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Date : 20070330

Dossier : T‑1548‑06

Référence : 2007 CF 344

Ottawa (Ontario), le 30 mars 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

LES LABORATOIRES SERVIER,

ADIR, ORIL INDUSTRIES,

SERVIER CANADA INC.,

SERVIER LABORATORIES (AUSTRALIA) PTY LTD

et SERVIER LABORATORIES LIMITED

 

demanderesses

et

 

APOTEX INC.

et

APOTEX PHARMACHEM INC.

 

défenderesses

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

Dépens de la requête en injonction

[1]        Les motifs qui suivent ont trait à la question des dépens découlant de la demande d’injonction interlocutoire présentée par les demanderesses (collectivement Servier ou les demanderesses) contre les défenderesses (collectivement Apotex ou les défenderesses).

 

[2]        Les demanderesses ont intenté contre les défenderesses une action en contrefaçon de leur brevet canadien 1,341,196 (le brevet 196). Le 8 novembre 2006, elles ont déposé un avis de requête en vue d’obtenir une injonction interlocutoire contre les défenderesses. Le 29 novembre 2006, le juge Simon Noël a accordé une injonction provisoire aux demanderesses ([2006] A.C.F. no 1887 (C.F.) (QL), 2006 CF 1443). Au paragraphe 31 de sa décision, le juge Noël a indiqué que les dépens de l’injonction provisoire suivraient la décision rendue à l’égard de la requête visant l’injonction interlocutoire. Dans une décision datée du 13 décembre 2006 (2006 CF 1493, [2006] A.C.F. no 1954 (C.F.) (QL)), la Cour a rejeté la requête en injonction et ordonné aux parties de lui soumettre, par écrit, leurs observations concernant la question des dépens.

 

[3]        Les défenderesses, qui ont obtenu gain de cause en ce qui a trait à la requête, demandent que leur soient adjugés les dépens de la requête en injonction provisoire et de la requête en injonction interlocutoire. Elles réclament, au titre des dépens, la somme globale de 100 000 $, plus les débours (214 716,71 $), quelle que soit l’issue de la cause, soit, au total, 314 716,71 $. À l’appui de leur réclamation, les défenderesses ont présenté un mémoire de dépens.

 

[4]        Les demanderesses soutiennent que la Cour devrait ordonner que les dépens doivent suivre l’issue de la cause, car elle a conclu qu’il y a effectivement une question sérieuse à juger et que M. Sherman, président d’Apotex, a admis la contrefaçon. Les demanderesses font valoir subsidiairement que, si les dépens sont adjugés dès maintenant, leur montant devrait être laissé à l’appréciation du juge du procès. Elles affirment que, pour que le montant réclamé au titre des honoraires et des débours soit évalué correctement, il faudrait que les défenderesses fournissent davantage de détails, y compris les pièces justificatives à l’appui de leur mémoire de dépens.

 

Analyse

[5]        L’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, établit les principes généraux qui sont applicables en matière d’adjudication des dépens entre parties. Cet article confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens et de les répartir, et il prévoit un certain nombre de facteurs pouvant être pris en compte par la Cour. Il faut également reconnaître la pertinence de l’article 401 des Règles, qui prévoit :

 

401.(1) La Cour peut adjuger les dépens afférents à une requête selon le montant qu’elle fixe.

 

(2) Si la Cour est convaincue qu’une requête n’aurait pas dû être présentée ou contestée, elle ordonne que les dépens afférents à la requête soient payés sans délai.

 

401.(1) The Court may award costs of a motion in an amount fixed by the Court.

 

 

(2) Where the Court is satisfied that a motion should not have been brought or opposed, the Court shall order that the costs of the motion be payable forthwith.

 

 

 

[6]        Il est désormais clair que le juge des requêtes peut, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, adjuger les dépens d’une requête à l’une ou l’autre des parties, quelle que soit l’issue de l’action principale (Enterprise Rent‑A‑Car Co. c. Singer, 91 A.C.W.S. (3d) 716, [1999] A.C.F. no 1687, au paragraphe 6 (C.A.F.) (QL); Lifescan, Inc. c. Novopharm Ltd., 2001 CFPI 809, 107 A.C.W.S. (3d) 377, [2001] A.C.F. no 1176, aux paragraphes 8 à 10 (C.F. 1re inst.) (QL)). C’est particulièrement le cas lorsque la question soulevée dans le cadre de la requête est distincte des questions faisant l’objet du litige (AIC Ltd. c. Infinity Investment Counsel Ltd. (1998), 148 F.T.R. 240, au paragraphe 5 (C.F. 1re inst.), 80 A.C.W.S. (3d) 1150).

 

[7]        J’estime en l’espèce que les questions soulevées dans le cadre de la requête sont distinctes. Bien que la question de savoir s’il y avait une question sérieuse à juger ait été examinée dans le cadre de la requête, la Cour ne s’est aucunement prononcée sur le fond du litige. Il ne sera pas nécessaire, lors du procès, de revenir sur ce que la Cour a décidé lorsqu’elle a tranché la demande d’injonction provisoire. Il convient, par conséquent, d’adjuger les dépens de cette requête indépendamment du procès et avant la tenue de celui‑ci.

 

[8]        En ce qui concerne le paragraphe 401(2) des Règles, la requête en injonction interlocutoire présentée par les demanderesses était raisonnable. Ainsi que je l’ai conclu dans ma décision du 13 décembre 2006, il y a une question sérieuse à juger. Il ressort de l’analyse que j’ai faite dans cette décision que la question du préjudice irréparable devait être examinée soigneusement. Cela étant, on ne saurait conclure que les demanderesses n’auraient pas dû présenter la requête en question. En conséquence, il n’y a pas lieu d’ordonner, en application du 401(2) des Règles, que les dépens soient payés sans délai.

 

[9]        En exerçant mon pouvoir discrétionnaire, j’ai tenu compte de tous les facteurs prévus au paragraphe 400(3) des Règles. Certains de ces facteurs sont particulièrement pertinents en l’espèce; ils seront examinés ci‑dessous.

 

Le résultat de l’instance

[10]      Bien que les demanderesses aient été déboutées de leur requête en injonction interlocutoire, leur requête en injonction provisoire a été accueillie. Toutefois, en vertu de l’ordonnance rendue le 29 novembre 2006 par le juge Noël, les dépens doivent suivre la décision rendue à l’égard de la requête en injonction interlocutoire. Ce facteur joue donc en faveur des défenderesses.

 

L’importance et la complexité des questions en litige

[11]      Les défenderesses font valoir que l’affaire était importante pour les demanderesses et que les questions soulevées étaient complexes.

 

[12]      J’estime que les questions juridiques soulevées dans le cadre de la requête n’étaient nullement complexes étant donné que le critère régissant la délivrance d’une injonction interlocutoire est parfaitement clair. Dans son analyse de ce facteur, la Cour doit tenir compte de la complexité du droit et non de la complexité des faits (TRW Inc. c. Walbar of Canada Inc. (1992), 43 C.P.R. (3d) 449 (C.A.F.)).

 

Autres facteurs

a) L’intervention de plusieurs avocats

[13]      Les défenderesses affirment qu’en demandant un calendrier accéléré pour l’audition des requêtes en injonction provisoire et interlocutoire, les demanderesses leur ont imposé de fortes contraintes. Elles ont dû confier le dossier à huit avocats. D’après les défenderesses, sans les efforts de ces avocats, elles n’auraient pas pu faire face aux exigences des demanderesses.

 

[14]      Les demanderesses font valoir que le tarif B ne permet le remboursement des honoraires de plusieurs avocats qu’à la partie E « Instruction ou audience » et à la partie F « Appels à la Cour d’appel fédérale ». Elles soutiennent donc qu’il convient de refuser le remboursement des honoraires demandés au titre du temps que de deux à cinq avocats auraient consacré à la préparation des requêtes.

 

[15]      À mon avis, il était raisonnable, de la part des défenderesses, d’avoir recours à plusieurs avocats pour ces requêtes. Je conviens avec les défenderesses qu’elles n’auraient pas pu répondre correctement aux requêtes en confiant le dossier à un seul avocat. Ce qui me paraît moins évident, c’est que les huit avocats été nécessaires à chacune des étapes de ces requêtes décrites dans leur mémoire de dépens.

 

b) Témoignage d’experts

[16]      Les demanderesses s’opposent à ce que les défenderesses obtiennent le remboursement des honoraires d’avocat et des débours correspondants (autres que les honoraires versés aux experts) pour le temps consacré à la préparation des affidavits de Klibanov, de Gavras et de McClelland et pour leur présence aux contre‑interrogatoires de ces témoins, car elles considèrent que l’avis de ces personnes était pertinent au procès plutôt que dans le cadre des deux requêtes. Les demanderesses contestent également les honoraires d’expert de David Matthew (l’expert du R.‑U.).

 

[17]      Je considère qu’en recourant aux services de ces experts lors des requêtes, les défenderesses sont peut‑être allées plus loin que cela n’était raisonnable. Elles devraient par conséquent assumer une partie des frais de ces experts. Des honoraires d’expert de 97 907,58 $CAN (correspondant à 46,232 £), ont été versés à David Matthew. Je conviens avec les demanderesses que le montant de ces honoraires d’expert paraît démesuré compte tenu de ceux qui ont été versés à Aidan Hollis, Stephen Cole, Philip Williams et Des Threlfall. Les demanderesses ne devraient pas avoir à assumer les frais de la « cadillac » des experts appelé à témoigner par les défenderesses (Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals International Ltd. (1999), 2 C.P.R. (4th) 368, au paragraphe 20 (C.F. 1re inst.), 91 A.C.W.S. (3d) 722, 176 F.T.R. 142).

 

c) Débours

[18]      Les défenderesses ont droit à des débours raisonnables. Je souligne toutefois la rareté des pièces justificatives me permettant d’évaluer le caractère raisonnable de certains des débours. En résumé, les débours soulèvent des interrogations sur les points suivants :

 

  • Je conviens, comme le font valoir les demanderesses, que la catégorie « réunions » est trop vague.

 

  • Il est inhabituel de voir des frais de déplacement et d’hébergement cités en chiffres ronds.

 

  • Les frais de déplacement dont il est fait état attestent le caractère luxueux des modes de transport employés.

 

  • Les frais de photocopie (plus de 25 000 $) sont extrêmement élevés.

 

[19]      Ainsi, bien que les défenderesses aient droit aux débours, je fixerais leur montant maximum à 100 000 $.

 

Conclusion

[20]      Je considère, vu les faits de l’affaire, qu’il convient de calculer les débours sous forme de somme globale. Exerçant mon pouvoir discrétionnaire, je fixerais à 150 000 $ le montant des dépens des deux requêtes – 50 000 $ pour les honoraires d’avocat et 100 000 $ pour les débours – plus la TPS et TVP, si applicables.

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

  1. Les dépens des requêtes visant à obtenir une injonction provisoire et une injonction interlocutoire sont fixés à 150 000 $ plus la TPS et la TVP, le cas échéant, cette somme devant être versée aux défenderesses par les demanderesses.

 

  1. Les dépens seront payables à l’issue du procès, une compensation étant alors effectuée s’il y a lieu.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                 T‑1548‑06

 

INTITULÉ :                                                LES LABORATOIRES SERVIER et al.

                                                                     c.

                                                                     APOTEX INC. et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                               LE 30 MARS 2007

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ogilvy Renault LLP

Montréal (Québec)

 

  POUR LES DEMANDERESSES

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

  POUR LES DÉFENDERESSES

 

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