la réponse à cette question, les lignes directrices énumèrent plusieurs questions additionnelles à considérer, à savoir :

‑  Quelle est l’attitude actuelle du demandeur à l’égard du régime/de l’organisation, de son appartenance et de ses activités au nom du régime/de l’organisation?

 

‑  Le demandeur partage‑t‑il encore les valeurs et le mode de vie reconnus pour être associés à l’organisation?

 

‑  Quelle est l’attitude actuelle du demandeur à l’égard de la violence utilisée à des fins de changement politique?

 

‑  Quelle est l’attitude du demandeur à l’égard de la primauté du droit et des institutions démocratiques telles qu’elles sont comprises au Canada?

 

 

[82]           L’examen de la note d’information dont il s’agit ici montre qu’elle ne tient pas compte de cet aspect du plaidoyer de M. Al Yamani, ni ne tient compte d’aucune des questions, énumérées dans les lignes directrices, qui ont pour objet de déterminer la mesure dans laquelle un demandeur a adopté les valeurs démocratiques de la société canadienne.

 

[83]           Sur ce point, la note d’information renferme simplement ce qui suit :

[traduction]
M. Al Yamani a produit plusieurs lettres de soutien émanant de personnes de sa communauté, et il semble être un membre apprécié de la communauté. Il a de nombreux défenseurs qui le décrivent comme un homme dévoué à sa famille, un activiste politique et un travailleur acharné.

 

 

 

[84]           Cette affirmation est vraie, s’agissant de cela, mais elle laisse totalement de côté le thème récurrent des lettres de soutien : plus exactement, le fait que M. Al Yamani est aujourd’hui un homme aux opinions politiques modérées, qui ne privilégie plus la violence comme moyen d’apporter un renouveau politique au Moyen‑Orient et qui est résolu à faire en sorte qu’une solution pacifique soit apportée aux problèmes du peuple palestinien.

 

[85]           Cette manière défectueuse de considérer la question apparaît aussi dans la portion « Recommandation » de la décision, où l’on peut lire ce qui suit :

[traduction]
M. Al Yamani ne semble pas avoir été actif au cours des 14 dernières années. Cependant, il est logique de présumer que l’examen minutieux dont il a fait l’objet de la part des autorités canadiennes a pu le dissuader de conserver un rôle actif au sein du groupe. Il pourrait reprendre ses activités si la citoyenneté canadienne lui était accordée.

 

 

[86]           Là non plus, on ne mentionne pas, et l’on ne cherche nullement à analyser, les innombrables preuves produites par M. Al Yamani qui attestent sa séparation d’avec le FPLP et sa conviction actuelle que la non‑violence est un moyen de venir à bout du conflit israélo‑palestinien. Ce sont là deux éléments qui permettent de croire qu’il n’exercera plus aucun rôle au sein du FPLP.

 

[87]           Comme je l’ai fait observer plus haut dans les présents motifs, le ministre est investi d’un considérable pouvoir d’appréciation lorsqu’il s’agit de savoir si l’octroi d’une dispense ministérielle dans un cas donné est conforme ou non à l’intérêt national du Canada.

[88]           Cependant, pour que le ministre puisse prendre sur ce point une décision informée, la note d’information préparée à son intention doit considérer comme il convient les faits du dossier, les conclusions du demandeur et les facteurs énumérés dans les lignes directrices. Cela est d’autant plus vrai lorsque, comme c’est le cas ici, le ministre adopte la note d’information en tant que motifs de sa décision.

 

[89]           Comme je l’ai dit précédemment, l’un des points d’appui de la demande de dispense ministérielle présentée par M. Al Yamani était le fait qu’il avait renoncé à la violence, outre son engagement à favoriser une solution pacifique de la question palestinienne.

 

[90]           Les Lignes directrices ministérielles désignent expressément, parmi les facteurs à prendre en compte dans l’évaluation d’une demande de dispense ministérielle, l’engagement de l’intéressé envers les valeurs démocratiques de la société canadienne, et son attitude actuelle à l’égard de la violence utilisée à des fins de changement politique.

 

[91]           Le ministre n’est nullement tenu de considérer, dans chaque demande de dispense ministérielle, chacun des multiples facteurs énumérés dans les lignes directrices, mais il doit étudier les facteurs qui intéressent au plus haut point les arguments invoqués au soutien d’une demande de cette nature.

 

[92]           Il n’appartient pas à la Cour saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision discrétionnaire comme celle en l’espèce d’apprécier à nouveau la preuve que le ministre avait devant lui, ni de substituer sa propre opinion à celle du ministre : voir le paragraphe 34 de l’arrêt Suresh. Il était d’ailleurs loisible au ministre d’assigner le poids qui selon lui devait être assigné aux preuves touchant les vues politiques actuelles de M. Al Yamani et son présumé engagement envers la non‑violence.

 

[93]           Cependant, pour évaluer minutieusement et bien mettre en balance tous les facteurs intéressant la demande de dispense ministérielle présentée par M. Al Yamani, il fallait à tout le moins tenir compte des innombrables preuves intéressant ce facteur indiscutablement pertinent. Cela n’a pas été fait ici, et il y a donc eu erreur sujette à révision.

 

[94]           La décision doit donc être annulée, et l’affaire renvoyée au ministre, pour nouvelle décision.

 

[95]           Vu ma conclusion sur cette question, il ne m’est pas nécessaire d’examiner le point ultime soulevé par M. Al Yamani sur la question de savoir si le ministre a commis une erreur parce qu’il aurait mis en doute sa crédibilité sans l’avoir contre‑interrogé sur ses affidavits ou sans lui avoir accordé l’avantage d’une entrevue.

 

Dispositif

[96]           Pour ces motifs, la demande de M. Al Yamani est accueillie.

 

Question à certifier

[97]           L’avocate de M. Al Yamani a proposé que soit certifiée la question suivante :

Y a‑t‑il manquement à l’obligation d’équité procédurale si le ministre n’expose pas ses propres motifs?

 

 

 

[98]           Elle avait, dans l’affaire Miller, proposé une question semblable à certifier. Dans cette affaire‑là, le juge en chef a refusé de certifier la question parce que, selon lui, il n’y avait dans le droit aucune incertitude susceptible d’être dissipée par la Cour d’appel fédérale.

 

[99]           Le juge en chef était aussi d’avis que l’affaire Miller se prêtait assez mal à l’idée de certifier une question, au vu des propos tenus par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker, où elle reconnaissait que « la souplesse » requise dans le contexte du droit administratif, de même que l’équité de la procédure et la transparence des décisions prises, doivent tenir compte « de la réalité quotidienne des organismes administratifs », et que « la transparence peut être atteinte de différentes façons ».

 

[100]       Je ne vois aucune raison d’arriver à une conclusion autre dans la présente affaire, et je refuse donc de certifier la question.

 


JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE :

 

            1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, pour nouvelle décision;

 

            2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM‑2414‑06

 

INTITULÉ :                                                               ISSAM AL YAMANI
c.
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE ET AUTRE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 28 MARS 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LA JUGE MacTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 12 AVRIL 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Barbara  Jackman                                                         POUR LE DEMANDEUR

 

Jamie Todd

Rhonda Marquis                                                           POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman et associés

Toronto (Ontario)                                                         POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada                               POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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