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Date : 20070327

Dossier : IMM‑2581‑06

Référence : 2007 CF 326

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

 

ENTRE :

MILAN SULAKSHAN RAMANAYAKE SUDUWELIK

 

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Par la présente demande, Milan Sulakshan Ramanyake Suduwelik conteste la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa demande d’asile.

 

Le contexte

[2]               M. Suduwelik est arrivé au Canada le 14 juillet 2002 en provenance du Sri Lanka à la faveur d’un visa d’étudiant. Ce n’est que le 22 septembre 2004 qu’il a demandé l'asile au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIRP). Il a fondé sa demande sur des allégations de persécution politique commise principalement par un puissant adversaire et membre du Parlement sri-lankais, Chandana Kathriarachchi. Parmi ces allégations, il a fait mention d’arrestations illégales, de fausses accusations, d’agressions, de menaces, de mesures de harcèlement et d’un attentat à la bombe incendiaire le visant lui, sa famille et ses alliés politiques.

 

[3]               M. Suduwelik a affirmé qu’en 2001 il avait appuyé la campagne électorale de Ravi Karunanayake, l’adversaire politique de M. Kathriarachchi. Dans le cadre de ses fonctions, M. Suduwelik avait en outre ordonné la saisie de sept véhicules loués par M. Kathriarachchi. C’est pour cette raison, selon lui, qu’il a fait l’objet de représailles.

 

[4]               M. Suduwelik a témoigné qu’en juillet 2001 M. Kathriarachchi et ses partisans avaient protesté contre la saisie des sept (7) véhicules loués, en saccageant sa maison et en agressant ses parents. Selon lui, cet épisode a été presque immédiatement suivi de son arrestation pour saisie illégale des véhicules en question. Il a prétendu avoir été battu par la police pendant sa détention, mais il a été libéré le jour suivant sur ordonnance du tribunal et a repris le travail.

 

[5]               M. Suduwelik a également témoigné qu’en août 2001 la police s’est rendue au studio de photographie de son père pour y arrêter un jeune employé tamoul. M. Suduwelik et son père ont eux aussi été arrêtés, sous prétexte qu’ils auraient donné refuge à un membre des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET). Selon M. Suduwelik, ils ont, pendant leurs six (6) jours de détention, subi des violences et des injures de la part de la police. Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) ainsi que dans son témoignage devant la Commission, M. Suduwelik a affirmé que, selon lui, cette arrestation avait été manigancée par M. Kathriarachchi pour des motifs politiques.

 

[6]               Selon M. Suduwelik, toujours en août 2001, M. Kathriarachchi et ses partisans se sont présentés au domicile familial de M. Suduwelik et ont menacé et attaqué ce dernier et sa famille. Cette attaque résultait, semble‑t‑il, de l’appui politique que M. Suduwelik avait donné à M. Karunanayake. Cet incident a presque immédiatement été suivi d’une attaque à la bombe incendiaire contre une habitation locative appartenant à ses parents, ainsi que d’une campagne de menaces et de harcèlement. L’attaque à la bombe incendiaire était corroborée par une plainte écrite officielle déposée par le père de M. Suduwelik auprès de la police locale.

 

[7]               Il semblerait que les difficultés de M. Suduwelik n’aient pas pris fin en 2001. Selon lui, M. Karunanayake et plusieurs de ses partisans politiques ont, en 2004, été arrêtés par les autorités, et trois ou quatre d’entre eux ont « disparu ». Il a affirmé qu’à la même époque il a appris que six ou sept « individus » avaient agressé ses parents chez eux et fouillé la maison à sa recherche. Il a également prétendu figurer sur une liste de personnes à arrêter que le gouvernement avait dressée. Ce risque d’arrestation a été corroboré dans une lettre rédigée par un avocat engagé par les parents de M. Suduwelik, dont voici un extrait :

[traduction]

On apprend également l’existence d’une liste sur laquelle figurent les noms de plusieurs autres personnes ayant travaillé pour M. Ravi Karunanayake, qu’il s’agit d’arrêter et de placer sous les verrous. Le nom de votre fils figure sur cette liste.

 

Cela étant, je tiens à vous faire savoir qu’un service de police illégalement constitué a déjà pris des mesures en vue d’arrêter votre fils et de l’emprisonner.

 

Si votre fils est arrêté et placé sous les verrous, il risquera non seulement sa liberté, mais sa vie.

 

Nous avons également appris que les autorités aéroportuaires du Sri Lanka ont reçu l’ordre d’appréhender toute personne dont le nom figure sur cette liste, dès son retour au Sri Lanka en provenance de l’étranger.

 

Cela étant, je vous conseille de dire à votre fils de ne pas rentrer au Sri Lanka, étant donné l’imminence du danger qui pèse non seulement sur sa santé mais sur sa vie.

 

[Citation tirée du texte original.]

 

 

[8]               Selon le témoignage de M. Suduwelik, les événements dont il est fait état l’ont poussé à s’enfuir au Canada. Il affirme que ses parents ont continué, au Sri Lanka, à vivre dans la peur. Il déclare également avoir appris que M. Karunanayake et ses partisans avaient été agressés et menacés en octobre 2005.

 

La décision de la Commission

[9]               La Commission a rejeté le témoignage de M. Suduwelik parce qu’à son avis il n’était pas digne de foi. La Commission a certes reconnu les violences qui marquent la vie politique au Sri Lanka (surtout pendant les campagnes électorales), mais elle n’a relevé, parmi les éléments de preuve documentaires, rien qui puisse confirmer l’existence d’une véritable culture de la violence ciblant les militants politiques de base.

 

[10]           Dans sa décision, la Commission a également relevé que le supérieur de M. Suduwelik au sein de la UNP Youth League, P.D. Perera, a été en mesure de poursuivre son activité politique sans, semble‑t‑il, subir de persécution politique. La Commission a précisément cité une lettre de M. Perera qui, selon elle, ne contenait rien qui donnerait à penser que M. Perera continuait à faire l’objet de persécution. La question est évoquée dans l’extrait suivant de la décision de la Commission :

[traduction]

Au dire du demandeur d’asile, Perera a été arrêté en 2004, puis libéré. Il est libre depuis lors. Perera a, lui aussi, transmis des preuves étayant les allégations de persécution du demandeur d’asile. Rien dans cette lettre n’indique que Perera aurait lui‑même été tué ou persécuté en raison de son rôle politique de premier plan. Le demandeur d’asile n’a produit aucune preuve digne de foi expliquant pourquoi lui, militant de base, serait menacé de persécution alors que son supérieur au sein du parti n’y serait pas lui‑même exposé.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[11]           La Commission a fait peu de cas du témoignage de M. Suduwelik parce que celui‑ci avait omis de préciser, dans son FRP, qu’il avait été coordinateur ou chef de groupe au sein de la Youth League, et que son témoignage à ce sujet comportait des contradictions.

 

[12]           La Commission a ensuite expliqué que le témoignage livré par M. Suduwelik au sujet de la persécution, en 2004, de ses alliés politiques au Sri Lanka était de seconde main, vague et intéressé.

 

[13]           La Commission a en outre rejeté la lettre de l’avocat sri-lankais attestant du risque d’arrestation « illégale » pesant sur M. Suduwelik, puisque selon cette lettre les personnes menacées d’arrestation, y compris M. Suduwelik, étaient des employés de M. Karunanayake. La Commission a estimé qu’elle ne pouvait pas retenir la lettre car M. Suduwelik n’avait jamais été un employé rémunéré de M. Karunanayake. La Commission a en outre estimé que cette lettre était à la fois intéressée et incompatible avec la preuve documentaire concernant le Sri Lanka.

 

[14]           En ce qui concerne l’épisode qui se serait produit en 2001, à l’occasion duquel M. Suduwelik et son père auraient été arrêtés pour avoir donné refuge à un membre des TLET, la Commission a conclu à l’absence de preuves solides concernant l’existence d’un motif politique. Puis, se fondant sur ses connaissances spécialisées, la Commission a reconnu que, effectivement, les autorités sri-lankaises procèdent parfois à l’arrestation de l’employeur de personnes soupçonnées d’entretenir des liens avec les TLET.

 

[15]           La Commission a reconnu l’existence d’éléments de preuve documentaires indiquant que M. Karunanayake était, au Sri Lanka, sous le coup d’accusations pénales pour détournement de fonds, mais elle n’y accorda guère d’importance, estimant que la question relève des tribunaux sri-lankais.

 

[16]           Enfin, la Commission a conclu à l’absence [traduction] « de preuves concernant le mal qu’on aurait essayé de faire [à M. Suduwelik] au cours de la campagne électorale de 2001 ou après l’élection ».

 

Les questions en litige

[17]           a)         Quelle est, en l’espèce, la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer aux questions en litige?

 

 

b)                  La décision de la Commission comporte‑t‑elle des erreurs susceptibles de révision?

 

Analyse – La norme de contrôle

[18]           À une exception près, les reproches que M. Suduwelik adresse au sujet de la décision de la Commission visent les conclusions concernant la crédibilité du demandeur d’asile. Selon un principe bien établi, les conclusions de la Commission au plan de la crédibilité ne peuvent être infirmées que si elles se révèlent manifestement déraisonnables : voir Offei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 2000, 2005 CF 1619, le paragraphe 9 en particulier, et Crespo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. n849, 2005 CF 672. L’argument justifiant cette plus grande déférence a été formulé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt souvent cité, Aguebor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315, [1993] A.C.F. no 732, dans lequel le juge Robert Décary se prononce en ces termes :

4    Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu’est la Section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d’un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d’un récit et de tirer les inférences qui s’imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre intervention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire.

 

 

[19]           M. Suduwelik a soulevé une question d’équité procédurale, reprochant à la Commission de ne pas l’avoir avisé à l’avance de son intention de se fonder sur ses connaissances spécialisées. Cette question doit être appréciée au regard de la norme de la décision correcte : voir Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 174, 2004 CAF 49.

 

Analyse – Décision de la Commission

[20]           Le point litigieux en l’occurrence était la crédibilité du demandeur d’asile. La Commission avait de sérieux doutes quant au récit présenté par M. Suduwelik et a décidé de le rejeter. Il était tout à fait loisible à la Commission de rejeter la demande de M. Suduwelik pour des raisons tenant à sa crédibilité car, sur plusieurs points, son témoignage lui paraissait douteux, précaire ou invraisemblable.

 

[21]           Ce qui fait problème, cependant, est que la décision de la Commission est peu soutenable au vu des motifs qui lui servent de fondement. La Commission a tout simplement omis de prendre en compte trop de preuves substantielles pour que sa décision puisse être maintenue. Ce problème est amplifié par le fait que la Commission s’est largement appuyée sur des preuves dénuées de pertinence et qu’elle a commis au moins une importante erreur au niveau des faits. L’effet cumulatif des erreurs ainsi commises exige que l’affaire soit entendue à nouveau sur le fond.

 

[22]           Pour conclure que M. Suduwelik ne courait aucun risque de persécution politique, la Commission a principalement fait valoir que la situation personnelle du demandeur, en tant que présumé militant politique de base, ne correspondait pas à l’exposé des risques figurant dans les rapports sur la situation dans le pays en question. Certes, la préoccupation exprimée par la Commission sur ce point n’est pas entièrement injustifiée, mais la situation dont M. Suduwelik faisait état quant aux risques qu’il courait personnellement n’était pas aussi simple qu’elle paraissait aux yeux de la Commission.

 

[23]           La Commission s’intéressait manifestement au profil politique de M. Suduwelik et a conclu que ce dernier avait enjolivé son rôle de dirigeant d’une ligue de jeunes afin d’exagérer les risques auxquels il prétendait être exposé. La Commission pouvait raisonnablement parvenir à une telle conclusion. Toutefois, la difficulté que soulève la conclusion de la Commission sur ce point provient du fait qu’elle n’a pas tenu compte de l’importance potentielle du témoignage de M. Suduwelik lorsqu’il a affirmé qu’il avait joué un rôle essentiel dans la saisie de plusieurs véhicules loués par M. Kathriarachchi et que ce rôle avait accru les risques de représailles à son égard. La Commission a mentionné cet épisode en passant, mais elle n’a pas évalué l’importance qu’il aurait pu avoir afin de sortir M. Suduwelik du profil des risques généraux. En outre, la Commission n’a pas tenu compte de plusieurs articles de presse rapportant que M. Kathriarachchi et ses partisans étaient particulièrement enclins à la violence politique et que M. Kathriarachchi était peut‑être même soupçonné d’avoir trempé dans un assassinat. La reconnaissance par la Commission de la violence politique comme phénomène généralisé au Sri Lanka ne constitue pas une analyse suffisante des preuves particulières concernant les antécédents violents de M. Kathriarachchi. M. Suduwelik a témoigné que si M. Kathriarachchi et ses partisans s’en étaient pris à lui, ce n’était pas simplement parce qu’il était « militant de base » d’un parti politique adverse. Il appartenait à la Commission d’examiner les risques allégués par le demandeur d’asile en tenant compte de la totalité de la preuve produite et non simplement en se fondant sur une preuve générale concernant la situation dans le pays en question.

 

En outre, la décision de la Commission ne tient carrément pas compte des éléments de preuve soumis par M. Suduwelik concernant les violentes attaques dirigées contre lui, sa famille et ses alliés politiques. En guise de conclusion, la Commission se contente d’affirmations assez vagues, selon lesquelles M. Suduwelik [traduction] « n’a produit aucune preuve digne de foi », ou a livré un témoignage [traduction] « intéressé ». Si la Commission était d’avis que le témoignage de M. Suduwelik n’était pas digne de foi, il lui appartenait de dire pourquoi il en était ainsi : voir Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 228, 130 N.R. 236. Il n’est guère utile de qualifier vaguement d’intéressé le témoignage d’un demandeur d’asile, étant donné qu’il est rare de trouver chez un réfugié un témoignage qui ne soit pas intéressé.

 

[24]           Lorsque la Commission a tenté de préciser la source de certains des doutes qu’elle éprouvait quant à la crédibilité du demandeur, elle l’a fait d’une manière qui n’est guère convaincante. Par exemple, elle a rejeté la lettre corroborante de M. Perera, en faisant surtout valoir, à tort, que cette lettre ne démontrait pas que M. Perera avait effectivement été persécuté en raison de son activité politique. Sur ce point, l’erreur de la Commission consiste à ne pas avoir tenu compte de la déclaration de M. Perera affirmant qu’il avait, comme M. Suduwelik, fait l’objet de menaces de la part de ses adversaires politiques.

 

[25]           Pour rejeter la lettre de l’avocat sri-lankais qui affirmait que le nom de M. Suduwelik figurait sur la liste des militants susceptibles d’arrestation politique, la Commission s’est essentiellement fondée sur une nuance d’ordre sémantique. La Commission a en effet relevé que, selon cette lettre, les personnes visées par des représailles, dont M. Suduwelik, avait été « employées » par M. Karunanayake. Selon la Commission, cela contredisait le témoignage donné par M. Suduwelik, qui avait affirmé être un bénévole politique non rémunéré. Si, au sens étroitement juridique du terme, le verbe « employer » peut s’entendre d’un travail effectué contre rémunération, en langage ordinaire le mot peut aussi simplement vouloir dire utiliser quelque chose ou confier à quelqu’un une tâche. La Commission était peut‑être fondée à se montrer sceptique à l’égard de cette lettre, mais pas pour la raison qu’elle a donnée.

 

[26]           Il importe aussi de noter que, dans sa décision, la Commission ne tient pas compte d’un nombre considérable d’éléments de preuve corroborants, dont deux plaintes officielles à la police attestant les agressions dont avait été victime la famille, les attentats à la bombe incendiaire en septembre 2001, les affidavits des parents de M. Suduwelik, deux rapports médicaux faisant état des blessures subies par M. Suduwelik, une lettre de M. Karunanayake et d’abondantes preuves documentaires concernant les violences politiques commises par M. Kathriarachchi et ses partisans. Certains de ces éléments sont d’une pertinence particulière, étant donné qu’ils contredisent la conclusion de la Commission selon laquelle rien ne démontrait qu’entre le mois d’août 2001 et le mois de juillet 2002 on s’en soit pris à M. Suduwelik ou sa famille (p. ex., le prétendu attentat à la bombe incendiaire a eu lieu en septembre 2001).

 

[27]           Même si la Commission n’est pas tenue de faire état, dans sa décision, de tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés, le fait de ne pas mentionne des éléments de preuve importants qui contredisent ses conclusions permettrait de supposer – et c’est le cas en l’espèce – que la décision rendue ne tient pas compte de la preuve produite. Sur ce point, je m’appuie sur la récente décision Jones c. Canada (Ministre de Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F no 591, 2006 CF 405, dans laquelle la juge Judith Snider se prononce en ces termes au paragraphe 37 :

[37]      En règle générale, la Commission a le droit de préférer certaines preuves documentaires à d’autres (Maximenko c. Canada (Solliciteur général), [2004] A.C.F. no 606, 2004 CF 504, au par. 18). Il est également bien établi que la Commission n’a pas à mentionner tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés (ibid.). Cependant, lorsque la Commission omet d’analyser des éléments de preuve importants et contradictoires, la Cour peut alors en conclure que la Commission n’a pas tenu compte de faits essentiels, ou les a mal compris, et a prononcé une décision erronée (Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (1re inst.), au par. 17). Il s’agit donc de savoir si, dans l’ensemble, cette preuve est « si importante et cruciale que l’omission d’en faire état peut constituer une erreur susceptible de contrôle »), (Johal c. Canada (Ministre de Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. n1760 au par. 10 (1re inst.)). À mon avis, les preuves que j’ai mentionnées ci‑dessus font partie de cette catégorie. L’omission de la part de la Commission de tenir compte de ces preuves et de les apprécier constitue une erreur susceptible de contrôle.

 

[28]           La manière dont la Commission a abordé le témoignage de M. Suduwelik, lorsque celui‑ci affirmait avoir été, avec son père, arrêté sous prétexte d’avoir donné refuge à un jeune Tamoul, fait également problème. M. Suduwelik a témoigné qu’il croyait cet épisode lié aux problèmes qu’il éprouvait vis‑à‑vis de M. Kathriarachchi, et il existe, à tout le moins, un lien chronologique entre cet épisode et divers autres incidents de persécution dont seraient responsables M. Kathriarachchi et ses partisans. La Commission a écarté cette preuve comme « non digne de foi » et a préféré plutôt se fonder sur ses connaissances spécialisées lui permettant de dire que les employeurs cinghalais de Tamouls suspectés sont parfois arrêtés et interrogés. Comme la Commission ne lui a pas fait savoir à l’avance qu’elle entendait se fonder sur ses connaissances spécialisées, M. Suduwelik affirme que la Commission a enfreint l’article 18 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228 (les Règles) ainsi que les règles de justice naturelle. Le défendeur soutient pour sa part que, même si une telle violation a eu lieu, elle n’a eu aucune incidence sur l’issue de la cause.

 

[29]           L’obligation, pour la Commission, d’aviser les parties de son intention de recourir à ses connaissances spécialisées aux termes de l’article 18 des Règles est bien comprise et rigoureusement appliquée dans les affaires où ces connaissances auraient pu influer sur la décision de la Commission : voir N’Sungani c. Canada (Ministre de Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 2142, 2004 CF 1759, au paragraphe 24. En l’espèce, forte de ses connaissances spécialisées, la Commission a refusé de prendre en compte une arrestation qui aurait été politiquement motivée. Il s’agit là d’un élément important des persécutions dont M. Suduwelik a fait état et, s’il avait été avisé à l’avance, il aurait sans doute cherché à étayer ses arguments à ce sujet. En l’occurrence, cette erreur au plan de l’équité procédurale prête à conséquence et justifie une nouvelle audition de l’affaire.

 

[30]           Pour l’ensemble des motifs exposés ci-dessus, la demande sera accueillie et l’affaire sera renvoyée à la Commission pour être à nouveau tranchée sur le fond par un tribunal différemment constitué.

 

[31]           Aucune des parties n’a proposé la certification d’une question et l’affaire ne soulève aucune question de portée générale.

 


JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE : La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée devant la Commission pour être à nouveau tranchée sur le fond par un tribunal différemment constitué.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑2581‑06

 

INTITULÉ :                                       MILAN SULAKSHAN RAMANAYAKE

                                                            SUDUWELIK

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 28 FÉVRIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 27 MARS 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kristina Kostadinov

 

POUR LE DEMANDEUR

Michael Butterfield

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général

Du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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