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Date : 20070402

Dossier : T-572-06

Référence : 2007 CF 354

Ottawa (Ontario), le 2 avril 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

 

ENTRE :

ALEXAN KULBASHIAN et

JAMES SCOTT RICHARDSON

demandeurs

et

 

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE et

 LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

RICHARD WARMAN

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I.  Introduction

 

[1]               Au moyen d’un avis de demande de contrôle judiciaire déposé le 29 mars 2006, Alexan Kulbashian et James Scott Richardson (les demandeurs) ont entamé la présente procédure, laquelle vise à obtenir une ordonnance annulant la décision rendue le 10 mars 2006 par la Commission canadienne des droits de la personne. L’avis de demande nommait le procureur général du Canada (le procureur général) et la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) à titre de défendeurs. L’avis de demande expose les réparations que souhaitent obtenir les demandeurs de la manière suivante :

[traduction]

1. L’autorisation de soumettre la présente demande de contrôle judiciaire;

 

Les motifs de la demande sont :

 

(a)    Les paragraphes 13(1), 13(2), 13(3), 54(1) et 54(1.1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne contreviennent aux alinéas 2a) et 2b) et à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés d’une manière non protégée par l’article 1 de cette dernière, ce qui les rend nuls et non avenus en vertu des paragraphes 24(1) et 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982;

(b)   L’article 13 et les paragraphes 54(1) et 54(1.1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne contreviennent aux alinéas 1d) et 1f) et à l’article 2 de la Déclaration canadienne des droits, ce qui les rend inopérants;

(c)    La Tribunal a outrepassé sa compétence ou a refusé de l’exercer;

(d)   Le Tribunal n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;

(e)    Le Tribunal rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

(f)     L’ordonnance rendue par le Tribunal était fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

(g)    Le Tribunal a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;

(h)    Le Tribunal a agi de toute autre façon contraire à la loi;

(i)      Tout autre motif que l’avocat peut indiquer à la lecture de la transcription.

 

[2]               Les demandeurs ont ensuite sollicité l’autorisation de modifier leur avis de demande, ce qu’a fait le protonotaire Lafrenière par une ordonnance rendue le 19 mai 2006.

 

[3]               Le 23 mai 2006, les demandeurs ont déposé un avis de demande modifié. La modification portait sur la réparation demandée et l’avis de demande modifié vis à obtenir les réparations suivantes :

 

[traduction]

Les demandeurs présentent une demande pour obtenir :

 

a.  L’autorisation de soumettre la présente demande de contrôle judiciaire;

b.  Une ordonnance annulant la décision rendue par le Tribunal des droits de la personne avec dépens déclarant que le paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne constitue une atteinte déraisonnable aux droits garantis par l’alinéa 2b) de la Charte des droits et libertés, laquelle ne peut être validée par l’article 1er de la Charte, ce qui rend le paragraphe 13(1) inopérant en vertu de la Loi constitutionnelle de 1982 ou, à titre subsidiaire, déclarant que l’application du paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne à l’Internet constitue une violation de l’alinéa 2b) et du paragraphe 24(1) de la Charte des droits et libertés, ce qui constituerait un moyen approprié de déclarer l’article inapplicable en l’espèce;

c.  L’ajout du procureur général à la présente demande, avec son consentement.

 

[4]               Le procureur général, en tant que défendeur, demande maintenant une ordonnance radiant l’avis de demande modifié. À titre subsidiaire, le procureur général cherche à obtenir une ordonnance qui suspendra l’examen de la demande jusqu’à ce que la procédure devant le Tribunal des droits de la personne dans Richard Warman c. Mark Lemire, dossier du Tribunal no T1073/5405 (Lemire), soit définitivement tranchée. Également à titre subsidiaire, le procureur général souhaite obtenir une ordonnance pour que la demande soit instruite comme s’il s’agissait d’une action. Encore à titre subsidiaire, il demande une prorogation de délai de 45 jours à partir de la date de l’ordonnance rendue dans la présente affaire pour déposer en preuve des affidavits en réponse à la demande.

 

[5]               La Commission, à titre de défenderesse, soutient le procureur général dans cette requête. Si la requête est rejetée et que la demande de contrôle judiciaire principale est examinée, la Commission demande une prorogation de délai de 45 jours à partir de la date de l’ordonnance pour déposer en preuve des affidavits en réponse à la demande.

 

II.  Le contexte

 

[6]               Le défendeur Richard Warman a déposé une plainte auprès de la Commission, dans laquelle il allègue que les demandeurs avaient affichés s des messages sur Internet, lesquels exposaient les non‑chrétiens, les non‑caucasiens et les individus d’une « autre » origine ethnique à la haine et au mépris, contrevenant ainsi à l’article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6. Cette plainte a été entendue devant un tribunal (le Tribunal) constitué en vertu de la Loi, et le Tribunal a rendu une décision sur l’affaire le 10 mars 2006. Dans cette décision, le Tribunal a conclu que les demandeurs ont participé de diverses manières à la communication de « propagande haineuse », ce qui contrevient à l’article 13 de la Loi. Le Tribunal a ordonné ce qui suit :

Par conséquent, j’ordonne à M. Kulbashian et à M. Richardson, ainsi qu’à « Affordable Space.com » et qu’au groupe « Canadian Ethnic Cleansing Team », de cesser d’utiliser ou de faire utiliser un moyen décrit à l’article 13 de la Loi, à savoir Internet, pour aborder des questions du type de celles contenues dans la propagande haineuse susceptibles d’exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base des motifs de distinction illicite.

 

 

[7]               En plus, il a été enjoint au demandeur M. Kulbashian de payer au plaignant M. Warman le montant de  5 000 $ avec intérêt simple à titre d’indemnité spéciale et il a été ordonné aux deux demandeurs de payer une sanction pécuniaire de 1 000 $ au Tribunal. La décision ne fait pas mention de la constitutionnalité du paragraphe 13(1) de la Loi et n’indique pas si la question a été soulevée à l’audience. 

 

III.  Les questions en litige

 

[8]               La requête soulève quatre questions :

1.                  L’avis de demande modifié devrait-il être radié en entier ou en partie?

2.                  À titre subsidiaire, faudrait-il suspendre l’examen de la présente demande en attendant que soit tranchée définitivement la procédure devant le Tribunal dans Lemire, y compris toute demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue dans cette affaire?

3.                  Également à titre subsidiaire, la présente demande devrait-elle être convertie en action?

4.                  Encore à titre subsidiaire, les défendeurs devraient‑ils se voir accorder une prorogation de délai pour le dépôt en preuve d’affidavits en réponse à la demande?

 

IV.  Le résumé des observations

 

A.        Le procureur général du Canada

 

[9]               Le procureur général, un des défendeurs, convient que, en règle générale, la Cour fédérale a compétence pour entre la contestation constitutionnelle, fondée sur la Charte, de lois dans le contexte de contrôles judiciaires. Cependant, il soutient que la Cour devrait refuser d’entendre les arguments des demandeurs portant sur la Charte présentés en l’espèce et devrait radier la demande, puisqu’il n’a jamais été question de contestation fondée sur la Charte dans la procédure devant le Tribunal. À cet égard, le procureur général s’appuie sur les décisions Suchit c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 800, et Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 197 F.T.R. 307. Selon le procureur général, la Cour a convenu qu’elle n’a pas compétence dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire pour entendre des arguments fondés sur la Charte qui n’ont pas été soulevés précédemment devant le décideur administratif dont la décision fait l’objet du contrôle.

 

[10]           Le procureur général avance de plus que tant la jurisprudence que les principes soutiennent l’affirmation selon laquelle la Cour ne devrait pas entendre une contestation fondée sur la Charte soulevée pour la première fois devant elle alors que le tribunal administratif dont la décision est à l’étude avait compétence pour entendre la contestation en premier lieu. À cet égard, il s’appuie sur l’arrêt Waters c. British Columbia (Director of Employment Standards) (2004), 40 C.L.R. (3d) 84 (C.S.C.B.), la décision Huerto c. College of Physicians and Surgeons of Saskatchewan (2005), 263 Sask. R. 214 (C.B.R.), et l’arrêt R. c. Brown, [1993] 2 R.C.S. 918.

 

[11]           En outre, le procureur général soutient qu’il existe de bonnes raisons de principe pour lesquelles la Cour ne devrait pas examiner la constitutionnalité de la loi dans la présente demande de contrôle judiciaire. Il prétend que le dossier ne contient probablement pas de preuve suffisante pour permettre à la Cour de juger la contestation constitutionnelle. De plus, permettre aux parties de produire une preuve sur les questions relatives à la Charte pour la première fois lors de la demande de contrôle judiciaire reviendrait essentiellement à faire jouer à la Cour le rôle de cour de première instance plutôt que celui de cour de révision. Selon le procureur général, il ne s’agit pas là du rôle traditionnel de la Cour dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire.

 

[12]           Bien que le procureur général convienne que la Cour a compétence pour examiner les contestations constitutionnelles, il soutient qu’il n’y avait pas de preuve devant le Tribunal relativement à la violation de la Charte alléguée ni relativement à une justification possible de cette violation en vertu de l’article 1 de la Charte. Le procureur général soutient qu’il convient que la Cour refuse d’entendre les questions relatives à la Charte soulevées présentement et attende le résultat dans Lemire, où les parties auront l’occasion de soumettre des preuves à ce sujet.

 

[13]           À titre subsidiaire, le procureur général soutient qu’il faudrait suspendre l’examen de la présente demande en attendant que soit tranchée définitivement l’affaire Lemire. L’article 50 de la Loi sur les cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, modifiée, confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures si elles causeront un préjudice ou une injustice et si la suspension n’est pas injuste pour le demandeur. Le procureur général soutient que l’existence [traduction] « d’un autre recours approprié » doit également être prise en considération. À cet égard, le procureur général s’appuie sur la décision rendue dans Dene Tha’ Nation c. Canada (Ministre de l’Environnement) (2006), 21 C.E.L.R. (3d) 27.

 

[14]           Bien qu’il convienne que les demandeurs ne soient pas parties au litige dans Lemire, le procureur général est d’avis que la procédure dans Lemire constitue un autre recours approprié. Il soutient que l’issue de Lemire aura une répercussion directe sur la demande de contrôle judiciaire des demandeurs. Plus précisément, le procureur général prétend que, si le Tribunal confirme la constitutionnalité du paragraphe 13(1) de la Loi dans Lemire, la présente demande pourra être examinée à la lumière des motifs rendus par le Tribunal dans cette procédure.

 

[15]           En outre le procureur général soutient que les demandeurs ne subiront aucun préjudice ou injustice si une suspension est accordée, car ils n’ont demandé qu’un jugement déclaratoire et n’ont pas demandé à la Cour d’annuler la décision du Tribunal sur le fond.

 

[16]           Également à titre subsidiaire, le procureur général soutient que la présente demande devrait être instruite comme s’il s’agissait d’une action, en vertu de l’article 18.4 de la Loi sur les cours fédérales. Il convient que la conversion d’une demande en action est une exception prévue par le paragraphe 18.4(2) à la règle générale énoncée au paragraphe 18.4(1) selon laquelle les demandes sont entendues « à bref délai et selon une procédure sommaire ». La conversion d’une demande en action ne devrait être accordée que dans les circonstances les plus claires quand les faits ne peuvent être prouvés par affidavit ou si leur pertinence ne peut être établie. Pour avancer cet argument, le procureur général s’appuie sur l’arrêt Macinnis c. Canada (Procureur général), [1994] 2 F.C. 464 (C.A.F.).

 

[17]           La Commission appuie la position du procureur général et demande la même réparation.

 

[18]           En l’espèce, le procureur général soutient que, afin de présenter comme il convient la question, il faut qu’il soit possible de communiquer les documents et d’interroger les témoins ainsi que de présenter la preuve de vive voix à l’instruction.

 

[19]           Encore à titre subsidiaire, pour ce qui est de la dernière question, le procureur général demande une prorogation du délai, conformément à la règle 8 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), pour signifier et déposer la preuve par affidavit. À cet égard, il demande une prorogation de 45 jours à partir de la date de l’ordonnance en l’espèce.

 

[20]           Les demandeurs ont déposé de brèves observations écrites en réponse à la présente requête. Leur principal argument est que la demande de contrôle judiciaire devrait être maintenue et, à titre subsidiaire, qu’elle devrait être convertie en action pour permettre la production d’éléments de preuve ainsi que l’interrogation de témoins.

 

[21]           Les demandeurs soutiennent que des questions de formalité ne peuvent leur retirer leur droit de contester la constitutionnalité du paragraphe 13(1) de la Loi. Ils sont d’avis que le fait qu’ils n’aient pas soulevé les arguments sur la constitutionnalité plus tôt devant le Tribunal n’est qu’une question de forme.

 

V.  Les observations soumises après l’audience

 

[22]           Après l’audience, par lettre datée du 7 décembre 2006, les demandeurs ont sollicité de la Cour l’autorisation de modifier encore une fois leur avis de demande modifié en l’espèce de la manière suivante :

[traduction]

Il m’est apparu que, en raison d’une omission de ma part, la demande modifiée n’incluait plus les motifs originaux de la demande de réparation et ne contenait plus que la prétention constitutionnelle selon laquelle le paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne contrevient à l’alinéa 2b) de la Charte.

 

[…]

 

À mon avis, puisque l’affaire a été prise en délibéré, il convient de demander l’autorisation de rouvrir l’affaire au moyen d’une demande écrite visant à modifier la demande de contrôle judiciaire pour que, si la requête en radiation est accueillie, la modification ne fasse que rétablir les motifs que présentait en premier lieu la demande originale.

 

 

[23]           Par une directive datée du 8 décembre 2006, les défendeurs ont reçu l’occasion de répondre à la demande présentée par les demandeurs. Tant le procureur général que la Commission se sont opposés à la demande des demandeurs visant à modifier encore une fois leur avis de demande et ont soutenu que la requête en radiation devrait être tranchée à partir des arguments qui ont été présentés devant la Cour lors de l’audition de la requête.

 

[24]           Dans une lettre datée du 11 décembre 2006, les demandeurs ont sollicité l’autorisation de retirer la pièce B de l’affidavit de M. Kulbashian déposé en l’espèce le 28 novembre 2006. Encore une fois, les défendeurs ont eu l’occasion de répondre à cette lettre. Par des lettres datées du 31 janvier 2007 et du 2 février 2007, les deux défendeurs ont fait savoir qu’ils ne s’opposaient pas à cette demande.

 

VI.  Analyse et dispositif

 

[25]           J’examinerai d’abord sur les observations soumises après l’audience.

 

[26]           Il faut d’abord se pencher sur la demande que les demandeurs ont présentée après l’audition de la présente requête, laquelle vise à rétablir les motifs exposés dans le premier avis de demande. L’avocat a présenté cette demande par lettre datée du 7 décembre 2006.

 

[27]           Les avocats du procureur général et de la Commission s’opposent à cette demande pour la raison que l’audition de la requête a porté sur les motifs invoqués dans l’avis de demande modifié.

 

[28]           Les demandeurs ont présenté cette demande pour l’unique raison qu’ils ont omis, par inadvertance, d’inclure les motifs de la demande de réparation originale dans leur avis de demande modifié. L’avocat a qualifié cette erreur [traduction] « [d’]omission de ma part ».

 

[29]           Je souscris aux observations des défendeurs selon lesquelles il ne devrait pas être permis aux demandeurs de modifier de nouveau leur avis de demande au stade actuel. Les motifs originaux ont été supprimés par le dépôt de la requête des demandeurs. Cette dernière a été à l’origine de l’ordonnance rendue par le protonotaire Lafrenière le 19 mai 2006. Si les motifs originaux ont bel et bien été omis par inadvertance, l’avocat des demandeurs n’a pas fait preuve de diligence pour y remédier. Le temps écoulé entre le 19 mai et le 7 décembre 2006 n’est pas négligeable.

 

[30]           Les demandeurs ont voulu modifier leur avis de demande et, puisqu’ils l’ont fait, ils doivent en subir les conséquences.

 

[31]           Les défendeurs ne s’opposent pas à la deuxième demande soumise après l’audience, au sujet de l’affidavit de M. Kulbashian. Cependant, je ne vois aucune bonne raison de permettre à une partie de retirer une pièce d’un affidavit signé et déposé. Je choisis de ne pas exercer mon pouvoir discrétionnaire pour accorder la demande.

 

[32]           Ensuite, je me pencherai sur la requête des défendeurs visant à faire radier l’avis de demande modifié. Les deux défendeurs sollicitent aussi une réparation à titre subsidiaire, au cas où la réparation principale ne serait pas accordée.

 

[33]           Le paragraphe 22(1) des Règles, régissant les requêtes visant la radiation d’un acte de procédure, est rédigé ainsi :

 

221.  1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

221. (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

b) qu’il n’est pas pertinent ou qu’il est redondant;

(b) is immaterial or redundant,

c) qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

d) qu’il risque de nuire à l’instruction équitable de l’action ou de la retarder;

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

e) qu’il diverge d’un acte de procédure antérieur;

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or

f) qu’il constitue autrement un abus de procédure.

Elle peut aussi ordonner que l’action soit rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

(2) Aucune preuve n’est admissible dans le cadre d’une requête invoquant le motif visé à l’alinéa (1)a).

(2) No evidence shall be heard on a motion for an order under paragraph (1)(a).

 

 

[34]           Le critère applicable aux requêtes visant la radiation d’un acte de procédure, tel qu’il a été énoncé dans Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, est de savoir s’il est évident et manifeste que la demande ne révèle aucune cause d’action raisonnable.

 

[35]           Dans l’arrêt Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien‑être social), [1995] 1 C.F. 588 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a affirmé que les parties ne peuvent faire radier une requête introductive d’instance, maintenant un avis de demande, au moyen d’une requête, sauf situation exceptionnelle.

 

[36]           En l’espèce, la requête des défendeurs visant à faire radier l’avis de requête modifié est fondé sur le fait que les demandeurs cherchent à contester la constitutionnalité du paragraphe 13(1) de la Loi alors qu’ils n’ont pas soulevé la question devant le décideur, c’est‑à‑dire le Tribunal, bien que le décideur ait eu compétence pour rendre décision sur une contestation constitutionnelle. Les défendeurs soutiennent qu’aucune preuve n’a été soumise au Tribunal relativement à la question constitutionnelle et, en outre, que la décision est muette à cet égard.

 

[37]           Je conviens avec les défendeurs que les arrêts Waters et Brown s’appliquent à la présente situation. Dans Brown, à la page 923, la juge L’Heureux-Dubé a fait observer ceci dans des motifs dissidents :

Les tribunaux ont longtemps désapprouvé la pratique de la présentation de nouveaux arguments en appel. Leurs préoccupations sont de deux ordres : premièrement, le préjudice qu'entraîne pour l'autre partie l'impossibilité de répondre et de présenter une preuve au procès et, deuxièmement, l'absence d'un dossier suffisant pour pouvoir tirer les conclusions de fait requises pour trancher adéquatement la nouvelle question:  voir Brown c. Dean, [1910] A.C. 373 (H.L.), et Perka c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 232.

 

 

[38]           Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, le critère applicable à la radiation d’un avis de demande de contrôle judiciaire a été analysé par la Cour d’appel fédérale dans Pharmacia. Dans cet arrêt, la Cour d’appel a conclu que, pour faire radier une demande de contrôle judiciaire, la demande devait être « manifestement irréguli[ière] au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli[e] ».

 

[39]           Il s’agit d’un critère élevé. En l’espèce, les demandeurs auraient besoin d’obtenir du juge qui préside à l’audience l’autorisation d’introduire les éléments de preuve nécessaires pour étayer leurs prétentions. Je ne suis pas prêt à présumer de la façon dont le juge disposerait d’une requête à cet effet. Dans les circonstances, je ne crois pas qu’il convienne de radier la demande.

 

[40]           À titre subsidiaire, les requérants ont sollicité une suspension de la présente procédure, jusqu’à ce que le Tribunal ait rendu sa décision dans l’affaire Lemire. Dans cette affaire, la constitutionnalité du paragraphe 13(1) de la Loi a été directement mise en question.

 

[41]           Le paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales permet à la Cour d’utiliser son pouvoir discrétionnaire pour suspendre une procédure. Le paragraphe 50(1) est rédigé ainsi :

 

50. (1) La Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale ont le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire :

a) au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal;

b) lorsque, pour quelque autre raison, l’intérêt de la justice l’exige.

50.(1) The Federal Court of Appeal or the Federal Court may, in its discretion, stay proceedings in any cause or matter

(a) on the ground that the claim is being proceeded with in another court or jurisdiction; or

(b) where for any other reason it is in the interest of justice that the proceedings be stayed.

 

 

[42]           À mon avis, il convient de suspendre la présente procédure pour le motif que la seule question soulevée dans l’avis de demande modifié des demandeurs est actuellement soumise à un tribunal dans l’affaire Lemire.

 

[43]           Dans la décision WIC Premium Television Ltd. c. General Instrument Corp., [1999] A.C.F. n862 (C.F. 1re inst.) (QL), la Cour s’est penchée sur les facteurs à prendre en considération avant d’accorder une suspension lorsqu’il y a une procédure abordant la même question devant une autre cour ou un autre tribunal. Ces facteurs comprennent le risque de conclusions contradictoires, les coûts excessifs et la capacité de la Cour d’accorder une réparation complète.

 

[44]           Ces facteurs sont pertinents en l’espèce. Le tribunal qui entendra l’affaire Lemire peut se prononcer sur la constitutionnalité du paragraphe 13(1) de la Loi et cette décision, y compris toute demande subséquente de contrôle judiciaire, pourra guider la Cour quand elle examinera la présente procédure.

 

[45]           À l’heure actuelle, il est plus approprié pour la Cour de suspendre la procédure que de rendre une ordonnance convertissant la présente demande en action en application du paragraphe 18.4(1) de la Loi sur les Cours fédérales. Dans la décision Macinnis, la Cour fédérale a examiné les circonstances dans lesquelles une demande devrait être convertie en action et a conclu que le paragraphe 18.4(2) ne devrait être pris en compte que lorsque les faits ne peuvent être établis ou évalués de façon satisfaisante par preuve par affidavit. Le critère est de savoir si cette preuve sera inadéquate et non de savoir si une preuve produite au procès serait supérieure.

 

[46]           Dans la présente procédure, je ne suis pas convaincue que la conversion de la présente demande en action soit justifiée.

 

[47]           Par conséquent, la requête est accueillie en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales. La procédure est suspendue jusqu’à ce que la procédure actuellement devant le Tribunal dans Lemire soit tranchée. Les défendeurs ont droit à une prorogation du délai pour déposer en réponse leurs affidavits, c’est‑à‑dire une période de quarante (40) jours après le prononcé d’une ordonnance levant la suspension accordée en l’espèce. Les défendeurs ont aussi droit à la taxation de leurs dépens pour la présente requête.

 


ORDONNANCE

 

 

 

            La requête est accueillie. La présente affaire est suspendue jusqu’à ce que soit tranchée l’affaire Richard Warman c. Mark Lemire, dossier du Tribunal no T1073/5405, devant le Tribunal des droits de la personne.

 

            Les défendeurs ont droit à une prorogation du délai pour déposer en réponse leurs affidavits, c’est‑à‑dire quarante (40) jours après une ordonnance levant la suspension ordonnée en l’espèce.

 

            Les défendeurs ont droit à la taxation de leurs dépens pour la présente requête.

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-572-06

 

INTITULÉ :                                                   ALEXAN KULBASHIAN ET AL.

                                                                        c.

                                                            LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE ET AL.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 28 NOVEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 2 AVRIL 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Douglas H. Christie

 

 

POUR LES DEMANDEURS

Philippe Dufresne, Avocat pour la Commission canadienne des droits de la personne

 

Sean Gaudet

Valerie Anderson

Avocats pour le procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Douglas H. Christie

Victoria (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LES DÉFENDEURS

 

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