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Date : 20070402

Dossier : IMM-2445-06

Référence : 2007 CF 351

Ottawa (Ontario), le 2 avril 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

 

ENTRE :

LOAIZA BRENES, HEYLEEN

VILLEGAS LOAIZA, VALERIA ABIGAHI

 

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION et LE MINISTRE DE

LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire porte sur un examen des risques avant renvoi (ERAR) qui a eu lieu le 2 mars 2006. Le rapport de l'ERAR conclut qu'il n'existait pas plus qu'une simple possibilité de persécution ou de préjudice pour la demanderesse principale, Heyleen Loaiza Brenes, et sa fille, Valeria Abigahi Villegas Loaiza, si elles étaient renvoyées au Costa Rica. Cette conclusion était fondée sur l'existence de la protection de l'État pour les victimes de violence familiale dans ce pays.

 

Le contexte

[2]               Mme Brenes a soutenu qu'elle était exposée à une menace de la part son ex-conjoint de fait, Gilbert Villegas. M. Villegas est aussi le père de la demanderesse mineure, Valeria Abigahi Villegas Loaiza. Mme Brenes et M. Villegas ont habité ensemble aux États-Unis pendant un certain temps. Bien que Mme Brenes n'eût aucun statut aux États-Unis, sa fille y est née et est citoyenne états‑unienne.

 

[3]               Mme Brenes soutient que M. Villegas lui a fait subir de la violence physique et psychologique vers la fin des années 90, alors qu'ils habitaient aux États-Unis, qui s'est soldée par leur séparation. En 2000, ils étaient tous de retour au Costa Rica et M. Villegas avait une nouvelle épouse. Mme Brenes soutient que, malgré son nouveau mariage, M. Villegas a continué à la harceler. Il semble que le conflit était principalement lié à des questions de droits de visite et de pension alimentaire. Mme Brenes est venue au Canada avec sa fille le 8 juillet 2003 pour habiter avec sa sœur. Elle a déclaré que M. Villegas avait continué de la harceler par téléphone à partir du Costa Rica et que, par conséquent, elle a demandé l'asile.

 

[4]               Dans une décision rendue le 25 octobre 2004, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d'asile de Mme Brenes. Cette demande était fondée sur le même récit de violence familiale qui a par la suite servi de fondement à la demande d'ERAR. La Commission a rejeté la demande d'asile au motif qu'il existait une protection de l'État adéquate au Costa Rica. Dans sa décision, la Commission a précisé quels services de protection étaient offerts aux victimes de violence conjugale, notamment le Bureau du procureur spécial, le protecteur des citoyens, les tribunaux spécialisés en matière de violence conjugale, les refuges pour femmes et l'assistance juridique pour les victimes de violence.

 

[5]               La décision d'ERAR, qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire, tenait compte de preuves au sujet de la situation du pays qui étaient postérieures au règlement de la demande d'asile et, en particulier, d'un rapport du Département d'État des États-Unis (rapport DOS) de 2004. Ce rapport mentionnait que la violence conjugale est un réel problème au Costa Rica et l'agent d'ERAR a pris acte de ce fait. Néanmoins, il a tiré la conclusion suivante au sujet de l'importance générale de la preuve :

[traduction]

Néanmoins, la preuve objective récente montre qu'il existe une protection de l'État adéquate pour les personnes qui risquent d'être victimes de violence conjugale. Comme il l'a été établi dans le rapport DOS, la loi interdit la violence conjugale et prévoit des mesures de protection pour les personnes qui en sont victimes. Les sanctions pénales vont de 10 à 100 jours d'emprisonnement pour les menaces graves, jusqu'à 35 ans d'emprisonnement pour homicide avec circonstances aggravantes. Au cours de l'année, l'Institut national des femmes (l'Institut), un institut autonome, est venu en aide à 5 866 femmes. Entre autres, il a offert du counselling et a accueilli des femmes battues dans ses refuges. L'Institut a aussi offert une ligne téléphonique d’aide aux victimes de violence conjugale et a reçu 6 021 appels en 2003.

 

De plus, le rapport DOS précise que la loi contre la violence conjugale institue des mesures d’aide aux victimes. Les autorités ont intégré une formation relative au traitement des affaires de violence conjugale à la formation de base destiné aux recrues de la police. La loi oblige les hôpitaux publics à signaler les affaires de violence conjugale à l’endroit des femmes. Elle refuse aussi à l’auteur d’actes de violence la possession du domicile familial, au profit de la victime. Le ministère public, la police, et le protecteur des citoyens ont tous des bureaux chargés de ce problème.

 

Je reconnais qu'en effet, la protection de l'État n'est pas parfaite, comme le démontrent les articles de journaux présentés par l’avocat dans ses observations, qui mentionnent des incidents précis de violence conjugale qui ont eu de graves conséquences. Néanmoins, en me fondant sur l'ensemble de la preuve, je suis convaincu qu'il existe une protection de l'État adéquate. En reconnaissant que la protection de l'État n'est peut-être pas parfaite, je note que la Cour d'appel fédérale a déclaré à ce sujet dans l'arrêt Villafranca :

 

Aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps […] lorsqu'un État a le contrôle efficient de son territoire, qu'il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et qu'il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens contre les activités terroristes, le seul fait qu'il n'y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes du terrorisme ne peuvent pas se réclamer de sa protection.

 

 

[6]               Les préoccupations de Mme Brenes au sujet de la justesse de la décision consécutive à l’ERAR sont toutes factuelles. Elle soutient que l'analyse de la preuve au cours de l'ERAR était inadéquate parce qu'il n'a pas été reconnu que la protection de l'État pour les victimes de violence conjugale au Costa Rica n'est pas efficace. Elle allègue aussi que l'agent d'ERAR n'a pas établi pourquoi certaines preuves ont été retenues alors qu’elles étaient contredites. Elle ajoute que l'agent d'ERAR a tenu compte de faits sans pertinence tels que l'existence d'unités de police spécialisées en matière de trafic de stupéfiants. Enfin, elle soutient que l'agent d'ERAR avait l'obligation d'examiner attentivement la preuve selon laquelle certaines sources fiables considéraient que la législation au Costa Rica était inadéquate quant au règlement de ses problèmes bien connus en matière de violence conjugale.

 

Les questions en litige

[7]               a) Quelle est la norme de contrôle applicable à la question soulevée en l'espèce?

 

b) La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de révision dans sa décision?

 

Analyse

[8]               En ce qui a trait à la norme de contrôle, j'adopte l'analyse pragmatique et fonctionnelle effectuée par le juge Richard Mosley dans la décision Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 540, 2005 CF 437. Au paragraphe 17 de cette décision, il a conclu qu'en ce qui a trait aux décisions d'ERAR, la décision manifestement déraisonnable est généralement la norme de contrôle applicable aux questions de fait, la décision raisonnable simpliciter, aux questions mixtes de droit et de fait et la décision correcte, aux questions de droit.

 

[9]               La demande en l'espèce ne révèle aucune erreur susceptible de révision que l'agent d'ERAR aurait commise. Au cours de l'audition de la demande d'asile, la Commission a examiné en détail toutes les préoccupations de Mme Brenes. La preuve sur laquelle Mme Brenes s'est fondée par la suite dans le processus d'ERAR n'ajoutait rien qui permettait de renforcer son allégation de risque personnel au Costa Rica.

 

[10]           La décision d'ERAR montre clairement que l'agent a tenu compte de la preuve présentée pour Mme Brenes qui était postérieure au rejet de sa demande d'asile. Cependant, il a conclu que la preuve n'établissait pas l'existence d'un degré de risque qui justifiait la prise de mesures spéciales.

 

[11]           Je suis d'accord avec le défendeur que le fait que la violence conjugale soit un problème grave au Costa Rica ne réfute pas en soi la présomption de l'existence de la protection de l'État. Aucun pays, même le Canada, n'aura jamais un système parfaitement efficace. Chaque cas doit être examiné en fonction de son propre contexte factuel, en commençant par la situation personnelle du demandeur et le niveau de risque personnel auquel il fait face. Ce processus exige que l'agent d'ERAR trie et apprécie la preuve. Inévitablement, certaines preuves seront contradictoires. C'est ce qui a été fait en l'espèce et la Cour n'a pas à réévaluer ou à réinterpréter la preuve lorsqu'elle sert raisonnablement de fondement à la décision qui a été rendue.

 

[12]           Je n’ accepte pas que les problèmes recensés au sujet de l’efficacité de la législation en ce qui a trait au règlement de la violence conjugale au Costa Rica prouvent nécessairement qu'il n'y a pas de protection pour les victimes. La preuve précise que la violence conjugale est traitée comme étant un acte criminel. Le fait qu'il ait été noté que des améliorations à cette législation sont nécessaires ne rend pas déraisonnable la conclusion de l'agent d'ERAR selon laquelle, malgré les lacunes, il existe tout de même une protection de l'État et que des efforts importants sont déployés afin de remédier au problème.

 

[13]           Les arguments présentés au nom de Mme Brenes sont presque identiques à ceux qui ont été soulevés, sans succès, dans l'affaire Fernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 1389, 2005 CF 1132, dans laquelle la juge Eleanor Dawson a conclu, aux paragraphes 17 et 18 :

17        Mme Fernandez s’appuie surtout sur un document en particulier : la réponse à la demande d'information CR132983.E (RDI) du 19 novembre 1999. Ce document n’a pas été mentionné par la Commission dans ses motifs. Selon cette RDI, certains fonctionnaires se sont déclarés préoccupés par le niveau qu’avait atteint la violence conjugale au Costa Rica. Plus précisément, un défendeur des droits des femmes du bureau du protecteur des citoyens aurait dit que la loi contre la violence conjugale était insuffisante pour arrêter l’augmentation de la violence conjugale, comme le révélait le nombre croissant des plaintes déposées par les femmes qui en étaient victimes. Étaient aussi rapportées les remarques de Gloria Valerin, la ministre de la Condition féminine de l’époque, qui mentionnait des problèmes comme l’attitude sexiste et partiale des intervenants judiciaires, la réticence des autorités à appliquer certaines dispositions de la loi, et les mesures « limitées » ou « inutiles » prises par la police en réponse aux incidents de violence conjugale. Mme Valerin a qualifié la violence conjugale au Costa Rica d’« épidémie nationale ».

 

18 Ayant examiné le dossier dont la Commission avait été saisie, je ne peux pas conclure qu’elle n’a pas pris en compte l’ensemble de la preuve ou qu’elle n’a pas tenu compte des éléments de preuve corroborant la demande d’asile de Mme Fernandez. Si le RDI contient des passages qui vont dans le sens des prétentions des demandeurs, il y est aussi fait mention des efforts soutenus des autorités costariciennes pour lutter contre la violence conjugale, notamment par la révision et l’adoption des textes de loi pertinents. Selon ce document, Mme Valerin aurait aussi dit que [TRADUCTION] « les femmes sont de plus en plus conscientes du fait que les situations de violence conjugale se produisent chaque jour et elles ont trouvé des canaux pour exprimer leurs préoccupations ». En outre, la Commission a mentionné des preuves documentaires plus récentes d’après lesquelles on pouvait raisonnablement conclure que Mme Fernandez et ses fils pouvaient obtenir une protection adéquate de l’État au Costa Rica. Plus précisément, les conclusions de la Commission s’appuyaient sur le rapport du Département d’État des États-Unis de 2002 sur le Costa Rica, dans lequel il était dit :

 

[TRADUCTION] Le gouvernement a désigné la violence conjugale à l’endroit des femmes et des enfants comme un problème social grave. L’institut national des femmes, une institution autonome créée en 1998 qui se consacre à l’égalité des sexes, a reçu 63 990 appels sur la ligne réservée aux affaires de violence conjugale de janvier à octobre. Au cours de la même période, l’institut a assuré un counselling à 4 097 femmes victimes d’agressions dans son bureau de San Jose et accueilli 194 femmes dans les abris qu’il gère. L’institut avait 41 bureaux dans des municipalités dans tout le pays et il a formé du personnel qui travaille dans 32 des 81 cantons du pays.

 

Le bureau du procureur spécial chargé de la violence conjugale et des crimes sexuels a exercé des poursuites dans 448 affaires de violence conjugale pendant l’année; à titre de comparaison, ce chiffre était de 456 en 2001. L’institut a signalé que 24 femmes ont été tuées dans des incidents de violence conjugale pendant l’année; à titre de comparaison, ce chiffre était de 11 en 2001.

 

La loi sur la violence conjugale de 1996 institue des mesures de précaution afin d’aider les victimes. À la fin de l’année, il y avait toujours des débats à l’assemblée législative sur un projet de loi visant à ériger la violence à l’endroit des femmes en crime : ce texte classe certains actes de violence conjugale comme des crimes et ils doivent faire impérativement l’objet de poursuites, même si la victime n’a pas porté plainte contre l’auteur. Les autorités ont intégré la formation relative au traitement des affaires de violence conjugale à leur cours de formation de base destiné aux recrues de la police. La loi sur la violence conjugale oblige les hôpitaux publics à signaler les affaires de violence conjugale à l’endroit des femmes. Elle refuse aussi à l’auteur du crime la possession du domicile familial, au profit de la victime. La télévision couvre de manière plus fréquente cette question dans les journaux télévisés, les communiqués d'intérêt public, et les programmes magazines. Le nombre d’affaires de violence à l’endroit des femmes signalées aux autorités a augmenté; il est possible qu’il reflète une plus grande volonté des victimes à signaler les abus plutôt qu’une véritable augmentation des actes de violence à l’endroit des femmes. Le ministère public, la police, et le protecteur des citoyens ont tous des bureaux chargés de ce problème. La loi réprimant le harcèlement sexuel sur les lieux de travail et les institutions scolaires vise à prévenir et à punir le harcèlement sexuel dans ces lieux.

 

 

[14]           Comme pour l'affaire Fernandez, précitée, la preuve en l'espèce montre aussi que Mme Brenes a obtenu une ordonnance de la cour qui la protégeait contre M. Villegas, peu avant qu'elle quitte le Costa Rica pour venir au Canada.

 

[15]           Je rejette aussi l'argument selon lequel l'agent d'ERAR a tenu compte de preuves qui n'étaient pas pertinentes. La décision fait bien référence à la formation et au professionnalisme des policiers, ainsi qu'à la solidité des principes démocratiques au Costa Rica. Ces renseignements ont été tirés du rapport DOS présenté en preuve pour Mme Brenes et les extraits contestés sont pertinents quant à la volonté qu’auront les autorités de traiter la violence conjugale comme étant un problème sérieux. Je reconnais que, dans certains pays, il n'y a parfois qu'une faible corrélation entre l'existence d'une démocratie constitutionnelle et la volonté de l'État de prendre des mesures efficaces contre la violence conjugale. Cependant, la preuve montre que le Costa Rica prend des mesures pour combattre le problème et l'agent d'ERAR avait le droit de retenir cette preuve. On ne peut certainement pas dire qu’il était déraisonnable qu’il le fasse.

 

[16]           Par conséquent, la demande sera rejetée.

 

[17]           Ni l'une ni l'autre partie n'a proposé de question pour la certification et la décision ne soulève aucune question de portée générale.

 

 

 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


Cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

Dossier :                                        IMM-2445-06

 

INTITULÉ :                                       LOAIZA BRENES, HEYLEEN

                                                            VILLEGAS LOAIZA, VALERIA ABIGAHI

 

                                                            c.

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 28 FÉVRIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT PAR :                     LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 2 AVRIL 2007

 

COMPARUTIONS :

 

John W. Grice                                      POUR LES DEMANDERESSES

 

Kristina Dragaitis                                  POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John W. Grice

Avocat

Toronto (Ontario)                                 POUR LES DEMANDERESSES

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada       POUR LES DÉFENDEURS

 

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