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Date : 20070411

Dossier : T-1349-05

Référence : 2007 CF 347

ENTRE :

131 QUEEN STREET LIMITED

demanderesse

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS PUBLICS DE L’ORDONNANCE

(Motifs confidentiels rendus le 2 avril 2007)

 

La juge Heneghan

 

 

I.  Introduction

 

[1]               La société 131 Queen Street Limited (la demanderesse) exerce le recours en révision prévu à l’article 44 de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A‑1 (la Loi), à l’égard de la décision du ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC), rendue le 12 juillet 2005, de divulguer certains renseignements concernant les affaires commerciales de la demanderesse en réponse à une demande présentée en vertu de la Loi. La demanderesse soutient que les renseignements en question sont des renseignements de nature confidentielle appartenant à un tiers et qu’ils échappent à la divulgation par application des alinéas 20(1)a), b) et c) de la Loi.

 

[2]               La demanderesse demande à la Cour d’interdire au ministre de divulguer les renseignements en question, en vertu de l’article 51 de la Loi.

 

II.  Les faits

 

[3]               La demanderesse a déposé les affidavits confidentiels de MM. Paul Snyder et Glen Simpson. Le défendeur a déposé les affidavits confidentiels de M. Denis Vaillancourt et de Mme Pamela Dawson.

 

[4]               Selon l’affidavit de M. Snyder, la demanderesse est une personne morale constituée spécifiquement pour aménager, louer et gérer certains locaux situés au 131, rue Queen, à Ottawa. Morguard Corporation (Morguard) est également partie au bail de l’édifice situé au 131, rue Queen.

 

[5]               Le 21 juillet 2003, la demanderesse et Morguard ont loué les locaux à la Commission de la capitale nationale (la CCN). Ce document est appelé « sous‑bail » dans le bail principal. Le même jour, la CCN a sous‑loué les locaux à TPSGC.

 

[6]               Le 12 avril 2005, TPSGC a reçu une demande d’accès à l’information fondée sur la Loi à l’égard des locaux. L’auteur de cette demande souhaitait obtenir la divulgation de renseignements concernant la durée du sous‑bail, le tarif de location pour la durée du sous‑bail, les frais de stationnement et le nombre de places de stationnement, ainsi que toute remise consentie à TPSGC dans le cadre de l’opération.

 

[7]               TPSGC a considéré que la demanderesse pouvait être concernée et, dans une lettre datée du 11 mai 2005, il l’a informée de la demande de renseignements. Le défendeur indiquait aussi dans sa lettre les documents qui contenaient les renseignements demandés et invitait la demanderesse, en tant que tiers visé à l’article 27 de la Loi, à expliquer pourquoi ces renseignements ne devraient pas être divulgués.

 

[8]               La demanderesse a écrit à TPSGC pour s’opposer à la divulgation des renseignements demandés suivants :

la durée et le renouvellement du sous‑bail, article 2 du sous‑bail;

 

la cession de l’option d’achat, article 18 du sous‑bail;

 

les conditions particulières des locataires, article 1 de l’annexe E du bail principal;

 

les retards de construction, article 7 de l’annexe E du bail principal;

 

l’option de prorogation, article 8 de l’annexe E du bail principal;

 

l’option d’achat, article 10 de l’annexe E du bail principal;

 

les dispositions relatives au stationnement, article 11 de l’annexe E du bail principal;

 

les dispositions relativement au règlement des différends, y compris la définition de loyer courant net réel, article 1 du bail principal et article 15 de l’annexe E du bail principal;

 

les dispositions sur la compensation, article 18 de l’annexe E du bail principal.

 

 

[9]               Dans une lettre datée du 12 juillet 2005, le défendeur a avisé la demanderesse qu’il avait décidé que certaines exemptions seulement étaient justifiées.

 

III.  Le résumé des prétentions

A.  La demanderesse

 

[10]           La demanderesse soutient que c’est la norme de contrôle de la décision correcte qui devrait s’appliquer à la décision. Elle prétend également que les renseignements échappent à la divulgation parce qu’il s’agit de renseignements de nature confidentielle visés à l’alinéa 20(1)b) de la Loi. Elle s’appuie à cet égard sur la décision Air Atonabee c. Canada (Ministre des Transports) (1989), 27 C.P.R. (3d) 180 (C.F. 1re inst.).

 

[11]           La demanderesse prétend aussi que la divulgation des renseignements entraîne un risque vraisemblable de préjudice probable, c’est‑à‑dire qu’elle risque vraisemblablement de lui causer des pertes financières et de nuire à sa compétitivité. Elle fait valoir en conséquence qu’elle a droit à l’exemption prévue à l’alinéa 20(1)c) de la Loi et se fonde à cet égard sur l’arrêt Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l’Agriculture), [1989] 1 C.F. 47 (C.A.).

 

[12]           Finalement, la demanderesse soutient que la divulgation des renseignements demandés entravera des négociations en cours et détériorera ses rapports avec les locataires actuels. À cet égard, elle soutient que la divulgation des renseignements compromettra les négociations en cours concernant les locaux situés au 131, rue Queen parce que les locataires potentiels seront mis au courant des concessions et des mesures incitatives consenties à la CCN. Selon elle, la divulgation entravera les négociations entreprises par Morguard, sa partenaire commerciale, en vue de la mise en marché d’une autre tour de bureaux à usage mixte dans le centre‑ville d’Ottawa. La demanderesse prétend en outre que la divulgation détériorera ses rapports avec les locataires actuels dans la mesure où ceux‑ci pourraient considérer que les modalités de leurs baux sont moins avantageuses que celles négociées avec la CCN, ce qui pourrait les amener à demander, au moment de la renégociation de leurs baux, des concessions additionnelles concernant, par exemple, le renouvellement, l’option d’achat et le règlement des différends.

 

[13]           La demanderesse affirme que, dans ces circonstances, les renseignements doivent être soustraits à la divulgation en vertu de l’alinéa 20(1)d) de la Loi. Elle se fonde sur les décisions Corporation hôtelière Canadien Pacifique c. Canada (Procureur général) (2004), 249 F.T.R. 151, et Perez Bramelea Limited c. Commission de la capitale nationale, [1995] A.C.F. no 63 (1re inst.) (QL), et soutient que, dans ces circonstances, les renseignements doivent être soustraits à la divulgation, même de manière temporaire.

 

B.  Le défendeur

 

[14]           Pour sa part, le défendeur soutient que les demandes fondées sur l’article 44 de la Loi sont généralement traitées comme des demandes de contrôle judiciaire par la Cour, mais que celle‑ci procédera aussi à un nouvel examen si cela est nécessaire. Il s’appuie à cet égard sur l’arrêt Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [2003] 1 R.C.S. 66, et sur la décision St. Joseph Corporation c. Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux) (2002), 218 F.T.R. 41.

 

[15]           Le défendeur soutient que les exemptions prévues au paragraphe 20(1) de la Loi sont obligatoires et que la seule question à se poser est de savoir si les renseignements en cause sont visés par l’une de ces exemptions. Il fait valoir que, dans ces circonstances, la norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision correcte, s’appuyant à cet égard sur la décision Congrès juif canadien c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1996] 1 C.F. 268 (1re inst.).

 

[16]           En réponse aux prétentions de la demanderesse concernant l’application de l’exemption prévue à l’alinéa 20(1)c) de la Loi, le défendeur soutient que la demanderesse doit démontrer qu’elle satisfait à chacun des quatre critères mentionnés dans cette disposition. Il s’appuie à cet égard sur la décision Hutton c. Canada (Ministre des Ressources naturelles) (1997), 137 F.T.R. 110. Se fondant sur la décision Cie H.J. Heinz du Canada Ltée c. Canada (Procureur général), [2003] 4 C.F. 3 (1re inst.), il soutient que l’exemption est l’exception à la règle générale.

 

[17]           Bien qu’il reconnaisse que les renseignements en cause sont de nature financière, commerciale, scientifique ou technique, le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas établi qu’il s’agissait de renseignements de nature confidentielle en soi, qu’ils avaient été « fournis à titre confidentiel » à l’État par un tiers et, finalement, qu’ils avaient été traités comme des renseignements confidentiels de façon constante.

 

[18]           S’appuyant sur la décision Banque Canadienne Impériale de Commerce c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (2006), 45 Admin. L.R. (4th) 157, le défendeur soutient que, pour déterminer si des renseignements ont été fournis à titre confidentiel à l’État par un tiers, il faut tenir compte des facteurs suivants :

 

1.       la nature des renseignements plutôt que leur forme;

2.       le fait que les conclusions tirées par des fonctionnaires à partir des observations faites ne peuvent être considérées comme des renseignements fournis par un tiers;

3.       le fait que l’exemption s’applique seulement aux parties du document qui sont clairement et précisément identifiées comme émanant du tiers.

 

[19]           Le défendeur soutient que les renseignements demandés ne sont pas visés par l’exemption prévue à l’alinéa 20(1)b) pour deux raisons. Premièrement, de par leur nature les renseignements émanent de TPSGC et de la demanderesse. Les modalités du sous‑bail n’ont pas été simplement fournies par la demanderesse; elles ont été négociées par les parties. Deuxièmement, le défendeur soutient que la demanderesse a omis d’indiquer lesquels, parmi les renseignements demandés, ont été produits grâce à ses seuls efforts.

 

[20]           Le défendeur conteste le caractère confidentiel attribué aux renseignements demandés et soutient que ces renseignements se trouvent déjà dans le domaine public, à la suite de l’enregistrement, conformément à la législation provinciale, d’avis relatifs à différents documents de location au bureau d’enregistrement immobilier situé à Ottawa. Il soutient qu’il ressort des documents enregistrés que la demanderesse s’est déjà engagée à rendre les documents publics et que les avis enregistrés révèlent également certains des renseignements qui, selon la demanderesse, sont confidentiels, notamment la durée du sous‑bail.

 

[21]           Le défendeur soutient que la demanderesse n’a produit aucune preuve démontrant que la confidentialité des renseignements en cause protégerait l’intérêt public ou une relation confidentielle existant au bénéfice du public. Le défendeur admet qu’il ressort des décisions judiciaires invoquées par la demanderesse que les fournisseurs de l’État jouissent d’une certaine protection, mais il soutient que ces décisions n’exigent pas que ce type de relations soient protégées systématiquement. Il soutient que la confidentialité des relations de travail entre l’État et un tiers, même si elle contribue à ces relations, n’est pas automatiquement synonyme d’intérêt public.

 

[22]           Finalement, le défendeur soutient que le seul élément de preuve présentée par la demanderesse pour démontrer que les renseignements demandés ont été traités de manière confidentielle est la disposition relative à la confidentialité contenue dans le bail principal. Cette disposition prévoit que le bail est assujetti à la Loi. Selon le défendeur, une telle affirmation n’est pas suffisante pour se décharger du fardeau de la preuve imposé par l’alinéa 20(1)b) à la personne qui demande l’exemption. Le défendeur s’appuie à cet égard sur la décision Mead Johnson Nutritionals et al. c. Canada (Procureur général), 2005 CF 235.

 

[23]           De plus, en ce qui concerne l’alinéa 20(1)c) de la Loi, le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas produit une preuve convaincante démontrant que, selon la prépondérance des probabilités, la divulgation risquerait vraisemblablement de lui causer des pertes financières et de nuire à sa compétitivité. S’appuyant sur les décisions St. John Shipyards Limited c. Canada (Ministre des Approvisionnements et des Services) (1989), 24 F.T.R. 33, conf. par (1990), 107 N.R. 891 (C.A.), et SNC‑Lavalin Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics) (1994), 79 F.T.R. 113, il soutient qu’une hypothèse, une simple possibilité ou de simples affirmations dans un affidavit ne sont pas suffisantes pour faire cette preuve.

 

[24]           Finalement, en ce qui concerne l’alinéa 20(1)d), le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas présenté, dans ce cas non plus, une preuve justifiant la non‑divulgation des documents. Il prétend également que l’alinéa 20(1)d) ne s’applique pas aux affaires commerciales courantes, mais vise plutôt à régir les cas qui ne sont pas visés par l’alinéa 20(1)c).

 

IV.  Analyse et dispositif

 

[25]           La présente instance a trait à la demande de révision présentée par la demanderesse à l’égard de la décision de TPSGC de divulguer certains renseignements en vertu de la Loi. L’article 44 confère à un tiers, comme la demanderesse, le droit de demander la révision d’une décision prévoyant la divulgation de renseignements. Il prévoit ce qui suit :

 

44.(1) Le tiers que le responsable d’une institution fédérale est tenu, en vertu de l’alinéa 28(1)b) ou du paragraphe 29(1), d’aviser de la communication totale ou partielle d’un document peut, dans les vingt jours suivant la transmission de l’avis, exercer un recours en révision devant la Cour.

 

(2) Le responsable d’une institution fédérale qui a donné avis de communication totale ou partielle d’un document en vertu de l’alinéa  8(1)b) ou du paragraphe 29(1) est tenu, sur réception d’un avis de recours en révision de cette décision, d’en aviser par écrit la personne qui avait demandé communication du document.

 

 

 

(3) La personne qui est avisée conformément au paragraphe (2) peut comparaître comme partie à l’instance.

44.(1) Any third party to whom the head of a government institution is required under paragraph 28(1)(b) or subsection 29(1) to give a notice of a decision to disclose a record or a part thereof under this Act may, within twenty days after the notice is given, apply to the Court for a review of the matter.

 

(2) The head of a government institution who has given notice under paragraph 28(1)(b) or subsection 29(1) that a record requested under this Act or a part thereof will be disclosed shall forthwith on being given notice of an application made under subsection (1) in respect of the disclosure give written notice of the application to the person who requested access to the record.

 

(3) Any person who has been given notice of an application for a review under subsection (2) may appear as a party to the review.

 


[26]           La Loi a pour objet de permettre la divulgation de renseignements détenus par l’État. Cet objet est énoncé au paragraphe 2(1) de la Loi :

 

2.(1) La présente loi a pour objet d’élargir l’accès aux documents de l’administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

[...]

2.(1) The purpose of this Act is to extend the present laws of Canada to provide a right of access to information in records under the control of a government institution in accordance with the principles that government information should be available to the public, that necessary exceptions to the right of access should be limited and specific and that decisions on the disclosure of government information should be reviewed independently of government.

. . .

 

[27]           Certains types de renseignements sont soustraits à la divulgation, comme le prévoit le paragraphe 20(1) :

 

20.(1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

 

a) des secrets industriels de tiers;

 

b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

 

c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;

 

 

d) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d’entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d’autres fins.

20.(1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains

 

 

(a) trade secrets of a third party;

 

 

(b) financial, commercial, scientific or technical information that is confidential information supplied to a government institution by a third party and is treated consistently in a confidential manner by the third party;

 

(c) information the disclosure of which could reasonably be expected to result in material financial loss or gain to, or could reasonably be expected to prejudice the competitive position of, a third party; or

 

(d) information the disclosure of which could reasonably be expected to interfere with contractual or other negotiations of a third party.

 

[28]           Cette disposition est obligatoire. La divulgation doit être refusée lorsqu’un tiers démontre qu’il satisfait aux critères du paragraphe 20(1). L’utilisation de l’indicatif semble indiquer qu’aucune déférence ne sera démontrée à l’égard de la décision initiale du responsable d’une institution fédérale de communiquer des documents et, au besoin, un nouvel examen sera effectué dans le cadre du recours en révision prévu à l’article 44, notamment un examen détaillé des documents en cause. Voir la décision Air Atonabee à cet égard.

 

[29]           Comme la Loi a pour objet de permettre la divulgation de renseignements relevant d’une institution fédérale, un « lourd fardeau » repose sur la partie qui s’oppose à la divulgation en s’appuyant sur le paragraphe 20(1); voir Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Premier ministre), [1993] 1 C.F. 427 (1re inst.), à page 441.

 

[30]           En l’espèce, la demanderesse sollicite une ordonnance interdisant la divulgation en vertu des alinéas 20(1)b), 20(1)c) et 20(1)d). Je traiterai maintenant de chacune de ces dispositions.

 

A.  L’alinéa 20(1)b)

 

[31]           Cette disposition exempte de la divulgation des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques. Selon la décision Air Atonabee, les renseignements en question doivent satisfaire aux critères suivants pour échapper à la divulgation en application de l’alinéa 20(1)b) :

 

1)         les renseignements sont des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques, au sens courant de ces termes;

 

2)         ils sont de nature confidentielle suivant un critère objectif qui tient compte du contenu des renseignements, de leur but et des conditions dans lesquelles ils ont été préparés et communiqués;

 

3)         ils ont été fournis à une institution fédérale par un tiers;

 

4)         ils ont été traités comme des renseignements confidentiels de façon constante par le tiers.

 

 

[32]           Je suis d’accord avec le défendeur lorsqu’il dit que les renseignements en cause en l’espèce ne sont pas des renseignements « fournis » à une institution fédérale par un tiers. Il s’agit de l’un des critères établis par la jurisprudence qui doivent être satisfaits pour que des renseignements échappent à la divulgation en vertu de l’alinéa 20(1)b). Dans la décision Banque Canadienne Impériale de Commerce, le juge Blanchard a écrit au paragraphe 96 que les renseignements doivent être clairement et précisément identifiés comme émanant d’un tiers pour échapper à la divulgation en vertu de l’alinéa 20(1)b).

 

[33]           Les renseignements en cause en l’espèce sont des dispositions du bail principal et du sous‑bail qui ont été acceptées par les parties à la suite de négociations. Il ne s’agit pas de renseignements qui ont simplement été fournis à l’État par la demanderesse. Les commentaires formulés par la juge McGillis au paragraphe 3 de la décision Halifax Development Limited c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), [1994] A.C.F. no 2035 (1re inst.) (QL), s’appliquent ici :

 

[traduction] [...] Avec égards, les tarifs de location ne constituent pas, à mon avis, des renseignements qui ont été « fournis » à une institution fédérale. Il ressort de la preuve produite relativement à la requête que les tarifs de location ont fait l’objet de négociations entre la demanderesse et le défendeur, comme les autres modalités du bail. À mon avis, une modalité d’un bail qui a été négociée ne peut pas être considérée comme un renseignement fourni à l’État. L’alinéa 20(1)b) de la Loi ne s’applique donc pas aux faits de la présente affaire.

 

 

[34]           De même, le fait que le bail principal et le sous‑bail ont été enregistrés au bureau d’enregistrement immobilier à Ottawa, selon l’affidavit confidentiel de Pamela Dawson, affaiblit la prétention de la demanderesse selon laquelle ces documents ont toujours été traités comme des documents confidentiels. Mme Dawson mentionne d’autres documents relatifs aux intérêts commerciaux de la demanderesse dans les locaux qui sont enregistrés au bureau d’enregistrement immobilier. Ce bureau est ouvert au public et les documents peuvent être produits dans les quatorze jours suivant une demande.

 

[35]           Comme les renseignements en cause en l’espèce ne satisfont pas au critère d’avoir été « fournis » à l’État, la demanderesse n’a pas réussi à établir qu’elle a droit à une ordonnance de non‑divulgation en application de l’alinéa 20(1)b). À mon avis, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres critères établis dans la décision Air Atonabee au regard de l’alinéa 20(1)b). Dans la décision Cie H.J. Heinz, la Cour a conclu qu’on doit satisfaire aux quatre critères applicables pour que des renseignements soient soustraits à la divulgation en vertu de cette disposition législative.

 

B.  L’alinéa 20(1)c)

 

[36]           La demanderesse soutient qu’elle a droit à l’exemption prévue à l’alinéa 20(1)c) de la Loi. Selon cette disposition, la divulgation doit être refusée si elle risque vraisemblablement de causer des pertes financières à un tiers ou de nuire à sa compétitivité. Selon la décision SNC Lavalin Inc. c. Canada (Ministre de la Coopération internationale) (2003), 234 F.T.R. 294, pour que cette disposition s’applique, la demanderesse doit seulement démontrer que la divulgation des renseignements risquerait vraisemblablement de lui causer des pertes ou profits financiers appréciables ou de nuire à sa compétitivité.

 

[37]           Il incombe ici également à la demanderesse d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la divulgation causera le préjudice décrit à l’alinéa 20(1)c) de la Loi.

 

[38]           La demanderesse décrit le préjudice qui pourrait être causé à sa situation financière ou à sa compétitivité dans l’affidavit confidentiel de M. Snyder. À mon avis cependant, l’opinion exprimée par M. Snyder est fondée uniquement sur des hypothèses quant au prétendu préjudice qui découlerait de la divulgation des renseignements demandés. Les observations formulées par la Cour au paragraphe 36 de la décision SNC Lavalin (2003) s’appliquent en l’espèce :

 

Quant à l’alinéa 20(1)c) de la Loi et aux critères y afférents énoncés dans la décision Air Atonabee ci-dessus, l’auteur de l’affidavit atteste, bien que souvent en termes conditionnels, que la demanderesse risque vraisemblablement de subir des pertes financières et un préjudice à sa compétitivité. Le langage conditionnel est d’importance cruciale, car il ne suffit pas simplement que la demanderesse établisse que la communication pourrait lui causer un préjudice. Une hypothèse, quelque éclairée qu’elle soit, ne répond pas aux critères du risque vraisemblable de perte financière ou de préjudice à la position concurrentielle de l’intéressée.

 

 

[39]           En outre, je suis d’accord avec le défendeur lorsqu’il affirme qu’accepter les prétentions de la demanderesse concernant l’alinéa 20(1)c) créerait une exemption générale sous le régime de la Loi qui s’appliquerait à tous ceux qui participent à des opérations commerciales avec des institutions fédérales. Une telle interprétation va à l’encontre du libellé et de l’objet de la Loi, laquelle prévoit seulement des exemptions limitées et a pour but de faciliter l’accès du public aux renseignements détenus par les institutions fédérales. Je me réfère à cet égard à la décision Rubin c. Canada (Ministre de la Santé) (2001), 210 F.T.R. 84, où la Cour a écrit au paragraphe 36 :

 

L’article 2 de la Loi codifie le droit d’accès du public et le principe fondamental voulant que le public ait accès aux documents de l’administration fédérale et que les exceptions au droit d’accès doivent être limitées et précises. Il a aussi été établi que le fardeau de prouver que l’accès à des documents doit être refusé repose sur la partie qui s’oppose à la communication. Dans Maislin Industries Ltd., précité, le juge Jerome a dit ce qui suit :

 

Il faut cependant souligner que, puisque le principe de base de ces lois est de codifier le droit du public à l’accès aux documents du gouvernement, deux conséquences en découlent : d’abord, les tribunaux ne doivent pas neutraliser ce droit sauf pour les motifs les plus évidents, de sorte qu’en cas de doute, il faut permettre la communication; deuxièmement, le fardeau de convaincre la Cour doit incomber à la partie qui s’oppose à la communication, qu’il s’agisse, comme en l’espèce, d’une société privée ou d’un citoyen ou, dans d’autres cas, du gouvernement. 

 

 

C.  L’alinéa 20(1)d)

 

[40]           La demanderesse soutient que la divulgation des renseignements demandés entravera ses négociations en cours et que, par conséquent, ces renseignements ne devraient pas être divulgués par application de l’alinéa 20(1)d) de la Loi. Elle s’appuie à nouveau sur l’affidavit de M. Snyder.

 

[41]           Je ne suis pas convaincue que la demanderesse a démontré le bien‑fondé de ses allégations à cet égard. L’affidavit de M. Snyder ne renferme pas une preuve probante justifiant une exemption fondée sur l’alinéa 20(1)d). Des affirmations non étayées ou une preuve fondée sur des hypothèses selon lesquelles la divulgation entraînerait un risque vraisemblable de préjudice probable ne suffisent pas. Voir, à ce sujet, les décisions suivantes : Société Radio‑Canada c. Commission de la capitale nationale (1998), 147 F.T.R. 264, au paragraphe 27, et Société Gamma Inc. c. Canada (Secrétariat d’État) (1994), 79 F.T.R. 42, au paragraphe 10.

 

[42]           La preuve doit plutôt démontrer que des négociations contractuelles de la demanderesse, autres que les opérations commerciales courantes, risquent vraisemblablement d’être entravées : Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Affaires extérieures), [1990] 3 C.F. 665 (1re inst.), aux pages 682 et 683. Un lourd fardeau de persuasion repose sur la partie qui s’oppose à la divulgation; voir la décision SNC Lavalin (2003), au paragraphe 37.

 

[43]           En l’espèce, je ne suis pas convaincue que la demanderesse s’est acquittée de ce fardeau. Dans l’affidavit de M. Snyder, elle avance que des [traduction] « négociations en cours » seront perturbées, sans cependant donner des détails même superficiels au sujet de ces négociations, par exemple les espaces à louer, les parties concernées ou la durée prévue des négociations. La preuve produite repose sur des hypothèses et ne démontre pas l’existence d’un risque vraisemblable de préjudice probable.

 

[44]           La prétention de la demanderesse selon laquelle la divulgation pourrait avoir des incidences défavorables sur sa [traduction] « partenaire commerciale » Morguard n’a qu’une valeur limitée. Morguard n’est pas partie à la présente instance. La demanderesse ne fait que vaguement référence à sa participation à la mise en marché d’une tour de bureaux à usage mixte de 26 étages dans un endroit non identifié d’Ottawa. Elle ne parle d’aucune négociation précise.

 

[45]           Les décisions Perez Bramalea et Canadien Pacifique ne sont pas très utiles à la demanderesse. Dans ces deux décisions, la Cour a suspendu la divulgation des renseignements en vertu de l’alinéa 20(1)d) pour des périodes limitées.

 

[46]           Contrairement à ce qui s’est passé dans les affaires Perez Bramalea et Canadien Pacifique, la demanderesse en l’espèce n’a pas fait référence à des négociations précises en cours qui justifieraient une suspension temporaire de la divulgation demandée.

 

V.  Conclusion

 

[47]           Par conséquent, la demanderesse n’a pas démontré qu’une exemption fondée sur l’alinéa 20(1)b), c) ou d) de la Loi était justifiée. La demande est rejetée avec dépens.

 

 

« E. Heneghan »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 11 avril 2007

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, trad. a., LL.L.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                        T-1349-05

 

INTITULÉ :                                                       131 QUEEN STREET LIMITED

                                                                            c.

                                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               LE 29 JANVIER 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                  LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 11 AVRIL 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Benjamin Mills                                                     POUR LA DEMANDERESSE

 

Alysia Davies                                                       POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McCarthy Tétrault LLP                                        POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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