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Date : 20070405

Dossier : IMM-2669-06

Référence : 2007 CF 361

OTTAWA (ONTARIO), LE 5 AVRIL 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

LAI CHEONG SING et TSANG MING NA

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée par les demandeurs Lai Cheong Sing et Tsang Ming Na en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision par laquelle une agente d’ERAR a rejeté leur demande d’ERAR (examen des risques avant renvoi). Le gouvernement chinois a accusé les Lai d’avoir orchestré une opération de grande envergure de corruption et de contrebande. Il souhaite que les demandeurs rentrent en Chine pour répondre en justice des crimes qui leur sont reprochés. Les Lai, pour leur part, ont constamment maintenu que la Chine a inventé de toutes pièces les accusations portées contre eux.

[2]               M. Lai, son ex-épouse Mme Tsang (ils ont depuis divorcé) et leurs trois enfants ont revendiqué le statut de réfugié en juin 2000. Au terme d’une audience de 45 jours, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé de reconnaître aux parents la qualité de réfugié par application de l’alinéa 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention). En tout état de cause, la Commission a également conclu que les parents n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention parce qu’il n’y avait pas de lien entre leur revendication et l’un ou l’autre des motifs prévus par la Convention sur les réfugiés. La Commission a qualifié les demandeurs de criminels qui se dérobent à la justice, et non comme des personnes qui cherchent à fuir la persécution. La revendication des enfants était fondée sur celle de leurs parents et elle a, par conséquent, été rejetée.

 

[3]               Dans leur demande d’ERAR, les Lai accusent de partialité, de violations de la Charte et de manquements à l’équité procédurale. Dans leurs observations sur la question du risque, ils affirment que le système judiciaire chinois comporte plusieurs lacunes. Ils ont repris la thèse qu’ils avaient défendue lors de l’audience de la Commission. Ils soutiennent qu’ils ne pourraient obtenir un procès équitable en Chine et qu’ils seraient exposés à la torture et risqueraient la peine de mort malgré une note diplomatique chinoise affirmant le contraire. Après un examen approfondi à fond leurs observations, l’agente d’ERAR a rejeté toutes leurs prétentions.

 

[4]               Les Lai invoquent maintenant des moyens différents pour contester la décision de l’agente d’ERAR. Il s’agit d’une affaire assez complexe, qui soulève d’épineuses questions de fait et de droit que je vais bientôt aborder. Je tiens à préciser d’entrée de jeu que, pour en arriver à ma décision, je m’en suis tenu aux règles de droit et à la jurisprudence applicables. Bien que je sois conscient de l’écho que les médias ont donné à toute cette affaire, je n’ai pas tenu compte de cet aspect, qui n’a aucunement influencé mon raisonnement.

 

[5]               Les enfants ont également présenté une demande de contrôle judiciaire de leur décision d’ERAR, dans un dossier séparé mais connexe portant le numéro IMM-2845-06. Je communique également aujourd’hui mes motifs et mon ordonnance dans ce dossier, sous pli séparé.

 

[6]               Avant de passer aux faits, je tiens à formuler une dernière remarque. Une partie des témoignages et de la preuve écrite dont disposait la Commission étaient confidentiels et protégés, et le public ne pouvait donc pas les consulter. Toutefois, toutes les observations formulées verbalement l’ont été en audience publique, et les dossiers des deux parties n’étaient ni scellés ni confidentiels. Évidemment, les éléments qui étaient protégés au cours des instances antérieures demeureront confidentiels.

 

LES FAITS

[7]               Les Lai sont tous citoyens de la République populaire de Chine. Ils sont arrivés au Canada le 14 août 1999 et ont revendiqué le statut de réfugié le 8 juin 2000. M. Lai, le demandeur principal, fondait sa revendication du statut de réfugié sur ses opinions politiques et sur son appartenance à un groupe social – en l’occurrence, les hommes d’affaires chinois prospères.

 

[8]               En 1999, les autorités chinoises ont reçu des renseignements d’une source anonyme selon lesquels des opérations de contrebande de grande envergure se déroulaient dans la ville de Xiamen. Elles ont par conséquent ouvert une vaste enquête, appelée « enquête 4-20 » qui aurait permis de mettre à jour un vaste réseau de contrebande dirigé par les Lai, par l’entremise de leur groupe de sociétés Yuan Hua. L’enquête 4-20 a duré quelques années. Les enquêteurs ont détenu et interrogé des employés des sociétés Yuan Hua ainsi que divers fonctionnaires. Des dizaines de personnes ont été arrêtées, accusées et condamnées. Certaines ont été exécutées en raison de leur implication.

 

[9]               Après avoir appris que les autorités chinoises les recherchaient, les Lai se sont enfuis de Hong Kong et sont arrivés au Canada à titre de visiteurs. Ils n’ont jamais été accusés d’aucun crime, ce qui s’explique, selon la preuve versée au dossier, par le fait qu’en Chine, les autorités ne portent des accusations contre les individus soupçonnés de se livrer à des activités criminelles qu’une fois qu’ils sont détenus. Les Lai font toutefois l’objet de l’équivalent d’un mandat d’arrestation. Le juge Andrew MacKay a examiné cette question dans ses motifs de rejet de la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission présentée par les Lai (Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 179, au paragraphe 17).

 

[10]           Au début de 2000, trois enquêteurs de l’équipe d’enquête 4-20 ont reçu des lettres d’invitation de deux sociétés de Vancouver ayant des sociétés mères en Chine, à savoir Tricell (Canada) Inc. et Top Glory. Les employés de ces deux sociétés, qui ont témoigné devant la Commission, ont affirmé qu’ils ne s’étaient pas rendu compte de l’identité des personnes qui les invitaient et qu’ils se contentaient de répondre aux demandes d’invitation des sociétés mères. Parmi les visiteurs se trouvait M. Lai Shui Qiang, le frère de M. Lai. Il est depuis décédé en prison.

 

[11]           Une fois au Canada, M. Lai a rencontré les enquêteurs de l’équipe 4-20, qui ont tenté de le convaincre de retourner en Chine de son plein gré. Il a refusé leur offre, qui était assortie de la promesse de lui laisser une partie de ses actifs et de permettre aux membres de sa famille d’utiliser de nouveau leurs pièces d’identité. Ce n’est qu’après avoir rencontré les enquêteurs que M. Lai aurait décidé de revendiquer le statut de réfugié.

 

[12]           Devant la Commission, M. Lai a soutenu que toutes les allégations formulées contre lui étaient inventées de toutes pièces. Il a affirmé que le gouvernement chinois l’avait pris pour cible parce qu’il avait refusé d’impliquer à tort un dénommé Li Ji Zhou (M. Li) relativement à de présumées activités criminelles. M. Li était un fonctionnaire du gouvernement central qui, selon M. Lai, aurait été victime d’une lutte de pouvoir. M. Lai a expliqué à la Commission qu’en raison de son refus, il était maintenant faussement accusé de s’être soustrait au paiement de droits de douanes sur divers produits étrangers importés, allant de cigarettes à des voitures, en passant par des téléviseurs et des climatiseurs. Il a également été accusé d’avoir soudoyé un nombre incalculable de personnes, dont divers bureaucrates qui travaillaient pour le service des douanes, ainsi que M. Li lui-même.

 

[13]           Devant la Commission, les Lai ont affirmé que, s’ils étaient accusés d’infractions criminelles en Chine, ils ne pourraient obtenir un procès équitable. Ils ont soutenu que le système judiciaire chinois est hautement politisé et qu’il est contrôlé par le gouvernement central. Ils ont ajouté que l’issue de telles poursuites serait décidée d’avance. D’ailleurs, l’ancien Premier ministre chinois aurait déclaré publiquement, en 2001, que Lai Cheong Sing [traduction] « mérite de mourir trois fois ». Les Lai ont également fait entendre des témoins experts sur le système politique et judiciaire chinois, en plus de déposer des éléments de preuve documentaire sur la torture des prisonniers et ils ont témoigné de vive voix.

[14]           La Commission a entendu environ 25 témoins à l’audience. Le ministre a présenté une preuve abondante, en faisant notamment témoigner des représentants officiels chinois et en produisant le rapport d’enquête de l’équipe 4-20 et les relevés de condamnation chinois de personnes qui auraient été impliquées dans les activités de contrebande de Yuan Hua. Des experts ont également témoigné au sujet du système judiciaire chinois.

 

[15]           Dans sa décision de 301 pages, la Commission a conclu que M. Lai et Mme Tsang « cherchent nettement à fuir la justice et rien d’autre ». La Commission a estimé que ni l’un ni l’autre n’était crédible. Au contraire, elle a refusé de leur reconnaître la qualité de réfugiés par application de l’alinéa 1Fb) de la Convention sur les réfugiés parce qu’elle était d’avis qu’il existait des raisons sérieuses de penser qu’ils avaient tous deux commis un crime grave de droit commun à l’extérieur de leur pays de refuge. La Commission n’a toutefois pas laissé entendre que les trois enfants avaient été impliqués de quelque façon que ce soit dans les présumées activités criminelles.

 

[16]           La Commission a estimé que M. Lai avait passé sous silence un grand nombre de renseignements très importants dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP). La Commission a écrit que ce qui était peut-être encore plus significatif était le fait que M. Lai n’avait pas mentionné dans son FRP le fondement même de sa crainte de persécution, en l’occurrence que le gouvernement chinois voulait qu’il retourne en Chine pour l’exécuter afin de l’empêcher de révéler que l’enquête 4‑20 était une supercherie et une fraude.

 

[17]           La Commission a également trouvé suspect le fait que M. Lai ait laissé écouler une dizaine de mois après son arrivée au Canada avant de revendiquer le statut de réfugié. Relevant les dates lors desquelles il avait discuté avec les enquêteurs de l’équipe 4-20 au Canada, la Commission a estimé que M. Lai ne craignait pas véritablement les autorités chinoises. Il leur avait pratiquement servi d’« hôte » au Canada et il n’avait revendiqué le statut de réfugié qu’une fois qu’il s’était rendu compte qu’il ne pouvait négocier une entente satisfaisante pour rentrer au pays.

 

[18]           La Commission a conclu qu’il s’agissait de crimes graves de droit commun. Elle a tiré une inférence défavorable de l’absence de tout document d’affaires qui aurait pu prouver que M. Lai et sa femme menaient des activités commerciales légitimes. D’ailleurs, plusieurs employés du Yuan Hua Group ainsi que certains fonctionnaires qui occupaient des postes subalternes ont expliqué en détail le déroulement des opérations de contrebande. Il appert que c’était le personnel du bureau des Douanes qui décidait quels conteneurs seraient inspectés et qui communiquait avec la société Yuan Hua pour lui dire quel conteneur serait soumis à une inspection le lendemain. La veille de l’inspection, on procédait à une substitution de fret en remplaçant les marchandises fortement taxées par d’autres qui étaient assujetties à un tarif beaucoup moins élevé. Le personnel qui travaillait à la gare de triage des conteneurs remplaçait aussi les plombs commerciaux d’origine par de faux plombs pour qu’ils correspondent aux documents falsifiés établis pour les marchandises de remplacement placées dans les conteneurs inspectés.

 

[19]           La Commission a également conclu que, lorsque M. Lai décidait de « prêter » de l’argent à quelqu’un, il ne se souciait guère du remboursement. Il ne réclamait jamais de projet d’entreprise de la part des « bénéficiaires » de ces prêts et aucune entente n’était couchée sur papier. La Commission a signalé qu’il arrivait parfois que M. Lai ne connaissait même pas la personne qui recevait et elle en a conclu que ces versements ressemblaient davantage à des pots-de-vin qu’à des prêts.

 

[20]           D’ailleurs, M. Li Ji, le haut fonctionnaire dont il a déjà été question au paragraphe 12, a témoigné devant la Commission qu’il croyait qu’il recevait des pots-de-vin de M. Lai. Il a également accordé une contrepartie à M. Lai pour l’argent reçu à deux reprises. La première fois, il a aidé M. Lai à obtenir une plaque spéciale lui permettant de circuler entre Hong Kong et la Chine continentale. La seconde fois, il a aidé un des amis de M. Lai à éviter des accusations criminelles après qu’une cargaison de 30 000 tonnes de carburant diesel eut été saisie par la police maritime.

 

[21]           À l’audience de la Commission, on a également longuement débattu d’une note diplomatique adressée par la Chine au Canada. Dans cette note, la Chine s’engageait à ne pas condamner M. Lai et Mme Tsang à la peine de morts pour les crimes qu’ils avaient commis avant leur rapatriement en Chine. Le gouvernement chinois s’engageait aussi à faire en sorte que M. Lai et Mme Tsang ne soient pas assujettis à la torture à leur retour en Chine. M. John Holmes, directeur de la Division des Nations Unies pour le droit criminel et des traités au Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, a témoigné à titre d’expert au sujet de cette note devant la Commission. Il a expliqué que, même si elle n’a pas force obligatoire en droit international, une note diplomatique constitue la forme d’entente la plus formelle hormis un traité. Il a ajouté qu’il serait très inhabituel qu’un État ne respecte pas un engagement exprimé librement dans une note diplomatique, parce que cela porterait atteinte à sa crédibilité. Il a ajouté que, sur les dizaines de notes diplomatiques de la Chine qu’il a vues au cours de sa carrière, le gouvernement chinois n’en a jamais violé aucune. Il n’a connaissance d’aucune situation où le gouvernement du Canada ne s’est fié à ces notes. Se basant sur ce témoignage, la Commission a estimé que la Chine respecterait les engagements énoncés dans la note diplomatique à l’égard de la torture et de la peine de mort.

 

[22]           Quant à Mme Tsang, la Commission a estimé qu’elle avait joué un rôle de premier plan au sein du groupe de sociétés Yuan Hua. Ainsi, il ressortait de la preuve qu’elle était parmi les trois seuls signataires autorisés, ce qui contredisait son témoignage comme quoi qu’elle ignorait tout du mode de fonctionnement du groupe de sociétés Yuan Hua.

 

[23]           La Commission a également examiné les demandes d’immigration que Mme Tsang avait soumises pour elle-même et pour ses enfants longtemps avant qu’ils ne s’enfuient au Canada et y revendiquent le statut de réfugié. Elle avait présenté sa demande dans la catégorie des entrepreneurs et avait demandé des visas au nom de ses enfants. La Commission a mentionné qu’il lui était complètement égal de savoir si les renseignements qu’elle communiquait aux autorités canadiennes de l’immigration étaient vrais ou non.

 

[24]           Se fondant sur ce qui précède, la Commission a refusé de reconnaître le statut de réfugié aux Lai par application de l’alinéa 1Fb) de la Convention. Dans le cas de M. Lai, le refus était fondé sur la corruption et la contrebande, tandis que, dans le cas de Mme Tsang, l’exclusion reposait sur la contrebande. Comme cette conclusion scellait le sort de leur revendication du statut de réfugié, la Commission s’est dite d’avis qu’il n’était pas nécessaire d’examiner les accusations de fraude, ainsi que les allégations suivant lesquelles les Lai s’étaient rendus coupables d’évasion fiscale. Il y a par ailleurs lieu de signaler que seuls les parents ont été exclus aux termes de l’alinéa 1Fb) de la Convention.

 

[25]           Même si il le fait qu’il n’était pas nécessaire d’examiner les autres observations formulées par les Lai, étant donné qu’elle avait déjà refusé de leur reconnaître le statut de réfugié, la Commission a également refusé de leur reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention du fait de leurs opinions politiques et de leur appartenance à un groupe social. Comme elle était fondée sur celle de leurs parents, la revendication des enfants a également été rejetée.

 

[26]           Il est important de signaler que la décision de la Commission était fondée sur l’ancienne Loi sur l’immigration, ce qui explique pourquoi la Commission a traité uniquement les revendications du statut de réfugié des demandeurs. La procédure d’examen des risques avant renvoi (ERAR) a été introduite en 2002, en même temps que la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Lorsque la décision a été prise à la suite de l’examen des risques avant renvoi, c’était la première fois que quelqu’un se prononçait sur la question de savoir si les Lai étaient des personnes à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR.

 

[27]           À la suite de la décision de la Commission, les Lai ont présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. L’autorisation leur a été accordée, mais le juge MacKay a rejeté la demande dans le jugement Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 179. Il a néanmoins certifié quatre questions auxquelles la Cour d’appel fédérale a par la suite répondu de la façon suivante (Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 125, au paragraphe 95) :

Question certifiée no 1a)

[traduction]

Dans une affaire relative à l’exclusion en vertu de la section 1Fb) de la Convention :

a)  Si le ministre prend appui sur des déclarations découlant d’interrogatoires que lui fournissent des organismes gouvernementaux étrangers, le ministre est-il tenu de démontrer que ces déclarations ont été faites volontairement, particulièrement s’il y a des preuves qu’une ou plus d’une de ces déclarations n’étaient pas tout à fait volontaires, et si les renseignements sur les conditions dans le pays indiquent qu’on a parfois recours à la torture pour obtenir des déclarations de la part des personnes détenues?

Réponse

Non. Il incombe au ministre de présenter des éléments de preuve crédibles ou dignes de foi à la lumière desquels la Commission peut déterminer s’il faut exclure un revendicateur de la définition de réfugié au sens de la Convention. La Commission n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve. Elle peut recevoir les éléments qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision. Les déclarations obtenues au moyen de la torture ou de tout traitement ou peine cruel, inhumain ou dégradant ne sont ni crédibles ni dignes de foi.

En l’espèce, le ministre a produit des preuves indiquant que les déclarations obtenues à l’étranger étaient crédibles ou dignes de foi, y compris des preuves que les déclarations ont été faites volontairement et conformément aux exigences procédurales du droit chinois. On a également présenté à la Commission des preuves de nature générale sur les conditions dans le pays, faisant valoir qu’on y a recours à la torture et que les autorités ne sont pas toujours en mesure de contrôler ce recours à la torture; la Commission a aussi entendu des déclarations vagues constituant du ouï-dire. À la lumière de l’ensemble de la preuve présentée, et faute de preuve précise indiquant que les déclarations obtenues à l’étranger par le ministre étaient le fruit de la torture, la Commission était autorisée à admettre ces déclarations et à conclure qu’elles avaient été faites volontairement.

 

 

 

Question certifiée no 1b)

[traduction]

Dans une affaire relative à l’exclusion en vertu de la section 1Fb) de la Convention :

b)  Le ministre est-il tenu de préciser, avant l’audience, les actes criminels allégués imputés au revendicateur, ou suffit-il que la preuve à l’audience subséquente dévoile l’information précise au sujet des actes criminels allégués qu’aurait commis le revendicateur?

Réponse

Non. Le ministre n’est pas tenu de préciser, avant l’audience, les actes criminels allégués imputés au revendicateur. En vertu de l’article 9 des anciennes Règles, le ministre est tenu de préciser les éléments de la section 1F mis en cause par la revendication et d’exposer brièvement le droit et les faits sur lesquels il prévoit s’appuyer. Le ministre n’est pas tenu de fournir des précisions selon la norme qui serait de mise, par exemple, s’il s’agissait d’une mise en accusation au criminel. En l’espèce, l’avis renfermait suffisamment d’information pour satisfaire aux exigences réglementaires.

Le ministre est tenu de présenter à l’audience des éléments de preuve crédibles ou dignes de foi qui ont trait aux questions soulevées par le motif d’exclusion, soit l’existence de raisons sérieuses de penser que le revendicateur avait commis des crimes graves de droit commun à l’extérieur du Canada avant son arrivée au pays.

Aux termes de la nouvelle Loi, le ministre est maintenant tenu de transmettre un avis au revendicateur avant la tenue de l’audience conformément à l’article 25 des nouvelles Règles. Il doit également respecter l’article 29 de ces Règles, qui précise que le revendicateur doit recevoir les documents sur lesquels la ministre prévoit s’appuyer au plus tard 20 jours avant l’audience.

Question certifiée no 1c)

[traduction]

Dans une affaire relative à l’exclusion en vertu de la section 1Fb) de la Convention :

c)  La Section du statut de réfugié est-elle tenue d’énoncer, dans l’exposé de sa décision, des précisions sur les actes criminels commis par le revendicateur?

Réponse

Non. La Commission n’est pas tenue d’énoncer, dans l’exposé de sa décision, des précisions sur les actes criminels commis par le revendicateur.

Question certifiée no 1d)

Est-ce que l’arrêt de la Cour suprême Suresh c. M.C.I., [2002] 1 R.C.S. 3, exigeant une évaluation distincte des assurances fournies par un État étranger qui promet de ne pas torturer les ressortissants renvoyés, s’applique dans les situations où il y a certaines preuves d’un recours général à la torture au sein de l’État étranger, ou seulement dans les situations où il y a des preuves raisonnables indiquant qu’on a recours à la torture dans des causes similaires?

Réponse

Le tribunal refuse de répondre à cette question à la lumière de l’analyse exposée précédemment dans les présents motifs.

 

[28]           La Cour suprême du Canada a, le 1er septembre 2005, refusé d’accorder l’autorisation de se pourvoir à l’encontre de la décision de la Cour d’appel fédérale (Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] C.S.C.R. 298 (QL)).

 

[29]           Le 12 octobre 2005, un agent d’exécution de l’Agence des services frontaliers du Canada a rencontré les Lai et leur avocat, et il a fourni à chaque demandeur une demande modifiée d’ERAR, un avis modifié ayant trait à l’ERAR, et un guide de demande d’ERAR. Comme il a déjà été mentionné, c’était la première fois que les présumés risques étaient évalués en vertu du paragraphe 97(1) de la LIPR, étant donné que leur revendication du statut de réfugié avait été examinée sous le régime de l’ancienne Loi sur l’immigration. Leur demande d’ERAR portait uniquement sur la question de savoir s’ils étaient des personnes à protéger au sens du paragraphe 97(1), parce que la Commission avait refusé de leur reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention par application de l’alinéa 1Fb) de la Convention. Or, l’alinéa 112(3)c) de la LIPR précise bien que l’asile ne peut être conféré au demandeur qui a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention.

 

[30]           Les Lai ont saisi l’occasion qui leur était offerte de présenter une demande d’ERAR, mais ils ont fait valoir que l’ERAR devait, dans leur cas, être effectué par quelqu’un d’autre qu’un agent d’ERAR, qui agit à titre de délégué du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration. Ils ont soutenu que le processus de prise de décision d’ERAR serait entravé de façon inhérente parce que le ministre s’était déjà prononcé en faveur de la fiabilité de la note diplomatique chinoise au cours de l’audience de la Commission. Les Lai soutenaient que, compte tenu de ce fait, aucun agent d’ERAR ne pourrait juger leur demande de façon équitable, en tant que délégué du ministre. L’agent serait en effet obligé de conclure que les Lai ne seraient exposés à aucun risque s’ils retournaient en Chine, pour se conformer aux observations formulées par le ministre devant la Commission. Les Lai ont néanmoins soumis leur demande d’ERAR le 10 novembre 2005.

 

[31]           Il vaut la peine de mentionner que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration n’intervient plus dans le cadre des audiences concernant le statut de réfugié qui se déroulent devant la Commission. Ce rôle a été déféré à un organisme du portefeuille appelé Agence canadienne des services frontaliers, qui relève du ministre de la Sécurité publique et la Protection civile. Les décisions d’ERAR sont encore prises par des fonctionnaires du Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration.

 

[32]           Les Lai ont ensuite présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision les obligeant à soumettre leur demande d’ERAR au ministre. Ils ont demandé à notre Cour d’annuler la décision et de déclarer qu’ils devaient soumettre leur demande d’ERAR à la Cour fédérale. Ils demandaient également à la Cour de déclarer inopérante du point de vue constitutionnel, ou invalide et sans effet en vertu de l’article 52 de la Charte, au motif qu’elle violait l’article 7 de la Charte, l’exigence selon laquelle la demande d’ERAR devait être décidée par le ministre.

 

[33]           L’estimant prématurée, ma collègue la juge Eleanor Dawson a, le 11 avril 2006, rejeté la demande des Lai (Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 473). Elle a notamment expliqué que notre Cour est simplement habilitée à superviser la décision du ministre et qu’elle n’a pas compétence pour devancer la décision elle-même et prendre, en fait, la décision que le ministre doit prendre en vertu de la Loi. En soi, l’article 24 de la Charte ne confère à aucun tribunal le pouvoir d’accorder une réparation si ce tribunal ne possède pas déjà ce pouvoir. Elle a également estimé qu’il ne pouvait y avoir d’atteinte à la Charte avant qu’une décision défavorable aux demandeurs ne soit rendue. Ce n’est que dans le cas où leur demande d’ERAR ferait l’objet d’une décision défavorable que cette décision pourrait être contrôlée par la Cour, qui pourra alors scruter de près les allégations de partialité en tenant compte des motifs de décision de l’agent d’ERAR. La juge Dawson s’est donc abstenue de tout commentaire sur la solidité de la preuve des demandeurs, se contentant de rejeter leur demande.

 

[34]           La décision d’ERAR a finalement été rendue le 11 mai 2006. L’agente a conclu qu’il était peu probable que les Lai soient exposés à un risque de torture à une menace à leur vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités s’ils devaient retourner en République populaire de Chine. Leur renvoi était prévu pour le 2 juin 2006. M. Lai a alors demandé à notre Cour de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi. Ma collègue, la juge Carolyn Layden-Stevenson, a fait droit à cette demande le 1er juin 2006 (Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 672). Elle a estimé que la question certifiée posée au sujet de la torture et des assurances diplomatiques à laquelle la Cour d’appel fédérale avait refusé de répondre était une question sérieuse. Pour en arriver à cette conclusion, elle s’est fondée sur le paragraphe 94 des motifs rédigés par le juge Brian Malone s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale :

 

Évidemment, la présente procédure ne constitue pas la fin du processus de contrôle pour les appelants. La prochaine procédure est l’ « évaluation du risque avant le renvoi » aux termes de l’article 112 de la nouvelle Loi, où l’on pourra examiner de manière approfondie la question de la torture et des assurances diplomatiques, ainsi que toute nouvelle preuve pertinente que l’on pourrait produire. Il convient également de signaler que les appelants peuvent présenter au ministre une demande en vue de demeurer au Canada pour des raisons d’ordre humanitaire, en vertu des principes exposés au paragraphe 25(1) de la nouvelle Loi. La décision de la Commission visée dans le présent appel n’entrave aucunement le ministre lorsqu’il examine une demande visée à l’article 112 ou fondée sur des raisons d’ordre humanitaire.

 

[35]           La juge Layden-Stevenson a également conclu que la preuve d’un préjudice irréparable avait été établie, étant donné que, s’il était renvoyé, M. Lai serait exposé au risque qu’il alléguait et qui, selon lui, n’avait pas été correctement évalué par l’agente d’ERAR. Elle a par conséquent ordonné un sursis de l’exécution du renvoi de M. Lai jusqu’à ce qu’il soit statué sur sa demande d’autorisation relative au contrôle judiciaire et, si l’autorisation est accordée, jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande de contrôle judiciaire.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[36]           L’agente d’ERAR a commencé sa décision de 40 pages en évaluant les allégations de partialité formulées par les Lai. Après avoir examiné leurs arguments, elle a conclu que le processus de prise de décision d’ERAR ne suscitait pas de crainte raisonnable de partialité institutionnelle en l’espèce. Comme les éléments de preuve portés à sa connaissance ne lui permettaient pas de conclure que la question avait été tranchée à l’avance, elle a également conclu qu’elle n’avait aucune raison personnelle de se retirer du dossier.

 

[37]           L’agente d’ERAR a écrit qu’accepter les arguments des Lai au sujet de la partialité reviendrait à conclure qu’il ne peut exister plusieurs mandats au sein du Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration. À son avis, une telle façon de voir réduirait le rôle des agents d’ERAR à celui de souscrire automatiquement aux décisions antérieures. Elle a donc refusé de se récuser et s’est dite d’avis qu’elle était en mesure d’examiner tous les éléments d’information portés à sa connaissance et de les évaluer en fonction de sa propre analyse sans être influencée par les observations que les divers délégués du ministre ont pu formuler dans d’autres procédures. Elle a également signalé qu’elle n’était pas habilitée à établir la commission d’enquête réclamée par les Lai. En tout état de cause, prendre une telle mesure reviendrait à accepter l’argument qu’il existait une crainte raisonnable de partialité ce qui, à son avis, n’était pas le cas.

 

[38]           Elle a ensuite passé les faits en revue et résumé les allégations, avant de se lancer dans sa propre analyse. En commençant par la note diplomatique, elle a examiné les dépositions de tous les témoins. Elle a ajouté foi au témoignage de l’expert John Holmes, qui avait qualifié la note diplomatique d’engagement politique formel. Elle a écrit que, même si elle n’avait pas force de loi en droit international, la note exprimait l’intention de la Chine de respecter un engagement déterminé. Elle a également cité les propos d’autres experts, qui avaient expliqué pourquoi il serait dans l’intérêt de la Chine d’honorer les assurances qu’elle avait données, et elle a souligné que c’était la Chine – et non le Canada – qui avait pris l’initiative des pourparlers ayant conduit à la note en question. Elle a reconnu que le droit international ne prévoit aucun recours en cas de non-respect d’une note diplomatique. Toutefois, comme il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que la Chine avait manqué par le passé à ses promesses diplomatiques, elle n’était pas convaincue que la Chine ne respecterait pas ses promesses en ce qui concerne les Lai.

 

[39]           L’agente a également rejeté l’argument de l’avocat suivant lequel il serait illogique de conclure qu’on pouvait ajouter foi aux assurances tout en concluant que les tribunaux chinois sont indépendants du gouvernement. Les Lai ont fait valoir que, si les assurances étaient fiables, ce n’était que parce que le gouvernement chinois contrôle effectivement le pouvoir judiciaire. L’agente a plutôt retenu l’avis exprimé par l’expert Jerome Cohen. Elle écrit ce qui suit, à la page 15 de sa décision :

[traduction] … ce que l’avocat des demandeurs considère comme illogique constitue, selon Cohen, [traduction] « l’envers de la médaille de l’absence largement déplorée d’indépendance du pouvoir judiciaire en République populaire de Chine ». Autrement dit, pour reprendre ses propres mots : [traduction] « Il est bien connu que les tribunaux chinois font ce que leur disent les instances les plus élevées du gouvernement et du Parti communiste ».

 

[40]           L’agente a également rejeté l’argument de l’avocat suivant lequel la note n’excluait pas la possibilité d’une peine de mort conditionnelle. Suivant les Lai, une telle possibilité permettrait au gouvernement chinois de les exécuter pour des crimes commis après leur rapatriement sans pour autant violer la note diplomatique, du moins en principe. L’agente s’est dite d’avis que cet argument était hypothétique, car rien ne permettait de penser que les autorités chinoises avaient envisagé cette possibilité. Dans le même ordre d’idées, l’agente s’est dite d’avis que les assurances valaient tant pour M. Lai que pour Mme Tsang, contrairement à ce que ces derniers soutenaient.

 

[41]           En fin de compte, l’agente a conclu qu’il était peu probable, selon la prépondérance des probabilités, que le gouvernement chinois prenne une mesure aussi exceptionnelle que celle consistant à rédiger une telle note diplomatique après s’être engagé dans des négociations de haut niveau et après que la presse tant nationale qu’internationale y eut fait largement écho, pour ensuite revenir sur ses promesses, ternissant ainsi sa réputation internationale (motifs de la décision d’ERAR, page 16). J’estime que l’essentiel du raisonnement suivi par l’agente au sujet de la note de trouve aux deux paragraphes suivants, à la page 35 de sa décision :

[traduction] J’estime que le cas des demandeurs est unique en ce sens que c’est de son plein gré que le gouvernement chinois a donné les assurances diplomatiques en question au gouvernement canadien. Je constate qu’on a beaucoup parlé de cette histoire tant en RPC que sur le plan international. En ce qui concerne la peine de mort, en dépit des rapports publiés au sujet de la situation au pays en ce qui a trait au recours à la peine de mort en Chine, à l’exécution d’autres individus reconnus coupables du « scandale de la contrebande de Xiamen » et au système judiciaire et aux médias politisés dont se sert souvent le gouvernement pour faire connaître ses intentions et ses objectifs, nous avons affaire en l’espèce à deux personnes qui ont défrayé la chronique tant au Canada qu’ailleurs dans le monde, ainsi qu’à un document diplomatique qui se veut une garantie que la peine de mort ne sera pas appliquée contre Lai Cheong Sing et Tsang Ming Na et que ceux-ci ne seront pas soumis à la torture.

 

[…]

 

L’avocat semble vouloir faire un lien entre son opinion au sujet des lacunes relevées dans le droit et la pratique chinois et son avis que la note diplomatique ne suffira pas pour protéger les demandeurs contre la peine de mort ou la torture. Après examen de la preuve, je conclus que le gouvernement est en mesure de garantir que la note diplomatique sera respectée dans son intégralité, en d’autres mots, qu’aucun des demandeurs ne risque d’être condamné à la peine de mort ou d’être exposé au risque d’être soumis à la torture ou à des traitements ou peines cruels et inusités. Je ne suis pas d’accord pour dire que l’absence de mécanisme permettant de vérifier si le gouvernement chinois a respecté les modalités de la note doit être interprétée comme enlevant toute fiabilité à la note elle-même. Compte tenu de la nature et de la forme des assurances diplomatiques, de la correspondance échangée entre les représentants canadiens et les représentants chinois pour définir les modalités des assurances en question et de l’identité des demandeurs, je n’accepte pas l’argument de l’avocat suivant lequel je devrais écarter les assurances diplomatiques en question au motif que leur respect ne peut être garanti si elles ne sont pas assorties d’une sorte de sanction diplomatique ou d’un mécanisme permettant d’en vérifier le respect.

 

[42]           Quant au risque de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités, l’agente a cité un extrait de l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, aux paragraphes 124 et 125, de la Cour suprême du Canada pour expliquer la distinction qu’elle établissait entre les assurances données par l’État au sujet de la peine de mort et celles données au sujet de la torture. Elle a ensuite mentionné un communiqué de pressé publié par les Nations Unies le 2 décembre 2005 au sujet de la visite effectuée en Chine par le Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture. Le Rapporteur spécial avait signalé que les autorités gouvernementales avaient tenté d’entraver son travail d’enquête, l’avaient gardé lui et son équipe sous surveillance et avaient intimidé les présumées victimes. Dans son rapport, le Rapporteur spécial expliquait que, bien qu’en déclin, le recours à la torture était encore répandu en Chine, et il faisait état des mesures prises par le gouvernement chinois pour résoudre le problème. Il constatait également qu’il n’existait en Chine aucune des garanties procédurales nécessaires pour rendre efficace l’interdiction de la torture, par exemple en déclarant inadmissibles les éléments de preuve obtenus sous la torture, et pour garantir l’indépendance de la magistrature.

 

[43]           L’agente d’ERAR a ensuite examiné les éléments de preuve soumis par les Lai au sujet de la mort de Lai Shui Qiang, le frère de M. Lai, et de Chen Zan Cheng, l’ancien comptable de M. Lai. Malgré le caractère douteux de ces décès survenus en prison, elle a conclu qu’il n’existait pas de preuves objectives établissant un lien entre ces décès et le risque auquel serait exposé l’un ou l’autres des demandeurs à l’avenir. Elle a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve probants pour conclure que ces décès pouvaient être imputés à de mauvais traitements ou à de la torture ou qu’une autopsie avait été demandée et/ou refusée.

 

[44]           Elle a rappelé la position de M. Cohen suivant laquelle, en raison de la large publicité dont a fait l’objet le cas des Lai, la Chine ne les soumettrait probablement pas à la torture et ce, même si, pour reprendre les paroles de M. Cohen, [traduction] « le passé ne peut être garant de l’avenir ». L’enquêteur en chef chargé d’enquêter sur l’affaire de la contrebande de Xiamen a également témoigné devant la Commission qu’aucune coercition n’avait été exercée lors des interrogatoires. L’agente d’ERAR n’a pas considéré cette affirmation comme décisive, estimant que, probablement aucun enquêteur n’admettrait probablement avoir eu recours à des mesures de coercition. Elle a toutefois relevé qu’aucun élément de preuve contraire n’avait été présenté.

 

[45]           L’agente a conclu que les Lai seraient protégés par leur propre notoriété. Elle a passé en revue le témoignage d’un avocat de la défense qui avait représenté deux accusés dans l’affaire de Yuan Hua en Chine, un affidavit souscrit par la sœur de Mme Tsang, ainsi qu’une entrevue enregistrée sur bande vidéo de M. Li, le haut fonctionnaire qui avait reconnu avoir reçu des pots-de-vin de M. Lai. En dépit de [traduction] « l’existence troublante de la torture utilisée par des fonctionnaires du ministère de la Sécurité publique » et [traduction] « des renseignements émanant de sources publiques portant sur le recours à la torture pour soutirer des aveux aux suspects », l’agente a décidé de faire confiance aux assurances diplomatiques données au sujet de la promesse de ne pas appliquer la peine de mort et de ne pas recourir à la torture.

 

[46]           S’agissant du droit à un procès équitable et du respect du principe de la primauté du droit, l’agente d’ERAR a reconnu que le système judiciaire chinois n’était pas exempt de problèmes. De nombreux aspects de sa procédure ne satisfont pas aux normes internationales. Ainsi, le ministère public peut décider d’arrêter un suspect au cours de l’enquête sans l’avoir d’abord entendu. Par ailleurs, aux termes de l’article 306 du Code pénal chinois, un avocat peut être incarcéré pour avoir contraint ou incité un témoin à modifier son témoignage au mépris des « faits » constatés par l’État. En revanche, il existe des éléments de preuve documentaire selon lesquels le gouvernement chinois a permis et même encouragé la critique publique de son système juridique.

 

[47]           L’agente a également examiné les dossiers relatifs au procès de M. Li en Chine. Elle a constaté que, malgré le fait qu’il avait avoué avoir extorqué de l’argent à M. Lai, le tribunal n’avait pas accepté une seconde accusation de corruption, estimant que la preuve était insuffisante pour établir cette allégation. Dans d’autres cas, des individus qui avaient d’abord été condamnés à mort ou dont l’exécution de la peine de mort avait été reportée de deux ans avaient vu leur peine commuée en une peine plus légère. M. Li a également témoigné qu’il a bénéficié d’un procès public, qu’il a eu le droit de se faire représenter par un avocat de la défense et qu’il a pu rencontrer son avocat à plusieurs reprises avant le procès. Tous ces éléments de preuve ont amené l’agente d’ERAR à conclure que les Lai bénéficieraient d’un procès équitable en Chine. Comme elle l’a déclaré, à la page 41 de ses motifs :

[traduction] L’avocat énumère tous les facteurs dont l’accumulation amène à conclure, à son avis, que les demandeurs ne pourraient bénéficier d’un procès équitable en Chine. Voici quelques-uns des droits qui, selon lui, ne sont pas reconnus dans le système judiciaire chinois : droit à une audience publique par un tribunal compétent, indépendant et impartial, reconnaissance de la présomption d’innocence, droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, droit de consulter un avocat et droit à l’assistance d’un avocat de son choix, droit de l’accusé d’être présent à son procès, droit d’interroger les témoins, droit au silence. J’estime que l’avocat du demandeur exagère et tire des inférences abusives de la preuve qu’il présente, dans le but de démontrer que les demandeurs seront certainement condamnés et que le verdict est déjà arrêté. Sans nier les lacunes effectivement graves dont souffre le système judiciaire chinois, j’estime, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs n’ont pas établi que, s’ils devaient retourner en Chine pour répondre à d’éventuelles accusations de contrebande, de corruption et d’évasion fiscale, ils seraient exposés à une menace à leur vie ou au risque d’être soumis à un risque de torture ou à des peines ou traitements cruels et inusités. L’avocat du demandeur dénonce tout le système judiciaire chinois, signalant les lacunes de la procédure, les contraintes imposées à l’indépendance des juges, le risque de menaces qui pèse sur tout avocat qui assure la défense d’accusés dans les affaires considérées comme graves ou à connotation politique, le taux élevé de condamnation et le recours à la peine capitale pour des crimes économiques. Toutefois, les éléments de preuve précis fondés sur les faits qui ont été portés à ma connaissance ne permettent pas de penser que les autres personnes qui ont été accusées dans le cadre de l’affaire de la contrebande n’ont pas bénéficié, dans l’ensemble, de l’application régulière de la loi et d’un procès équitable, et je ne dispose par ailleurs d’aucune preuve probante qui me permette de penser que les individus qui ont été reconnus coupables dans le cadre de l’affaire de contrebande de Yuan Hua ont été injustement condamnés, qu’on leur a extorqué des aveux sous la contrainte ou que leur droit de consulter un avocat a été bafoué.

 

[48]           L’agente a également formulé quelques observations au sujet de l’imbroglio entourant un affidavit non signé qui était supposément fondé sur des propos qu’auraient tenus Mme Tao Mi, l’une des ex-employées de M. Lai, à un avocat canadien et à sa secrétaire, en Chine, quelques jours avant la clôture de l’audience de la Commission. Ce document était une rétractation des déclarations antérieures selon lesquelles Mme Tao Mi aurait impliqué M. Lai dans les manœuvres de contrebande et de corruption pour lesquelles il est maintenant recherché. Tao Mi était censée signer l’affidavit, qui n’avait pas été fait sous serment, mais elle ne l’a jamais fait. La Commission a admis le document en preuve, à titre d’annexe à l’affidavit de l’avocat canadien, mais a refusé de permettre à l’avocat de témoigner lui-même.

 

[49]           Cependant, après l’audience de la Commission, un agent de la GRC a organisé l’interrogatoire de Tao Mi au consulat du Canada à Shanghai. Cet interrogatoire s’est tenu en présence d’un agent de sécurité chinois lié à l’agence qui aurait pu avoir détenu et interrogé Tao Mi auparavant. L’avocat des Lai n’était pas présent, car il n’avait pas été avisé de cette entrevue. Interrogée à savoir si elle avait parlé avec un avocat canadien en Chine au sujet de Lai Cheong Sing, Mme Tao Mi a répondu par la négative. Elle a ajouté que les enquêteurs de l’équipe 4-20 l’avait traitée avec respect et ne l’avait jamais menacée. Le juge MacKay a qualifié cet interrogatoire d’« initiative extraordinaire ne respectant pas l’équité [qui] [d]e plus, […] s’est avérée ne pas être nécessaire » (Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 179, au paragraphe 21).

 

[50]           L’agente d’ERAR a estimé que ces éléments de preuve n’étaient pas concluants. Elle a expliqué qu’elle trouvait problématique que Tao Mi dicte sa déclaration à un avocat canadien mais ne la signe pas. Elle a également signalé que ni l’avocat, ni sa secrétaire ne pouvaient affirmer que la personne qu’ils avaient interrogée était effectivement Tao Mi. Il n’y avait tout simplement aucune preuve de son identité.

[51]           Enfin, l’agente d’ERAR s’est penchée sur l’argument de l’avocat suivant lequel Mme Tsang serait exposée à un risque en Chine en raison de ses problèmes de santé mentale. L’agente a cité un article publié dans le Yale-China Health Journal suivant lequel les normes suivies en Chine en matière de soins psychiatriques se comparaient à celles des autres pays en voie de développement et qu’on pouvait constater des améliorations. Elle a également cité le Rapport du Département d’État des États-Unis sur la situation des droits de la personne en 2005 (Country Report on Human Rights Practices), qui faisait état d’incidents au cours desquels on avait forcé des patients à prendre des médicaments et à qui on avait administré des chocs électriques. Elle a examiné deux rapports d’hôpitaux ainsi qu’une lettre dans laquelle un médecin déclarait que Mme Tsang souffrait de troubles anxieux généralisés. Vu ces éléments de preuve, l’agente a conclu que Mme Tsang souffrait effectivement d’anxiété, mais qu’on ne pouvait conclure qu’on s’en était pris particulièrement à elle en lui infligeant de mauvais traitements en raison de son état psychologique. Elle n’appartenait pas non plus à un groupe social déterminé, en l’occurrence les personnes atteintes de maladie mentale.

 

[52]           Vu tout ce qui précède, l’agente d’ERAR a conclu que les Lai n’étaient exposés à aucun risque s’ils retournaient en République populaire de Chine. Voici ce qu’elle écrit, au dernier paragraphe de ses motifs :

[traduction]Après avoir examiné tous les éléments de preuve qui m’ont été soumis et qui sont énumérés plus loin dans la section des sources consultées, je conclus que les demandeurs ne sont pas recherchés par les autorités chinoises pour des raisons d’ordre politique. J’estime plutôt que l’intérêt manifesté par le gouvernement à l’égard des demandeurs s’explique par les allégations et les éléments de preuve suivant lesquels ils sont soupçonnés de s’être livrés à des activités criminelles. Je conclus que le retour des demandeurs en Chine ne saurait être qualifié de mesure qui choquerait la conscience des Canadiens. J’estime qu’une telle mesure ne constitue pas un manquement aux principes de justice fondamentale et je suis d’avis qu’elle ne les exposerait à aucun des risques visés aux alinéas 97(1)a) et b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[53]           Les demandeurs ont soulevé plusieurs questions. Certaines ont trait au fond et sont par conséquent assujetties à la norme de contrôle appropriée. D’autres sont de nature procédurale. De surcroît, l’avocat des demandeurs a déposé un avis de questions constitutionnelles par lequel il soulève deux questions qui sont étroitement liées à certains de ces arguments de droit administratif. Il n’a cependant traité aucune des questions constitutionnelles dans sa plaidoirie ou dans ses observations écrites. Je ne vais donc pas les aborder dans les présents motifs. Le ministre, en revanche, affirme que la seule question en litige dans la présente affaire est celle de savoir si, compte tenu de la preuve dont elle disposait, l’agente a rendu une décision raisonnable en rejetant la demande d’ERAR des demandeurs. Malgré le fait que l’avocate de la défenderesse envisage l’affaire sous un angle différent, elle n’a pas répondu à toutes les questions soulevées par les demandeurs.

 

[54]           On peut donc formuler de la façon suivante les questions en litige :

a)      La décision d’ERAR du ministre suscite-t-elle une crainte raisonnable de partialité?

b)      L’agente d’ERAR a-t-elle violé l’obligation réglementaire qui lui interdisait de tirer des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité sans avoir tenu une audience?

c)      L’agente d’ERAR a-t-elle commis une erreur en concluant que les assurances diplomatiques données par la Chine au sujet de la peine de mort visaient aussi les peines de mort conditionnelles?

d)      L’arrêt Suresh c. Canada (M.C.I.), [2002] 1 R.C.S. 3, dans lequel la Cour suprême prévoit l’évaluation distincte des assurances données par un État étranger pour éviter que ses ressortissants ne soient soumis à la torture à leur retour, s’applique-t-il lorsqu’il y a certains éléments de preuve démontrent un recours généralisé à la torture dans l’État étranger en question ou ne s’applique-t-il que lorsqu’il existe des éléments de preuve indiquant raisonnablement un recours à la torture dans des cas semblables?

e)      L’agente d’ERAR a-t-elle commis une erreur en concluant que les assurances diplomatiques de la Chine au sujet de la torture sont fiables malgré le défaut de mécanisme permettant d’en vérifier le respect?

f)        L’agente d’ERAR a-t-elle commis une erreur en ne tirant pas de conclusion sur la question de savoir si les demandeurs bénéficieraient d’un procès équitable en Chine?

g)      L’agente d’ERAR a-t-elle commis une erreur en recourant au concept de la loi d’application générale pour décider si la condamnation des proches de Tsang Ming Na à la suite de leur transfert d’argent aux demandeurs était acceptable?

 

[55]           Pour ce qui est de la question de la norme de contrôle applicable, j’y reviendrai lors de mon examen des cinq derniers points litigieux. Il est de jurisprudence constante que, lorsqu’une décision ERAR est examinée dans sa totalité, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Figurado c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 347, [2005] 4 C.F. 347). Quoi qu’il en soit, il faut ajuster la norme en fonction de la question précise à l’examen. Comme l’a expliqué le juge Richard Mosley dans le jugement Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 437, dans le cadre du contrôle judiciaire des décisions relatives à l’ERAR, la norme de contrôle applicable aux questions de fait est celle de la décision manifestement déraisonnable; la norme applicable aux questions mixtes de fait et de droit, celle de la décision raisonnable, et la norme applicable aux questions de droit, celle de la décision correcte. Il va de soi qu’en l’espèce, il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse de la norme de contrôle pour ce qui est des deux premières questions en litige. Lorsque l’équité procédurale est en cause, la Cour doit décider si la procédure suivie était équitable ou non (Canada (Procureur général) c. Sketchley, 2005 CAF 404; Chir c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 765).

 

ANALYSE

            a)  Crainte raisonnable de partialité

[56]           Les Lai avancent trois faits qui suscitent une crainte raisonnable de partialité. Ils soutiennent d’abord et avant tout qu’il ressort des observations que le Ministre a formulées devant la Commission au cours de l’audience concernant leur statut de réfugié qu’il ministre avait déjà décidé que la note diplomatique émanant des autorités chinoises était satisfaisante. Les Lai prétendent qu’en exhortant la Commission à considérer la note comme fiable, le ministre se livrait implicitement à une évaluation des risques, étant donné que la note en question vise précisément les trois risques qui doivent être examinés aux termes de l’article 97 de la LIPR. Le ministre n’aurait pas dû être appelé à prendre exactement la même décision dans le contexte d’un ERAR par l’entremise de son délégué. D’ailleurs, l’avocat s’est dit d’avis que l’agente d’ERAR en était arrivée à la même conclusion que celle à laquelle le représentant du ministre en était venu lors des audiences de la Commission, en l’occurrence que les assurances était fiables et ce, pour les mêmes raisons.

 

[57]           L’avocat des demandeurs m’a cité plusieurs articles de la LIPR dans lesquels le ministre est désigné comme la personne chargée de procéder à l’ERAR (paragraphes 112(1), 114(2), 114(3) et alinéa 113b)), ce qui tendrait à démontrer que la décision prise à l’issue de l’ERAR est celle du ministre et non celle d’une personne qui est indépendante de lui. Selon la loi, c’est le ministre qui prend la décision. Suivant l’argument des demandeurs, quelqu’un d’autre que le ministre peut prendre cette décision, mais uniquement en tant que porte-parole du ministre.

 

[58]           Suivant les demandeurs, ce qui complique le problème et confère un caractère spécial à la présente affaire est le fait que la Commission n’a pas examiné les risques énumérés à l’article 97 parce que la LIPR n’était pas encore en vigueur. C’est la raison pour laquelle, dans la présente affaire, l’agente d’ERAR a examiné à la fois d’anciens et de nouveaux éléments de preuve. Habituellement, l’agent d’ERAR ne tient compte que de nouveaux éléments de preuve. Si la LIPR avait été en vigueur lorsque la Commission a tranché la demande des Lai, l’agente aurait évalué la preuve tant en vertu de l’article 96 qu’en fonction de l’article 97. Si tel avait été le cas, les observations que le ministre a formulées devant la Commission n’auraient pas été importantes pour ce qui est de l’ERAR, parce que ces observations auraient été considérées comme d’« anciens » éléments de preuve qui ne se seraient donc rapportés qu’à des éléments de preuve déjà évalués par la Commission.

 

[59]           Avant d’examiner le bien-fondé de cet argument, je tiens à rappeler que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration n’est plus investi du double pouvoir de comparaître devant la Commission et de se prononcer sur l’évaluation des risques (ce qu’on appelle maintenant l’ERAR, mais qui s’appelait auparavant examen en matière de droit d’établissement des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC)). Son pouvoir d’intervention au cours des audiences de la Commission a été transféré à l’Agence des services frontaliers du Canada en 2003.

 

[60]           Suivant les Lai, il y a deux autres facteurs qui suscitent une crainte raisonnable de partialité. Le premier concerne la genèse de la note diplomatique. Ils expliquent que, même si je devais accepter que la note a été spontanément générée par les autorités chinoises, le gouvernement canadien a demandé des éclaircissements et des assurances additionnelles, dont il a été tenu compte dans la version définitive de la note. Les Lai affirment qu’en réclamant ces garanties supplémentaires, le gouvernement canadien exprimait un avis juridique. Autrement dit, le gouvernement canadien a réclamé ces éclaircissements parce qu’il croyait que la loi canadienne l’exigeait.

 

[61]           Les Lai soutiennent enfin que le gouvernement canadien se soucie davantage d’entretenir de bonnes relations avec le gouvernement de la Chine que de traiter les Lai de façon équitable, comme en fait foi l’interrogatoire que Tao Mi a subi à Shanghai en décembre 2001. Non seulement un fonctionnaire chinois était-il présent, mais ce fonctionnaire n’a jamais été prévenu qu’il devait respecter le caractère confidentiel de cette entrevue. De plus, l’avocat des Lai n’a jamais reçu de préavis de cet interrogatoire. Se fondant sur les critiques formulées par le juge MacKay au sujet de cette façon de procéder, critiques que je cite au paragraphe 49 de la présente décision, les Lai affirment que ces agissements suscitent également une crainte raisonnable de partialité.

 

[62]           Les Lai proposent deux solutions. Premièrement, ils affirment que la Cour devrait ordonner la tenue d’un procès portant spécifiquement sur la demande d’ERAR. Tout en reconnaissant qu’une telle mesure déborde le cadre de la loi, Me Matas avance l’idée que l’article 24 de la Charte confère à notre Cour la compétence pour accorder une telle réparation dès lors qu’elle constate une violation de l’article 7 de la Charte. À titre subsidiaire, l’avocat propose qu’une commission d’enquête soit établie sous le régime de la Loi sur les enquêtes, L.R.C. 1985, ch. I-11, pour examiner cette demande d’ERAR particulière.

 

[63]           Il n’y a aucun doute que l’indépendance de la magistrature et l’impartialité de ses membres sont la pierre angulaire de notre système judiciaire, en plus de constituer des caractéristiques essentielles de tout État de droit. Le critère permettant de déterminer s’il y partialité a été énoncé par la Cour d’appel fédérale et a été approuvé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’Énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394 [Committee for Justice and Liberty] : « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique ».

 

[64]           En raison de l’importance capitale que revêt une accusation de partialité, les raisons justifiant une crainte de cette nature doivent être solides et ne sauraient s’appuyer sur de simples hypothèses ou conjectures (Committee for Justice and Liberty, précité, aux pages 394-395; Arthur c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 223, au paragraphe 8). En l’espèce, je ne crois pas que l’avocat affirme que l’agente d’ERAR avait un parti pris personnel. Nous avons affaire ici à une allégation de partialité institutionnelle, qui entacherait tous les cas qui ont été jugés alors que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration avait le double pouvoir d’« intervention » et de « protection » au cours de la période de transition ayant suivi l’entrée en vigueur de la LIPR. À l’époque, le ministre avait le pouvoir d’intervenir au cours des audiences de la Commission, ainsi que le pouvoir de trancher les demandes d’ERAR.

 

[65]           Je suis disposé à accepter, compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve qui ont été portés à ma connaissance, que l’ambassadeur de la Chine au Canada a entamé des pourparlers avec le gouvernement canadien au sujet des assurances que le Canada s’attendait à recevoir si M. Lai devait retourner en Chine. Je ne vois pas comment les assurances et les éclaircissements supplémentaires réclamés par le Canada auraient pu influencer la décision de l’agente d’ERAR, compte tenu de son interprétation du droit canadien et, plus particulièrement, de l’arrêt de la cour suprême États-Unis c. Burns, [2001] 1 R.C.S. 283. La personne bien renseignée qui sait que l’agente d’ERAR a tiré, en vertu de l’article 97, la première conclusion concernant les risques auxquels seraient exposés les Lai en 2006, cinq ans après que les assurances en question eurent été données, ne conclurait pas à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité sur le fondement des communications historiques ayant abouti à la rédaction de la note diplomatique. Non seulement l’opinion des fonctionnaires canadiens ne pouvait avoir aucune incidence sur la décision de l’agente d’ERAR − un aspect sur lequel je reviendrai sous peu −, mais leur opinion a été confirmée par une quantité appréciable d’éléments de preuve documentaire plus récents, portant sur les assurances diplomatiques chinoises en question.

 

[66]           Je suis un peu plus troubler par la façon dont les fonctionnaires canadiens ont interrogé Tao Mi à Shanghai me trouble un peu plus. À l’instar de mon collègue le juge MacKay, j’estime que cette façon de procéder était pour le moins fort déplacée. Et ce n’est certainement pas justifié d’alléger, et on ne saurait certes exciper, comme l’avocate du ministre l’a fait, que les déclarations faites par Tao Mi lors de son interrogatoire étaient pleinement volontaires et qu’elles confirmaient simplement ce qu’elle avait déjà dit dans son témoignage. À quoi d’autre pouvait-on s’attendre compte tenu de la présence d’un fonctionnaire de l’État chinois dans la pièce? Même en supposant qu’elle avait été torturée ou forcée de faire de fausses accusations dans sa première déclaration, les conditions dans lesquelles son interrogatoire s’est déroulé rendaient pratiquement impossible toute discussion. Ceci étant dit, je ne crois pas qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, se servirait de ce fait pour tirer une conclusion défavorable au sujet de l’impartialité de l’agente chargée de procéder à l’examen des risques avant renvoi. D’ailleurs, la raison pour laquelle l’agente a accordé peu de poids à la présumée rétractation de Tao Mi n’avait rien à voir avec les propos que cette dernière avait tenus lors de son interrogatoire au consulat canadien. L’agente a plutôt conclu qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve directs et convaincants pour corroborer que Tao Mi avait effectivement rencontré l’avocat canadien et était effectivement revenue sur les déclarations qu’elle avait faites et qui impliquaient les Lai dans l’affaire de la contrebande.

 

[67]           L’argument de base des Lai est que l’agente d’ERAR ne pouvait évaluer la note diplomatique de façon impartiale parce qu’elle devait limiter ses conclusions à ce que l’avocate du ministre avait déclaré devant la Commission en 2001. Cet argument ne me convainc pas, pour plusieurs raisons.

 

[68]           Il est de jurisprudence constante que l’on ne s’attend pas à ce que les ministres exercent personnellement tous les pouvoirs qui leur sont conférés par la loi. Habituellement, le régime législatif qui définit les pouvoirs du ministre permet tacitement au ministre de déléguer ses attributions (R. c. Harrison, [1977] 1 R.C.S. 238). Ce pouvoir de délégation est prévu en toutes lettres dans la LIPR, au paragraphe 6(2), qui dispose que le ministre peut déléguer, par écrit, les attributions qui lui sont conférées par la Loi. C’est bien ce que le ministre a fait en ce qui concerne le pouvoir que lui confère l’article 112 de se prononcer sur les demandes d’ERAR (instrument de délégation en date du 12 décembre 2005, point 52).

 

[69]           Bien que l’idée que les fonctionnaires d’un ministère parlent d’une seule voix et qu’ils sont essentiellement les porte-parole du ministre ait pu être vraie dans un passé lointain, une telle assertion est très peu réaliste dans un monde complexe et hétérogène. De nos jours, les ministères sont des appareils bureaucratiques considérables comptant des milliers d’employés à qui sont confiées des tâches diverses et variées. Certes, les ministres de la Couronne demeurent en bout de ligne chargés des orientations et des pratiques au sein de leur ministère, mais personne ne s’attend à ce qu’ils supervisent chacune des décisions relevant de chacun des mandats qu’englobe leur portefeuille. Lorsqu’ils s’acquittent de leurs fonctions au jour le jour, les fonctionnaires d’un service déterminé ne sont pas nécessairement liés par les décisions prises par d’autres fonctionnaires dans un contexte différent. Comme le dit si bien l’agente d’ERAR à la page 4 de sa décision, [traduction] « réduire le rôle des agents chargés de procéder à l’examen des risques avant renvoi à une simple adhésion à toute décision au sujet de laquelle un autre délégué du ministre a fait valoir son point de vue constituerait une vision réductrice et monolithique des diverses attributions et des divers mandats du ministre ».

 

[70]           Cette opinion est renforcée par la connaissance de la section 5.14 du Guide d’ERAR, qui oblige les agents en question à tenir compte des facteurs suivants lorsqu’ils prennent leurs décisions :

Les agents d’ERAR doivent démontrer qu’ils ont soigneusement analysé le dossier, apprécié la preuve et considéré équitablement les éléments de preuve examinés. La décision devrait être fondée sur les éléments de preuve déposés et documentés et s’appuyer sur les éléments de preuve factuels. Elle ne doit pas reposer sur la partialité ou sur des préjugés. La recherche doit être récente et démontrer que l’agent a étudié un dossier précis. Dans le processus de l’ERAR, chaque demandeur a droit à un examen indépendant complet des faits.

 

[71]           C’est précisément ce que l’agente d’ERAR a fait dans le cas qui nous occupe. Après avoir attentivement examiné les arguments des Lai selon lesquels sa décision avait été prise d’avance, elle écrit ce qui suit, à la page 3 de sa décision :

[traduction] L’avocat voudrait que, comme les représentants du ministre à l’audience des demandeurs devant la CISR ont formulé des observations au sujet de la valeur des assurances diplomatiques données par le gouvernement de la République populaire de Chine au gouvernement du Canada, la procédure d’examen des risques avant le renvoi soit entachée d’une vice rédhibitoire et que l’agent chargé de l’évaluation des risques avant renvoi ne puisse rendre aucune décision indépendante et impartiale. Accepter un tel argument reviendrait à affirmer qu’il ne peut être question de plusieurs mandats au sein du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration. En réponse, je signale que, bien que tous les employés du ministère soient chargés de l’application et de la mise en œuvre des objectifs de la loi en général, les mandats exécutés à cette fin peuvent varier, diverger et même se contredire.

 

[72]           Ce raisonnement me paraît irréprochable. Le double mandat d’intervention et de protection dont était investi le ministre en 2001 ne donne pas lieu à une crainte raisonnable de partialité institutionnelle, dès lors que chacune des unités administratives respecte le cadre du mandat que la loi lui confie. C’est précisément la question que la Cour suprême a examinée dans l’arrêt Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301. Sous la plume de la juge Claire L’Heureux-Dubé, la Cour suprême explique, à la page 309 :

Comme la plupart des principes, celui‑ci a ses exceptions.  Il y a exception au principe « nemo judex » lorsque le chevauchement de fonctions est autorisé par la loi, dans l’hypothèse où la constitutionnalité de la loi n’est pas attaquée.

 

[73]           L’avocat des demandeurs a tenté d’établir une distinction entre la présente espèce et l’affaire précitée en faisant valoir que les agents d’ERAR n’ont aucun pouvoir législatif ou réglementaire et qu’ils font tout au nom du ministre. Pour reprendre les paroles mêmes de l’avocat, l’affaire Brosseau, précitée, portait sur un chevauchement de fonctions institutionnelles et non sur une coïncidence des postes. J’estime, en toute déférence, que cette distinction ne crée aucune différence. Il est vrai que l’Alberta Securities Commission avait été créée par une loi, alors que les agents d’ERAR n’exercent que les pouvoirs qui leur sont délégués. Il me semble toutefois que le principe énoncé dans l’arrêt Brosseau, précité, n’a rien à voir avec la nature de l’instrument sur lequel se fonde l’existence du décideur. Si le ministre est lui-même autorisé à intervenir dans les audiences de la Commission et à trancher les demandes des DNRSRC, il ne fait aucun doute que ses délégués doivent être investis du même pouvoir. Les risques d’être influencé par une décision antérieure sont sûrement minimisés lorsqu’on attribue des tâches différentes à deux services distincts au lieu de les confier à une seule et même personne.

 

[74]           Pour en arriver à cette conclusion, je suis conforté par la décision à laquelle en est arrivé mon collègue le juge Frederick Gibson dans l’affaire Say c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 739 (conf. par 2005 CAF 422). Dans cette affaire, les demandeurs avaient soulevé la question de la partialité institutionnelle ou du manque d’indépendance des agents d’ERAR des risques avant renvoi pendant la courte période au cours de laquelle ces agents relevaient de l’Agence des services frontaliers du Canada, au même titre que les agents de renvoi. Après avoir examiné la preuve, le juge Gibson a conclu que la section d’ERAR était structurée de telle manière qu’elle était isolée des autres sections de l’ASFC, de sorte qu’une personne sensée et bien informée n’aurait pas une crainte raisonnable de partialité. Au paragraphe 39 de sa décision, le juge écrit ce qui suit :

Compte tenu de la preuve dont la Cour dispose en l’espèce, je conclus que, dans un grand nombre de cas, il n’existerait aucune crainte raisonnable de partialité dans l’esprit d’une personne parfaitement informée. Cela ne veut pas dire qu’une crainte raisonnable de partialité soit inconcevable − sous forme de première impression − dans un grand nombre de cas dans l’esprit d’une personne moins bien informée. Dans un grand nombre de documents d’information au public diffusés au moment de la constitution de l’A.S.F.C., on a dit que son mandat concernait la sécurité et l’application de la loi, ce qui se distingue tout à fait d’un mandat de protection. Cependant, il ressort de la preuve dont dispose la cour que, du moins au cours de la période en litige, le mandat de cette agence était assez diversifié et qu’un effort conscient a été fait pour isoler le programme d’ERAR des fonctions relatives à la prise de mesures de renvoi et à l’application de la loi incombant à l’A.S.F.C. Je conclus donc qu’une « personne parfaitement informée » n’aurait pas une crainte raisonnable que les décideurs du programme d’ERAR seraient partiaux « dans un grand nombre de cas ».

 

[75]           Je ne dispose d’aucun élément de preuve permettant de penser que cette conclusion ne vaut plus aujourd’hui. Les agents d’ERAR sont des décideurs professionnels, qui sont sans doute parfaitement conscients du fait que leurs décisions sont assujetties aux contraintes qui valent pour toute décision soumise à un processus quasi judiciaire. Je n’ai aucune raison de croire que l’agente d’ERAR n’a pas fait ce qu’elle se proposait de faire en l’espèce et qu’elle n’a pas abordé la présente demande d’ERAR avec un esprit ouvert. Même en supposant que la note diplomatique constituait un aspect clé de l’évaluation des risques, il ne lui était pas interdit de tenir compte de l’ensemble de la preuve dont elle disposait. Rien ne permet de penser qu’elle a tout simplement arrêté son analyse après avoir pris connaissance des observations faites par le ministre devant la Commission en 2001. Certes, on peut être en désaccord avec ses conclusions, mais je ne crois pas qu’une personne sensée qui serait bien au courant des faits et qui étudierait la question en profondeur penserait qu’il est plus probable qu’improbable que l’agente d’ERAR ne trancherait pas la question de façon équitable.

 

[76]           Dans ces conditions, il n’est pas nécessaire d’examiner le moyen constitutionnel fondé sur l’article 7 de la Charte. Comme il n’y a aucune crainte raisonnable de partialité tant sur le plan institutionnel que sur le plan individuel, il ne peut y avoir manquement aux principes de justice fondamentale. Dans le même ordre d’idées, il n’est pas nécessaire d’analyser les solutions proposées par les demandeurs. Je me permettrai seulement de dire que notre Cour n’a pas compétence pour statuer sur une demande d’ERAR, et qu’elle ne saurait tirer cette compétence de l’article 24 de la Charte. Le pouvoir qu’exerce notre Cour est un pouvoir de surveillance et notre Cour ne peut exercer une compétence que le législateur fédéral ne lui a pas conférée (R. c. 974649 Ontario Inc., [2001] 3 R.C.S. 575; Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177).

 

b)  Défaut de tenir une audience

[77]           Les Lai soulèvent une autre question d’équité procédurale en rapport avec les deux affidavits qu’ils ont produits au soutien de leur demande. Le premier a été souscrit par la sœur de Mme Tsang, qui affirme que leur père aurait été battu et qu’il est assigné à sa résidence en Chine, tandis que leur mère aurait été arrêtée par des policiers sur les instructions des enquêteurs de l’équipe 4-20. Le second affidavit a été souscrit par Me Clive Ansley, un avocat canadien. La présumée rétractation de Tao Mi était jointe à ce dernier affidavit. Dans les deux cas, l’agente d’ERAR a reconnu une faible valeur probante à ces éléments de preuve. Elle a conclu que la sœur de Mme Tsang avait un intérêt dans l’issue de sa demande d’asile et que l’affidavit de sa sœur contenait du ouï-dire qui n’avait pas été corroboré. En ce qui concerne Me Ansley et son assistante, ni l’un ni l’autre n’a pu témoigner au sujet de l’identité de la personne qui affirmait être Tao Mi. Les Lai soutiennent maintenant que l’agente d’ERAR n’avait pas le droit d’écarter ces affidavits sans leur accorder d’abord la possibilité de répondre à ses préoccupations.

 

[78]           L’alinéa 113b) de la LIPR précise bien qu’une audience peut être tenue dans certaines circonstances exceptionnelles. Les facteurs dont il y a lieu de tenir compte se trouvent à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), dont le texte suit :

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

 

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following :

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

                                           (b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

[79]           Après examen des circonstances dans lesquelles une audience doit être tenue, je ne crois pas qu’une entrevue était nécessaire dans le cas qui nous occupe. En tout premier lieu, l’affidavit souscrit par la sœur de Mme Tsang remet en cause la crédibilité de son auteure et non celle de Mme Tsang. Comme l’article 167 du Règlement envisage la possibilité d’accorder une audience au demandeur, je ne vois pas comment Mme Tsang aurait pu témoigner sur la foi de l’affidavit de sa sœur.

 

[80]           Quant à Me Ansley et à son assistante, ils auraient certainement pu être contre-interrogés au sujet de leur affidavit devant la Commission, mais le ministre a choisi de ne pas le faire, ce qui était son droit le plus strict. Il est de jurisprudence constante qu’un décideur n’est pas tenu d’accepter un affidavit pour la simple raison que son auteur n’a pas été contre-interrogé (Bath c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-4095-98; Singh c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 159).

 

[81]           Les demandeurs soutiennent en outre que l’agente d’ERAR n’a pas respecté l’obligation que lui impose le règlement en matière d’entrevues et qu’elle a manqué à son devoir d’agir avec équité. Ils affirment qu’elle n’aurait jamais dû interroger les souscripteurs des affidavits au sujet de l’identité de la femme qui s’était présentée au cabinet de Me Ansley et ils ajoutent qu’à défaut, elle devait leur faire part de ses réserves et leur donner l’occasion de répondre. Je suis en profond désaccord avec cette position. Tout d’abord, il y a lieu de rappeler qu’en 2001, la Commission avait en mains l’affidavit de MAnsley et celui de son assistante et qu’elle a décidé de leur accorder très peu de poids. Depuis, les Lai auraient pu corriger cette lacune dans leur preuve en cherchant à obtenir des éléments de preuve pour confirmer sur quoi les auteurs de ces affidavits se fondaient pour affirmer que la femme qui se trouvait dans le cabinet de Me Ansley était bel et bien Mme Tao Mi. Mais ils n’en ont rien fait. De plus, la crédibilité des Lai n’était pas la question déterminante dans la décision d’ERAR. L’agente a plutôt estimé que les risques auxquels les Lai affirmaient qu’ils seraient exposés n’avaient pas été établis sur le fondement d’éléments de preuve objectifs, à la lumière notamment de la note diplomatique. L’agente a conclu, à la page 41 de ses motifs, que la déclaration non signée n’était [traduction] « pas probante et qu’elle ne permet pas vraiment d’établir si les demandeurs seraient exposés à un risque à l’avenir ». Il ne s’agissait pas d’une conclusion défavorable portant sur la crédibilité des Lai, mais bien d’une conclusion fondée sur les éléments de preuve qu’ils avaient présentés à l’appui de leur affirmation qu’ils seraient exposés à un risque de torture. Pour tous ces motifs, je ne crois pas que l’agente a contrevenu à l’article 167 du Règlement en n’accordant pas d’audience aux Lai pour discuter des deux affidavits.

 

c)  Les assurances diplomatiques englobent-elles la peine de mort conditionnelle?

[82]           Les Lai sont recherchés en vertu de mandats d’arrestation pour s’être livrés à de la contrebande en violation de l’article 153 du Code pénal de la République populaire de Chine. M. Lai est également recherché pour corruption, un délit prévu à l’article 389 de la même loi. Il est vrai qu’aucune accusation n’a encore été portée contre les Lai mais, comme je l’ai déjà expliqué, il semble qu’en Chine, une personne n’est accusée qu’une fois qu’elle est détenue. Bien que la peine maximale prévue pour la corruption soit de dix ans d’emprisonnement, la sanction que prévoit l’article 151 du Code pénal de la République populaire de Chine prévue pour le crime « spécialement grave » de contrebande est la réclusion à perpétuité ou la peine de mort. Je suis donc convaincu que, n’eurent été les assurances diplomatiques, le renvoi de M. Lai en Chine exposerait celui-ci à une menace à sa vie. C’est d’ailleurs la raison précise pour laquelle ces assurances ont été données dans la foulée de l’arrêt États-Unis c. Burns, précité, de la Cour suprême.

 

[83]           L’argument invoqué par les Lai au sujet de la note diplomatique comporte deux volets. Premièrement, ils soutiennent que l’agente d’ERAR a commis une erreur en n’abordant pas la question de savoir si la note diplomatique englobait la peine de mort conditionnelle. En second lieu − et cet argument a été soulevé pour la première fois devant notre Cour −, ils affirment qu’une condamnation à mort avec sursis équivaut à un traitement ou une peine cruel et inusité même si l’intéressé n’est jamais exécuté.

 

[84]           Avant d’évaluer ces arguments, je dois d’abord déterminer la norme de contrôle applicable. Les Lai affirment que l’interprétation de la note diplomatique est une question de droit international, et non seulement une question de droit interne chinois. Ils soutiennent que, comme le droit international fait partie du droit canadien, la norme de contrôle qui s’applique à la question de l’interprétation de la note devrait par conséquent être celle de la décision correcte.

 

[85]           Le ministre, en revanche, affirme que l’interprétation et la fiabilité de la note sont toutes deux des questions de fait qui doivent être évaluées selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. Tout en reconnaissant que cette question précise n’a jamais été tranchée, le ministre fait valoir que, pour pouvoir interpréter et évaluer la note, il faut tirer des conclusions au sujet du droit étranger et des éléments de preuve présentés au sujet de l’usage antérieur, de sorte qu’il y a lieu de faire preuve d’un degré élevé de retenue judiciaire en ce qui concerne les conclusions tirées par l’agente d’ERAR.

 

[86]           Il n’y a aucun doute que le droit étranger est une question de fait susceptible d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. Comme l’a jugé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Saini, [2002] 1 C.F. 200 (C.A.F.), au paragraphe 26 :

Le droit étranger est une question de fait qui doit être prouvée à la satisfaction du tribunal. Les conclusions judiciaires au sujet du droit étranger ont donc toujours été considérées en appel comme des questions de fait (Castel, Canadian Conflict of Laws 4e éd. 1997, à la page 155). De plus, il est de jurisprudence constante que notre Cour ne modifiera une conclusion de fait, y compris une conclusion de fait portant sur un témoignage d’expert, que si une erreur manifeste et dominante a été commise (voir, par exemple les arrêts N.V. Bocimar S.A. c. Century Insurance Co. of Canada, [1987] 1 R.C.S. 1247 et Stein c. Le « Kathy K », [1976] 2 R.C.S. 802).

 

Voir aussi : Magtibay c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 397, au paragraphe 15; Aung c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 82, au paragraphe 13; Buttar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1281, au paragraphe 9; Nur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 636, au paragraphe 30 et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Choubak, 2006 CF 521.

 

[87]           Il est par ailleurs incontestable que la question de la fiabilité des assurances données constitue une question de fait susceptible d’être contrôlée en fonction de la norme de la décision manifestement déraisonnable. C’est bien ce que la Cour suprême a affirmé tant dans l’arrêt Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 72, au paragraphe 17, que dans l’arrêt Suresh, précité, au paragraphe 39, où elle dit ce qui suit :

Comme il a été mentionné plus tôt, la question de savoir si M. Suresh court un risque sérieux de torture en cas d’expulsion est une question préliminaire.  En l’espèce, la réponse à cette question dépend en grande partie des faits.  Elle exige la prise en considération des antécédents du pays d’origine en matière de respect des droits de la personne, des risques personnels courus par le demandeur, de toute assurance que l’intéressé ne sera pas torturé et de la valeur de telles assurances — et, à cet égard, de la capacité du pays d’origine de contrôler ses propres forces de l’ordre —, ainsi que de bien d’autres considérations.

 

[…]

 

Ces questions échappent en grande partie au champ d’expertise des tribunaux de révision et leur aspect juridique est négligeable.  Nous sommes par conséquent d’avis que le tribunal de révision doit faire montre de retenue à l’égard de la conclusion concernant la question préliminaire de savoir si M. Suresh court un risque sérieux de torture, en tant qu’aspect de l’opinion générale formulée en vertu de l’al. 53(1)b). Le tribunal ne peut soupeser à nouveau les facteurs pris en compte par le ministre, mais il peut intervenir si la décision n’est pas étayée par la preuve ou si elle n’a pas été prise en tenant compte des facteurs pertinents. 

 

 

[88]           Me Matas affirme avec raison qu’une note diplomatique s’apparente davantage à un instrument de droit international qu’à un document relevant du droit interne. Dans son affidavit, l’expert John Holmes qualifie d’ailleurs la note dont il est question dans le cas qui nous occupe d’ [traduction] « engagement de nature politique d’un État envers un autre ». Cela étant dit, M. Holmes reconnaît qu’une note diplomatique n’a aucune force obligatoire en droit international et qu’elle traduit plutôt la volonté d’une partie de respecter un engagement déterminé.

 

[89]           Je ne connais aucune décision de justice qui traite expressément de la norme de contrôle applicable à l’interprétation d’un tel instrument. Dans l’extrait précité de l’arrêt Suresh, la Cour suprême semble s’être attachée davantage à la valeur à accorder à une note diplomatique qu’à son interprétation. Je conclus néanmoins que, du moins dans le cas qui nous occupe, l’interprétation des assurances données par les autorités chinoises est à ce point liée à l’interprétation du droit chinois qu’elle doive être considérée comme une question de fait au sujet de laquelle les conclusions tirées par l’agente d’ERAR méritent de notre part un degré élevé de retenue judiciaire.

 

[90]           Comme la note diplomatique revêt une importance capitale pour résoudre bon nombre des questions en litige dans la présente demande, je me permets de la reproduire intégralement avant d’aller plus loin :

[traduction]

 

NOTE NO 085/01 (datée du 2 mai 2001)

 

L’ambassade de la République populaire de Chine au Canada présente ses compliments au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international du Canada; elle a l’honneur de lui transmettre les renseignements suivants en réponse à la lettre du sous‑ministre adjoint datée du 27 avril :

Lai Changzing est le suspect principal dans l’affaire de contrebande d’envergure à Xiamen, province du Fujian, en Chine. Il s’est enfui au Canada lorsque l’affaire a été mise au jour. Son rapatriement en Chine pour que son procès soit instruit par les organes judiciaires chinois compétents revêt une importance capitale à la lumière des efforts que la Chine déploie pour lutter contre la corruption et la contrebande.

 

La Chine prend acte de la pratique judiciaire du Canada en ce qui concerne la peine de mort lorsqu’il est question de rapatrier un prévenu. À la lumière de cette situation, le gouvernement de la Chine s’engage à faire en sorte que le tribunal pénal chinois compétent ne condamne pas Lai Changxing à mort après son rapatriement en Chine pour tous les crimes qu’il peut avoir commis avant son rapatriement. La Cour populaire suprême, la plus haute instance judiciaire en Chine, a rendu une décision à cet égard et le tribunal pénal compétent saisi de l’affaire de contrebande et de corruption sera informé de cette décision et s’y conformera.

Conformément à la décision susmentionnée et à l’article 199 du Code de procédure pénale de la République populaire de Chine, qui précise que « les peines de mort sont soumises à l’approbation de la Cour populaire suprême », le tribunal pénal compétent ne le condamnera pas à mort et, même s’il le fait, la Cour populaire suprême ne confirmera pas le verdict; par conséquent, il ne sera en tout état de cause pas exécuté s’il est renvoyé en Chine.

 

Par ailleurs, la Chine est un État partie à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants des Nations Unies. En vertu de la législation chinoise pertinente, Lai ne sera pas assujetti à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants pendant l’enquête le visant et son procès après son rapatriement et, s’il est condamné, pendant son incarcération.

 

Zeng Mingna, l’épouse de Lai, est aussi soupçonnée dans cette affaire de contrebande. Elle s’est enfuie au Canada avec Lai. Les engagements susmentionnés s’appliqueront aussi à Zeng si elle est rapatriée en Chine.

L’ambassade de la République populaire de Chine saisit cette occasion pour renouveler au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international du Canada l’assurance de sa plus haute considération.

 

[91]           Je vais, dans la section suivante des présents motifs, aborder la question de la valeur à accorder à cette note et celle de la probabilité que les autorités chinoises reviennent sur leurs assurances si les Lai devaient retourner en Chine. Bien qu’on puisse prétendre que cet argument est utile tant pour évaluer la menace à la vie que pour se prononcer sur le risque de torture, j’estime qu’il concerne davantage ce dernier, pour les motifs que j’exposerai plus loin. L’argument auquel je veux m’attaquer maintenant est l’affirmation des Lai suivant laquelle la note n’englobe pas le cas des condamnations à mort avec sursis. Ils soutiennent qu’ils risquent d’être exécutés après avoir été condamnés à mort avec sursis s’ils n’avouent pas les crimes pour lesquels ils clament leur innocence.

 

[92]           L’agente d’ERAR a constaté que la note excluait la condamnation à mort (motifs de l’agente d’ERAR, à la page 36). Elle a également conclu qu’aucun des demandeurs ne serait exposé à la peine de mort ou à une condamnation à mort avec sursis (motifs de l’agente d’ERAR, à la page 35). Elle a estimé que la formulation était claire et qu’elle ne permettait pas aux autorités chinoises de condamner les Lai à la peine capitale avec sursis, pour ensuite les exécuter parce qu’ils n’auraient pas avoué leurs crimes (motifs de l’agente d’ERAR, à la page 39). Elle a écrit que prétendre que la note laisse aux autorités la latitude nécessaire pour condamner les Lai à la peine de mort en reportant l’exécution de deux ans relève de la pure conjecture.

 

[93]           Les Lai reprochent à l’agente d’ERAR d’avoir abordé la question sous l’angle de la preuve plutôt que de la formuler comme une question d’interprétation. J’estime toutefois que l’interprétation préconisée par les demandeurs conduirait à une lecture injuste de la décision de l’agente. Elle affirme effectivement qu’il n’y a aucun élément de preuve permettant de penser que les autorités chinoises n’ont pas fait preuve de transparence ou qu’elles se sont délibérément réservé la latitude nécessaire pour infliger une peine de mort conditionnelle. Il ressort toutefois d’une lecture attentive de ses motifs, pris globalement, que l’agente était également consciente du libellé du Code pénal de la République populaire de Chine. D’ailleurs, les témoins chinois ont abondamment traité de cette question devant la Commission.

 

[94]           Les assurances données au sujet de la peine de mort précisent que la Cour populaire suprême a décidé de ne pas condamner l’un ou l’autre des demandeurs à mort [traduction] « pour tous les crimes qu’il peut avoir commis avant son rapatriement ». Pour donner suite à ces assurances, la Cour populaire suprême s’engage, dans un premier temps, à informer les tribunaux inférieurs de cette décision de ne pas condamner les Lai à mort pour les crimes qui leur sont reprochés.

 

[95]           Dans un deuxième temps, la Cour populaire suprême s’engage à ne pas confirmer le verdict de tout tribunal pénal inférieur compétent qui prononcerait une condamnation à mort. Ce pouvoir est prévu à l’article 199 du Code de procédure pénale de la République populaire de Chine, qui précise que [traduction] « les peines de mort sont soumises à l’approbation de la Cour populaire suprême ».

 

[96]           Les Lai font valoir que c’est la Cour populaire supérieure, et non la Cour populaire suprême qui, en vertu de l’article 201, est chargée de réviser les peines de mort conditionnelles ou les condamnations à mort avec sursis. Ils soutiennent que, comme les assurances données en l’espèce au sujet de la peine de mort ne mentionnent que l’article 199, elles ne s’appliquent pas aux peines de mort conditionnelles ou aux condamnations à mort avec sursis. Pour que les assurances aient une telle portée, il aurait fallu que le gouvernement chinois demande et obtienne une décision à la fois de la Cour populaire supérieure et de la Cour populaire suprême. Il aurait également fallu que les assurances mentionnent à la fois l’article 201 et l’article 199. Les Lai expliquent, pour cette raison, qu’ils pourraient être exécutés s’ils refusent de passer aux aveux ou d’impliquer des gens pour répondre aux souhaits du gouvernement chinois, parce que celui-ci considérerait ces agissements comme un crime commis après le rapatriement. La note ne parle que des crimes commis après le rapatriement.

 

[97]           En plus d’être peu sincère et d’être mal fondé, cet argument va à l’encontre de l’article 50 du Code pénal de la République populaire de Chine et de l’article 210 du Code de procédure pénale de la République populaire de Chine, qui sont ainsi libellés :

[traduction]

 

Article 50

 

Quiconque est condamné à mort avec sursis et ne commet aucun crime intentionnel au cours de sa période de sursis bénéficie, à l’expiration d’une période de deux ans, d’une commutation de sa peine en peine d’emprisonnement à perpétuité; s’il a véritablement accompli un service méritoire important, sa peine est commuée, à l’expiration de la période de deux ans, en une peine d’emprisonnement d’une durée déterminée minimale de 15 ans et maximale de 20 ans; si l’on constate qu’il a commis un crime intentionnel, la peine de mort est exécutée après vérification et approbation de la Cour populaire suprême.

 

Article 210

 

En cas de prononcé ou d’approbation, par la Cour populaire suprême, d’une condamnation à mort à exécution immédiate, le président de la Cour populaire suprême signe et rend une ordonnance d’exécution de la peine de mort.

 

Si un criminel est condamné à mort avec un sursis de deux ans et ne commet aucun délit intentionnel au cours de sa période de sursis et que sa peine est de ce fait commuée conformément à la loi à l’expiration de cette période, l’organe chargé de l’exécution doit soumettre une recommandation par écrit à la Cour populaire supérieure en vue d’obtenir une ordonnance; si, d’après les éléments de preuve vérifiés, le criminel a commis un délit intentionnel, et que sa peine de mort doit par conséquent être exécutée, la Cour populaire supérieure doit déférer le cas à la Cour populaire suprême pour examen et approbation.

 

[98]            Il ressort à l’évidence de ces deux dispositions que la Cour populaire suprême doit approuver toutes les peines de mort, y compris les condamnations à mort conditionnelles qui doivent être exécutées. Cette procédure est expliquée, si besoin est, avec encore plus de précision dans l’avis no 177 du 26 novembre 2003 de la Cour populaire suprême à la Cour populaire supérieure que l’on trouve à l’annexe J de l’affidavit de Winnifred Liu. Qui plus est, une personne ne sera exécutée que si elle commet un crime intentionnel au cours de la période de son sursis. Sinon, la peine de mort est automatiquement commuée en peine d’emprisonnement. L’agente d’ERAR disposait d’éléments de preuve suivant lesquels la personne qui refuse de passer aux aveux ne commet pas un crime. La question est abordée dans la première partie de l’article 50, qui prévoit que celui qui accomplit un « service méritoire » verra sa peine commuée en peine d’emprisonnement à durée déterminée.

 

[99]           Il est vrai que l’article 199 est la seule disposition mentionnée dans la note diplomatique. Mais je ne vois pas comment on pourrait interpréter ce fait comme [traduction] « une preuve irréfutable que les assurances ne s’étendent pas à la peine de mort conditionnelle », pour reprendre les propos de Me  Matas. Je ne perçois pas cet instrument comme un code de droit pénal ou de procédure criminelle exhaustif. Mais surtout, j’estime qu’une interprétation juste de la note, prise dans son ensemble, ainsi que de sa genèse, démontre clairement que les autorités chinoises voulaient rassurer le gouvernement canadien que les Lai ne seraient dans aucun cas mis à mort pour tout crime commis après leur rapatriement. Il n’y a aucune autre façon d’interpréter le troisième paragraphe de la note diplomatique et son allusion à la pratique des tribunaux canadiens en ce qui concerne la peine de mort. Il n’était donc pas manifestement déraisonnable de la part de l’agente d’ERAR de conclure qu’il n’y avait rien de « sinistre » ou de « suspect » dans la façon dont étaient formulées les assurances données au sujet de la peine de mort.

 

[100]       Quant à l’argument valant que condamner les demandeurs à la peine de mort sous condition constitue en soi une peine cruelle et inusitée et ce, même si les demandeurs ne sont pas exécutés, il y a lieu de faire certaines précisions. Tout d’abord, on ne saurait reprocher à l’agente de ne pas avoir tenu compte d’arguments qui ne lui ont pas été présentés (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Varga, 2006 CAF 394, au paragraphe 17). En second lieu, l’agente d’ERAR ne s’est jamais penchée sur la question de savoir si l’infliction d’une peine de mort conditionnelle équivaudrait à une menace à la vie, à de la torture ou à un traitement ou une peine cruels et inusités parce qu’elle conclut que la note ne permettait pas aux autorités chinoises de condamner à la peine de mort avec sursis. Elle aurait pu fonder cette conclusion en procédant à une analyse juridique en s’inspirant des paragraphes qui précèdent. Toutefois, les éléments de preuve qui appuient une telle analyse lui ont été soumis et c’est probablement la raison pour laquelle elle a estimé qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour pouvoir conclure que la note était suspecte et permettait aux autorités chinoises d’infliger une peine de mort conditionnelle (motifs de l’agente d’ERAR, à la page 39). Troisièmement, il n’y a aucune possibilité que les Lai souffrent du « syndrome du couloir de la mort » ou d’un quelconque traumatisme psychologique associé à l’attente d’une exécution qui pourrait ou non arriver, dès lors que l’on accepte que les assurances données excluent toute probabilité que la peine de mort soit exécutée. Pour tous ces motifs, la conclusion tirée par l’agente sur cet argument et, de façon plus générale, au sujet des assurances données en ce qui concerne la peine de mort, ne devrait pas être modifiée et ne saurait être qualifiée de conclusion manifestement déraisonnable.

 

d) et e)  Les assurances relatives à la torture

[101]       Les demandeurs ont soulevé deux questions en ce qui concerne les assurances données au sujet de la torture. La première question est essentiellement la même que celle qu’a certifiée le juge MacKay. La Cour d’appel fédérale a toutefois refusé de répondre à cette question, estimant qu’elle n’aurait aucune incidence pratique sur la question de savoir si les Lai étaient des réfugiés au sens de la Convention et s’ils étaient, par le fait même, visés par la LIPR. Les Lai demandent essentiellement à notre Cour de décider si un agent doit évaluer séparément les assurances données au sujet de la peine de mort et celles données au sujet de la torture. Doit-on procéder à une évaluation distincte lorsque, suivant la preuve, il existe un recours généralisé à la torture ou des éléments de preuve tendant à démontrer qu’on recourt à la torture dans des cas semblables? La Cour d’appel fédérale a refusé de répondre à cette question. Elle a toutefois signalé expressément que la question pouvait être analysée à l’étape de l’ERAR. La juge Layden-Stevenson a par la suite estimé qu’il s’agissait d’une question sérieuse lorsqu’il s’agit de statuer sur la demande de sursis de la mesure de renvoi dont les demandeurs font l’objet.

[102]       La seconde question que soulèvent les assurances données au sujet de la torture concerne leur fiabilité. Plus particulièrement, les Lai affirment que, pour être efficaces, les assurances exigeraient une surveillance ainsi que d’autres mécanismes pour qu’on puisse vérifier si l’État en question a respecté ses engagements. Les Lai affirment par conséquent que l’agente d’ERAR a commis une erreur en s’attardant à la notoriété de leur cas sans se demander si et comment la torture pouvait être portée à l’attention du public, et comment leur notoriété pouvait les protéger si la torture ou les mauvais traitements n’étaient jamais découverts. J’examinerai ces deux questions dans la même section des présents motifs, car elles sont étroitement liées.

 

[103]       Il convient en tout premier lieu de déterminer la norme de contrôle applicable. Comme on pouvait s’y attendre, les Lai sont d’avis que ces deux questions donnent lieu à l’application de la norme de la décision correcte en raison de leur caractère général. La première question nous oblige à expliciter le raisonnement suivi par la Cour suprême dans l’arrêt Suresh, précité, sur la question des assurances diplomatiques. Les Lai affirment que la seconde question est accessoire à la première et s’interrogent sur la nature de cette évaluation séparée, en supposant qu’il faille évaluer séparément les assurances données au sujet de la peine de mort et celles données au sujet de la torture.

 

[104]       Le ministre, en revanche, soutient que l’évaluation de la fiabilité des assurances est une question de fait à contrôler selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. Compte tenu de la conclusion de l’agente d’ERAR, qui a estimé que les assurances étaient fiables pour toutes les raisons exposées dans sa décision, il n’était pas manifestement déraisonnable de sa part de conclure que l’absence de mécanisme de surveillance ne compromettait pas la fiabilité des assurances. Sur la question de l’évaluation séparée, le ministre soutient que cette question ne se pose tout simplement pas, premièrement parce que cette évaluation est toujours exigée et, en second lieu, parce que c’est précisément ce que l’agente a fait en l’espèce.

 

[105]       Il n’y a aucun doute dans mon esprit que l’évaluation de la fiabilité des assurances diplomatiques est une question de fait qui est assujettie à la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable. Elle s’inscrit dans le cadre de l’évaluation de la question à savoir si le demandeur d’asile débouté serait exposé à l’avenir à un risque élevé de torture s’il était renvoyé dans son pays d’origine. Tant dans l’arrêt Ahani, précité, que dans l’arrêt Suresh, précité, la Cour suprême l’a d’ailleurs bien précisé. Saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre sur la question de savoir si M. Suresh courrait un risque sérieux de torture en cas d’expulsion, la Cour écrit que la réponse à cette question dépend en grande partie des faits et que l’« aspect juridique est négligeable » (Suresh, précité, au paragraphe 39). La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a repris à son compte cette analyse dans l’arrêt Thailand c. Saxena, 2006 BCCA 98, aux paragraphes 47 et 48, tout comme notre Cour, dans le jugement Mahjoub c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1503, au paragraphe 11.

 

[106]       Considérant ce qui précède, les tentatives faites par les demandeurs en vue de présenter la question de la surveillance comme une question de droit sont vouées à l’échec. Enfin de compte, la question préliminaire à se poser est celle de savoir si les Lai courent un risque sérieux d’être torturés ou soumis à de mauvais traitements en Chine. Pour répondre à cette question, l’agente d’ERAR devait tenir compte d’un certain nombre de facteurs. La note diplomatique ne représentait qu’un de ces facteurs, bien qu’il faille reconnaître, comme nous le verrons, qu’elle constituait un facteur critique. La présence ou l’absence de mécanisme de surveillance était en soi un des indices servant à évaluer la fiabilité des assurances données. En concluant que l’absence de mécanisme de surveillance n’était pas déterminante, l’agente d’ERAR a formulé une conclusion de fait.

 

[107]       Bien sûr, on peut considérer qu’en tirant une telle conclusion, l’agente d’ERAR a implicitement nié qu’une sorte de surveillance est toujours exigée pour qu’une assurance soit fiable. Comme nous le verrons sous peu, des opinions ont été récemment exprimées au sujet de la bonne utilisation des assurances diplomatiques données au sujet de la torture et de ce qu’elles devraient englober. Dans ses motifs, l’agente d’ERAR a effectivement cité diverses propositions et déclarations faites par des organismes non gouvernementaux, des militants des droits de la personne et des organismes spécialisés des Nations Unies. Mais, jusqu’ici, aucune de ces opinions ne s’est cristallisée en droit international. La formulation qui se rapproche le plus d’une norme internationale est le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui a été adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies, le 18 décembre 2002. Bien qu’il soit entré en vigueur le 22 juin 2006, il n’a été ratifié ni par le Canada ni par la République populaire de Chine. Et je ne dispose d’aucun élément de preuve qui tende à démontrer qu’il fait désormais partie du droit international coutumier.

 

[108]       En tout état de cause, l’agente d’ERAR n’a pas discuté de cette question plus large, se bornant à analyser la présente note diplomatique. En réponse à l’argument des demandeurs sur ce point, voici ce qu’elle écrit à la page 35 de sa décision :

[traduction] Je ne suis pas d’accord pour dire que l’absence de mécanisme permettant de vérifier si le gouvernement chinois a respecté les modalités de la note doit être interprétée comme enlevant toute fiabilité à la note elle-même. Compte tenu de la nature et de la forme des assurances diplomatiques, de la correspondance échangée entre les représentants canadiens et les représentants chinois pour définir les modalités des assurances en question et de l’identité des demandeurs, je n’accepte pas l’argument de l’avocat suivant lequel je devrais écarter les assurances diplomatiques en question au motif que leur respect ne peut être garanti si elles ne sont pas assorties d’une sorte de sanction diplomatique ou d’un mécanisme permettant d’en vérifier le respect.

 

[109]       Ce passage démontre que la décision de l’agente sur cette question précise était entièrement tributaire des faits et qu’elle n’était pas censée avoir valeur de précédent. Pour reprendre la formule employée par la Cour suprême, la décision d’ERAR, du moins sur cette question, « n’est pas déterminante pour des causes futures, et son utilité se limitera à fournir un élément de comparaison » (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 41). Pour tous ces motifs, je ne suis pas disposé à tenir pour acquis qu’il y a lieu d’appliquer la norme de la décision correcte aux conclusions de l’agente d’ERAR suivant lesquelles il est improbable que les demandeurs soient exposés au risque d’être torturés ou soumis à de mauvais traitements et suivant lesquelles les assurances sont fiables.

 

[110]       Enfin, il me suffira de dire quelques mots au sujet de l’obligation de procéder à ce qu’on est convenu d’appeler l’exigence d’évaluation « séparée ». Une lecture attentive de l’arrêt Suresh, précité, m’amène à la conclusion que la Cour suprême n’a jamais envisagé que des assurances devaient impérativement être évaluées de façon indépendante et soumises à certaines conditions. La Cour a invité le ministre à être conscient de la distinction qu’il y a lieu de faire entre les assurances portant sur la peine de mort et celles portant sur la torture, et elle a souligné le problème que crée le fait de trop se fier aux assurances relatives à la torture qui sont données par des pays qui se sont livrés à de la torture dans le passé. La Cour a ensuite suggéré certains facteurs dont le ministre pourrait tenir compte pour évaluer avec prudence les assurances données par un État qu’il n’aura pas recours à la torture. Il n’y a absolument rien qui justifie de faire preuve de prudence uniquement dans les cas où les victimes de la torture seraient des personnes se trouvant dans la même situation. Au contraire, au paragraphe 124, la Cour souligne « le problème que crée le fait d’accorder trop de poids à l’assurance donnée par un État qu’il n’aura pas recours à la torture à l’avenir, alors que par le passé il s’y est livré illégalement ou a permis que d’autres s’y livrent sur son territoire » [non souligné dans l’original].

 

[111]       Quoi qu’il en soit, la question est théorique dans le cas qui nous occupe, car l’agente d’ERAR a effectivement évalué séparément les assurances données au sujet de la torture. Non seulement l’affirme-t-elle explicitement à la page 20 de sa décision, mais la teneur de ses motifs confirme cette affirmation. Après avoir reproduit des extraits de l’arrêt Suresh, précité, elle examine le communiqué de presse publié le 2 décembre 2005 dans lequel il était question de la récente visite en Chine du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture (motifs de l’agente d’ERAR, aux pages 16 et 17). Elle examine des articles portant sur la situation générale en Chine, ainsi que des rapports sur la torture en Chine et sur les tentatives faites par le gouvernement pour s’attaquer au problème (motifs de l’agente d’ERAR, aux pages 17, 18 et 20). Elle examine également les témoignages de procureurs, d’avocats de la défense et de personnes reconnues coupables dans les affaires du réseau de contrebande de Xiamen suivant lesquels les déclarations faites par les accusés ne leur avaient pas été soutirées sous la contrainte ou la torture (motifs de l’agente d’ERAR, à la page 19). Elle écrit qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve probants pour démontrer que les enquêteurs de l’équipe 4-20 ont maltraité les suspects, et elle ajoute qu’il y a peu d’éléments de preuve pour appuyer la thèse que les deux décès survenus en prison pouvaient être attribués à de mauvais traitements ou à de la torture (motifs de l’agente d’ERAR, aux pages 18 et 19). Enfin, elle se fonde sur l’avis des experts Charles Burton et Jerome Cohen suivant lesquels la Chine respectera les assurances données parce que, partout dans le monde, les gens surveilleront de près cette affaire. Les experts en concluent que la Chine ne tolérera aucune erreur de la part de ses policiers subalternes ou des autres fonctionnaires dans le traitement qu’ils réserveront aux Lai (motifs de l’agente d’ERAR, à la page 20).

 

[112]       Il est vrai, bien sûr, que l’agente a mentionné divers facteurs qui se chevauchent pour évaluer les assurances données au sujet de la peine de mort et celles données au sujet de la torture. Ainsi, elle a conclu que la Chine est en mesure de contrôler les agissements de ses fonctionnaires, de sorte que les demandeurs ne seraient pas exposés à une menace à leur vie ou au risque d’être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels et inusités (motifs de l’agente d’ERAR, à la page 35). Elle s’est également fondée sur les éléments suivants :

·        Les déclarations des témoins entendus devant la Commission (motifs de l’agente d’ERAR, à la page 10);

·        Le fait que c’est la Chine qui a pris l’initiative d’entamer des pourparlers diplomatiques avec le gouvernement canadien pour ensuite répondre aux demandes d’éclaircissements du Canada (motifs de l’agente d’ERAR, à la page 35);

·        L’absence d’éléments de preuve tendant à démontrer que la Chine est revenue sur ses engagements diplomatiques antérieurs (motifs de l’agente d’ERAR, aux pages 16, 37);

·        L’absence d’éléments de preuve tendant à démontrer que la Chine ne respectera pas ses promesses en l’espèce (motifs de l’agente d’ERAR, à la page 14).

Au bout du compte, elle a également conclu que les assurances données, tant en ce qui concerne la torture que la peine de mort, étaient fiables pour la même raison, en l’occurrence, la notoriété dont jouissaient les demandeurs. Comme je vais tenter de le démontrer, cette conclusion est erronée dans le cas des assurances données au sujet de la torture. Je tiens toutefois à préciser que l’erreur dont peut être entachée la décision de l’agente n’est pas attribuable à son défaut d’évaluer séparément les assurances concernant la torture.

 

[113]       Compte tenu des considérations qui précèdent, je vais donc procéder au contrôle de la décision de l’agente d’ERAR en fonction de la norme de la décision manifestement déraisonnable. Il est bien connu que cette norme commande un degré élevé de retenue judiciaire de la part du tribunal saisi de la demande de contrôle judiciaire, étant donné que la décision manifestement déraisonnable a été qualifiée de décision « clairement irrationnelle » ou « de toute évidence non conforme à la raison » (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, précité, au paragraphe 52).

 

[114]       Je passe maintenant à l’analyse du risque de torture à laquelle a procédé l’agente en l’espèce. Il peut être utile de commencer par reproduire les dispositions pertinentes du guide d’ERAR portant sur la procédure à suivre pour procéder à cette évaluation :

10.12 La menace de torture

 

La norme qui gouverne la demande basée sur le risque de torture est définie dans la loi comme la croyance que celui-ci existe et est fondé sur des motifs sérieux […] Des documents et des faits objectifs doivent démontrer une probabilité de menace pour le demandeur s’il est retourné dans son pays d’origine.

 

10.13 Procéder à un examen objectif d’une menace de torture

 

L’examen visant à déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire que le demandeur serait personnellement exposé à la menace de torture doit se faire sur une base objective. Il n’y a aucune exigence pour établir une crainte subjective. Cependant, le danger doit être inhérent à la personne. Tout comme dans la Convention relative au statut des réfugiés, l’examen peut porter sur des faits antérieurs mais axés sur l’avenir : la question à déterminer est de savoir si les faits relatés par le demandeur, ainsi que tous les autres éléments de preuve, incluant les conditions afférentes au pays au moment de la décision, démontrent que le demandeur serait exposé à la torture s’il était retourné dans son pays.

 

 

[115]       Le guide d’ERAR fournit quelques indications aux agents en ce qui concerne la procédure à suivre pour évaluer les menaces ou risques objectifs à la vie ainsi que les peines ou traitements cruels et inusités :

10.20 L’examen de la menace ou du risque objectif à la vie ou de peines ou traitements cruels et inusités

L’examen servant à déterminer s’il existe des motifs importants de croire que le demandeur serait personnellement exposé à une menace à sa vie ou au risque de peines ou de traitements cruels et inusités se fait sur une base objective. Le risque doit être inhérent à la personne. L’examen peut porter sur des faits passés mais est axé sur l’avenir : la question à déterminer est de savoir si les faits relatés par le demandeur, ainsi que tous les autres éléments de preuve, incluant les conditions afférentes au pays au moment de la décision, démontrent que le demandeur serait exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, s’il était renvoyé dans son pays d’origine.

[…]

Il y a lieu d’examiner tous les facteurs pertinents comme la situation générale du pays et la preuve d’atteintes répétées, graves, flagrantes et multiples aux droits humains par l’État visé, si le cas s’applique.

 

[116]       Dans leur demande d’ERAR, les Lai soutiennent qu’ils seront exposés à la torture et/ou à des traitements cruels et inusités en Chine parce que d’autres individus impliqués dans l’affaire Yuan Hua ont été torturés et forcés de passer aux aveux, que les membres de leur famille ont été soumis à de mauvais traitements, que des membres du Falun Gong et des défenseurs des droits de la personne sont torturés en Chine et, enfin, en raison des antécédents généraux de la Chine en matière de respect des droits de la personne. L’agente a examiné à tour de rôle ces prétentions et a estimé que la preuve ne la convainquait pas que les Lai seraient exposés à l’avenir à un risque de torture ou à de mauvais traitements. Elle a notamment conclu ce qui suit :

-       [traduction]

-       Il n’y a pas d’éléments de preuve objectifs permettant d’établir un lien entre les mystérieux décès en prison du frère et du comptable de M. Lai et le risque auquel l’un ou l’autre des demandeurs serait exposé à l’avenir. Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve tendant à démontrer que des hommes étaient torturés. Et il n’y a pas d’éléments de preuve suivant lesquels quelqu’un avait demandé – et s’était vu refuser – une autopsie au sujet de ces décès (motifs de l’agente d’ERAR, à la page 18);

-       Les jugements des tribunaux chinois déposés en preuve ne constituent pas des éléments de preuve probants que les personnes impliquées dans les affaires de Yuan Hua ont fait l’objet de coercition ou de mauvais traitements (motifs de l’agente d’ERAR, à la page 39);

-       Malgré les tentatives faites par l’avocat pour dénoncer tout le système judiciaire chinois, les faits spécifiques de la présente affaire ne permettent pas de penser que les personnes qui ont été accusées dans le cadre de l’affaire de la contrebande de Yuan Hua n’ont pas bénéficié d’une application régulière de la loi et d’un procès équitable. Il n’y a aucune preuve probante qui permette de penser que les individus qui ont été reconnus coupables dans le cadre de l’affaire de contrebande de Yuan Hua ont été injustement condamnés, qu’ils n’ont pas eu droit à un avocat ou qu’ils ont fait des aveux sous la contrainte (motifs de l’agente d’ERAR, page 41)

-       Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que les déclarations obtenues dans le cadre de l’enquête 4-20 ont été obtenus sous la contrainte, bien que l’agente reconnaisse que les fonctionnaires n’admettraient pas avoir agi de la sorte si tel était le cas (motifs de l’agente d’ERAR, à la page 19);

-       Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que le gouvernement chinois cherche à incriminer les demandeurs au moyen d’éléments de preuve obtenus illégalement par la contrainte, de mauvais traitements et la torture (motifs de l’agente d’ERAR, à la page 38);

-       La présumée rétractation de Tao Mi a peu de poids, parce que sa déclaration n’est pas signée. De plus, il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve directs pour corroborer que Tao Mi a été torturée par les autorités chinoises (motifs de l’agente d’ERAR, aux pages 29 et 30);

-       La déclaration non signée qu’aurait dictée Tao Mi ne constitue pas une preuve probante que les demandeurs seraient exposés à un risque à l’avenir (motifs de l’agente d’ERAR, à la page 41).

 

[117]       Il vaut également la peine de noter que la Commission avait examiné les mêmes éléments de preuve en ce qui concerne la façon dont les autorités chinoises avaient traité les autres personnes faisant partie des sociétés de Yuan Hua, y compris Tao Mi. La Commission a également conclu que ces personnes n’avaient pas été torturées. Bien que la Commission ait accepté que les détenus sont soumis à de mauvais traitements en Chine, les Lai n’ont pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils ont été soumis à de mauvais traitements en ce qui concerne les aveux ou les déclarations obtenus par les enquêteurs de l’équipe 4-20 (dossier du Tribunal, vol. 7, pages 2048, 2143 et 2144).

 

[118]       Ainsi, bien que les Lai continuent à soutenir qu’il existe des éléments de preuve tendant à démontrer que d’autres personnes faisant partie des sociétés de Yuan Hua ont été torturées et soumises à de mauvais traitements, il n’en demeure pas moins que l’agente a conclu qu’il n’existait pas de sérieuse probabilité que les Lai soient torturés ou soumis à de mauvais traitements s’ils retournaient en Chine. Toute cette série de griefs repose sur la valeur que l’agente a accordée aux éléments de preuve, lesquels sont assujettis à la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable.

 

[119]       L’agente d’ERAR disposait effectivement d’abondants éléments de preuve qui avaient également été portés à la connaissance de la Commission, et elle a effectivement cité ces éléments de preuve dans ses motifs (motifs de l’agente d’ERAR, aux pages 18 et 19). Par exemple, Me Zhao Bing Zhi, l’avocat de la défense qui représentait deux des accusés dans l’affaire du réseau de contrebande de Yuan Hua, a passé deux jours devant la Commission. Il a expliqué que ses clients ne montraient aucun signe de mauvais traitements physiques. La Commission a estimé que Me  Zhao était un témoin crédible. L’enquêteur principal de l’équipe chargée de faire enquête sur le réseau de contrebande de cigarettes, Wu Jian Ping, a également témoigné en personne devant la Commission pendant quatre jours. Il a personnellement recueilli certaines déclarations et supervisait les autres enquêteurs qui recueillaient des déclarations. Il a témoigné que lui et ses trente enquêteurs avaient mené les interrogatoires conformément à la loi et qu’ils n’avaient soumis à de mauvais traitements aucun des individus interrogés. La Commission a accepté le témoignage de M. Wu sur ce point et a estimé qu’il était un témoin crédible. Me Wang Zhong Hua, le procureur en chef chinois dans le procès instruit contre M. Li, a lui aussi témoigné devant la Commission pendant deux jours. Il a affirmé qu’aucune des déclarations de M. Li n’avait été obtenue au moyen de mauvais traitements. La Commission l’a lui aussi jugé crédible. Enfin, la Commission a entendu le témoignage de Me Li Yong Jun, le procureur principal chinois d’une équipe de huit procureurs qui avaient poursuivi 19 personnes impliquées dans les activités de contrebande et de corruption de Yuan Hua. Il a témoigné devant la Commission pendant cinq jours et a été jugé crédible. La Commission n’a rien décelé dans son témoignage qui lui aurait permis de penser qu’il aurait participé aux mauvais traitements qu’auraient subis les personnes poursuivies par son équipe.

 

[120]       Un fonctionnaire canadien de l’immigration a également interrogé M. Li et son frère, Lai Shui Qiang. Les bandes vidéos et la transcription de ces entrevues ont été déposées en preuve. Dans les vidéos, les deux hommes jurent de dire la vérité à l’agent d’immigration et affirment que les déclarations qu’ils ont faites aux autorités chinoises étaient volontaires. Ils ajoutent qu’ils n’ont été soumis à aucune pression physique ou mentale lorsqu’ils ont fait leurs déclarations et précisent qu’on leur a donné la possibilité de les revoir et de les corriger avant de les signer.

 

[121]       Je suis sensible à l’argument des Lai suivant lequel il est peu probable que les victimes de torture se manifestent et déclarent ouvertement qu’elles ont été torturées si elles sont toujours assujetties au contrôle des autorités de l’État. Par ailleurs, on ne doit pas émettre d’hypothèses sur ce qui aurait pu se produire ou inférer du dossier peu reluisant de la Chine dans ce domaine que la totalité ou une partie des personnes qui ont été reconnues coupables de contrebande dans l’affaire de Yuan Hua ont effectivement été torturées. Je répète que notre Cour ne peut apprécier de nouveau la preuve, à moins d’être convaincue que l’agente d’ERAR s’est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait (Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, alinéa 18.1(4)d)).

 

[122]       Les Lai font valoir que l’agente aurait dû conclure que les affidavits souscrits par Me Clive Ansley et par son assistante, et auxquels était jointe une déclaration non signée attribuée à Tao Mi, établissaient que des actes de torture avaient été commis. Au paragraphe 80 du présent jugement, j’ai écarté l’argument des demandeurs suivant lequel l’agente avait l’obligation de tenir une audience si elle remettait en question l’identité de la personne qui affirmait être Tao Mi. Mais l’agente est allée plus loin. En dépit des doutes qu’elle avait au sujet de l’auteur de la déclaration non signée, elle a néanmoins tenu compte de cette déclaration, concluant ce qui suit, à la page 41 de ses motifs :

[traduction] J’estime que la déclaration non signée qui aurait été dictée par Tao Mi [rétractant son témoignage précédent au sujet de ce qu’elle connaissait des activités de contrebande de Lai Cheong Sing et de Tsang Ming Na et relatant la façon dont les autorités chinoises l’avaient traitée et qui, aux dires de son avocat, équivaut à de la torture et à de mauvais traitements] n’est pas probante et qu’elle n’établit pas de façon déterminante les risques auxquels les demandeurs seraient exposés à l’avenir.

 

[123]       L’agente s’est également attardée à l’argument des Lai suivant lequel des membres du Falun Gong et des défenseurs des droits de la personne sont torturés et/ou soumis à de mauvais traitements en Chine et elle a conclu que les Lai ne se trouvaient pas dans la même situation parce qu’ils n’étaient ni des adeptes du Falun Gong ni des défenseurs des droits de la personne (motifs de l’agente d’ERAR, aux pages 28, 30, 39, 40 et 41).

 

[124]       L’agente a ensuite examiné l’affirmation des Lai suivant laquelle les autorités chinoises avaient infligé de mauvais traitements au père de Mme Tsang. Elle a conclu que les affidavits fondés sur des ouï-dire souscrits par la sœur de Mme Tsang, qui étaient les seuls éléments de preuve présentés à l’appui de cette affirmation, avaient une valeur probante limitée et n’établissaient pas que les demandeurs seraient exposés à un risque à l’avenir au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR (motifs de l’agente d’ERAR, à la page 28). Il vaut la peine de noter que les deux mêmes affidavits fondés sur des ouï-dire et souscrits par la sœur de Mme Tsang avaient été soumis à la Commission en 2001 et que Mme Tsang avait été contre-interrogée à leur sujet. Les éléments de preuve recueillis lors de ce contre-interrogatoire avaient également été portés à la connaissance de l’agente d’ERAR. La Commission a estimé que le témoignage de Mme Tsang et les affidavits de sa sœur se contredisaient et elle leur a accordé peu de poids (transcription, vol. 8, pages 2342 et 2343).

 

[125]       Comme je l’ai mentionné précédemment, les Lai reprochent à l’agente le peu de valeur que celle‑ci a accordée aux affidavits souscrits par la sœur de Mme Tsang, vraisemblablement parce qu’elle ne leur a pas accordé d’audience pour les expliquer. Le décideur n’est pas tenu d’accorder beaucoup de poids à un affidavit simplement parce que son auteur n’a pas été contre-interrogé (voir paragraphe 80 de la présente décision). Il n’était pas manifestement déraisonnable de la part de l’agente d’accorder une valeur probante limitée à des affidavits relatés non corroborés.

 

[126]       Comme je l’ai également déjà signalé, l’agente d’ERAR a pris acte d’un communiqué de presse relatant la visite effectuée en Chine par un Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture. Elle a fait remarquer que, suivant ce rapport, le recours à la torture en Chine est en baisse mais demeure répandu, et la Chine a pris des mesures concrètes pour le combattre. Le communiqué de presse signalait aussi l’absence de garanties procédurales essentielles nécessaires pour garantir l’efficacité de l’interdiction de recourir à la torture et précisait que l’on ne pouvait venir à bout du problème de la torture s’il n’existait pas une magistrature indépendante en Chine (motifs de l’agente d’ERAR, aux pages 16 et 17).

 

[127]       L’agente a également écrit, à la page 20 de sa décision, qu’elle avait tenu compte de rapports suivant lesquels on recourt toujours à la torture pour contraindre des suspects à passer aux aveux, sans toutefois approfondir le sujet (motifs de l’agente d’ERAR, à la page 20). Voici, à cet égard, un extrait du Rapport de 2005 du Département d’État des États-Unis sur la situation des droits de la personne [U.S. Department of State Country Report on Human Rights Practices], que l’agente avait également en mains :

[traduction] La loi interdit aux gardiens de prison de soutirer des aveux au moyen de la torture, de porter atteinte à la dignité des prisonniers ou de battre les prisonniers ou d’inciter d’autres personnes à le faire. Cependant, la police et d’autres intervenants de l’appareil de sécurité font appel à la torture et à des traitements dégradants lorsqu’ils ont affaire à des personnes sous garde ou des prisonniers. De hauts fonctionnaires reconnaissent que la torture et les aveux obtenus sous la contrainte constituent des problèmes chroniques, mais ils n’ont pas pris de mesures suffisantes pour y mettre fin. Suivant les déclarations crédibles de certains ex-détenus, les détenus sont soumis à des électrochocs, à l’isolement prolongé, à la détention secrète, à l’absence de contacts avec l’extérieur, à des passages à tabac, à l’imposition de fers et de chaînes et à d’autres formes de violence.

 

[…]

 

Au cours de l’année, la police a continué de recourir à la torture pour soutirer des aveux à des suspects, malgré les efforts déployés par le gouvernement pour résoudre le problème de la torture. Une campagne d’un an lancée par le Bureau du Procureur populaire suprême pour punir les fonctionnaires qui violent les droits de la personne notamment en soutirant des aveux par la torture, la détention illégale des prisonniers ou l’infliction de mauvais traitements à ceux-ci, a pris fin en mai. La campagne a mis au jour plus de 3 700 cas d’abus de pouvoir de la part des autorités.

 

[128]       C’est dans le contexte de ces conclusions qu’on doit examiner les assurances diplomatiques portant sur la torture et les mauvais traitements. Le ministre soutient que les assurances ont été demandées à titre de mesure de précaution et que la note diplomatique n’était qu’un élément de preuve parmi d’autres dont l’agente pouvait tenir compte pour évaluer les risques de torture ou de mauvais traitements. Suivant le ministre, le fait que le Canada a soulevé la question des assurances relatives à la torture lors des discussions sur les assurances portant sur la peine de mort ne démontre pas que les Lai courraient un risque sérieux si cette demande n’avait pas été faite. Il incombait donc toujours aux Lai de convaincre l’agente d’ERAR, au moyen de raisons objectives, qu’il serait plus probable qu’improbable qu’ils subissent de la torture ou de mauvais traitements en Chine. Le ministre affirme qu’ils ne se sont pas acquittés de ce fardeau. Il ajoute que, même si je devais conclure que l’agente a commis une erreur en concluant que les assurances données au sujet de la torture sont fiables, sa décision devrait être confirmée parce qu’il ne s’agit pas d’une conclusion déterminante.

 

[129]       Bien que cet argument puisse sembler séduisant de prime abord, je ne le trouve pas convaincant. Il ressort en effet de la structure du raisonnement de l’agente que celle-ci a mis en balance les éléments de preuve relatifs au recours généralisé à la torture en Chine avec les assurances qui avaient été données, concluant que les Lai ne seraient pas torturés, sur la foi de ces assurances. Voici ce qu’elle écrit, à la page 20 de sa décision :

[traduction ] J’ai évalué séparément les assurances données au sujet de la torture. Je tiens à signaler que l’examen d’une demande doit se faire en tenant compte des éléments de preuve documentaire portant sur la situation actuelle mais qu’il faut également les situer dans leur contexte. Les éléments de preuve dont je dispose font largement état du recours troublant à la torture par les fonctionnaires du ministère de la Sécurité publique, malgré le fait que la Chine soit un des signataires de la Convention contre la torture. En revanche, le Canada a obtenu des assurances suivant lesquelles les Lai ne seront pas condamnés à la peine de mort et ne seront pas soumis à la torture s’ils sont renvoyés en Chine. C’est sur cette toile de fond que l’on doit situer les renseignements de source publique portant sur le recours à la torture pour obtenir sous la contrainte des aveux de la part de suspects.

 

[130]       Je trouve également pertinente une bonne partie du résumé final de ses conclusions dans lequel l’agente s’attache aux assurances et à leur fiabilité en ce qui concerne la torture (motifs de l’agente d’ERAR, aux pages 34 à 38). Une lecture attentive de ce résumé révèle que l’agente a, de toute évidence, accordé beaucoup de poids aux assurances. Bien que j’aie déjà cité l’extrait suivant tiré de la page 35 de la décision de l’agente, je le reproduis une fois de plus par souci de commodité :

[traduction] L’avocat semble vouloir faire un lien entre son opinion au sujet des lacunes relevées dans le droit et la pratique chinois et son avis que la note diplomatique ne suffira pas pour protéger les demandeurs contre la peine de mort ou la torture. Après examen de la preuve, je conclus que le gouvernement est en mesure de garantir que la note diplomatique sera respectée dans son intégralité, en d’autres mots, qu’aucun des demandeurs ne risque d’être condamné à la peine de mort ou d’être exposé au risque d’être soumis à la torture ou à des traitements ou peines cruels et inusités. Je ne suis pas d’accord pour dire que l’absence de mécanisme permettant de vérifier si le gouvernement chinois a respecté les modalités de la note doit être interprétée comme enlevant toute fiabilité à la note elle-même. Compte tenu de la nature et de la forme des assurances diplomatiques, de la correspondance échangée entre les représentants canadiens et les représentants chinois pour définir les modalités des assurances en question et de l’identité des demandeurs, je n’accepte pas l’argument de l’avocat suivant lequel je devrais écarter les assurances diplomatiques en question au motif que leur respect ne peut être garanti si elles ne sont pas assorties d’une sorte de sanction diplomatique ou d’un mécanisme permettant d’en vérifier le respect.

 

[131]       Bref, l’argument du ministre ne correspond tout simplement pas à l’essence des motifs de l’agente d’ERAR. Accepter cet argument fausserait le raisonnement et les conclusions de l’agente. Les assurances ont de toute évidence joué un rôle déterminant dans l’évaluation qu’elle a faite des risques mentionnés à l’article 97 de la LIPR, et on ne m’a pas convaincu qu’elle en serait venue à la même conclusion s’il n’y avait pas eu de note diplomatique. En conséquence, je dois examiner attentivement ce qu’elle a dit au sujet de ces assurances pour décider si elle a commis une erreur ou non, car cela a de toute évidence influencé sa décision finale.

 

[132]       Or, qu’est-ce que l’agente avait à dire au sujet de la note diplomatique et des assurances qu’on y trouve? J’ai déjà résumé ses principales conclusions au paragraphe 38 de mes motifs. Il vaut toutefois la peine de souligner qu’elle était bien consciente des lacunes et des embûches inhérentes aux assurances diplomatiques, ainsi que des critiques et des mises en garde formulées par plusieurs organisations de défense des droits de la personne relativement à l’utilisation de ces notes. D’ailleurs, l’agente a entamé son analyse en citant un rapport de Human Rights Watch d’avril 2005 intitulé « Developments Regarding Diplomatic Assurances Since April 2004 » [Développements survenus depuis avril 2004 au sujet des assurances diplomatiques]. On trouve dans ce rapport une critique très sévère de la décision de la Commission dans l’affaire Lai (dossier du Tribunal, vol. 4, à la page 1071; motifs de l’agente d’ERAR, aux pages 9 et 10).

 

[133]       Mais l’aspect le plus important est le fait que, dans le résumé de ses conclusions, l’agente cite également un rapport conjoint publié par Amnestie Internationale, Human Rights Watch et la Commission internationale des juristes (le rapport conjoint). Le rapport conjoint invite les États membres du Conseil de l’Europe à rejeter toute proposition visant à établir des normes minimales relatives à l’usage d’assurances diplomatiques dans les transferts de personnes risquant la torture (« Reject rather than Regulate », 2 décembre 2005; dossier du Tribunal, vol. 1, pages 170-223). Suivant le rapport conjoint, les assurances diplomatiques ne constituent pas une protection efficace contre la torture. De plus, elles violent l’interdiction absolue de la torture et du renvoi forcé d’une personne vers un pays où il y a des raisons sérieuses de penser qu’elle risque d’être victime de tortures ou de mauvais traitements. L’agente mentionne également l’argument essentiel invoqué contre les assurances diplomatiques, en l’occurrence le fait qu’elles constituent en elles-mêmes une reconnaissance de l’existence d’un risque de torture dans le pays d’accueil et le fait qu’un pays signataire de la Convention contre la torture n’a aucune raison d’avoir à garantir que ces mauvais traitements ne seront pas exercés.

 

[134]       Tout en reconnaissant la force de ces arguments, l’agente a néanmoins estimé que ces considérations étaient contrebalancées par la publicité internationale entourant l’affaire des Lai. Elle écrit ce qui suit, aux pages 36 et 37 de sa décision :

[traduction] J’ai pris acte de la conclusion du rapport au sujet du manque inhérent de fiabilité de ces assurances en raison du fait qu’elles sont fondées sur la confiance en l’assurance donnée par le pays d’accueil, alors que rien ne justifierait cette confiance. J’estime que, bien que légitimes, ces considérations ne tiennent pas compte d’autres aspects pertinents, comme par exemple l’intérêt que les médias ont manifesté envers les demandeurs, le fait que c’est un représentant de la République populaire de Chine qui a été le premier à évoquer l’idée d’offrir des assurances qui ont par la suite pris la forme d’une note diplomatique, la divulgation tant au Canada qu’en Chine et à l’échelle planétaire de l’existence de ces assurances, et la situation et la position de la Chine elle-même dans le monde.

 

[…]

 

Je prends acte de l’affirmation de Human Rights Watch selon laquelle il existe des preuves abondantes tendant à démontrer l’inefficacité des assurances diplomatiques. Human Rights Watch reconnaît que l’usage consistant à demander des assurances diplomatiques concernant la torture et les mauvais traitements constitue un phénomène généralisé. Alors que Human Rights Watch se place du point de vue international pour justifier la campagne qu’il a lancée en vue d’inviter les États membres du Conseil de l’Europe à rejeter toute proposition visant à établir des normes relatives à l’usage d’assurances diplomatiques, mon analyse est axée sur la question de savoir si les demandeurs seraient exposés à des risques à l’avenir. La thèse des demandeurs est que l’existence des assurances diplomatiques ne leur fournit aucune protection adéquate contre ces risques. Malgré les arguments avancés par l’avocat sur ce point, j’estime que les éléments de preuve portés à ma connaissance ne sont pas suffisants pour me permettre de conclure que la République populaire de Chine est revenue sur les assurances qu’elle avait déjà données. Je conclus que, dans le cas qui nous occupe, pour les motifs déjà exposés, le gouvernement de la République populaire de Chine respectera les assurances contenues dans la note diplomatique.

 

 

[135]       Il est indéniable qu’au bout du compte, l’agente d’ERAR était influencée par son hypothèse que les Lai seraient protégés par leur propre notoriété. C’est d’ailleurs un thème qui revient constamment dans ses motifs. Et, à mon avis, c’est précisément sur ce point qu’elle s’est méprise. L’agente aurait pu, à juste titre, faire la distinction entre, d’une part, une campagne internationale visant à dissuader les États d’ajouter foi aux assurances diplomatiques, et, d’autre part, une évaluation personnalisée des risques de torture pour l’avenir dans un cas déterminé. Je suis également disposé à accepter, comme l’agente l’a fait implicitement, qu’à défaut de règles de droit internes ou internationales claires interdisant d’ajouter foi aux assurances diplomatiques, la décision consistant à demander et à obtenir de telles assurances dans un cas déterminé et de s’y fier pour évaluer les risques prévus à l’article 97 est une décision de principe qui échappe au pouvoir de contrôle des tribunaux. Je tiens toutefois à signaler qu’une telle façon de penser frise le

cynisme. Ainsi qu’il est dit dans le rapport conjoint susmentionné :

[traduction] […] créer des exceptions dans des cas particuliers en acceptant le recours à la torture dans le pays d’accueil revient à accepter la torture dans le cas d’autres personnes se trouvant dans une situation semblable dans le pays d’accueil. En d’autres termes, en réclamant la reconnaissance de la présumée légitimité de la torture dans le pays d’accueil, on s’approche dangereusement d’une acceptation, de la part du pays d’origine, des innombrables exactions qui accompagne nécessairement la torture.

 

[136]       Pourtant, l’agente a omis d’aborder deux graves lacunes que les demandeurs ont signalées en se fondant sur les mêmes rapports que ceux cités par l’agente dans sa décision. Premièrement, il semble que l’on s’accorde de plus en plus pour dire que l’on ne devrait pas demander d’assurances diplomatiques lorsque le recours à la torture est suffisamment systématique ou généralisé. Dans son rapport à l’Assemblée générale de l’ONU du 1er septembre 2004, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture rappelle que le principe du non-refoulement fait partie intégrante de l’interdiction générale, absolue et impérative de la torture et des autres formes de mauvais traitements. Signalant que, pour déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire qu’une personne risque d’être soumise à la torture, il faut tenir compte de toutes les considérations pertinentes, le Rapporteur spécial s’est dit d’avis que lorsqu’il existe, dans un pays, « un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives […] le principe de non-refoulement doit être strictement respecté et qu’il convient de ne pas recourir aux assurances diplomatiques » (Rapport soumis en application de la résolution 58/164 de l’Assemblée générale, Document de l’ONU A/59/324).

 

[137]       La logique qui sous-tend cette position est facile à saisir. Si un pays n’est pas disposé à respecter un instrument juridique supérieur qu’il a signé et ratifié − en l’occurrence la Convention des Nations Unies contre la torture −, pourquoi respecterait-il un instrument de moindre importance comme une note diplomatique, qui n’a aucune force obligatoire et qui n’est pas exécutoire en droit international? Aux pages 13 et 14 de leur rapport conjoint, Human Rights Watch, Amnestie Internationale et la Commission internationale des juristes développent leur pensée sur ce dilemme :

 

[traduction] Comme le mentionne le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a déclaré, à propos des assurances diplomatiques : « la faiblesse inhérente à cette pratique tient au fait que de telles assurances ne sont nécessaires que parce qu’il existe manifestement un risque constaté de tortures ou de mauvais traitements. La valeur de la signature d’un « accord » ou de l’acceptation des « assurances » données par un État qui ne respecte même pas des accords multilatéraux juridiquement contraignants qui interdisent la torture et les autres mauvais traitements est nécessairement faible. Les assurances diplomatiques ne sont que de simples répétitions − en fait, un faible écho − des obligations internationales que les États d’accueil se sont déjà engagés à respecter, notamment par traité, mais qu’ils ont violées dans le passé.

 

S’appuyer sur des accords bilatéraux non contraignants comme les assurances diplomatiques pour assurer le respect d’obligations juridiquement obligatoires met à mal la crédibilité et l’intégrité des normes juridiques universelles et de leur système de mise en application, ce qui est particulièrement le cas lorsqu’il s’agit d’un pays qui refuse systématiquement tout recours aux mécanismes internationaux déjà existants.

 

[138]       L’agente d’ERAR a reconnu que de nombreux rapports confirmaient que le recours à la torture est encore répandu en Chine. Elle a admis, à la page 20 de sa décision, que la preuve témoignait de [traduction] « l’existence troublante » de la torture en Chine, malgré le fait que celle-ci soit un des pays signataires de la Convention des Nations Unies contre la torture. L’agente d’ERAR ne s’est toutefois pas demandée s’il y avait lieu d’ajouter foi aux assurances diplomatiques données par le gouvernement chinois. Elle ne s’est tout simplement pas livrée à cette analyse. Après avoir examiné la situation générale qui existe en Chine en ce qui concerne la torture, elle est passée à l’examen du cas particulier des Lai sans jamais décider s’il convenait de le faire, compte tenu de la situation générale. Je suis d’accord avec les Lai pour dire que cette façon de procéder était, en soi, manifestement déraisonnable.

 

[139]       Mais il y a plus. Même dans les cas où il n’y a pas de répétition systématique d’actes de torture, mais où il existe un risque de torture ou d’autres formes de mauvais traitements dans un cas individuel, une assurance devrait à tout le moins répondre à certaines exigences pour être efficace et avoir un sens. Contrairement à la peine de mort, qui est habituellement exécutée au grand jour et qu’il est facile de vérifier, la torture est pratiquée en secret et les États où elle a lieu nient son existence. D’ailleurs, ceux qui se livrent à de telles pratiques sont habituellement passés maîtres dans l’art d’empêcher toute manifestation visible de leurs exactions et de s’assurer, par la menace, que les victimes ne portent jamais plainte. Ainsi que les trois organisations non gouvernementales susmentionnées l’écrivent, à la page 12 du rapport conjoint :

 

[traduction] Il est bien connu qu’il est très difficile de savoir s’il y a eu infliction de torture ou d’autres formes de mauvais traitements, surtout lorsque ces actes sont pratiqués par des personnes qui savent rendre leurs sévices et leurs conséquences indécelables et ce, même lorsqu’il existe des mécanismes de prévention, telles que des visites professionnelles et des contrôles, et encore moins lorsque le seul mécanisme prévu n’est qu’une visite occasionnelle. En revanche, dans le cas de la peine de mort, des faits vérifiables tels que les actes d’accusation et les sentences prononcées par les tribunaux sont faciles à établir dans bon nombre de pays. Dans le cas de la peine de mort, on peut habituellement dénoncer un manquement aux assurances diplomatiques concernant la peine de mort avant qu’une exécution n’ait lieu, tandis que, dans le cas des assurances diplomatiques portant sur la torture et les autres formes de mauvais traitements, le pays d’origine court le risque inacceptable d’être dans l’incapacité d’identifier une violation de ces assurances, et en tout cas, étant donné le secret qui entoure la torture, seulement après que la torture ou les mauvais traitements ont déjà eu lieu.

 

[140]       Dans son rapport précité du 1er septembre 2004, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture dresse une liste de conditions minimales qui doivent être remplies pour rendre une assurance vérifiable. Ainsi, ces assurances devraient au minimum comporter des dispositions relatives aux droits de pouvoir consulter rapidement un avocat, à l’enregistrement (audiovisuel) de tous les interrogatoires et à la mention dans les procès-verbaux de l’identité de toutes les personnes présentes, à la possibilité de bénéficier d’un examen médical indépendant dans un délai aussi bref que possible et à l’interdiction à la détention en secret ou à la détention dans des lieux tenus secrets. Le Rapporteur spécial ajoute qu’il est nécessaire de mettre en place un système de surveillance efficace, rapide et régulier, et d’inclure des entretiens privés (voir les paragraphes 41 et 42 de son rapport).

 

[141]       Même les mécanismes de surveillance se sont avérés problématiques. On a constaté, par exemple, que les victimes de torture ou de mauvais traitements hésitent souvent à dénoncer les exactions par crainte de représailles contre elles-mêmes ou les membres de leur famille. On a même soutenu que le fait de ne contrôler qu’un seul détenu ou un petit groupe de détenus (par opposition à un contrôle général et systématique) pourrait en fait les placer dans une situation pire et rendre les membres de leur famille plus vulnérables. C’est la raison pour laquelle, dans un rapport plus récent, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture a exprimé l’avis que les mécanismes de surveillance ultérieure n’atténuent guère le risque de torture et se sont révélés inefficaces tant pour préserver les individus de la torture que pour obliger les États à assumer leurs responsabilités (voir Rapporteur spécial sur la torture, Rapport soumis en application de la résolution 59/182 de l’Assemblée générale, Doc. ONU A/60/316, août 2005, au paragraphe 46; voir aussi Haut Commissaire aux droits de l’homme, Déclaration à l’occasion de la Journée des droits de l’homme, On Terrorists and Torturers, 7 décembre 2005).

 

[142]       Une fois de plus, je conclus que l’agente d’ERAR a commis une erreur en ne déterminant pas si les assurances satisfaisaient aux conditions essentielles à remplir pour avoir un sens et pouvoir être considérées comme fiables. En supposant pour le moment que les assurances peuvent, dans une situation idéale, atténuer radicalement les risques de torture, force est de reconnaître que l’agente ne s’est jamais interrogée sur la nature de ces conditions essentielles et encore moins sur la question de savoir si ces conditions étaient remplies. Elle s’est contentée d’écrire que la notoriété des Lai les protégerait et, accessoirement, que la preuve ne permettait pas de penser que la Chine était revenue sur les assurances déjà données. Ce dernier point peut être résolu très facilement. L’affirmation de l’agente d’ERAR reposait sur le témoignage d’un des témoins experts du ministre, John Holmes. M. Holmes avait déclaré que, sur les 10, 20 ou 30 notes diplomatiques émanant de la République populaire de Chine qu’il avait vues au cours de sa carrière, il n’en connaissait aucune qui n’avait pas été respectée. Mais nous ne savons rien de la nature de ces notes et on ignore si elles fournissaient des assurances de même nature que celles qui sont en cause dans le cas qui nous occupe.

 

[143]       Quant à la notoriété, je suis d’accord avec les Lai pour dire qu’elle est illusoire si le défaut de la Chine de se conformer aux assurances relatives à la torture n’est jamais divulgué au public. Pour que l’on sache si des tortures ont été exercées, il faut qu’il existe un mécanisme de contrôle et de vérification. Pour être plus précis, il faudrait qu’il y ait un système de surveillance efficace appliqué par une organisation indépendante comme le Comité international de la Croix-Rouge. Si la torture est pratiquée à l’insu de tous, les Lai ne pourront en invoquer la notoriété. L’agente d’ERAR aurait dû tenir compte de ce facteur, d’autant plus que, dans 10, 15 ou 20 ans, l’attention des médias se sera de toute évidence déplacée vers d’autres affaires ayant un plus grand retentissement médiatique. En n’abordant pas cette question et en escamotant une étape aussi importante dans son raisonnement, l’agente a commis une erreur et a tiré une conclusion qui était manifestement déraisonnable.

 

f)  Procès équitable

[144]       Les Lai soutiennent que l’agente d’ERAR n’a jamais conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils bénéficieraient d’un procès équitable en Chine. Ils affirment, en conséquence, que le résumé de ses conclusions qui est déjà reproduit au paragraphe 47 des présents motifs est − du moins sur cette question − entaché d’erreurs parce qu’il constitue essentiellement une conclusion qui ne repose sur aucune des constatations antérieures.

 

[145]       Les Lai soutiennent par ailleurs que l’agente d’ERAR n’a pas précisé s’il était peu probable que le procès des Lai soit inéquitable ou que, malgré le fait qu’il soit probablement inéquitable, il ne constituerait pas un risque prévu au paragraphe 97(1) de la LIPR. Les Lai affirment que, dans un cas comme dans l’autre, l’agente d’ERAR a eu tort. Elle ne pouvait refuser de se prononcer sur cette question. Toutefois, si l’on doit considérer qu’elle a estimé que les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque de traitements cruels et inusités malgré le fait que leur procès ne répondait pas aux normes internationales, il faut conclure qu’elle a eu tort. Les Lai affirment qu’un procès inéquitable qui ne satisfait pas aux normes internationales reconnues équivaut nécessairement à un traitement cruel et inusité lorsque ce procès entraîne un emprisonnement prolongé. Bien que les Lai reconnaissent que les procès criminels qui ont lieu en Chine ne sont pas tous inéquitables, ils affirment que leur procès sera inéquitable parce qu’il est fortement politisé. Pour appuyer cette proposition, ils invoquent notamment :

  • Les propos de l’ancien Premier ministre chinois, qui a déclaré que M. Lai [traduction] « aurait dû mourir trois fois et ce n’est même pas assez » (pièce A-21 de la Commission);
  • Un document consulté par le gouvernement chinois dans lequel figurait [traduction] « le nom des principaux cadres supérieurs que Lai Chang Xing avait recrutés, corrompus, achetés et contrôlés » (pièces C-42 et A-34 de la Commission);
  • La diffamation constante dont M. Lai a fait l’objet de la part des journalistes chinois (pièce C-42 de la Commission);
  • Le fait que le gouvernement chinois avait déjà saisi les biens de M. Lai et les avait vendus en justice, démontrant ainsi qu’ils sont disposés à agir sur le fondement de la présomption de culpabilité qu’ils ont établie dans son cas (dossier de l’agente d’ERAR, vol. 2, onglet 26).

 

[146]       Bien qu’il puisse sembler séduisant à première vue, cet argument ne me convainc pas. En premier lieu, l’agente a bel et bien tiré certaines conclusions au sujet de l’équité du procès, bien qu’elle ne les ait pas nécessairement regroupées sous la même rubrique. Ainsi, après avoir examiné le procès de certaines des personnes impliquées dans l’affaire des sociétés de Yuan Hua, l’agente a conclu ce qui suit :

[traduction] Les éléments de preuve portés à ma connaissance ne permettent pas de penser qu’on a empêché les personnes impliquées dans l’affaire de Yuan Hua de retenir les services d’un avocat de la défense, et il n’existe pas non plus d’éléments de preuve objectivement identifiables qui indiquent qu’on a empêché les avocats de la défense de représenter leurs clients, qu’on leur a fait des menaces ou que les autorités chinoises ont exercé des pressions sur eux dans la préparation de la défense de leurs clients.

(Motifs de l’agente d’ERAR, à la page 26)

 

[147]       L’agente a également examiné la manière dont les éléments de preuve avaient été obtenus dans les procès de Yuan Hua. Les procureurs ont l’intention de se servir des mêmes éléments de preuve contre les Lai lorsqu’ils seront traduits en justice en Chine. L’agente écrit ce qui suit, aux pages 38 et 39 de sa décision :

[traduction]… Je ne puis conclure qu’il existe dans la preuve documentaire qui m’a été soumise des éléments qui permettent de penser qu’on a recouru à la contrainte dans le cas des témoins qui ont été entendus dans le cadre des procès de Yuan Hua ou qu’on les a soumis à la torture ou à de mauvais traitements. Il n’y a par ailleurs pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que le gouvernement chinois cherchait à incriminer les demandeurs au moyen d’éléments de preuve obtenus illégalement par la contrainte, de mauvais traitements ou la torture.

 

[…]

 

… Les jugements des tribunaux qui ont été communiqués ne constituent pas une preuve probante que l’on a recouru à la contrainte dans le cas des personnes impliquées dans les procès de Yuan Hua ou qu’on leur a infligé de mauvais traitements.

 

[148]       L’agente avait le droit de tirer ces conclusions sur le fondement de la preuve abondante qu’elle a examinée dans ses motifs. Le fait que certaines de ces conclusions ne se retrouvent pas dans son résumé ne tire pas à conséquence.

 

[149]       Deuxièmement, je crois qu’une lecture raisonnable et exhaustive des motifs de l’agente démontre à l’évidence qu’elle a écarté l’idée que les Lai ne pourraient bénéficier d’un procès équitable en Chine. Tout en admettant que le système judiciaire chinois comporte de nombreuses lacunes et qu’il ne répond pas aux normes internationales, elle a refusé d’en inférer que les Lai ne seraient pas exposés à un risque de traitements cruels et inusités. On ne demandait pas à l’agente de se prononcer sur la nature des procès en Chine en général, mais d’examiner la situation particulière des Lai. Or, elle a conclu que, comme les autres personnes accusées dans le cadre de l’affaire du réseau de contrebande de Yuan Hua avaient bénéficié, dans l’ensemble, de l’application régulière de la loi et de procès équitables, le procès qui serait intenté contre les Lai serait de la même nature que celui qu’avaient subi les personnes se trouvant dans la même situation qu’eux et ne les exposerait à aucun risque. On peut facilement suivre le fil de son raisonnement au paragraphe 47 des présents motifs.

 

[150]       Il est donc faux de prétendre que l’agente d’ERAR a commis une erreur en concluant que les Lai ne seraient pas exposés à un risque de traitements cruels et inusités malgré le fait que leur procès ne répondrait pas aux normes internationales. Il s’agit là d’une mauvaise qualification de sa conclusion. Elle a conclu que leur procès serait, pour l’essentiel, équitable, tout comme celui qu’avaient subi les personnes impliquées dans la même opération.

 

[151]       À l’audience, on a longuement débattu du sous-alinéa 97(1)b)(iii) de la LIPR et de la question de savoir s’il entre en jeu dès qu’une personne est condamnée à l’emprisonnement à perpétuité. Suivant les demandeurs, mettre quelqu’un en prison pour le reste de ses jours constitue en soi un traitement cruel et inusité qui ne peut se justifier que s’il s’accompagne accessoirement de sanctions licites et que si ces sanctions ne sont pas infligées au mépris des normes internationales. Cette façon de voir contredit, à mon sens, le raisonnement suivi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045, au paragraphe 55, où la Cour déclare que « [i]l n’y aura violation de l’art. 12 [de la Charte] que si, compte tenu de l’infraction et du contrevenant, la sentence est inappropriée au point d’être exagérément disproportionnée ». Ceci étant dit, j’estime que ce débat nous lance sur une fausse piste dans le contexte de la présente affaire. Il importe peu, en l’espèce, que l’on évalue les lacunes du système judiciaire chinois en fonction des normes internationales, comme les Lai le préconisent, ou qu’on en tienne compte dans le cadre de l’analyse préliminaire à laquelle il faut se livrer pour déterminer s’ils seraient a priori exposés à un risque de traitements inusités. Dans la mesure où des personnes se trouvant dans une situation semblable n’ont pas souffert de ces lacunes lors de leur procès, la question ne se pose tout simplement pas.

 

[152]       Enfin, les Lai soutiennent que leur procès ne serait pas un procès criminel banal. Malgré le fait qu’il puisse être en partie équitable, il n’en demeure pas moins qu’il est fortement politisé. Se fondant sur le Rapport de 2005 par pays du Département d’État des États-Unis sur la Chine et sur un document publié par le Ministère canadien des Affaires étrangères et du Commerce international (dossier des demandeurs, aux pages 146 à 149), ils affirment que les tribunaux ne sont pas indépendants du gouvernement dans les affaires dans lesquelles les autorités politiques ont un intérêt, comme c’est le cas en l’espèce. Pour répondre à cet argument, il suffit de rappeler que l’agente l’a dûment examiné et l’a rejeté de façon non équivoque. Voici ce qu’elle déclare, aux pages 40 et 41 de ses motifs :

[traduction] Sur la question de savoir si la condamnation des demandeurs est assurée, j’estime que cette affirmation est sans fondement. Les éléments de preuve soumis à la Commission au sujet de la présumée implication des demandeurs dans les activités criminelles, c’est-à-dire la contrebande et la corruption, proviennent de différentes sources; il ne s’agit pas de simples aveux qui auraient, comme l’avocat le prétend, été extorqués sous la torture ou la menace de la torture. Parmi ces autres sources, il y a lieu de mentionner les éléments de preuve recueillis dans l’immeuble à bureaux de Lai Cheong Sing ainsi que les dépositions des témoins. La preuve ne permet pas de faire de lien entre l’intention des autorités chinoises de chercher à faire revenir les demandeurs en Chine pour répondre de leurs actes devant la loi et la justice chinoises et la supposition que les demandeurs ont déjà été condamnés et/ou ne seront pas en mesure d’obtenir ou de consulter un avocat de la défense et/ou ne pourront bénéficier d’un procès équitable.

 

Le témoignage de l’avocat au sujet de Guo Guoting semblerait se rapporter directement au sort que les autorités réservent aux avocats de la défense. Je constate toutefois que Me Guo a lui-même déclaré qu’il avait eu des démêlés avec les autorités lorsqu’il avait tenté de défendre des adeptes du Falun Gong, des militants des droits de la personne, ainsi que d’autres avocats de la défense et qu’il est lui-même ciblé pour cette raison. Comme je l’ai déjà précisé, je n’accorde pas beaucoup de poids à ce que Me Guo Guoting a déclaré au sujet de Lai Cheong Sing et de Tsang Ming Na. Dans son témoignage, Me Guo affirme qu’il a été avocat de la défense dans des affaires concernant des militants des droits de la personne, des « criminels politiques » et des adeptes du Falun Gong, qui n’ont, à mon avis, rien en commun avec les demandeurs. Je ne relève en particulier l’existence d’aucun élément de preuve objectif corroborant l’affirmation suivant laquelle l’intérêt manifesté par le gouvernement chinois au sujet du retour des demandeurs pour répondre aux accusations criminelles comporte une dimension politique. Tout en prenant acte du témoignage de Me Guo suivant lequel les avocats de la défense courent eux-mêmes le risque d’être accusés d’accepter des causes à connotation politique, dans le cas qui nous occupe, j’accorde plus de poids au témoignage de Me Zhou Bing Zhi, un avocat de la défense qui représentait deux accusés dans les procès de Yuan Hua (en appel, dans un des deux cas) et qui a déclaré qu’il n’avait personnellement subi aucune pression politique ou menace lorsqu’il avait défendu ses clients.

 

 

[153]       Comme je l’ai déjà dit, la conclusion tirée par l’agente au sujet de la nature du procès que subiraient les demandeurs en Chine était une conclusion de fait à laquelle s’appliquait la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable. Vu l’ensemble de la preuve dont elle disposait, l’agente n’a pas tiré de conclusion manifestement déraisonnable en se prononçant sur la nature du procès que subiraient les demandeurs en Chine.

 

g)  Une loi d’application générale

[154]       Le dernier argument des Lai peut être tranché assez rapidement. Me Matas soutient que des proches de Tsang Ming Na (sa mère, Cai Xiu Meng, et la petite amie de son frère, Zhuang Shao Cheng) ont été condamnées et ont été incarcérées parce qu’elles avaient fait le nécessaire pour transférer de l’argent aux demandeurs pour les aider à payer leurs frais de justice au Canada. Suivant les demandeurs, ces faits démontrent que quiconque est associé à eux s’expose à l’infliction de peines et de sanctions. L’agente d’ERAR a rejeté cet argument, estimant que ces condamnations [traduction] « étaient de portée générale et qu’elles ne permettaient de conclure que les demandeurs seraient exposés à un risque dans l’avenir » (motifs de l’agente d’ERAR, à la page 28).

 

[155]       Les Lai soutiennent que l’agente a commis une erreur en se fondant sur le concept de la loi d’application générale, parce qu’il ne se rapporte qu’à la définition du réfugié au sens de la Convention au sens de l’article 96 de la LIPR et non aux motifs de protection que l’agente examinait en l’espèce. L’analyse à laquelle il faut procéder est précisée au sous-alinéa 97(1)b)(iii) de la LIPR : elle consistait à se demander si le risque auquel sont exposés les demandeurs est inhérent ou accessoire à des sanctions légitimes et, dans l’affirmative, si le risque est néanmoins imposé au mépris de normes internationales généralement admises. Les demandeurs affirment que, bien que l’agente ait effectivement déclaré que la condamnation et l’incarcération des proches de Tsang Ming Na n’avaient pas été « infligées au mépris des normes internationales », elle n’a pas examiné les normes en question et n’a pas tenu compte des éléments dont elle disposait et n’a pas exercé sa compétence (motifs de l’agente d’ERAR, à la page 40).

 

[156]       Je crois que cet argument est mal fondé, surtout pour les raisons invoquées par le défendeur. D’abord et avant tout, il est inexact de dire que l’agente n’a pas appliqué le bon critère en se fondant sur le concept de la loi d’application générale. Certes, la condamnation des proches de Mme Tsang était un facteur pertinent lorsqu’il s’agissait d’évaluer globalement les risques des demandeurs, mais il n’y avait pas de façon particulière d’évaluer les éléments de preuve. Qui plus est, l’agente a bel et bien tenu compte de la condamnation des proches de Mme Tsang pour « hébergement de fugitifs » au sens de l’article 310 du Code pénal de la République populaire de Chine et elle avait effectivement conclu que ces condamnations ne violaient pas les normes internationales. Après avoir examiné le jugement du tribunal chinois dans cette affaire, elle a conclu que les proches de Mme Tsang étaient représentées par un avocat, que cet avocat avait plaidé dans le cadre d’un procès public, qu’elles avaient reconnu leur culpabilité et que le temps qu’elles avaient passé en détention en attendant leur procès leur avait été crédité (motifs de l’agente d’ERAR, aux pages 28, 29 et 40). Par conséquent, elle a conclu que la condamnation des proches avait été prononcée conformément à une loi d’application générale qui ne violait pas les normes internationales et que cette sanction n’avait pas été infligée en violation de normes internationales et qu’elle ne permettait pas de conclure que les demandeurs seraient exposés à un risque à l’avenir.

 

[157]       Les Lai voudraient que la Cour conclue que l’article 310 du Code pénal de la République populaire de Chine est contraire au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que le Canada et la Chine ont tous les deux signé et ratifié et qui prévoit que toute personne qui est accusée d’une infraction pénale a droit à l’assistance de l’avocat de son choix. Étant donné que les proches de Mme Tsang cherchaient seulement à les aider à payer leurs frais judiciaires, les Lai font valoir que leur condamnation violait de toute évidence les normes internationales.

 

[158]       Je ne trouve pas cet argument très convaincant. Il n’y a aucun élément de preuve tendant à démontrer que l’argent a servi uniquement à couvrir les frais judiciaires des demandeurs. Mais ce qui est déterminant, c’est le fait que c’est l’acte consistant à fournir de l’argent à des fugitifs qui constitue l’infraction visée à l’article 310 et ce, indépendamment de ce pour quoi les fugitifs disent vouloir cet argent. On ne saurait donc prétendre que l’article 310 criminalise le recours à un avocat.

 

[159]       Enfin, les Lai eux-mêmes ne risquent pas d’être poursuivis en vertu de l’article 310. L’agente a néanmoins tenu compte des faits à l’origine de la condamnation des proches de Mme Tsang pour procéder à son évaluation globale des risques auxquels les Lai seraient exposés, en plus de tenir compte de leur argument valant que leur droit à l’assistance de l’avocat de leur choix leur serait nié du fait des condamnations. Elle a estimé que ces arguments ne permettaient pas de conclure que les Lai ne pourraient se prévaloir de leurs droits et privilèges légaux s’ils retournaient en Chine. Ce sont là des conclusions de fait auxquelles s’applique la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable. Or, je ne suis pas convaincu que l’agente a commis une erreur qui justifierait notre intervention.

 

DISPOSITF

[160]       Pour tous les motifs que j’ai exposés, je vais donc faire droit à la demande de contrôle judiciaire. Pour en arriver à cette conclusion, je ne doute pas de la bonne foi du gouvernement chinois et je ne voudrais pas dénigrer les fonctionnaires qui ont participé à la rédaction et à l’établissement de la note diplomatique. Le rôle de notre Cour, lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un agent d’ERAR, ne consiste pas à se prononcer sur la situation qui existe dans un pays étranger, mais uniquement de décider si la décision qui lui est soumise est conforme au droit canadien. En l’espèce, j’ai conclu que, malgré le fait qu’elle soit bien motivée et que l’agente a fait preuve d’exhaustivité dans son évaluation des faits et des observations formulées par les deux avocats, la décision d’ERAR comporte des lacunes en ce qui concerne l’appréciation des risques de torture.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie et la Cour certifie les questions suivantes :

1. Lorsque le ministre prend officiellement position au sujet des risques avant renvoi au sujet d’un demandeur, avant qu’une décision soit rendue au sujet d’un examen des risques avant renvoi, peut-il exister une crainte raisonnable de partialité quant à la décision du ministre au sujet de la demande d’examen des risques avant renvoi?

 

2. Quelle est la norme de contrôle applicable à l’interprétation d’une note diplomatique qui donne une assurance contre la peine de mort ou la torture ou autres peines ou traitements cruels et inusités?

 

3. Est-il approprié de se fier à une assurance donnée contre la torture dans le cadre d’un examen des risques du demandeur effectué en vertu de l’article 97 de la LIPR, lorsqu’il existe des rapports crédibles qui attestent l’existence du recours à la torture dans le pays où le demandeur doit être renvoyé? Si c’est le cas, dans quelles circonstances?

 

4. S’il existe un risque de torture dans un cas particulier, à quelles exigences une assurance donnée contre la torture doit-elle satisfaire pour rendre ce risque plutôt improbable? Faudrait-il prévoir une surveillance pour garantir le respect de l’assurance donnée afin qu’elle soit jugée fiable? En l’absence d’un système de surveillance, la notoriété de la personne qui sera renvoyée représente-t-elle un critère suffisant et pertinent pour que l’agent d’ERAR puisse déterminer s’il est plutôt probable que l’État qui donne l’assurance respectera son engagement?

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2669-06

 

INTITULÉ :                                       LAI CHEONG SING ET TSANG MING NA

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               23 Mars 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE    LE JUGE DE MONTIGNY

ET ORDONNANCE

 

DATE DES MOTIFS :                      5 AVRIL 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me David Matas

 

POUR LES DEMANDEURS

Me Esta Resnick

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LES DEMANDEURS

Me John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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